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La technologie politique des individus
Michel Foucault
Dits Ecrits Tome IV texte n°364

Michel Foucault «The Political Technology of Individuals» («La technologie politique des individus» ; université du Vermont, octobre 1982 ; trad. P.-E. Dauzat), in Hutton (P.H.), Gutman (H.) et Martin (L. H.), éd., Technologies of the Self A Seminar with Michel Foucault, Amherst, The University of MassachusettS, 1988, pp. 145-162.

Dits Ecrits Tome IV texte n°364
Une question apparue à la fin du XVIIIe siècle définit le cadre général de ce que j'appelle les «techniques de soi». Elle est devenue l'un des pôles de la philosophie moderne. Cette question tranche nettement avec les questions philosophiques dites traditionnelles : Qu'est-ce que le monde ? Qu'est-ce que l'homme ? Qu'en est-il de la vérité ? Qu'en est-il de la connaissance ? Comment le savoir est-il possible ? Et ainsi de suite. La question, à mon sens, qui surgit à la fin du XVIIIe siècle est la suivante : Que sommes-nous en ce temps qui est le nôtre ? Vous trouverez cette question formulée dans un texte de Kant. Non qu'il faille laisser de côté les questions précédentes quant à la vérité ou à la connaissance, etc. Elles constituent au contraire un champ d'analyse aussi solide que consistant, auquel je donnerais volontiers l'appellation d'ontologie formelle de la vérité. Mais je crois que l'activité philosophique conçut un nouveau pôle, et que ce pôle se caractérise par la question, permanente et perpétuellement renouvelée : «Que sommes-nous aujourd'hui ?» Et tel est, à mon sens, le champ de la réflexion historique sur nous-même. Kant, Fichte, Hegel, Nietzsche, Max Weber, Husserl, Heidegger, l'école de Francfort ont tenté de répondre à cette question. M'inscrivant dans cette tradition, mon propos est donc d'apporter des réponses très partielles et provisoires à cette question à travers l'histoire de la pensée ou, plus précisément, à travers l'analyse historique des rapports entre nos réflexions et nos pratiques dans la société occidentale.

Précisons brièvement que, à travers l'étude de la folie et de la psychiatrie, du crime et du châtiment, j'ai tenté de montrer comment nous nous sommes indirectement constitués par l'exclusion de certains autres : criminels, fous, etc. Et mon présent travail traite désormais de la question : comment constituons-nous directement notre identité par certaines techniques éthiques de soi, qui se sont développées depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours ? Tel fut l'objet du séminaire.

Il est maintenant un autre domaine de questions que je voudrais étudier : la manière dont, à travers quelque technologie politique des individus, nous avons été amenés à nous reconnaître en tant que société, élément d'une entité sociale, partie d'une nation ou d'un État. Je voudrais ici vous donner un aperçu, non pas des techniques de soi, mais de la technologie politique des individus.

Certes, je crains que les matériaux dont je traite ne soient un peu trop techniques et historiques pour une conférence publique. Je ne suis point un conférencier, et je sais que ces matériaux conviendraient mieux à un séminaire. Mais, malgré leur technicité peut-être excessive, j'ai deux bonnes raisons de vous les présenter. En premier lieu, il est un peu prétentieux, je crois, d'exposer de manière plus ou moins prophétique ce que les gens doivent penser. Je préfère les laisser tirer leurs propres conclusions ou inférer des idées générales des interrogations que je m'efforce de soulever par l'analyse de matériaux historiques bien précis. Je crois cela plus respectueux de la liberté de chacun, telle est ma démarche. Ma seconde raison de vous présenter des matériaux assez techniques est que je ne vois pas pourquoi le public d'une conférence serait moins intelligent, moins averti ou moins cultivé que celui d'un cours. Attaquons-nous donc maintenant à ce problème de la technologie politique des individus.

En 1779 parut le premier volume d'un ouvrage de l'Allemand J .P. Frank sous le titre System einer vollständigen Medicinischen Polizey ;

cinq autres tomes devaient suivre. Et lorsque le dernier volume sortit des presses, en 1790, la Révolution française avait déjà commencé *. Pourquoi rapprocher un événement aussi célèbre que la Révolution française et cet obscur ouvrage ? La raison en est simple. L'ouvrage de Frank est le premier grand programme systématique de santé publique pour l'État moderne. Il indique avec un luxe de détails ce que doit faire une administration pour garantir le ravitaillement général, un logement décent, la santé publique, sans oublier les institutions médicales nécessaires à la bonne santé de la population, bref, pour protéger la vie des individus. À travers ce livre, nous pouvons voir que le souci de la vie individuelle devient à cette époque un devoir pour l'État.

