Les Etats Généraux de la Psychaitrie
Montpellier 5, 6 et 7 juin 2003
MALAISE DANS LA SOCIÉTÉ ACTUELLE : LE RÔLE DES MÉDIAS
LE RÔLE DES MÉDIAS DANS LA CONSTRUCTION DE NOUVELLES MODALITÉS
DE REPRÉSENTATION SOCIALE ET D'EXPRESSION DE LA SOUFFRANCE PSYCHIQUE
ET SES IMPLICATIONS DANS LE DOMAINE DE LA PSYCHOLOGIE ET DE LA PSYCHANALYSE
25 avril 2003
par Marília Dantas
Pour rendre compte de ce que le malaise actuel n'est pas limité
à la France, nous publions un texte de Madame Marília
Dantas, Professeure de psychologie à Rio De Janeiro, expliquant
les conditions de sa recherche actuelle dans une ville que l'on sait
marquée par la violence
« Où sont elles allées, les hystériques,
ces femmes merveilleuses, les Anna O, les Doras,... toutes les femmes
qui sont devenues les figures matricielles de notre psychanalyse ? »
(Nasio, 1991 :09)
I - Un malaise :
Ma recherche actuelle est d'élaborer une cartographie du malaise
dans la société actuelle, plus précisément
du rôle des médias dans la construction des nouvelles modalités
de représentation sociale et d'expression de la souffrance psychique,
ainsi que d'analyser les implications de ce phénomène
sur les actuelles discussions en psychologie et en psychanalyse.
Comme professeur responsable de la coordination du Cours de Post-Graduation
en Psychologie des Organisations de la Faculté de Psychologie
de l'Université Catholique de Petrópolis à Rio
de Janeiro, ainsi que comme professionnelle de pratique clinique en
cabinet de consultation privé, j'ai la chance d'observer attentivement
la controverse à l'oeuvre parmi les diverses matrices de la pensée
qui soutiennent la constitution de la science psychologique .
D'un côté, il s'agit d'un modèle de psychologie
qui se prétend "scientifique", qui n'est ni spéculative,
ni historique et qui a une forte tendance à s'appuyer sur la
biologie . D'autre part, on trouve des systèmes et des théories
psychologiques qui prennent leur inspiration dans un modèle "romantique",
dont la spécificité du sujet est reconnue et soulignée
:
"On trouve, d'un côté, des écoles et des mouvements
qui ont été créés par des matrices scientistes,
dont la spécificité de l'objet ( la vie subjective et
la singularité de l'individu) tend à ne pas être
considérée, en faveur d'une imitation plus ou moins bien
réussie et convaincante des modèles en vigueur dans les
sciences naturelles. En suivant cette ligne, quand la psychologie surmonte
le niveau de l'imitation formelle et caricaturale, c'est pour s'annuler
comme science indépendante et pour s'affirmer comme une discipline
biologique .
Parallèlement, on trouve les écoles et les mouvements
créés par des matrices "romantiques" et "post-romantiques".
Ici, on reconnaît et on souligne la spécificité
de l'objet (les actes et les expériences d'un sujet, doués
d'une valeur et d'une signification pour lui ) et on revendique une
totale indépendance de la psychologie devant les autres sciences".
(Figueiredo, 2000 :26 et 27)
La divergence entre les deux principaux groupes de matrices psychologiques
démontre les différentes représentations de l'objet
propre de la psychologie et aussi en ce qui concerne la subjectivité
.
En ce moment, cette question est encore polémique dans l'académie,
où l'on observe fréquemment un certain malaise parmi les
élèves qui se sentent souvent perdus, ne sachant pas comment
s'orienter devant cette divergence et ne sachant pas quelles représentations
adopter pendant leur formation . Ce malaise apparaît aussi dans
la société qui demande l'aide d'un professionnel et qui
ne sait pas très bien, en fin de compte, quel est le rôle
du psychologue.
Parallèlement à ce débat, on observe que le monde,
en ce moment, passe par de grandes transformations en ce qui concerne
ses idéaux et ses coutumes . On assiste à une période
de coexistence - parfois bouleversante - entre deux grands systèmes
de représentations : les paradigmes et les valeurs "modernes"
et ceux caractéristique de la "post-modernité".
Ces changements dans le champ des institutions, on le sait, engendrent
la construction d'un nouvel ordre de la perception, de la cognition,
ce qui provoque l'apparition de nouvelles formes narratives sur la conception
de l'homme, sur la condition humaine et la subjectivité .
Créée pendant les années 50, la post-modernité
a surgi dans la scène mondiale à partir des années
60, avec le développement de la culture de masse, de la télévision,
du rock, de la pilule, de la minijupe, du mouvement féministe,
de la consommation de masse, du néolibéralisme, de la
mondialisation, etc.
La caractérisation de la post-modernité a surgi à
partir d'un débat à propos de la culture - le cinéma,
la musique, la peinture et l'architecture - et s'est étendue
dans la sphère de la philosophie, de l'économie, de l'anthropologie,
de la sociologie et de la psychanalyse.
