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«Michel Foucault explique son dernier livre» (entretien
avec J.- J. Brochier), Magazine littéraire, no 28, avril
- mai 1969, pp. 23-25.
Dits Ecrits tome I texte n°66
- Vous avez intitulé votre livre L'Archéologie du
savoir. Pourquoi archéologie ?
- Pour deux raisons. J'ai d'abord employé ce mot de façon
un peu aveugle, pour désigner une forme d'analyse qui ne
serait pas tout à fait une histoire (au sens où l'on
raconte par exemple l'histoire des inventions ou des idées),
et qui ne serait pas non plus une épistémologie, c'est-à-dire
l'analyse interne de la structure d'une science. Ce quelque chose
d'autre, je l'ai donc appelé «archéologie»
; et puis, rétrospectivement, il m'a paru que le hasard ne
m'avait pas trop mal guidé : après tout, ce mot d'
«archéologie», au prix d'un à-peu-près
qu'on me pardonnera, j'espère, peut vouloir dire : description
de l'archive. J'entends par archive l'ensemble des discours effectivement
prononcés ; et cet ensemble de discours est envisagé
non pas seulement comme un ensemble d'événements qui
auraient eu lieu une fois pour toutes et qui resteraient en suspens,
dans les limbes ou dans le purgatoire de l'histoire, mais aussi
comme un ensemble qui continue à fonctionner, à se
transformer à travers l'histoire, à donner possibilité
d'apparaître à d'autres discours.
- N'y a-t-il pas aussi, dans «archéologie»,
une idée de fouille, de recherche du passé ?
- Sans doute. Ce mot «archéologie» me gêne
un peu, parce qu'il recouvre deux thèmes qui ne sont pas
exactement les miens. D'abord, le thème du commencement (archè
en grec signifie commencement). Or je n'essaie pas d'étudier
le commencement au sens de l'origine première, du fondement
à partir de quoi tout le reste serait possible. Je ne suis
pas en quête de ce premier moment solennel à partir
duquel, par exemple, toute la mathématique occidentale a
été possible. Je ne remonte pas à Euclide ou
à Pythagore. Ce sont toujours des commencements relatifs
que je recherche, plus des instaurations ou des transformations
que des fondements, des fondations. Et puis me gêne également
l'idée de fouilles. Ce que je cherche, ce ne sont pas des
relations qui seraient secrètes, cachées, plus silencieuses
ou plus profondes que la conscience des hommes. J'essaie au contraire
de définir des relations qui sont à la surface même
des discours ; je tente de rendre visible ce qui n'est invisible
que d'être trop à la surface des choses.
- C'est-à-dire que vous vous intéressez au phénomène,
et que vous vous refusez à l'interprétation.
- Je ne veux pas au-dessous du discours rechercher ce qu'est la
pensée des hommes, mais j'essaie de prendre le discours dans
son existence manifeste, comme une pratique qui obéit à
des règles. À des règles de formation, d'existence,
de coexistence, à des systèmes de fonctionnement,
etc. Et c'est cette pratique, dans sa consistance et presque dans
sa matérialité, que je décris.
- C'est-à-dire que vous refusez la psychologie.
- Absolument. On doit pouvoir faire une analyse historique de la
transformation du discours, sans avoir recours à la pensée
des hommes, à leur mode de perception, à leurs habitudes,
aux influences qu'ils ont subies, etc.
- Vous faites partir votre livre de l'observation que l'histoire
et les sciences de l'homme se sont transformées inversement.
Maintenant, l'histoire, au lieu de rechercher les événements
qui constituent les ruptures, recherche des continuités,
alors que les sciences de l'homme recherchent les discontinuités.
- En effet, aujourd'hui, les historiens, et je pense bien sûr
à l'école des Annales, Marc Bloch, Lucien Febvre,
Fernand Braudel, ont essayé d'élargir les périodisations
que pratiquent d'ordinaire les historiens : Braudel, par exemple,
est arrivé à définir une notion de civilisation
matérielle qui aurait une évolution extrêmement
lente : l'univers matériel des paysans européens depuis
la fin du Moyen Âge jusqu'au XVIIIe siècle - les paysages, les techniques,
les objets fabriqués, les habitudes - s'est modifié
d'une façon extraordinairement lente ; on dirait qu'il s'est
développé en pente douce. Ces grands blocs, beaucoup
plus massifs que les événements que d'ordinaire on
découpe, font maintenant partie des objets que l'histoire
peut décrire. On voit ainsi apparaître de grandes continuités
qui, jusque-là, n'avaient pas été isolées.
