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Alain Peyrefitte s'explique... ...
et Michel Foucault lui répond (Intervention)
Dits Ecrits tome III texte n°226

«Alain Peyrefitte s'explique... et Michel Foucault lui répond», Le Nouvel Observateur, no 689, 23-29 janvier 1978, p. 25.

Dits Ecrits tome III texte n°226


Mis en cause dans la lettre de M. Foucault aux leaders de la gauche (voir supra no 214) à propos de l'extradition de Klaus Croissant, le garde des Sceaux, Alain Peyrefitte, répondit publiquement dans Le Nouvel Observateur sous forme d'une lettre adressée à M. Foucault qui lui répond ici.

Monsieur le ministre.

[...] La demande d'asile formulée par Klaus Croissant n'est pas, me dites-vous, restée « sans réponse ». C'est exact, au sens strict. Disons donc qu'elle est restée en suspens : on demandait à Croissant de se présenter en personne, alors que la justice allemande avait lancé contre lui un mandat d'arrêt.

Sur le second point *, votre lettre me semble trahir comme une gêne.

* Il s'agit du passage suivant : « Vous parlez ensuite de «cet autre (garde des Sceaux) qui justifiait une extradition non encore prononcée ». Le contexte indique que c'est à moi que vous songez. Vous faites probablement allusion à ce débat du 26 octobre dernier, où une question m'avait été posée au sujet de Croissant. Ce que vous ignorez, apparemment, c'est que j'ai répondu que je me «refusais à commenter une affaire en cours » et que « je me contenterais donc de répondre en termes généraux du problème de l'euroterrorisme ». Cette réaction était d'ailleurs la seule convenable. Plusieurs radios et journaux (dont Libération) l'ont notée. D'autres non.

Vous êtes, dans l'état de notre législation, le chef du parquet. Vous êtes donc fondé à indiquer à vos procureurs les réquisitions qu'ils doivent prendre. Vous auriez pu annoncer à l'avance que le représentant des pouvoir publics demanderait l'extradition de Croissant : ce n'est pas habituel, certes, mais c'était légitime. En revanche, vous avez, au cercle Chérioux, tenu des propos généraux sur le terrorisme, la nécessité de s'en défendre, les dangers qu'il y aurait pour la France à donner asile aux terroristes; vous avez affirmé qu'il serait convenable de dénoncer ces gens-là. Je vois dans cette intervention trois choses gênantes :

1) Vous n'avez pas nommé Croissant : qui croira que vous n'en avez pas parlé ?

2) Par-dessus la tête de vos procureurs, vous vous êtes adressé à l'opinion publique et aux juges eux-mêmes. Le procureur général Sadon n'a eu qu'à reprendre vos propres mots sur le terrorisme dans les dernières phrases de son réquisitoire demandant l'extradition de Croissant.

3) Vous nous avez invités à la dénonciation, c'est-à-dire à l'une de ces pratiques dangereuses et détestables auxquelles Croissant pensait échapper en venant en France.

En somme, vous avez «justifié à l'avance» la mesure d'extradition qui allait être prise. Au lieu de le demander en clair, vous avez tenté de la rendre acceptable en cherchant à étendre à la France un climat qu'il nous faut en tout état de cause refuser.

L'extradition de Klaus Croissant a provoqué, vous le savez, un malaise qui n'a pas été le mien seulement. Il est bon, me semble-t-il, qu'elle ait suscité tant de réactions négatives [...]