"Le déclin de la sphère publique et de la politique
dans le modèle consacré, la crise écologique, les
tribalismes, l'expansion des fondamentalismes, les nouvelles formes
d'identité sociale et les conséquences de l'informatisation
sur la production matérielle et sur le quotidien ont engendré
la discussion sur la pluralité et la fragmentation postmoderne".
(Fridman, 2000 :14)
En même temps et en conséquence de ces transformations,
on assiste à une augmentation du scepticisme en général
par rapport aux grandes institutions et aux idéologies qui orientaient
la société moderne.
Dans la post-modernité, ce qui prévaut, c'est la représentation
d'une individualité prétendument libérée
des valeurs traditionnelles engendrées par la modernité
:
"Dans l'époque postmoderne, on distingue une valeur principale,
inaccessible et indiscutable à travers ses multiples manifestations
: l'individu et son droit chaque fois plus proclamé de se réaliser
à part, d'être libre, au fur et à mesure que les
techniques de contrôle social appliquent des dispositifs chaque
fois plus raffinés et "humains". (Lipovestsky, 1983
:13)
La tendance à se présenter comme une époque où
l'on cherche à vivre selon le culte de la spontanéité
- c'est-à-dire une culture qui renforce le sujet à "être
vraiment soi même", à sentir et à s'exprimer
librement, à s'émanciper des rôles sociaux rigides,
qui donne la douce illusion d'une liberté individuelle presque
souveraine - se compare avec le modèle moderne de civilisation,
engendré à partir de la renonciation aux pulsions et à
l'imposition de grands sacrifices à la sexualité et à
l'agressivité de l'homme et de la recherche d'une sécurité
illusoire offerte par la civilisation.
Cependant, on voit que le modèle du sujet de la contemporainéité
qui semble prévaloir n'est pas celui qui produit un sujet heureux
et bien installé dans la vie, mais on perçoit, en général,
un modèle de sujet qui n'a ni projets, ni idéaux, sauf
le désir de consommer ; c'est-à-dire un sujet qui fait
le culte à son propre image et qui ne veut que de la satisfaction
immédiate et sans souffrance ; un sujet qui se sent vide et qui
se sent incapable de conférer un sens à son existence
et de surmonter sa condition de vivre le malaise .
"L'éclaircissement des causes sociales de l'anxiété
d'aujourd'hui ne tient pas son origine d'un source unique . Il peut
être cherché dans l'investigation de la culture, du travail,
de la mondialisation ou de la constitution de l'ordre postmoderne .
En ce moment, le manque de sécurité, la peur et la fragilité
des rapports parmi les individus attestent les difficultés de
construction de l'identité dans un monde marqué par la
pluralité et par les changements significatifs dans l'institutionnalité".
(Fridman, 2000 :63)
Si on examine les récentes publications sur les recherches scientifiques
dans les champs de la médecine, de la psychologie et de la psychanalyse,
on constate qu'un même thème apparaît sous la forme
actuelle de représentation sociale et d'expression de la souffrance
psychique : la dépression.
"La souffrance psychique se manifeste aujourd'hui sous la forme
de dépression. Atteint dans le corps et dans l 'âme par
cette étrange syndrome où se sont mélangées
la tristesse et l'apathie, la recherche de l'identité et le culte
à soi même, l'homme déprimé ne croit plus
à la validité d'aucune thérapie . Et pourtant,
avant de refuser tous les moyens de traitement, il cherche désespérément
à vaincre le vide de son désir. C'est pour cela qu'il
passe de la psychanalyse à la psychopharmacologie et de la psychothérapie
à l'homéopathie, sans se rendre compte de l'origine de
son malheur". ( Roudinesco, 2000 :13)
La dépression est certainement la représentation sociale
par excellence du malaise contemporain . On constate son "existence"
manifeste ou latente dans la tristesse, dans le stress, dans la crise
de panique, dans la phobie sociale, dans les compulsions en général,
telles que la toxicomanie, l'anorexie et la boulimie, parmi d'autres
formes d'expression de la souffrance psychique.
Devant cette configuration, quelle orientation théorico-professionelle
le psychologue doit-il adopter ? Doit-on concevoir la dépression
comme la représentation et l'expression de la souffrance psychique,
dont les racines se trouvent dans des dysfonctions hormonales ou doit-on
la concevoir comme un ensemble de symptômes contextualisés
dans la post-modernité et indicateurs du drame propre à
la condition humaine ?
La consolidation, chaque fois plus impérieuse, des savoirs produits
par la psychiatrie biologique, par les neurosciences et par la génétique,
qui ont transformés les représentations sociales sur le
psychisme et qui mettent l'accent sur les métaphores de l'homme-information
(software/hardware) au détriment de la conception de "l'homme
désirant", semblent provoquer un changement radical sur
la spécificité de la représentation sociale de
la souffrance psychique dans la société actuelle.
