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Cours du 7 janvier 1976
Michel Foucault
Dits Ecrits tome III texte n°193

«Corso del 7 gennaio 1976» («Cours du 7 janvier 1976»), in Fontana (A.) et Pasquino (P.), éd., Microfisica del potere : interventi politici, Turin, Einaudi, 1977, pp. 163-177.

Dits Ecrits tome III texte n°193


Je voudrais essayer de mettre, jusqu'à un certain point, un terme à une série de recherches que j'ai faites depuis quatre ou cinq ans, pratiquement depuis que je suis ici, et dont je me rends bien compte qu'elles ont cumulé, aussi bien pour vous que pour moi, les inconvénients. C'étaient des recherches qui étaient fort voisines les unes des autres, sans arriver à former un ensemble cohérent ni continu ; c'étaient des recherches fragmentaires, dont aucune, finalement, n'est parvenue à son terme, et qui n'avaient même pas de suite ; des recherches dispersées et, en même temps, répétitives, qui retombaient dans les mêmes ornières, dans les mêmes thèmes, dans les mêmes concepts. C'étaient des petits propos sur l'histoire de la procédure pénale, quelques chapitres concernant l'évolution et l'institutionnalisation de la psychiatrie au XIXe siècle ; des considérations sur la sophistique ou sur la monnaie grecque, ou sur l'Inquisition au Moyen Âge ; l'esquisse d'une histoire de la sexualité ou, en tout cas, d'une histoire du savoir de la sexualité à travers les pratiques de confession au XVIIe siècle ou les contrôles de la sexualité enfantine aux XVIIIe et XIXe siècles ; le repérage de la genèse d'une théorie et d'un savoir de l'anomalie, avec toutes les techniques qui lui sont liées. Tout cela piétine, se répète et n'est pas lié ; au fond, cela ne cesse pas de dire la même chose et, pourtant, peut-être, cela ne dit rien ; cela s'entrecroise dans un embrouillamini peu déchiffrable, qui ne s'organise guère ; bref, comme on dit, ça n'aboutit pas.

Je pourrais vous dire : après tout, c'étaient des pistes à suivre, peu importait, où elles allaient ; il importait même que cela n'aille nulle part, en tout cas pas dans une direction qui soit prédéterminée ; c'étaient comme des pointillés : à vous de les continuer ou de les infléchir, à moi, éventuellement, de les poursuivre ou de leur donner une autre configuration. Après tout, ces fragments, on verra bien, vous et moi, ce qu'on peut en faire. Je me faisais un peu l'effet d'un cachalot qui saute par-dessus la surface de l'eau en y laissant une petite trace provisoire d'écume, et qui fait croire, veut croire ou croit peut-être effectivement lui-même qu'en dessous, là où on ne le voit plus, là où il n'est plus perçu ni contrôlé par personne, il suit une trajectoire profonde, cohérente et réfléchie.

Voilà quelle était à peu près la situation. Que le travail que je vous ai présenté ait eu cette allure à la fois fragmentaire, répétitive et discontinue, cela correspondrait bien à quelque chose qu'on pourrait appeler une «paresse fiévreuse», c'est-à-dire celle qui affecte caractériellement les amoureux des bibliothèques, des documents, des références, des écritures poussiéreuses, des textes qui, à peine imprimés, sont refermés et dorment ensuite sur des rayons dont ils ne sont tirés que quelques siècles plus tard. Tout cela conviendrait bien à l'inertie affairée de ceux qui professent un savoir pour rien, une sorte de savoir somptuaire, une richesse de parvenu dont les signes extérieurs, vous le savez bien, se trouvent disposés en bas des pages. Cela conviendrait à tous ceux qui se sentent solidaires de l'une des sociétés secrètes sans doute les plus anciennes et l'une des plus caractéristiques, aussi, de l'Occident, l'une de ces sociétés secrètes étrangement indestructibles, qui me semblent inconnues dans l'Antiquité et qui se sont formées tôt dans le christianisme, à l'époque des premiers couvents sans doute, aux confins des invasions, des incendies et des forêts, je veux parler de la grande, tendre et chaleureuse franc-maçonnerie de l'érudition inutile.