En revanche, les historiens des idées, et des sciences, qui
autrefois parlaient surtout en termes de progrès continu
de la raison, d'avènement progressif du rationalisme, etc.,
insistent maintenant sur des discontinuités, des failles.
Par exemple, la rupture entre la physique aristotélicienne
et la physique galiléenne, l'irruption absolue que représente
la naissance de la chimie à la fin du XVIIIe. C'est de ce
paradoxe que je suis parti : les historiens tout court dégagent
des continuités, alors que les historiens des idées
libèrent des discontinuités. Mais je crois que ce
sont là deux effets symétriques et inverses d'une
même reprise méthodologique de l'histoire en général.
- C'est-à-dire que quand vous attaquez ceux qui mythologisent
l'histoire, en montrant qu'ils se rattachent à la philosophie
traditionnelle de la conscience transcendantale, de l'homme souverain,
vous les attaquez sur leur propre terrain, c'est-à-dire celui
de l'histoire. Alors que les structuralistes, qui les attaquaient
également, les attaquaient sur un autre terrain.
- Je crois que les structuralistes n'ont jamais attaqué
les historiens, mais un certain historicisme, une certaine réaction
et méfiance historiciste auxquels leurs travaux se sont heurtés.
Devant l'analyse structurale, un certain nombre de penseurs traditionnels
ont été effrayés. Non pas, certes, parce qu'on
se mettait à analyser des rappOrts formels entre des éléments
indifférents, il y avait longtemps que cela se faisait, il
n'y avait pas de raison d'avoir la frousse. Mais ils sentaient très
bien que ce qui était en question, c'était le statut
même du sujet. S'il est vrai que le langage ou l'inconscient
peuvent s'analyser en termes de structure, alors qu'en est-il de
ce fameux sujet parlant, de cet homme qui est censé mettre
en oeuvre le langage, le parler, le transformer, le faire vivre
! Qu'en est-il de cet homme qui est censé avoir un inconscient,
pouvoir prendre conscience de cet inconscient, pouvoir le reprendre
en charge et faire de son destin une histoire ! Et je crois que
la hargne, ou en tout cas la mauvaise grâce que le structuralisme
a suscitée chez ces traditionalistes était liée
au fait qu'ils sentaient remis en question le statut du sujet.
Et ils se sont réfugiés sur un terrain qui leur paraissait,
pour leur cause, infiniment plus solide, le terrain de l'histoire.
Et ils ont dit : admettons qu'une langue prise en dehors de son
évolution historique, en dehors de son développement,
soit en effet un ensemble de relations : admettons, à la
limite, que l'inconscient chez un individu fonctionne comme une
structure ou un ensemble de structures, que l'inconscient puisse
se repérer à partir des faits structuraux ; il y a
au moins une chose sur laquelle la structure ne mordra jamais, c'est
l'histoire. Car il y a un devenir dont l'analyse structurale ne
pourra jamais rendre compte, un devenir qui, d'une part, est fait
d'une continuité, alors que la structure est par définition
discontinue, et qui, d'autre part, est fait par un sujet : l'homme
lui-même, ou l'humanité, ou la conscience, ou la raison,
peu importe. Pour eux, il y a un sujet absolu de l'histoire qui
fait l'histoire, qui en assure la continuité, qui est l'auteur
et le garant de cette continuité. Quant aux analyses structurales,
elles ne peuvent prendre place que dans la découpe synchronique
de cette continuité de l'histoire ainsi soumise à
la souveraineté de l'homme.
Quand on essaie de remettre en question le primat du sujet dans
le domaine même de l'histoire, alors, nouvelle panique chez
tous ces vieux fidèles, car c'était là leur
terrain de défense, à partir duquel ils pouvaient
limiter l'analyse structurale et en empêcher le «cancer»
; en borner le pouvoir d'inquiétude. Si, à propos
de l'histoire, et précisément à propos de l'histoire
du savoir, ou de la raison, on arrive à montrer qu'elle n'obéit
pas du tout au même modèle que la conscience ; si on
arrive à montrer que le temps du savoir ou du discours n'est
pas du tout organisé ou disposé comme le temps vécu
; qu'il présente des discontinuités et des transformations
spécifiques ; si, finalement, on montre qu'il n'est pas besoin
de passer par le sujet, par l'homme comme sujet, pour analyser l'histoire
de la connaissance, on soulève de grandes difficultés,
mais on touche peut-être à un problème important.