A la même époque, la Révolution française donne le signal des grandes guerres nationales de notre temps, qui mettent en jeu des armées nationales et s'achèvent, ou trouvent leur apogée, dans d'immenses boucheries collectives. On peut observer, je crois, un phénomène semblable au cours de la Seconde Guerre mondiale. On aurait peine à trouver dans toute l'histoire boucherie comparable à celle de la Seconde Guerre mondiale, et c'est précisément à cette période, à cette époque que furent mis en chantier les grands programmes de protection sociale, de santé publique et d'assistance médicale. C'est à cette même époque que fut, sinon conçu, du moins publié le plan Beveridge. On pourrait résumer par un slogan cette coïncidence : Allez donc vous faire massacrer, nous vous promettons une vie longue et agréable. L'assurance-vie va de pair avec un ordre de mort.

La coexistence, au sein des structures politiques, d'énormes machines de destruction et d'institutions dévouées à la protection de la vie individuelle est une chose déroutante qui mérite quelque investigation. C'est l'une des antinomies centrales de notre raison politique. Et c'est sur cette antinomie de notre rationalité politique que je voudrais me pencher. Non que les boucheries collectives soient l'effet, le résultat ou la conséquence logique de notre rationalité, ni que l'État ait l'obligation de prendre soin des individus, puisqu'il a le droit de tuer des millions de personnes. Pas plus que je n'entends nier que les boucheries collectives ou la protection sociale aient leurs explications économiques ou leurs motivations affectives.

* Frank (J. P.), System einer vollständigen Medicinischen Polizey, Mannheim, C.F. Schwann, 1780-1790, 4 vol.

Que l'on me pardonne de revenir au même point : nous sommes des êtres pensants. Autrement dit, que nous tuions ou soyons tués, que nous fassions la guerre ou que nous demandions une aide en tant que chômeurs, que nous votions pour ou contre un gouvernement qui ampute le budget de la Sécurité sociale et accroît les dépenses militaires, nous n'en sommes pas moins des êtres pensants, et nous faisons tout cela au nom, certes, de règles de conduite universelles, mais aussi en vertu d'une rationalité historique bien précise. C'est cette rationalité, ainsi que le jeu de la mort et de la vie dont elle définit le cadre, que je voudrais étudier dans une perspective historique. Ce type de rationalité, qui constitue l'un des traits essentiels de la rationalité politique moderne, s'est développé aux XVIIe et XVIIIe siècles au travers de l'idée générale de «raison d'État» ainsi que d'un ensemble bien spécifique de techniques de gouvernement que l'on appelait à cette époque, en un sens très particulier, la police.

Commençons par la «raison d'État». Je rappellerai succinctement un petit nombre de définitions empruntées à des auteurs italiens et allemands. À la fin du XVIe siècle, un juriste italien, Botero, donne cette définition de la raison d'État : «Une connaissance parfaite des moyens à travers lesquels les États se forment, se renforcent, dur

ent et croissent *.» Un autre Italien, Palazzo, écrit au début du XVIIe siècle (Discours du gouvernement et de la véritable raison d'État, 1606) ** : «Une raison d'État est une méthode ou un art nous permettant de découvrir comment faire régner l'ordre ou la paix au sein de la République.» Et Chemnitz, auteur allemand du milieu du XVIIe siècle (De ratione Status, 1647) ***, donne, quant à lui, cette définition : «Certaine considération politique nécessaire pour toutes les affaires publiques, conseils et projets, dont le seul but est la préservation, l'expansion et la félicité de l'État» - notez bien ces mots : préservation de l'État, expansion de l'État et félicité de l'État - «à quelle fin l'on emploie les moyens les plus rapides et les plus commodes». * Botero (G.), Della ragione di Stato dieci libri, Roma, V. Pellagallo, 1590 (Raison et Gouvernement d'État en dix livres, trad. G. Chappuys, Paris, Chaudière, 1599).

** Palazzo (G.A.), Discorso del governo e della ragione vera di Stato, Venetia, de Franceschi, 1606 (Discours du gouvernement et de la raison vraie d'État, trad. A. de Vallières, Douay, B. Bellère, 1611).

*** Chemnirz (B.P. von), Dissertatio de ratione Status in imperio nostro romano germanico, Freistadii, 1647.

Arrêtons-nous sur certains traits communs de ces définitions. La raison d'État, tout d'abord, est considérée comme un «art», c'est-à-dire une technique se conformant à certaines règles. Ces règles ne regardent pas simplement les coutumes ou les traditions, mais aussi une certaine connaissance rationnelle. De nos jours, l'expression «raison d'État», vous le savez, évoque bien davantage l'arbitraire ou la violence. Mais, à l'époque, on entendait par là une rationalité propre à l'art de gouverner les États. D'où cet art de gouverner tiret-il sa raison d'être ? La réponse à cette question provoqua le scandale de la pensée politique naissante, à l'aube du XVIIe siècle. Et pourtant, d'après les auteurs que j'ai cités, elle est fort simple. L'art de gouverner est rationnel à condition qu'il observe la nature de ce qui est gouverné, autrement dit, l'État lui-même.