Seulement, ce n'est pas simplement le goût de cette franc-maçonnerie qui m'a poussé à faire ce que j'ai fait. Il me semble que ce travail qui passe d'une manière un petit peu empirique et hasardeuse de vous à moi et de moi à vous, on pourrait le justifier en disant qu'il convenait assez bien à une certaine période très limitée, qui est celle que nous venons de vivre, les dix, quinze, au maximum les vingt dernières années, c'est-à-dire une période au cours de laquelle on peut noter deux phénomènes qui ont été, sinon réellement importants, du moins, me semble-t-il, assez intéressants. D'une part, c'est une période qui a été caractérisée par ce qu'on pourrait appeler l'efficacité des offensives dispersées et discontinues. Je pense, par exemple, lorsqu'il s'est agi d'enrayer le fonctionnement d'institutions psychiatriques, à l'étrange efficacité qu'on montrée les discours, très localisés finalement, de l'antipsychiatrie, discours dont vous savez bien qu'ils n'étaient soutenus et qu'ils ne sont encore soutenus par aucune systématisation d'ensemble, quelles qu'aient pu être, quelles que puissent être encore leurs références je pense à la référence d'origine à l'analyse existentielle ou aux références actuelles prises, en gros, dans le marxisme ou la théorie de Reich. Je pense également à l'étrange efficacité des attaques qui ont eu lieu contre la morale sexuelle traditionnelle, attaques qui, elles aussi, n'étaient référées que d'une manière vague et assez lointaine, bien floues en tout cas, à Reich ou à Marcuse. Je pense encore à l'efficacité des attaques contre l'appareil judiciaire et pénal, attaques dont certaines étaient fort lointainement rapportées à cette notion générale et, d'ailleurs, assez douteuse de «justice de classe», et dont certaines autres étaient rattachées, à peine plus précisément, à une thématique anarchiste. Je pense également, et plus précisément encore, à l'efficacité de quelque chose - je n'ose même pas dire d'un livre - comme L'Anti-Oedipe *, qui n'est pratiquement référé à presque rien d'autre qu'à sa propre et prodigieuse inventivité théorique, livre ou, plutôt chose, événement, qui est parvenu à faire s'enrouer jusque dans la pratique la plus quotidienne ce murmure pourtant longtemps ininterrompu qui a filé du divan au fauteuil.

* Deleuze (G.) et Guattari (F.), L'Anti-Oedipe, Paris, Éd. de Minuit, 1972.

Donc, je dirais ceci : depuis dix ou quinze ans, l'immense et proliférante criticabilité des choses, des institutions, des pratiques, des discours, cette sorte de friabilité générale des sols, même et peut-être surtout les plus familiers, les plus solides et les plus prochains de nous, de notre corps, de nos gestes de tous les jours, c'est cela qui apparaît. Mais, en même temps que cette friabilité et cette étonnante efficacité des critiques discontinues et particulières ou locales, en même temps, ou par là même, se découvre dans les faits quelque chose qui n'était peut-être pas prévu au départ : ce qu'on pourrait appeler l'effet inhibiteur propre aux théories totalitaires, je veux dire aux théories enveloppantes et globales ; non pas que ces théories enveloppantes et globales n'aient pas fourni et ne fournissent pas encore, d'une manière assez constante, des instruments localement utilisables : le marxisme, la psychanalyse sont précisément là pour le prouver, mais elles n'ont fourni, je crois, ces instruments localement utilisables qu'à la condition, justement, que l'unité théorique du discours soit comme suspendue, en tout cas découpée, tiraillée, mise en charpie, retournée, déplacée, caricaturée, théâtralisée ; en tout cas, toute reprise dans les termes mêmes de la totalité a conduit de fait à un effet de freinage. Donc, si vous voulez, premier point, premier caractère de ce qui s'est passé depuis une quinzaine d'années : caractère local de la critique - ce qui ne veut pas dire empirisme obtus, naïf ou niais, ce qui ne veut pas dire non plus éclectisme mou, opportunisme, perméabilité à n'importe quelle entreprise théorique, ce qui ne veut même pas dire non plus ascétisme un peu volontaire, qui se réduirait lui-même à la plus grande maigreur théorique possible. Je crois que ce caractère essentiellement local de la critique indique en fait quelque chose qui serait une sorte de production théorique autonome, non centralisée, c'est-à-dire qui n'a pas besoin pour établir sa validité du visa d'un régime commun.

Et c'est là que l'on touche à un second aspect de ce qui s'est passé depuis quelque temps : c'est que cette critique locale s'est effectuée, me semble-t-il, par, à travers ce qu'on pourrait appeler des «retours de savoir». Par «retour de savoir», je veux dire ceci : il est vrai que, dans ces années qui viennent de se passer, on a rencontré souvent, au moins à un niveau superficiel, toute une thématique : «Plus de savoir, mais la vie», «plus de connaissances, mais le réel» ; il me semble que sous toute cette thématique, à travers elle, dans cette thématique même, ce qu'on a vu se produire, c'est ce qu'on pourrait appeler l'insurrection des «savoirs assujettis». Par «savoir assujetti», j'entends deux choses. D'une part, je veux désigner des contenus historiques qui ont été ensevelis, masqués dans des cohérences fonctionnelles ou dans des systématisations formelles. Concrètement, si vous voulez, ce n'est certainement pas une sémiologie de la vie asilaire, ce n'est pas non plus une sociologie de la délinquance, mais bel et bien l'apparition de contenus historiques qui a permis de faire, aussi bien de l'asile que de la prison, la critique effective. Et tout simplement parce que seuls les contenus historiques peuvent permettre de retrouver le clivage des affrontements et des luttes que les aménagements fonctionnels ou les organisations systématiques ont pour but, justement, de masquer. Donc, les «savoirs assujettis», ce sont ces blocs de savoirs historiques qui étaient présents et masqués à l'intérieur des ensembles fonctionnels et systématiques, et que la critique a pu faire réapparaître par les moyens, bien entendu, de l'érudition.