- De ce lait, vous êtes amené à récuser
la philosophie des deux cents dernières années ou,
ce qui est pis pour elle, à la laisser de côté,
- Actuellement, en effet, toute cette philosophie qui, depuis Descartes,
donnait au sujet ce primat, cette philosophie-là est en train
de se défaire sous nos yeux.
- Et vous datez le début de ce dépérissement
de Nietzsche ?
- Il me semble qu'on pourrait en fixer le moment à partir
de Marx, de Nietzsche et de Freud.
- D'ailleurs, dans votre livre, vous dénoncez l'interprétation
anthropologisante de Marx et l'interprétation de Nietzsche
en termes de conscience transcendantale comme un relus de prendre
en considération ce qu'ils apportaient de nouveau.
- Exactement.
- J'ai relevé dans votre introduction ce passage où
vous dites : «Paire de l'analyse historique le discours du
continu, et faire de la conscience humaine le sujet originaire de
tout devenir et de toute pratique, ce sont deux phases d'un même
système de pensée : le temps y est conçu en
termes de totalisation et les révolutions n'y sont jamais
que des prises de conscience.» N'attaquez-vous pas là
directement Sartre, d'autant que les termes de prise de conscience
et de totalisation appartiennent en propre à son vocabulaire
?
- Sartre, en utilisant ces mots, ne fait que reprendre un style
général d'analyse, qu'on peut retrouver par exemple
chez Goldmann, chez Lukács, chez Dilthey, chez les hégéliens
du XIXe siècle, etc. Ces mots ne sont absolument pas spécifiques
de Sartre.
- Sartre serait simplement l'un des points d'aboutissement de cette
philosophie transcendantale qui est en train de se défaire.
- C'est ça.
- Mais à part les structuralistes, qui se trouvent dans
une position analogue à la vôtre, il y a peu de philosophes
qui aient pris conscience de la fin de cette philosophie transcendantale.
- Au contraire, je crois qu'il y en a beaucoup, au premier rang
desquels je mettrai Gilles Deleuze.
- Vous aviez déchaîné des «mouvements
divers» quand, dans Les Mots et les Choses, vous aviez dit
: l'homme est à jeter par-dessus bord. Or, dans L'Archéologie
du savoir, vous dites que non seulement les choses, mais même
les mots sont à jeter par-dessus bord.
- Voici ce que j'ai voulu dire. Mon titre Les Mots et les Choses
était parfaitement ironique. Personne ne l'a vu clairement,
et c'était sans doute qu'il n'y avait pas assez de jeu dans
mon texte, que l'ironie n'était pas suffisamment visible.
Il y a un problème : comment peut-il se faire que des choses
réelles, et perçues, puissent venir s'articuler par
des mots à l'intérieur d'un discours ? Est-ce que
ce sont les mots qui nous imposent le découpage en choses,
ou est-ce que ce sont les choses qui, par quelque opération
du sujet, viendraient à se transcrire à la surface
des mots ? Ce n'est pas du tout ce vieux problème que j'ai
voulu traiter dans Les Mots et les Choses. J'ai voulu le déplacer
: analyser les discours eux-mêmes, c'est-à-dire ces
pratiques discursives qui sont intermédiaires entre les mots
et les choses. Ces pratiques discursives à partir desquelles
on peut définir ce que sont les choses et repérer
l'usage des mots. Prenons un exemple très simple. Au XVIIe
siècle, les naturalistes ont multiplié les descriptions
de plantes et d'animaux. On peut faire l'histoire de ces descriptions
de deux manières. Ou bien en partant des choses et en disant
: les animaux étant ce qu'ils sont, les plantes étant
telles que nous les voyons, comment est-ce que les gens du XVIIe
et du XVIIIe siècle les ont vus, et décrits ? Qu'est-ce
qu'ils ont observé, qu'est-ce qu'ils ont omis ? Qu'est-ce
qu'ils ont vu, qu'est-ce qu'ils n'ont pas vu ? On peut faire l'analyse
en sens inverse, établir le champ sémantique du XVIIe
et du XVIIIe siècle, voir de quels mots, et par conséquent
de quels concepts on disposait alors, quelles étaient les
règles d'utilisation de ces mots et, à partir de là,
voir quelle grille, quel quadrillage on posait sur l'ensemble des
plantes et des animaux. Ce sont les deux analyses traditionnelles.