Or, proférer une telle évidence, une telle platitude, c'était en vérité rompre simultanément avec deux traditions opposées : la tradition chrétienne et la théorie de Machiavel. Celle-là prétendait que pour être foncièrement juste, le gouvernement devait respecter tout un système de lois : humaines, naturelles et divines.

Il existe à ce propos un texte révélateur de saint Thomas, où il explique que, dans le gouvernement de son royaume, le roi doit imiter le gouvernement de la nature par Dieu. Le roi doit fonder des cités exactement comme Dieu créa le monde ; il doit conduire l'homme à sa finalité, ainsi que Dieu le fait pour les êtres naturels. Et quelle est la finalité de l'homme ? La santé physique ? Non, répond saint Thomas. Si la santé du corps était la finalité de l'homme, il n'aurait besoin que d'un médecin, pas d'un roi. La richesse ? Non plus. Un régisseur suffirait. La vérité ? Non pas, répond saint Thomas, car pour trouver la vérité, nul besoin d'un roi, seul un maître ferait l'affaire. L'homme a besoin de quelqu'un qui soit capable d'ouvrir la voie à la félicité céleste en se conformant, ici-bas, à ce qui est honestum. C'est au roi qu'il appartient de conduire l'homme vers l'honestum comme à sa finalité naturelle et divine.

Le modèle de gouvernement rationnel cher à saint Thomas n'est pas le moins du monde politique, alors qu'aux XVIe et XVIIe siècles l'on se mit en quête d'autres dénominations de la raison d'État, de principes susceptibles de guider concrètement un gouvernement. On ne s'intéressa plus aux finalités naturelles ou divines de l'homme, mais à ce qu'est l'État.

La raison d'État se trouve aussi opposée à une autre espèce d'analyse. Dans Le Prince, le problème de Machiavel est de savoir comment l'on peut protéger, contre ses adversaires de l'intérieur ou de l'extérieur, une province ou un territoire acquis par l'héritage ou la conquête. Toute l'analyse de Machiavel tente de définir ce qui consolide le lien entre le Prince et l'État, cependant que le problème posé au début du XVIIe siècle par la notion de raison d'État est celui de l'existence même et de la nature de cette nouvelle entité qu'est l'État. C'est bien pourquoi les théoriciens de la raison d'État s'efforcèrent de rester aussi loin que possible de Machiavel : celui-ci jouissait d'une fort mauvaise réputation à cette époque, et ils ne pouvaient reconnaître leur problème dans le sien, lequel n'était pas le problème de l'État, mais celui des rapports entre le Prince - le roi - et son territoire et son peuple. En dépit de toutes les querelles autour du Prince et de l'oeuvre de Machiavel, la raison d'État marque un jalon important dans l'apparition d'un type de rationalité extrêmement différent du type propre à la conception de Machiavel. Le propos de ce nouvel art de gouverner est précisément de ne pas renforcer le pouvoir du Prince. Il s'agit de consolider l'État lui-même.

Pour nous résumer, la raison d'État ne renvoie ni à la sagesse de Dieu ni à la raison ou aux stratégies du Prince. Elle se rapporte à l'État, à sa nature et à sa rationalité propre. Cette thèse - que le dessein d'un gouvernement est de renforcer l'État - implique diverses idées que je crois important d'aborder pour suivre l'essor et le développement de notre rationalité politique moderne.

La première de ces idées concerne la relation inédite qui s'établit entre la politique comme pratique et la politique comme savoir. Elle a trait à la possibilité d'un savoir politique spécifique. D'après saint Thomas, il suffisait au roi de se montrer vertueux. Le chef de la cité, dans la République platonicienne, devait être philosophe. Pour la première fois, l'homme qui doit diriger les autres dans le cadre de l'État doit être un politique ; il doit pouvoir s'appuyer sur une compétence et un savoir politiques spécifiques.

L'État est une chose qui existe pour soi. C'est une sorte d'objet naturel, même si les juristes tâchent de savoir comment il peut se constituer de manière légitime. L'État est de lui-même un ordre des choses, et le savoir politique le distingue des réflexions juridiques. Le savoir politique traite, non pas des droits du peuple ni des lois humaines ou divines, mais de la nature de l'État qui doit être gouverné. Le gouvernement n'est possible que lorsqu’est connue la force de l'État : c'est par ce savoir qu'elle peut être entretenue. Et il faut connaître la capacité de l'État et les moyens de l'augmenter, ainsi que la force et la capacité des autres États, des États rivaux du mien. L'État gouverné doit tenir tête aux autres. Le gouvernement ne saurait donc se limiter à la seule application des principes généraux de raison, de sagesse et de prudence. Un savoir spécifique est nécessaire : un savoir concret, précis et mesuré se rapportant à la puissance de l'État. L'art de gouverner, caractéristique de la raison d'État, est intimement lié au développement de ce que l'on a appelé, à cette époque, l'arithmétique politique - c'est-à-dire la connaissance que donna la compétence politique. L'autre nom de cette arithmétique politique, vous le savez fort bien, était la statistique, une statistique sans lien aucun avec la probabilité, mais rattachée à la connaissance de l'État, des forces respectives des différents États.