Deuxièmement, par «savoir assujetti», je crois qu'il faut entendre autre chose et, en un sens, tout autre chose. Par «savoirs assujettis», j'entends également toute une série de savoirs qui se trouvaient être disqualifiés comme savoirs non conceptuels, comme savoirs insuffisamment élaborés, savoirs naïfs, savoirs hiérarchiquement inférieurs, savoirs au-dessous du niveau de la connaissance ou de la scientificité requise. Et c'est la réapparition de ces savoirs d'en dessous, de ces savoirs non qualifiés, de ces savoirs même disqualifiés, c'est par la réapparition de ces savoirs : celui du psychiatrisé, celui du malade, celui de l'infirmier, celui du médecin, mais parallèle et marginal par rapport au savoir médical, c'est ce savoir que j'appellerais le «savoir des gens», et qui n'est pas du tout un savoir commun, un bon sens, mais, au contraire, un savoir particulier, un savoir local, un savoir différentiel, incapable d'unanimité et qui ne doit sa force qu'au tranchant qu'il oppose à tous ceux qui l'entourent ; c'est par la réapparition de ces savoirs locaux des gens, de ces savoirs disqualifiés que s'est faite la critique.

Vous me direz : il y a tout de même là quelque chose comme un étrange paradoxe que de vouloir grouper, coupler dans la même catégorie des «savoirs assujettis», d'une part, ces contenus de la connaissance historique méticuleuse, érudite, exacte, et puis ces savoirs locaux, singuliers, ces savoirs des gens qui sont des savoirs sans sens commun et qui ont été en quelque sorte laissés en jachère, quand ils n'ont pas été effectivement et explicitement tenus en lisière. Je crois que c'est dans ce couplage entre les savoirs ensevelis de l’érudition et les savoirs disqualifiés par la hiérachie des connaissances et des sciences que s'est joué effectivement ce qui a donné à la critique de ces dix ou quinze dernières années sa force essentielle.

Dans un cas comme dans l'autre, en effet, dans ce savoir de l'érudition comme dans ces savoirs disqualifiés, dans ces deux formes de savoir, assujetti ou enseveli, de quoi s'agissait-il ? Il s'agissait du savoir historique des luttes ; dans les domaines spécialisés de l’érudition comme dans le savoir disqualifié des gens gisait la mémoire des combats, celle, précisément, qui a été jusqu'alors tenue en lisière. Et se sont ainsi dessinées des recherches généalogiques multiples, à la redécouverte exacte des luttes et mémoire brute des combats ; et ces généalogies, comme couplage de ce savoir érudit et de ce savoir des gens, n'ont été possibles, et on n'a même pu les tenter qu'à une condition, c'est que soit levée la tyrannie des discours englobants, avec leur hiérarchie et avec tous les privilèges de l'avant-garde théorique. Appelons, si vous voulez, généalogie le couplage des connaissances érudites et des mémoires locales, couplage qui permet la constitution d'un savoir historique des luttes et l'utilisation de ce savoir dans les tactiques actuelles ; ce sera donc la définition provisoire de ces généologies que j'ai essayé de faire au cours de ces dernières années.

Dans cette activité qu'on peut donc dire généalogique, vous voyez qu'en fait il ne s'agit aucunement d'opposer à l'unité abstraite de la théorie la multiplicité concrète des faits ; il ne s'agit aucunement de disqualifier le spéculatif pour lui opposer, dans la forme d'un scientisme quelconque, la rigueur de connaissances bien établies. Ce n'est donc pas un empirisme qui traverse le projet généalogique ; ce n'est pas non plus un positivisme au sens ordinaire du terme : il s'agit en fait de faire jouer des savoirs locaux, discontinus, disqualifiés, non légitimés, contre l'instance théorique unitaire qui prétendrait les filtrer, les hiérarchiser, les ordonner au nom d'une connaissance vraie, au nom des droits d'une science qui serait détenue par quelques-uns. Les généalogies ne sont donc pas des retours positivistes à une forme de science plus attentive ou plus exacte ; les généalogies, ce sont très exactement des antisciences. Non pas qu'elles revendiquent le droit lyrique à l'ignorance et au non-savoir, non pas qu'il s'agisse du refus de savoir ou de la mise en exergue des prestiges d'une expérience immédiate, non encore captée par le savoir : ce n'est pas de cela qu'il s'agit ; il s'agit de l'insurrection des savoirs, non pas tellement contre les contenus, les méthodes ou les concepts d'une science, mais d'une insurrection d'abord et avant tout contre les effets de pouvoir centralisateurs qui sont liés à l'institution et au fonctionnement d'un discours scientifique organisé à l'intérieur d'une société comme la nôtre. Et, que cette institutionnalisation du discours scientifique prenne corps dans une université ou, d'une façon générale, dans un appareil pédagogique, que cette institutionnalisation des discours scientifiques prenne corps dans un réseau théorico-commercial comme la psychanalyse, ou dans un appareil politique, avec toutes ses afférences, comme dans le cas du marxisme, au fond peu importe : c'est bien contre les effets de pouvoir propres à un discours considéré comme scientifique que la généalogie doit mener le combat.