J'ai essayé de faire autre chose et de montrer qu'il y avait
dans un discours, comme l'histoire naturelle, des règles
de formation des objets (qui ne sont pas les règles d'utilisation
des mots), des règles de formation des concepts (qui ne sont
pas des lois de syntaxe), des règles de formation des théories
(qui ne sont ni des règles de déduction ni des règles
rhétoriques). Ce sont ces règles mises en oeuvre par
une pratique discursive à un moment donné qui expliquent
que telle chose soit vue (ou omise) ; qu'elle soit envisagée
sous tel aspect et analysée à tel niveau ; que tel
mot soit employé avec telle signification et dans tel type
de phrase. Par conséquent, l'analyse à partir des
choses et l'analyse à partir des mots apparaissent dès
ce moment comme secondes par rapport à une analyse première,
qui serait l'analyse de la pratique discursive.
Dans mon livre, il n'y avait pas d'analyse de mots et pas d'analyse
de choses. Et il y a un certain nombre de gens - les lourds, les
rase-mottes - qui ont dit : c'est scandaleux, dans ce livre qui s'appelle
Les Mots et les Choses, il n'y a pas de «choses». Et
les subtils ont dit : dans ce livre, il n'y a pas d'analyse sémantique.
Et certes ! Je ne voulais faire ni l'une ni l'autre.
- Puisque votre démarche scientifique part d'une sorte de
tâtonnement, d'empirisme, comment, par quel itinéraire
en êtes-vous arrivé à ce livre complètement
théorique qu'est L'Archéologie du savoir ?
- Ça a été, bien sûr, à partir
d'enquêtes empiriques sur la folie, sur la maladie et les
malades mentaux, sur la médecine au XVIIIe et au XIXe siècle,
et sur l'ensemble de disciplines (histoire naturelle, grammaire
générale et échange de la monnaie) que j'ai
traitées dans Les Mots et les Choses. Pourquoi ces enquêtes
m'ont-elles amené à édifier toute cette machinerie
théorique de L'Archéologie du savoir, qui me semble
un livre assez difficile à la lecture ? J'avais rencontré
plusieurs problèmes. Celui-ci surtout : quand on faisait
de l'histoire des sciences, on traitait de façon privilégiée,
presque exclusive, les belles, bonnes sciences bien formelles, comme
les mathématiques ou la physique théorique. Mais,
lorsqu'on abordait des disciplines comme les sciences empiriques,
on était très gêné, on se contentait
le plus souvent d'une sorte d'inventaire des découvertes,
on se disait que ces disciplines n'étaient en somme que des
mélanges de vérités et d'erreurs ; dans ces
connaissances si imprécises, l'esprit des gens, leurs préjugés,
les postulats dont ils partaient, leurs habitudes mentales, les
influences qu'ils subissaient, les images qu'ils avaient dans la
tête, leurs rêveries, tout cela les empêchait
d'accéder à la vérité ; et l'histoire
de ces sciences n'était finalement que l'histoire du mélange
de ces erreurs massives et nombreuses avec quelques pépites
de vérité, le problème étant de savoir
comment un jour quelqu'un avait découvert une pépite.
Pareille description me gênait pour plusieurs raisons. D'abord
parce que, dans la vie historique réelle des hommes, ces
fameuses sciences empiriques que les historiens ou les épistémologues
négligent ont une importance colossale. Les progrès
de la médecine ont eu sur la vie humaine, sur l'espèce
humaine, sur l'économie des sociétés, sur l'organisation
sociale des conséquences certainement aussi grandes que celles
qu'ont eues les découvertes de la physique théorique.
Je regrettais que ces sciences empiriques ne soient pas étudiées.