Le deuxième point important qui découle de cette idée de raison d'État n'est autre que l'apparition de rapports inédits entre politique et histoire. Dans cette perspective, la véritable nature de l'État n'est plus conçue comme un équilibre entre plusieurs éléments que seule une bonne loi pourrait maintenir ensemble. Elle apparaît alors comme un ensemble de forces et d'atouts susceptibles d'être augmentés ou affaiblis selon la politique suivie par les gouvernements. Il importe d'accroître ces forces, puisque chaque État se trouve dans une rivalité permanente avec d'autres pays, d'autres nations et d'autres États, en sorte que chaque État n'a rien d'autre, devant lui, qu'un avenir indéfini de luttes, ou tout au moins de compétitions, avec des États semblables. Tout au long du Moyen Âge, l'idée avait dominé que tous les royaumes de la terre seraient un jour unifiés en un dernier Empire juste avant le retour du Christ ici-bas. Dès le début du XVIIe siècle, cette idée familière n'est plus qu'un songe, lequel fut aussi l'un des traits majeurs de la pensée politique, ou de la pensée historico-politique, au cours du Moyen Âge. Ce projet d'une reconstitution de l'Empire romain s'évanouit à jamais. La politique doit désormais traiter d'une irréductible multiplicité d'États qui luttent et rivalisent dans une histoire limitée.

La troisième idée que nous pouvons tirer de cette notion de raison d'État est la suivante : puisque l'État est sa propre finalité et que le dessein exclusif des gouvernements doit être non seulement la conservation mais aussi le renforcement permanent et le développement des forces de l'État, il est clair que les gouvernements n'ont pas à s'inquiéter des individus ; ou plutôt, ils n'ont à s'en préoccuper que dans la seule mesure où ils présentent quelque intérêt à cette fin : ce qu'ils font, leur vie, leur mort, leur activité, leur conduite individuelle, leur travail et ainsi de suite. Je dirais que dans ce type d'analyse des rapports entre l'individu et l'État, l'individu n'intéresse l'État que dans la seule mesure où il peut faire quelque chose pour la puissance de l'État. Mais il est dans cette perspective un élément que nous pourrions définir comme un marginalisme politique en son genre, dès lors que seule est en question ici l'utilité politique. Du point de vue de l'État, l'individu n'existe que pour autant qu'il est à même d'apporter un changement, fût-il minimal, à la puissance de l'État, que ce soit dans une direction positive ou négative. L'État n'a donc à s'occuper de l'individu que dans la seule mesure où celui-ci peut introduire un tel changement. Et tantôt l'État lui demande de vivre, de travailler, de produire et de consommer ; tantôt il lui demande de mourir.

Ces idées sont manifestement apparentées à un autre ensemble d'idées que nous pouvons trouver dans la philosophie grecque. Et, à vrai dire, la référence aux cités grecques est très fréquente dans cette littérature politique du début du XVIIe siècle. Mais je crois qu'un petit nombre de thèmes semblables dissimule quelque chose de bien différent à l'oeuvre dans cette nouvelle théorie politique. Dans l'État moderne, en effet, l'intégration marginaliste des individus à l'utilité de l'État ne prend pas la forme de la communauté éthique caractéristique de la cité grecque. Dans cette nouvelle rationalité politique, elle s'acquiert à l'aide d'une technique bien particulière que l'on appelait alors la police.

Nous touchons ici au problème que je voudrais analyser dans quelque travail futur. Ce problème est celui-ci : quelle espèce de techniques politiques, quelle technologie de gouvernement a-t-on mises en oeuvre, utilisées et développées dans le cadre général de la raison d'État pour faire de l'individu un élément de poids pour l'État ? Le plus souvent, quand on analyse le rôle de l'État dans notre société, ou l'on se concentre sur les institutions - armée, fonction publique, bureaucratie, et ainsi de suite - et le type de personnes qui les dirigent, ou l'on analyse les théories ou idéologies élaborées afin de justifier ou de légitimer l'existence de l'Etat.

Ce que je cherche, au contraire, ce sont les techniques, les pratiques qui donnent une forme concrète à cette nouvelle rationalité politique et à ce nouveau type de rapport entre l'entité sociale et l'individu. Et de manière assez surprenante, il s'est trouvé, au moins en des pays comme l'Allemagne et la France, où pour différentes raisons le problème de l'État passait pour majeur, des personnes pour reconnaître la nécessité de définir, de décrire et d'organiser très explicitement cette nouvelle technologie du pouvoir, les nouvelles techniques permettant d'intégrer l'individu à l'entité sociale. Ils admirent cette nécessité, et ils lui donnèrent un nom : police, en français, et Polizei en allemand. Je crois que police en anglais a un sens très différent.) Il nous appartient précisément d'essayer de donner de meilleures définitions de ce que l'on entendait par ces vocables français et allemand, police et Polizei.