D'une façon plus précise ou, en tout cas, qui parlera peut-être mieux, je dirai ceci : depuis bien des années maintenant, plus d'un siècle sans doute, vous savez combien ont été nombreux ceux qui se sont demandés si oui ou non le marxisme était une science ; on pourrait dire que la même question a été posée et ne cesse d'être posée à propos de la psychanalyse ou, pis encore, de la sémiologie des textes littéraires ; mais à toute cette question-là : est-ce ou n'est-ce pas une science ?, les généalogistes répondraient : précisément, ce qu'on vous reproche, c'est de faire du marxisme, de la psychanalyse ou de telle ou telle autre chose une science, et, si on a une objection à faire au marxisme, c'est qu'il pourrait effectivement être une science. En des termes un peu plus, sinon élaborés, plus dilués, je dirais ceci : avant même de savoir dans quelle mesure quelque chose comme le marxisme ou la psychanalyse est analogue à une pratique scientifique dans son déroulement quotidien, dans ses règles de construction, dans les concepts utilisés, avant même de se poser cette question de l'analogie formelle et structurale d'un discours marxiste ou psychanalytique avec un discours scientifique, est-ce qu'il ne faut pas se poser d'abord la question ou s'interroger sur l'ambition de pouvoir qu'emporte avec soi la prétention à être une science ? Les questions qu'il faut poser ne sont-ce pas celles-ci : quel type de savoir voulez-vous disqualifier du moment que vous vous dites être une science ? Quel sujet parlant, quel sujet discourant, quel sujet d'expérience et de savoir voulez-vous donc minoriser du moment que vous dites : moi qui tiens ce discours, je tiens un discours scientifique et je suis un savant ? Quelle avant-garde théorico-politique voulez-vous donc introniser, pour la détacher de toutes les formes massives, circulantes et discontinues de savoir ? Et je dirais : quand je vous vois vous efforcer d'établir que le marxisme est une science, je ne vous vois pas, à dire vrai, en train de démontrer une fois pour toutes que le marxisme a une structure rationnelle et que ses propositions relèvent par conséquent de procédures de vérification, je vous vois, d'abord et avant tout, en train de faire autre chose ; je vous vois en train de lier au discours marxiste et je vous vois affecter à ceux qui tiennent ce discours des effets de pouvoir que l'Occident, depuis maintenant le Moyen Âge, a affectés à la science et a réservés à ceux qui tiennent un discours scientifique.

La généalogie, ce serait donc, par rapport au projet d'une inscription des savoirs dans la hiérarchie du pouvoir propre à la science, une sorte d'entreprise pour désassujettir les savoirs historiques et les rendre libres, c'est-à-dire capables d'opposition et de lutte contre la coercition d'un discours théorique unitaire, formel et scientifique. La réactivation des savoirs locaux, «mineurs», dirait peut-être Deleuze, contre la hiérarchisation scientifique de la connaissance et ses effets de pouvoir intrinsèques, c'est cela le projet de ces généalogies en désordre et en charpie. En deux mots : on pourrait peut-être dire que l'archéologie, ce serait la méthode propre à l'analyse des discursivités locales, et la généalogie, la tactique qui fait jouer à partir des discursivités locales ainsi décrites les savoirs désassujettis qui s'en dégagent. Cela, pour restituer le projet d'ensemble.

Vous voyez que tous les fragments de recherches tous les propos à la fois entrecroisés et suspendus que j'ai répétés avec obstination depuis quatre ou cinq ans maintenant pouvaient être considérés comme des éléments de ces généalogies, que je n'ai pas été, loin de là, le seul à faire au cours de ces quinze dernières années. Question : alors pourquoi ne continuerait-on pas, avec une si jolie et, vraisemblablement, si peu vérifiable théorie de la discontinuité ? pourquoi est-ce que je ne continue pas, et pourquoi est-ce que je ne prends pas encore un petit quelque chose comme ça, qui serait du côté de la psychiatrie, de la théorie de la sexualité ?

