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«Face aux gouvernements, les droits de l'homme», Libération,
no 967, 30 juin- 1er juillet 1984, p. 22.
Dits et Ecrits tome IV texte N°355
M. Foucault avait lu ce texte, quelques minutes après l'avoir
écrit, à l'occasion de la conférence de presse
annonçant à Genève la Création du Comité
international contre la piraterie, en juin 1981. Par la suite, il
fut question de faire réagir à ce texte le plus de
personnes possible dans l'espoir d'aboutir à ce qui aurait
pu être une nouvelle Déclaration des droits de l'homme.
Nous ne sommes ici que des hommes privés qui n'ont d'autre
titre à parler, et à parler ensemble, qu'une certaine
difficulté commune à supporter ce qui se passe.
Je sais bien, et il faut se rendre à l'évidence :
les raisons qui font que des hommes et des femmes aiment mieux quitter
leur pays que d'y vivre, nous n'y pouvons pas grand-chose. Le fait
est hors de notre portée.
Qui donc nous a commis ? Personne. Et c'est cela justement qui
fait notre droit. Il me semble qu'il faut avoir à l'esprit
trois principes qui, je crois, guident cette initiative, comme bien
d'autres qui l'ont précédée : l'Île-de-Lumière,
le cap Anamour, l'Avion pour le Salvador, mais aussi Terre des hommes,
Amnesty International *.
1) Il existe une citoyenneté internationale qui a ses droits,
qui a ses devoirs et qui engage à s'élever contre
tout abus de pouvoir, quel qu'en soit l'auteur, quelles qu'en soient
les victimes. Après tout, nous sommes tous des gouvernés
et, à ce titre, solidaires.
* Du navire hôpital Île-de-Lumière, parti secourir
les boat people en mer de Chine en 1979, à la défense
internationale de tous les prisonniers politiques, M. Foucault évoque
ici les initiatives humanitaires des organisations non gouvernementales,
qui, à partir des années 1970, ont promu le droit
nouveau de libre accès aux victimes de tous les conflits.
2) Parce qu'ils prétendent s'occuper du bonheur des sociétés,
les gouvernements s'arrogent le droit de passer au compte du profit
et des pertes le malheur des hommes que leurs décisions provoquent
ou que leurs négligences permettent. C'est un devoir de cette
citoyenneté internationale de toujours faire valoir aux yeux
et aux oreilles des gouvernements les malheurs des hommes dont il
n'est pas vrai qu'ils ne sont pas responsables. Le malheur
des hommes ne doit jamais être un reste muet de la politique.
Il fonde un droit absolu à se lever et à s'adresser
à ceux qui détiennent le pouvoir.
3) Il faut refuser le partage des tâches que, très
souvent, on nous propose: aux individus de s'indigner et de parler;
aux gouvernements de réfléchir et d'agir. C'est vrai
: les bons gouvernements aiment la sainte indignation des gouvernés,
pourvu qu'elle reste lyrique. Je crois qu'il faut se rendre compte
que très souvent ce sont les gouvernants qui parlent, ne
peuvent et ne veulent que parler. L'expérience montre qu'on
peut et qu'on doit refuser le rôle théâtral de
la pure et simple indignation qu'on nous propose. Amnesty International,
Terre des hommes, Médecins du monde sont des initiatives
qui ont créé ce droit nouveau : celui des individus
privés à intervenir effectivement dans l'ordre des
politiques et des stratégies internationales. La volonté
des individus doit s'inscrire dans une réalité dont
les gouvernements ont voulu se réserver le monopole, ce monopole
qu'il faut arracher peu à peu et chaque jour.
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