Leur sens est pour le moins déroutant puisque, depuis le XIXe siècle au moins jusqu'à aujourd'hui, on les a employés pour désigner tout autre chose, une institution bien précise qui, en France et en Allemagne, du moins - je ne sais ce qu'il en est aux États-Unis -, n'a pas toujours joui d'une excellente réputation. Mais de la fin du XVIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, les termes de police et de Polizei ont eu un sens tout à la fois très large et très précis. Quand on parlait de police à cette époque, on parlait des techniques spécifiques qui permettaient à un gouvernement, dans le cadre de l'État, de gouverner le peuple sans perdre de vue la grande utilité des individus pour le monde.

Afin d'analyser un peu plus précisément cette nouvelle technologie de gouvernement, mieux vaut le saisir, je crois, sous les trois formes majeures que toute technologie est à même de revêtir au cours de son développement et de son histoire : un rêve ou, mieux, une utopie ; puis une pratique où des règles régissent de véritables institutions ; et enfin une discipline académique.

Louis Turquet de Mayerne offre un bon exemple, au début du XVIIe siècle, de l'opinion de l'époque face à la technique utopique ou universelle de gouvernement. Dans son ouvrage La Monarchie aristo-démocratique (1611) *, il proposa la spécialisation du pouvoir exécutif et des pouvoirs de police, la tâche de celle-ci étant de veiller au respect civique et à la morale publique.

Turquet suggérait la création dans chaque province de quatre conseils de police chargés de maintenir l'ordre public. Deux veilleraient sur les personnes ; deux autres sur les biens. Le premier conseil devait veiller aux aspects positifs, actifs et productifs de la vie. Autrement dit, il s'occuperait de l'éducation, déterminerait avec une grande précision les goûts et aptitudes de chacun. Il éprouverait l'aptitude des enfants dès le commencement même de leur vie : toute personne de plus de vingt-cinq ans devrait être inscrite sur un registre indiquant ses aptitudes et son occupation ; les autres étant considérés comme la lie de la société.

Le deuxième conseil devait s'occuper des aspects négatifs de la vie : des pauvres, veufs, orphelins, vieillards, qui avaient besoin d'un secours ; il devait aussi régler le cas des personnes affectées à un travail mais qui pouvaient se montrer récalcitrantes, de ceux dont les activités exigeaient une aide pécuniaire, et il avait à gérer un bureau de dons ou de prêts financiers aux indigents. Il devait aussi veiller à la santé publique - maladies, épidémies - et aux accidents tels qu'incendies et inondations, et organiser une espèce d'assurance à l'intention des personnes qu'il fallait protéger de tels accidents.

* Turquet de Mayerne (L.), La Monarchie aristo-démocratique, ou le gouvernement composé des trois formes de légitimes républiques, Paris, 1611.

Le troisième conseil devant se spécialiser dans les marchandises et produits manufacturés. Il devait indiquer ce qu'il fallait produire et comment le faire, mais aussi contrôler le marché et le commerce ce qui était une fonction très traditionnelle de police. Le quatrième conseil veillerait au domaine, i.e. au territoire et à l'espace, aux biens privés et aux legs, aux donations et aux ventes, sans oublier les droits seigneuriaux, les routes, les fleuves, les édifices publics, etc.

A bien des égards, ce texte s'apparente aux utopies politiques si nombreuses à l'époque, et même depuis le XVIe siècle. Mais il est aussi contemporain des grandes discussions théoriques sur la raison d'État et l'organisation administrative des monarchies. Il est hautement représentatif de ce que devait être, dans l'esprit de l'époque, un État bien gouverné.

Que démontre ce texte ? Il démontre d'abord que la «police» apparaît comme une administration dirigeant l'État concurremment avec la justice, l'armée et les finances. En fait, pourtant, elle embrasse toutes ces autres administrations et, comme l'explique Turquet, elle étend ses activités à toutes les situations, à tout ce que les hommes font ou entreprennent. Son domaine comprend la justice, la finance et l'armée *.

Ainsi, vous le voyez, la police, dans cette utopie, englobe tout, mais d'un point de vue extrêmement particulier. Hommes et choses y sont envisagés dans leurs rapports. Ce qui intéresse la police, c'est la coexistence des hommes sur un territoire, leurs rapports de propriété, ce qu'ils produisent, ce qui s'échange sur le marché et ainsi de suite. Elle s'intéresse aussi à la manière dont ils vivent, aux maladies et aux accidents auxquels ils sont exposés. En un mot, c'est un homme vivant, actif et productif que la police surveille. Turquet emploie une très remarquable expression : l'homme est le véritable objet de la police, affirme-t-il en substance **.