On pourrait continuer, c'est vrai ; et, jusqu'à un certain point, j'essaierai de continuer. Mais, peut-être, un certain nombre de changements, et de changements dans la conjoncture, sont intervenus. Je veux dire que, par rapport à la situation que nous avons connue il y a cinq, dix, encore quinze ans, les choses ont peut-être changé ; la bataille n'a peut-être pas tout à fait le même visage. Est-ce que nous sommes bien, en tout cas, dans ce même rapport de forces qui nous permettrait de faire valoir, en quelque sorte, à l'état vif et hors de tout assujettissement, ces savoirs désensablés ? Quelle force ont-ils par eux-mêmes ? Et, après tout, à partir du moment où on dégage ainsi des fragments de généalogie, à partir du moment où on fait valoir, où on met en circulation ces espèces d'éléments de savoir qu'on a essayé de désensabler, est-ce qu'ils ne risquent pas d'être recodés, recolonisés par ces discours unitaires qui, après les avoir d'abord disqualifiés, puis ignorés quand ils sont réapparus, sont peut-être maintenant tout prêts à les annexer et à les prendre dans leur propre discours et dans leurs propres effets de savoir et de pouvoir ?

Et si nous voulons, nous, protéger ces fragments ainsi dégagés, est-ce que nous ne nous exposons pas à bâtir nous-mêmes, de nos propres mains, ce discours unitaire, auquel nous convient, comme peut-être pour un piège, ceux qui nous disent : tout ça, c'est très gentil, mais où est-ce que ça va ? Dans quelle direction ? Pour quelle unité ? La tentation, jusqu'à un certain point, est de dire : eh bien, continuons, accumulons ; après tout, le moment n'est pas encore venu où nous risquons d'être colonisés. Parce que je vous disais tout à l'heure que ces fragments généalogiques risquent peut-être d'être recodés, mais on pourrait après tout lancer le défi et dire : essayez donc ! on pourrait dire, par exemple : depuis le temps que l'antipsychiatrie ou la généalogie des institutions psychiatriques ont été entreprises - ça fait maintenant quinze bonnes années -, y a-t-il eu un seul marxiste, un seul psychanalyste, un seul psychiatre pour refaire cela dans ses propres termes et montrer que les généalogies qui avaient été faites étaient fausses, mal élaborées, mal articulées, mal fondées ? En fait, les choses sont telles que ces fragments de généalogie restent là, entourés d'un silence prudent ; on ne leur oppose, au maximum, que des propositions comme celle qu'on vient d'entendre récemment dans la bouche, je crois, de M. Juquin : «Tout ça, c'est très gentil ! Il n'en reste pas moins que la psychiatrie soviétique est la première du monde.»Je dirais : bien sûr, la psychiatrie soviétique, vous avez raison, est la première du monde, et c'est précisément ce qu'on lui reproche. Le silence, ou, plutôt, la prudence avec laquelle les théories unitaires contournent la généalogie des savoirs, serait donc peut-être une raison de continuer. On pourrait, en tout cas, multiplier ainsi les fragments généalogiques comme autant de pièges, de questions, de défis, comme vous voudrez ; mais, après tout, il est sans doute trop optimiste, à partir du moment où il s'agit après tout d'une bataille, d'une bataille des savoirs contre les effets de pouvoir des discours scientifiques, de prendre le silence de l'adversaire pour la preuve qu'on lui fait peur ; peut-être le silence de l'adversaire - en tout cas, je crois que c'est un principe méthodologique ou un principe tactique qu'il faut toujours avoir à l'esprit - est tout aussi bien le signe qu'on ne lui fait pas peur du tout ; et, en tout cas, il faut faire, je crois, comme si justement on ne lui faisait pas peur.

Il s'agira donc non pas du tout de donner un sol théorique continu et solide à toutes les généalogies dispersées - je ne veux en aucun cas leur donner, leur surimposer une sorte de couronnement théorique qui les unifierait -, mais d'essayer dans les cours qui viennent, et sans doute au cours de cette année, de préciser ou de dégager l'enjeu qui se trouve engagé dans cette mise en opposition, cette mise en lutte, cette mise en insurrection des savoirs contre l'institution et les effets de savoir et de pouvoir du discours scientifique.

L'enjeu de toutes ces généalogies, vous le connaissez, ai-je besoin de le préciser, est : qu'est-ce que ce pouvoir dont l'irruption, la force, le tranchant, l'absurdité sont concrètement apparus au cours de ces quarante dernières années, à la fois sur la ligne d'effondrement du nazisme et sur la ligne de recul du stalinisme ? Qu'est-ce que le pouvoir ? ou, plutôt - parce que la question : «Qu'est-ce que le pouvoir ?» serait justement une question théorique qui couronnerait l'ensemble, ce que je ne veux pas - l'enjeu est de déterminer quels sont dans leurs mécanismes, dans leurs effets, dans leurs rapports ces différents dispositifs de pouvoir qui s'exercent à des niveaux différents de la société, dans des domaines et avec des extensions si variées ? Grosso modo, je crois que l'enjeu de tout cela serait : l'analyse des pouvoirs peut-elle, d'une manière ou d'une autre, se déduire de l'économie ?

