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«O mundo é um grande hospício» («Le
monde est un grand asile» ; propos recueillis par R.G. Leite
; trad. P.W. Prado Jr.), Revista Manchete, 16 juin 1973, pp. 146-147.
Dits Ecrits tome II texte n°126
Le XIXe siècle marque le début d'une étape
importante : la monarchie disparaît du monde. Or la monarchie
était un système politique dans lequel le pouvoir
était exercé par quelqu'un qui l'acquérait
héréditairement. Avec la fin de l'absolutisme, le
pouvoir commence à être exercé par l'intervention
d'un certain savoir gouvernemental, qui embrasse les connaissances
des processus économiques, sociaux, démographiques.
Ainsi, le pouvoir commence à se lier avec la connaissance.
Les sciences politiques, économiques, humaines passent par
une véritable renaissance, car les dirigeants savent qu'on
ne peut pas gouverner sans un savoir. La qualité du savoir
qualifie le gouvernement. Pendant le XIXe siècle et la première
moitié du XXe siècle, le savoir politique devait être
obligatoirement associé au développement économique,
suscitant son décollage. Au fil des années, on a vu
que le développement économique produit aussi des
effets négatifs sur la vie des individus. De sorte que la
sagesse du pouvoir réside maintenant dans la correction constante
des effets produits par ce développement.
Aujourd'hui, le monde est en train d'évoluer vers un modèle
hospitalier, et le gouvernement acquiert une fonction thérapeutique.
La fonction des dirigeants est d'adapter les individus au processus
de développement, selon une véritable orthopédie
sociale. Voyez ce qui arrive, par exemple en France, dans ce qu'on
appelle les H.L.M. Les gens qui y habitent sont forcés de
maintenir un niveau de vie qui ne correspond pas à leurs
possibilités financières. Aujourd'hui, en France,
des assistants sociaux font le budget domestique de ces gens.
La thérapie médicale est une forme de répression.
Le psychiatre aujourd'hui est une personne qui détermine
catégoriquement la «normalité» et la «folie».
L'importance de l'antipsychiatrie est dans le fait qu'elle met en
doute cette certitude du médecin, ce pouvoir qu'il possède
de décider de l'état mental d'un individu. Une autre
question importante est de savoir qui va exercer le pouvoir de normalisation.
Le psychologue ? Le médecin ? Le psychanalyste ? Le psychiatre
? Qui aura le droit de prescrire la «cure» d'un malade
mental ? Normalement, on entend par personne anormale un être
qui a rompu avec le milieu où il vit. Généralement,
les médecins retirent cet individu de son milieu et l'isolent
dans des hôpitaux, maisons de santé, cliniques. Mais
comment le réadapter à ce milieu ? C'est là
qu'est le défaut des psychiatres. Le traitement devrait être
fait dans le milieu même où la personne vit, et non
sur les divans et dans les cabinets de consultation éloignés
du lieu où elle réside. Dans ce cas, nous pouvons
nous confronter encore à une seconde hypothèse, car
nous sommes en train de traiter des rapports entre l'individu et
le milieu social : ne serait-ce pas le groupe social qui est malade
? La sociopathie commence déjà à être
étudiée en profondeur en France.
Le psychologue aussi exerce un certain type de pouvoir, en décidant
du chemin qu'une personne devra prendre. Il décide pratiquement
le futur d'une personne quand il détermine ce qu'un enfant
doit ou non apprendre, ou quand il affirme que la vocation d'un
gamin est d'être, par exemple, ingénieur ou avocat.
La thérapie de groupe aussi est un danger, car elle met un
groupe d'individus entre les mains d'un pouvoir autoritaire exercé
par le psychologue.
Le monde est un grand asile, où les gouvernants sont les
psychologues, et le peuple, les patients. Avec chaque jour qui passe,
le rôle joué par les criminologues, les psychiatres
et tous ceux qui étudient le comportement mental de l'homme
est plus grand. C'est pourquoi le pouvoir politique est en train
d'acquérir une nouvelle fonction, qui est la thérapeutique.
Je me considère comme un journaliste, dans la mesure où
ce qui m'intéresse, c'est l'actualité, ce qui se passe
autour de nous, ce que nous sommes, ce qui arrive dans le monde.
La philosophie, jusqu'à Nietzsche, avait pour raison d'être
l'éternité. Le premier philosophe-journaliste a été
Nietzsche. Il a introduit l'aujourd'hui dans le champ de la philosophie.
Avant, le philosophe connaissait le temps et l'éternité.
Mais Nietzsche avait l'obsession de l'actualité. Je pense
que le futur, c'est nous qui le faisons. Le futur est la manière
dont nous réagissons à ce qui se passe, c'est la manière
dont nous transformons en vérité un mouvement, un
doute. Si nous voulons être maîtres de notre futur,
nous devons poser fondamentalement la question de l'aujourd'hui.
C'est pourquoi, pour moi, la philosophie est une espèce de
journalisme radical.
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