Bien sûr, je crains un peu que vous n'imaginiez que j'ai forgé cette expression à seule fin de trouver l'un de ces aphorismes provocateurs auxquels, dit-on, je ne saurais résister, mais il s'agit bel et bien d'une citation. N'allez pas croire que je sois en train de dire que l'homme n'est qu'un sous-produit de la police. Ce qui importe, dans cette idée de l'homme véritable objet de la police, c'est un changement historique des rapports entre pouvoir et individus. Je dirais, en gros, que le pouvoir féodal était fait de relations entre sujets juridiques pour autant qu'ils se trouvaient pris dans des relations juridiques du fait de leur naissance, de leur rang ou de leur engagement personnel, tandis qu'avec ce nouvel État de police le gouvernement se met à s'occuper des individus, en fonction de leur statut juridique, certes, mais aussi en tant qu'hommes, êtres vivants qui travaillent et commercent.

* lbid., livre l, p. 19.

** lbid.

Passons maintenant du rêve à la réalité et aux pratiques administratives. Il est un compendium français du début du XVIIIe siècle qui nous présente, dans un ordre systématique, les grandes réglementations de police du royaume français. Il s'agit d'un genre de manuel ou d'encyclopédie systématique à l'usage des commis de l'État. L'auteur, N. de Lamare, compose cette encyclopédie de la police (Traité de la police, 1705) en onze chapitres *. Le premier traite de la religion ; le deuxième, de la moralité ; le troisième, de la santé ; le quatrième, des approvisionnements ; le cinquième, des routes, des ponts et chaussées et des édifices publics ; le sixième, de la sécurité publique ; le septième, des arts libéraux (en gros, les arts et les sciences) ; le huitième, du commerce ; le neuvième, des fabriques ; le dixième, des domestiques et des hommes de peine ; et le onzième, des pauvres. Tel était, pour de Lamare comme pour ses successeurs, la pratique administrative de la France. Tel était donc bien le domaine de la police, de la religion aux pauvres, en passant par la moralité, la santé, les arts libéraux. Vous retrouverez la même classification dans la plupart des traités ou compendiums relatifs à la police. Comme dans l'utopie de Turquet, exception faite de l'armée, de la justice à proprement parler et des contributions directes, la police veille apparemment à tout.

Mais qu'en est-il, de ce point de vue, de la pratique administrative française effective ? Quelle était la logique à l'oeuvre derrière l'intervention dans les rites religieux, les techniques de production à petite échelle, la vie intellectuelle et le réseau routier ? La réponse de De Lamare paraît un tantinet hésitante. Tantôt, il précise que «la police veille à tout ce qui touche au bonheur des hommes **», tantôt il indique que «la police veille à tout ce qui réglemente la société ***» - et par société, il entend les rapports sociaux «qui prévalent entre les hommes ****». Et parfois encore, il affirme que la police veille au vivant. C'est sur cette définition que je voudrais m'attarder, parce qu'elle est la plus originale et qu'elle éclaire, je crois, les deux autres.

* T. I, livre l, chap. l, p. 4,

** Ibid., préface, p. II.

*** Ibid., livre l, chap. l, p. 2.

**** Ibid., p. 4.

Au demeurant, c'est sur cette définition qu'insiste de Lamare. Voici donc quelles sont ses remarques sur les onze objets de la police. La police s'occupe de la religion, non pas, bien sûr, du point de vue de la vérité dogmatique, mais de celui de la qualité morale de la vie. En veillant à la santé et aux approvisionnements, elle s'applique à préserver la vie ; s'agissant du commerce, des fabriques, des ouvriers, des pauvres et de l'ordre public, elle s'occupe des commodités de la vie. En veillant au théâtre, à la littérature, aux spectacles, son objet n'est autre que les plaisirs de la vie. Bref, la vie est l'objet de la police. L'indispensable, l'utile et le superflu : tels sont les trois types de choses dont nous avons besoin, ou que nous pouvons utiliser dans notre vie. Que les hommes survivent, vivent, fassent mieux encore que simplement survivre ou vivre : telle est exactement la mission de la police.