Voilà pourquoi je pose cette question. Voilà ce que je veux dire par là : je ne veux aucunement effacer des différences innombrables, gigantesques, mais, malgré et à travers ces différences, il me semble qu'il y a un certain point commun entre la conception juridique et, disons, si vous voulez, libérale du pouvoir politique - celle que l'on trouve chez les philosophes du XVIIIe siècle -, et puis la conception marxiste ou, en tout cas, une certaine conception courante qui vaut comme étant la conception marxiste : ce point commun, ça serait ce que j'appellerais l'économisme dans la théorie du pouvoir. Par là, je veux dire ceci : dans le cas de la théorie juridique classique du pouvoir, le pouvoir est considéré comme un droit dont on serait possesseur et dont on serait possesseur comme d'un bien, et que l'on pourrait par conséquent transférer ou aliéner, d'une façon totale ou partielle, par un acte juridique ou un acte fondateur de droit - peu importe pour l'instant - qui serait de l'ordre de la cession ou du contrat. Le pouvoir, c'est celui, concret, que tout individu détient et qu'il viendrait à céder, totalement ou partiellement, pour constituer une souveraineté politique. La constitution du pouvoir politique se fait donc dans cette série, dans cet ensemble théorique auquel je me réfère, sur le modèle d'une opération juridique qui serait de l'ordre de l'échange contractuel. Analogie, par conséquent, manifeste et qui court tout le long de ces théories, entre le pouvoir et les biens, le pouvoir et la richesse.

Dans l'autre cas, bien sûr, je pense à la conception marxiste générale du pouvoir, c'est évident ; mais vous avez dans cette conception marxiste quelque chose d'autre, qui est ce qu'on pourrait appeler la fonctionnalité économique du pouvoir. «Fonctionnalité économique», dans la mesure où le pouvoir aurait essentiellement pour rôle à la fois de maintenir des rapports de production et de reconduire une domination de classe que le développement et les modalités propres de l'appropriation des forces productives ont rendu possible ; le pouvoir politique, dans ce cas-là, trouverait dans l'économie sa raison d'être historique. En gros, si vous voulez, dans un cas, on a un pouvoir politique qui trouverait, dans la procédure de l'échange, dans l'économie de la circulation des biens, son modèle formel ; et, dans l'autre cas, le pouvoir politique aurait dans l'économie sa raison d'être historique et le principe de sa forme concrète et de son fonctionnement actuel.

Le problème qui fait l'enjeu des recherches dont je parle peut se décomposer de la manière suivante. Premièrement, le pouvoir est-il toujours dans une position seconde par rapport à l'économie ? Est-il toujours finalisé et comme fonctionnalisé par l'économie ? Le pouvoir a-t-il essentiellement pour raison d'être et pour fin de servir l'économie ? Est-il destiné à la faire marcher, à solidifier, à maintenir, à reconduire des rapports qui sont caractéristiques de cette économie et essentiels à son fonctionnement ?

Seconde question : le pouvoir est-il modelé sur la marchandise ? Le pouvoir est-il quelque chose qui se possède, qui s'acquiert, se cède par contrat ou par force, s'aliène ou se récupère, circule, irrigue telle région, évite telle autre ? Ou bien, même si les rapports de pouvoir sont profondément intriqués dans et avec les relations économiques, même si effectivement les rapports de pouvoir constituent toujours une sorte de faisceau ou de boucle avec les relations économiques, dans ce cas, l'indissociabilité de l'économie et du politique ne serait-elle pas, non de l'ordre de la subordination fonctionnelle, ni non plus de l'ordre de l'isomorphie formelle, mais d'un autre ordre qu'il s'agirait précisément de dégager ?

Pour faire une analyse non économique du pouvoir, de quoi, actuellement, dispose-t-on ? Je crois qu'on peut dire qu'on dispose vraiment de très peu de chose. On dispose d'abord de cette affirmation que le pouvoir ne se donne pas, ni ne s'échange, ni ne se reprend, mais qu'il s'exerce et qu'il n'existe qu'en acte. On dispose également de cette autre affirmation que le pouvoir n'est pas premièrement maintien et reconduction des relations économiques ; mais, en lui-même, primairement, un rapport de forces.

Deux questions : si le pouvoir s'exerce, qu'est-ce que cet exercice ?

en quoi consiste-t-il ? quelle est sa mécanique ? On a ici quelque chose dont je dirais que c'était une réponse-occasion, enfin, une réponse immédiate, qui me paraît renvoyée finalement par le fait concret de bien des analyses actuelles : le pouvoir, c'est essentiellement ce qui réprime, c'est ce qui réprime la nature, les instincts, une classe, des individus. Et lorsque, dans le discours contemporain, on trouve cette définition ressassante du pouvoir comme ce qui réprime, après tout, le discours contemporain ne fait pas une invention ; Hegell'avait dit le premier, puis Freud et puis Reich. En tout cas, être organe de répression, c'est, dans le vocabulaire d'aujourd'hui, le qualificatif presque homérique du pouvoir. Alors, est-ce que l'analyse du pouvoir ne doit pas être d'abord et essentiellement l'analyse des mécanismes de répression ?