D'autre part, il m'avait semblé intéressant d'étudier
ces sciences empiriques dans la mesure où elles sont plus
que les sciences théoriques liées à des pratiques
sociales ; par exemple, la médecine ou l'économie
politique sont des disciplines qui n'ont peut-être pas, si
on les compare aux mathématiques, un degré de scientificité
très élevé. Mais leurs articulations sur des
pratiques sociales sont très nombreuses, et c'était
précisément cela qui m'intéressait. L'Archéologie
que je viens d'écrire est une sorte de théorie pour
une histoire du savoir empirique.
- D'où votre choix, par exemple, de l'Histoire de la folie.
- Exactement.
- L'avantage de votre méthode, entre autres choses, est
donc de fonctionner dans les deux sens : diachroniquement et synchroniquement.
Par exemple, pour l'Histoire de la folie, vous remontez dans le
temps et vous étudiez les modifications, alors, que dans
le cas de l'histoire naturelle au XVIIe et au XVIIIe siècle,
dans Les Mots et les Choses, vous étudiez un état
pas tout à fait statique, mais plus immobile, de cette science.
- Pas exactement immobile. J'ai essayé de définir
des transformations : montrer à partir de quel système
régulier des découvertes, des inventions, des changements
de perspectives, des bouleversements théoriques peuvent avoir
lieu. On peut montrer, par exemple, ce qui, dans la pratique discursive
de l'histoire naturelle, rendit possible l'apparition de l'idée
d'évolution dès le XVIIIe siècle ; ce qui rendit
possible l'émergence d'une théorie de l'organisme
qui était ignorée des premiers naturalistes. Alors,
quand quelques personnes, heureusement peu nombreuses, m'ont accusé
de ne décrire que des états du savoir et non pas des
transformations, c'est simplement qu'elles n'ont pas lu le livre.
Si elles l'avaient, ne serait-ce que feuilleté d'un doigt
distrait, elles auraient vu qu'il n'est question que des transformations
et de l'ordre dans lequel ces transformations se sont faites.
- Votre méthode étudie la pratique du discours, et
cette pratique du discours, vous la fondez dans L'Archéologie
du savoir, sur l'énoncé, que vous distinguez radicalement
de la phrase grammaticale et de la proposition logique. Qu'est-ce
que vous entendez par énoncé ?
- La phrase est une unité grammaticale d'éléments
qui sont liés par des règles linguistiques. Ce que
les logiciens appellent une proposition est un ensemble de symboles
régulièrement construits ; d'une proposition on peut
dire si elle est vraie ou fausse, correcte ou non. Ce que j'appelle
énoncé, c'est un ensemble de signes, qui peut être
une phrase, une proposition, mais envisagé au niveau de son
existence.
- Vous vous défendez d'être structuraliste, même
si, pour la conscience commune, vous faites partie des structuralistes.
Mais votre méthode a, avec la méthode structurale,
deux points communs : le refus du discours anthropologique et l'absence
du sujet parlant. Dans la mesure où ce qui est en question
c'est la place et le statut de l'homme, c'est-à-dire du sujet,
est-ce que vous ne versez pas automatiquement du côté
du structuralisme ?
- Je pense que le structuralisme s'inscrit actuellement à
l'intérieur d'une grande transformation du savoir des sciences
humaines, que cette transformation a pour cime moins l'analyse des
structures que la mise en question du statut anthropologique, du
statut du sujet, du privilège de l'homme. Et ma méthode
s'inscrit dans le cadre de cette transformation au même titre
que le structuralisme à côté de lui, pas en
lui.
- Vous parlez des «limites légitimes» du structuralisme.
Or on a l'impression que le structuralisme tend à tout absorber
: les mythes avec Lévi-Strauss, puis l'inconscient avec Lacan,
puis la critique littéraire, toutes les sciences humaines
vont y passer.
- Je n'ai pas à parler au nom des structuralistes. Mais,
à votre question, il me semble qu'on pourrait répondre
ceci : le structuralisme est une méthode dont le champ d'application
n'est pas défini a priori. Ce qui est défini au départ,
ce sont les règles de la méthode et le niveau où
on se place pour l'appliquer. Mais il se peut très bien qu'on
puisse faire des analyses structurales dans des domaines qui ne
sont absolument pas prévus pour l'instant. Je ne crois pas
qu'on puisse a priori limiter l'étendue de ces recherches.
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