Cette systématisation de la pratique administrative française me paraît importante pour diverses raisons. En premier lieu, comme vous pouvez le voir, elle s'efforce de classer les besoins, ce qui est, bien sûr, une vieille tradition philosophique, mais avec le projet technique de déterminer la corrélation entre l'échelle d'utilité pour les individus et l'échelle d'utilité pour l'État. La thèse de l'ouvrage de De Lamare est, au fond, que ce qui est superflu pour les individus peut être indispensable à l'État, et inversement. Le second point important est que de Lamare fait du bonheur humain un objet politique. Je sais fort bien que, depuis l'aube de la philosophie politique dans les pays occidentaux, tout le monde a su et dit que l'objectif permanent des gouvernements devait être le bonheur des hommes, mais le bonheur en question apparaissait alors comme le résultat ou l'effet d'un gouvernement vraiment bon. Désormais, le bonheur n'est plus seulement un simple effet. Le bonheur des individus est une nécessité pour la survie et le développement de l'État. C'est une condition, un instrument, et non simplement une conséquence. Le bonheur des hommes devient un élément de la puissance de l'État. Et en troisième lieu, de Lamare affirme que l'État doit s'occuper non seulement des hommes, ou d'une masse d'hommes vivant ensemble, mais de la société. La société et les hommes en tant qu'êtres sociaux, individus forts de tous leurs rapports sociaux : tel est désormais le véritable objet de la police.

C'est alors que, last but not least, la «police» devint une discipline. Il ne s'agissait pas simplement d'une pratique administrative concrète ou d'un rêve, mais d'une discipline au sens académique du terme. On l'enseigna sous le nom de Polizeiwissenschaft dans diverses universités allemandes, en particulier à Göttingen. L'université de Göttingen devait être d'une importance capitale pour l'histoire politique de l'Europe, puisque c'est là que furent formés les fonctionnaires prussiens, autrichiens et russes - ceux qui devaient accomplir les réformes de Joseph II ou de la Grande Catherine. Et plusieurs Français, dans l'entourage de Napoléon notamment, connaissaient les doctrines de la Polizeiwissenschaft.

Le document le plus important dont nous disposions quant à l'enseignement de la police est un genre de manuel de Polizeiwissenschaft. Il s'agit des Éléments de police de Justi *, Dans cet ouvrage, dans ce manuel à l'intention des étudiants, la mission de la police reste définie comme chez de Lamare - veiller aux individus vivant en société. Justi organise néanmoins son ouvrage de manière très différente. Il commence par étudier ce qu'il appelle les «biens-fonds de l'État», c'est-à-dire son territoire. Il l'envisage sous deux aspects : comment il est peuplé (villes et campagnes), puis qui sont ses habitants (nombre, croissance démographique, santé, mortalité, immigration, etc.). Puis von Justi analyse les «biens et effets», i.e. les marchandises, la manufacture des biens, ainsi que leur circulation qui soulève des problèmes touchant à leur coût, au crédit et à la monnaie. Enfin, la dernière partie de son étude est consacrée à la conduite des individus : leur moralité, leurs aptitudes professionnelles, leur honnêteté et leur respect de la loi.

A mon sens, l'ouvrage de Justi est une démonstration beaucoup plus fouillée de l'évolution du problème de la police que l'introduction de De Lamare à son compendium. Il y a diverses raisons à cela. Premièrement, von Justi établit une distinction importante entre ce qu'il appelle la police (die Polizei) et ce qu'il nomme la politique (die Politik). Die Politik est foncièrement à ses yeux la tâche négative de l'État. Elle consiste, pour l'État, à se battre contre ses ennemis de l'intérieur comme de l'extérieur, usant de la loi contre les premiers, de l'armée contre les seconds. La Polizei, en revanche, a une mission positive, et ses instruments ne sont pas plus les armes que les lois, la défense ou l'interdiction. Le but de la police est d'accroître en permanence la production de quelque chose de nouveau, censé consolider la vie civique et la puissance de l'État. La police gouverne, non par la loi, mais en intervenant de manière spécifique, permanente et positive dans la conduite des individus. Même si la distinction sémantique entre la Politik, assumant des tâches négatives, et la Polizei, assurant des tâches positives, a tôt disparu du discours et du vocabulaire politiques, le problème de l'intervention permanente de l'État dans la vie sociale, même sans la forme de la loi, est caractéristique de notre politique moderne et de la problématique politique. La discussion, qui se poursuit depuis la fin du XVIIIe siècle, autour du libéralisme, du Polizeistaat, du Rechtsstaat, de l'État de droit, et ainsi de suite, trouve son origine dans ce problème des tâches positives et négatives de l'État, dans la possibilité que l'État n'assume que des tâches négatives, à l'exception de tout tâche positive, sans pouvoir d'intervention dans le comportement des hommes.

* Justi (J. H. von), Grundsätze der Polizey-Wissenschaft, Göttingen, Van den Hoecks, 1756.

