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Manifeste du G.I.P.
Dits Ecrits tome II texte n°86

Manifeste ronéotypé, signé J-M. Domenach, M. Foucault, P. Vidal-Naquet, lu par M. Foucault et distribué à la presse, le 8 février 1971, à la chapelle Saint-Bernard de Montparnasse, lors de l'arrêt de la grève de la faim des militants de la Gauche prolétarienne emprisonnés et de celle de leur comité de soutien.

Dits Ecrits tome II texte n°86


M. Foucault dut comparaître devant un tribunal pour impression de tracts sans mention d'imprimerie.

Après dissolution, le 27 mai 1970, du mouvement d'inspiration maoïste appelé Gauche prolétarienne, de nombreux militants furent emprisonnés pour reconstitution de ligue dissoute ; délit dont faisait partie la simple vente du journal La Cause du peuple. En septembre 1970, puis de nouveau en janvier 1971, les militants emprisonnés entreprennent une grève de la faim pour être reconnus comme prisonniers politiques, statut qui entraînait certains droits de réunion. Ils souhaitent aussi attirer l'attention sur le système pénitentiaire. D. Defert, qui participe à la petite cellule chargée de préparer politiquement les procès des emprisonnés, propose à M. Foucault d'animer une commission d'enquête sur les prisons comme il y en avait eu une sur la santé des mineurs lors du tribunal populaire de Lens, dont J.-P. Sartre avait été le procureur. Une histoire de la prison étant la suite logique et annoncée de l' Histoire de la folie, M. Foucault accepta avec enthousiasme ce projet. mais transforma l'idée de commission d'enquête, terme judiciaire, en groupe d'information, ce qui insistait à la fois sur l'expérience collective de pensée et sur une prise de parole des détenus. Il s'agissait aussi de mobiliser les intellectuels spécifiques : magistrats, médecins, assistantes sociales... et de les décloisonner par une production d'information aux côtés des détenus : les enquêteurs sont les enquêtés. Ainsi naquit le G.I.P., Groupe d'information sur les prisons. Son effet fut multiple. L'un des premiers fut l'entrée dans les prisons de la presse quotidienne et des radios, jusque-là interdites, et de problématiser une mythologie du discours politique sur prolétariat et lumpenproletariat. Ce soutien extérieur encouragea un mouvement de révolte qui secoua trente-cinq établissements, dont certains furent pratiquement mis à sac dans l'hiver 1971-1972. Le G.I.P. contribua à infléchir le militantisme d'après 1970. Sur son modèle se créèrent le G.I.S., ou Groupe d'information santé, décloisonnant médecins et malades, le G.I.A., ou Groupe d'information sur les asiles, le G.I.S.T.I., ou Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés.

M. Foucault retarda de deux ans l'écriture de son «livre sur les peines» pour que les détenus ne puissent pas supposer qu'il n'avait qu'un intérêt spéculatif à son action militante, laquelle en modifia les bases.

Nul de nous n'est sûr d'échapper à la prison. Aujourd'hui moins que jamais. Sur notre vie de tous les jours, le quadrillage policier se resserre : dans la rue et sur les routes ; autour des étrangers et des jeunes ; le délit d'opinion est réapparu : les mesures antidrogues multiplient l'arbitraire. Nous sommes sous le signe de la «garde à vue». On nous dit que la justice est débordée. Nous le voyons bien. Mais si c'était la police qui l'avait débordée ? On nous dit que les prisons sont surpeuplées.

Mais si c'était la population qui était suremprisonnée ?

Peu d'informations se publient sur les prisons ; c'est l'une des régions cachées de notre système social, l'une des cases noires de notre vie. Nous avons le droit de savoir, nous voulons savoir. C'est pourquoi, avec des magistrats, des avocats, des journalistes, des médecins, des psychologues, nous avons formé un Groupe d'information sur les prisons.

Nous nous proposons de faire savoir ce qu'est la prison : qui y va, comment et pourquoi on y va, ce qui s'y passe, ce qu'est la vie des prisonniers et celle, également, du personnel de surveillance, ce que sont les bâtiments, la nourriture, l'hygiène, comment fonctionnent le règlement intérieur, le contrôle médical, les ateliers ; comment on en sort et ce que c'est, dans notre société, d'être l'un de ceux qui en sont sortis.

Ces renseignements, ce n'est pas dans les rapports officiels que nous les trouverons. Nous les demandons à ceux qui, à un titre quelconque, ont une expérience de la prison ou un rapport avec elle. Nous les prions de prendre contact avec nous et de nous communiquer ce qu'ils savent. Un questionnaire a été rédigé qu'on peut nous demander. Dès qu'ils seront assez nombreux, les résultats en seront publiés.

Ce n'est pas à nous de suggérer une réforme. Nous voulons seulement faire connaître la réalité. Et la faire connaître immédiatement, presque au jour le jour ; car le temps presse. Il s'agit d'alerter l'opinion et de la tenir en alerte. Nous essaierons d'utiliser tous les moyens d'information : quotidiens, hebdomadaires, mensuels. Nous faisons donc appel à toutes les tribunes possibles.

Enfin, il est bon de savoir ce qui nous menace ; mais il est bon aussi de savoir comment se défendre. L'une de nos premières tâches sera de publier un petit Manuel du parfait arrêté, doublé évidemment d'un Avis aux arrêteurs.

Tous ceux qui veulent informer, être informés ou participer au travail peuvent écrire au G.I.P. : 285, rue de Vaugirard, Paris-XVe.