Deuxièmement - seconde réponse-occasion si vous voulez -, si le pouvoir est bien en lui-même mise en jeu et déploiement d'un rapport de forces, plutôt que de l'analyser en termes de cession, contrat, aliénation, au lieu même de l'analyser en termes fonctionnels de reconduction de rapports de production, ne faut-il pas l'analyser d'abord et avant tout en termes de combat, d'affrontement ou de guerre ? On aurait donc, en face de la première hypothèse, qui est : le mécanisme du pouvoir, c'est fondamentalement et essentiellement la répression, une seconde hypothèse qui serait : le pouvoir, c'est la guerre, c'est la guerre continuée par d'autres moyens. Et, à ce moment-là, on retournerait la proposition de Clausewitz *, et on dirait que la politique, c'est la guerre continuée par d'autres moyens.

Ce qui voudrait dire trois choses. D'abord ceci : c'est que les rapports de pouvoir, tels qu'ils fonctionnent dans une société comme la nôtre, ont essentiellement pour point d'ancrage un certain rapport de forces établi à un moment donné, historiquement précisable, dans la guerre et par la guerre. Et, s'il est vrai que le pouvoir politique arrête la guerre, fait régner ou tente de faire régner une paix dans la société civile, ce n'est pas du tout pour suspendre les effets de la guerre ou pour neutraliser le déséquilibre qui s'est manifesté dans la bataille finale de la guerre. Le pouvoir politique, dans cette hypothèse, aurait pour rôle de réinscrire perpétuellement ce rapport de forces par une sorte de guerre silencieuse, et de le réinscrire dans les institutions, dans les inégalités économiques, dans le langage, jusque dans le corps des uns et des autres. Ce serait donc le premier sens à donner à ce retournement de l'aphorisme de Clausewitz : la politique, c'est la guerre continuée par d'autres moyens ; c'est-à-dire que la politique, c'est la sanction et la reconduction du déséquilibre des forces manifesté dans la guerre.

* «La guerre n'est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument de la politique, une poursuite de relations politiques, une réalisation de celles-ci par d'autres moyens» (Clausewitz, K. von, De la guerre, Paris, Éd. de Minuit, 1950, livre l, chap l, p. 67).

Le retournement de cette proposition voudrait dire autre chose aussi : c'est que, à l'intérieur de cette «paix civile», les luttes politiques, les affrontements à propos du pouvoir, avec le pouvoir, pour le pouvoir, les modifications des rapports de forces - accentuation d'un côté, renversement -, tout cela, dans un système politique, ne devrait être interprété que comme la continuation de la guerre ; c'est-à-dire qu'ils seraient à déchiffrer comme des épisodes, des fragmentations, des déplacements de la guerre elle-même. On n'écrirait jamais que l'histoire de cette même guerre, même lorsqu'on écrirait l'histoire de la paix et de ses institutions.

Et le retournement de l'aphorisme de Clausewitz voudrait dire une troisième chose : finalement, la décision finale ne peut venir que de la guerre, c'est-à-dire d'une épreuve de force où les armes, en fin de compte, devront être juges. La fin du politique, serait la dernière bataille, c'est-à-dire que la dernière bataille suspendrait enfin, et enfin seulement, l'exercice du pouvoir comme guerre continuée.

Vous voyez donc que, à partir du moment où on essaie de se dégager des schémas économistes pour analyser le pouvoir, on se trouve immédiatement en face de deux hypothèses massives : d'une part, le mécanisme du pouvoir, ça serait la répression - hypothèse, si vous voulez, que j'appellerais commodément l'hypothèse Reich-, et, deuxièmement, le fond du rapport de pouvoir, c'est l'affrontement belliqueux des forces - hypothèse que j'appellerais, là encore pour commodité, l'hypothèse Clausewitz. Ces deux hypothèses ne sont pas inconciliables ; au contraire, elles paraissent même s'enchaîner avec assez de vraisemblance : la répression, après tout, est-ce que ce n'est pas la conséquence politique de la guerre, un peu comme l'oppression, dans la théorie classique du droit politique, était l'abus de la souveraineté dans l'ordre juridique ?