Il est un autre point important, dans cette conception de von Justi, qui devait profondément influencer tout le personnel politique et administratif des pays européens à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. L'un des concepts majeurs de l'ouvrage de von Justi est en effet celui de population, et c'est en vain, je crois, que l'on chercherait cette notion dans tout autre traité de police. Je sais fort bien que von Justi n'a inventé ni la notion ni le mot, mais il vaut la peine de noter que, sous le vocable de population, von Justi prend en compte ce que les démographes étaient à la même époque en train de découvrir. Dans son esprit, les éléments physiques ou économiques de l'État, pris dans leur totalité, constituent un milieu dont la population est tributaire et qui, réciproquement, dépend de la population. Certes, Turquet et les utopistes de son genre parlaient aussi des fleuves, des forêts et des champs, etc., mais ils les percevaient essentiellement comme des éléments capables de produire des taxes et des revenus. Pour von Justi, au contraire, population et milieu entretiennent en permanence un rapport réciproque et vivant, et il appartient à l'État de gérer ces rapports réciproques et vivants entre ces deux types d'êtres vivants. Nous pouvons dire, désormais, qu'à la fin du XVIIIe siècle la population devient le véritable objet de la police ; ou, en d'autres termes, l'État doit avant tout veiller sur les hommes en tant que population. Il exerce son pouvoir sur les êtres vivants en tant qu'êtres vivants, et sa politique est, en conséquence, nécessairement une biopolitique. La population n'étant jamais que ce sur quoi veille l'État dans son propre intérêt, bien entendu, l'État peut, au besoin, la massacrer. La thanatopolitique est ainsi l'envers de la biopolitique.

Je sais fort bien que ce ne sont que projets esquissés et lignes directrices. De Botero à von Justi, de la fin du XVIe à la fin du XVIIIe siècle, nous pouvons au moins conjecturer le développement d'une rationalité politique liée à une technologie politique. De l'idée que l'État possède sa nature et sa finalité propres à l'idée de l'homme conçu comme individu vivant ou élément d'une population en rapport avec un milieu, nous pouvons suivre l'intervention croissante de l'État dans la vie des individus, l'importance croissante des problèmes de la vie pour le pouvoir politique, et le développement de champs possibles pour des sciences sociales et humaines, pour autant qu'elles prennent en compte ces problèmes du comportement individuel à l'intérieur de la population et les relations entre une population vivante et son milieu.

Que l'on me permette maintenant de résumer très succinctement mon propos. Tout d'abord, il est possible d'analyser la rationalité politique, de même que l'on peut analyser n'importe quelle rationalité scientifique. Certes, cette rationalité politique se rattache à d'autres formes de rationalité. Son développement est largement tributaire des processus économiques, sociaux, culturels et techniques. Elle s'incarne toujours dans des institutions et des stratégies, et elle a sa spécificité propre. La rationalité politique étant la racine d'un grand nombre de postulats, évidences de toutes sortes, institutions et idées que nous tenons pour acquis, il est doublement important, d'un point de vue théorique et pratique, de poursuivre cette critique historique, cette analyse historique de notre rationalité politique qui est quelque peu différente des discussions concernant les théories politiques, mais aussi les divergences de choix politiques. L'échec des grandes théories politiques aujourd'hui doit déboucher, non pas sur une façon de penser non politique, mais sur une enquête concernant ce qu'a été notre façon de penser politique au cours de ce siècle.

Je dirais que dans la rationalité politique quotidienne l'échec des théories politiques n'est probablement dû ni à la politique ni aux théories, mais au type de rationalité dans lesquelles elles s'enracinent. Dans cette perspective, la caractéristique majeure de notre rationalité moderne n'est ni la constitution de l'État, le plus froid de tous les monstres froids, ni l'essor de l'individualisme bourgeois. Je ne dirais pas même que c'est un effort constant pour intégrer les individus à la totalité politique. La caractéristique majeure de notre rationalité politique tient, à mon sens, à ce fait : cette intégration des individus en une communauté ou une totalité résulte d'une corrélation permanente entre une individualisation toujours plus poussée et la consolidation de cette totalité. De ce point de vue, nous pouvons comprendre pourquoi l'antinomie droit/ordre permet la rationalité politique moderne.

Le droit, par définition, renvoie toujours à un système juridique, tandis que l'ordre se rapporte à un système administratif, à un ordre bien précis de l'État - ce qui était très exactement l'idée de tous ces utopistes de l'aube du XVIIe siècle, mais aussi des administrateurs bien réels du XVIIIe siècle. Le rêve de conciliation du droit et de l'ordre, qui fut celui de ces hommes, doit, je crois, demeurer à l'état de rêve. Il est impossible de concilier droit et ordre parce que, lorsque l'on s'y essaie, c'est uniquement sous la forme d'une intégration du droit à l'ordre de l'État.

Ma dernière observation sera la suivante : on ne saurait isoler, vous le voyez bien, l'apparition de la science sociale de l'essor de cette nouvelle rationalité politique ni de cette nouvelle technologie politique. Chacun sait que l'ethnologie est née de la colonisation (ce qui ne veut pas dire qu'elle soit une science impérialiste) ; de la même façon, je crois que, si l'homme - nous, êtres de vie, de parole et de travail - est devenu un objet pour diverses autres sciences, il faut en chercher la raison, non pas dans une idéologie, mais dans l'existence de cette technologie politique que nous avons formée au sein de nos sociétés.