On pourrait donc opposer deux grands systèmes d'analyse du pouvoir. L'un qui serait le vieux système que vous trouvez chez les philosophes du XVIIIe siècle, qui s'articulerait autour du pouvoir comme droit originaire que l'on cède, constitutif de la souveraineté, et avec le contrat comme matrice du pouvoir politique ; et ce pouvoir ainsi constitué risquerait, lorsqu'il se dépasse lui-même, c'est-à-dire lorsqu'il déborde les termes mêmes du contrat, de devenir oppression. pouvoir-contrat, avec comme limite, ou, plutôt, comme franchissement de la limite, l'oppression. Et vous auriez l'autre système qui essaierait, au contraire, d'analyser le pouvoir politique, non plus selon le schéma contrat-oppression, mais selon le schéma guerre-répression ; à ce moment-là, la répression, ce n'est pas ce qu'était l'oppression pour le contrat, c'est-à-dire un abus, mais, au contraire, le simple effet et la simple poursuite d'un rapport de domination : la répression, ça ne serait pas autre chose que la mise en oeuvre, à l'intérieur de cette pseudo-paix que travaille une guerre continue, d'un rapport de forces perpétuel. Donc, deux schémas d'analyse du pouvoir : le schéma contrat-oppression, qui est, si vous voulez, le schéma juridique, et le schéma guerre-répression ou domination-répression, dans lequel l'opposition pertinente n'est pas celle du légitime et de l'illégitime comme dans le schéma précédent, mais l'opposition entre lutte et soumission.

Il est bien entendu que tout ce que je vous ai dit lors des années précédentes s'inscrit du côté du schéma lutte-répression, et c'est ce schéma-là que, de fait, j'ai essayé de mettre en oeuvre. Or, à mesure que je le mettais en oeuvre, j'ai été amené tout de même à le reconsidérer ; à la fois, bien sûr, parce que sur un tas de points il est encore insuffisamment élaboré - je dirais même qu'il est tout à fait inélaboré -, mais parce que je crois même que ces deux notions de «répression» et de «guerre» doivent être très considérablement modifiées, sinon peut-être, à la limite, abandonnées. En tout cas, il faut, je crois, regarder de près ces deux notions, «répression» et «guerre», ou, si vous voulez, regarder d'un peu plus près l'hypothèse que les mécanismes de pouvoir seraient essentiellement des mécanismes de répression et cette autre hypothèse que, sous le pouvoir politique, ce qui gronde et ce qui fonctionne, c'est essentiellement et avant tout un rapport belliqueux.

Je crois, sans trop me vanter, m'être tout de même méfié depuis assez longtemps de cette notion de «répression» ; et j'ai essayé de vous montrer, à propos justement des généalogies dont je parlais tout à l'heure, à propos de l'histoire du droit pénal, du pouvoir psychiatrique, du contrôle de la sexualité enfantine, etc., que les mécanismes qui étaient mis en oeuvre dans ces formations de pouvoir étaient tout autre chose, bien plus, en tout cas, que la répression. Je ne peux pas continuer sans reprendre un peu, justement, cette analyse de la répression, rassembler tout ce que j'ai pu dire d'une façon un peu décousue sans doute. Par conséquent, le prochain cours ou, éventuellement, les deux prochains cours seront consacrés à la reprise critique de la notion de «répression», à essayer de montrer en quoi et comment cette notion si courante maintenant de «répression» pour caractériser les mécanismes et les effets de pouvoir est tout à fait insuffisante pour les cerner.

Mais l'essentiel du cours sera consacré à l'autre volet, c'est-à-dire au problème de la guerre. Je voudrais essayer de voir dans quelle mesure le schéma binaire de la guerre, de la lutte, de l'affrontement des forces peut effectivement être repéré comme le fond, à la fois le principe et le moteur, de l'exercice du pouvoir politique : est-ce que c'est bien exactement de la guerre qu'il faut parler pour analyser le fonctionnement du pouvoir ? Est-ce que les notions de «tactique», de «stratégie», de «rapports de forces» sont valables ? Dans quelle mesure le sont-elles ? Est-ce que le pouvoir, tout simplement, est une guerre continuée par d'autres moyens que les armes ou les batailles ? Sous le thème devenu maintenant courant, d'ailleurs relativement récent, que le pouvoir a en charge de défendre la société, est-ce qu'il faut entendre, oui ou non, que la société dans sa structure politique est organisée de manière que certains puissent se défendre contre les autres ou défendre leur domination contre la révolte des autres, ou, simplement encore, défendre leur victoire et la pérenniser dans l'assujettissement ?

Donc, le schéma du cours de cette année sera le suivant : d'abord, une ou deux leçons consacrées à la reprise de la notion de répression ; puis je commencerai cette année - éventuellement, je poursuivrai les années d'après, je n'en sais rien - ce problème de la guerre dans la société civile. Je commencerai à mettre de côté justement ceux qui passent pour les théoriciens de la guerre dans la société civile et qui ne le sont absolument pas à mon sens, c'est-à-dire Hobbes et Machiavel. Puis j'essaierai de reprendre cette théorie de la guerre comme principe historique du fonctionnement du pouvoir autour du problème de la race, puisque c'est dans le binarisme des races qu'a été perçue, pour la première fois en Occident, la possibilité d'analyser le pouvoir politique comme guerre. Et j'essaierai de conduire cela jusqu'au moment où lutte des races et lutte des classes deviennent, à la fin du XIXe siècle, les deux grands schémas selon lesquels on essaie de repérer le phénomène de la guerre et les rapports de forces à l'intérieur de la société civile.