Ce modèle de l'homme "post-humain", renforcé
par les médias et parfaitement adapté aux intérêts
d'une industrie culturelle, qui se soutient à partir de la massification
et de la consommation de ses produits et de ses images, dans l'illusion
d'un bonheur immédiat et sans effort, semble être consolidé
définitivement dans l'imaginaire de la société
actuelle.
"Ainsi, ce qui est mis en question aujourd'hui c'est la croyance
absolue à la drogue telle quelle, comme instrument thérapeutique
par excellence de la psychopathologie dans la post-modernité.
Par croyance à la drogue, je veux dire ici, la certitude que
les scientistes dans le domaine de la psychopharmacologie et de la psychiatrie
clinique attribuent aux effets des médicaments, sans se pencher
suffisamment sur les fondements de l'expérience en question .
Je parle d'une croyance, car la rationalité attribuée
à cela n'est pas suffisante ; d'ailleurs on doit la mettre même
en question." (Birman, 2002 :49)
A partir de tout ce qui a été exposé auparavant,
cette recherche est un essai sur le rôle des médias sur
la construction et la diffusion des valeurs post-modernes en ce qui
concerne la représentation sociale et l'expression de la souffrance
psychique, ainsi que de l'analyse de leur influence sur la foule et
les comportements de consommation dans une société postindustrielle
et enfin sur les implications de ces procès dans le domaine de
la psychologie et de la psychanalyse.
Quelles conséquences les changements culturels déclenchent
dans la vie intérieure, dans les modes de subjectivation et dans
la conscience de l'homme contemporain ? Comment situer l'homme contemporain
du point de vue de son désir, de son mode de construction du
monde, de soi même et des autres ?
Comment la psychologie et la psychanalyse envisagent ces transformations
et comment elles se situent dans les domaine de ces discutions ? Quelles
sont les conséquences de ces nouvelles représentations
sociales pour la psychologie et pour la psychanalyse ?
II - FONDEMENTS THÉORIQUES
"La psychanalyse atteste un avancement de la civilisation sur
la barbarie . Elle reprend l'idée que l'homme devient libre par
sa parole et que son destin ne se restreint pas à son être
biologique . Alors, à l'avenir, elle doit conserver intègrement
sa place, à côté des autres sciences, afin de lutter
contre les prétentions obscurantistes qui désirent réduire
la pensée à un neurone ou confondre le désir avec
une sécrétion chimique". (Roudinesco, 2000 :09)
Freud (1930), dans son œuvre célèbre intitulée
"Le Malaise dans la Culture", reprend une problématique
peut-être aussi ancienne que la propre existence de l'humanité
: la recherche par l'homme du bonheur. L'auteur nous offre la base pour
définir la nature du malaise dans la société actuelle,
qui se configure autour du rapport entre le "moi" et la représentation
du bonheur, le but le plus évident de la pensée contemporaine
:
"On se tourne vers une question moins ambitieuse, celle qui fait
référence à ce que les hommes, par leur comportement,
montrent comme le but et l'intention de leurs vies . Qu'est-ce qu'il
demandent de la vie et qu'est-ce qu'il veulent en réaliser ?
La réponse ne peut pas provoquer de doutes . Ils s'efforcent
d'obtenir du bonheur ; ils veulent être heureux et y rester .
Cette entreprise présente deux aspects : un but positif et l'autre
négatif . D'un côté, l'entreprise vise à
l'obtention de l'absence de souffrance et de malaise ; d'autre part
elle vise à l'expérience d'intenses sentiments de plaisir.
Dans ce sens restreint, le mot "bonheur", n'a que des rapports
à ces derniers (...) Comme on peut voir, ce qui commande le but
de la vie c'est tout simplement le programme du principe du plaisir".
(Freud, 1997 : 23 et 24)
Les thèmes les plus importants de cette œuvre définissent
la structure morale dont la société moderne soutenait
ses bases et d'où venait le sentiment diffus du malaise : l'antagonisme
irrémédiable entre les exigences de la pulsion sexuelle
et les restrictions imposées par la civilisation ; les idéaux
modernes de beauté, de propreté et d'ordre, ainsi que
le sentiment de culpabilité qui, selon Freud, est le problème
le plus important dans le développement de la civilisation moderne
:
"Le principal aspect du livre peut s'exprimer par les mots de
Freud dans son intention de représenter le sentiment de culpabilité
comme le problème le plus important de l'évolution de
la culture et de transmettre l'idée dont le prix du progrès
de la civilisation est payé par la privation du bonheur à
travers le sentiment de culpabilité". (Jones, 1989 :338)
Si on analyse la société contemporaine à partir
des aspects présentés dans le texte de Freud, on peut
affirmer que la société actuelle nous offre de puissants
instruments qui visent à éliminer ou, au moins, à
réduire, chez le sujet, l'expérience de vivre des conflits
qui sont potentiellement de nature paradoxale et qui produisent des
sentiments de culpabilité, par conséquence, de malaise.
Ses instruments crées par la société actuelle agissent
soit en déplaçant la responsabilité de la transgression
de la Loi des sujets délinquants à la société
dans son ensemble, soit en remplaçant la question de la responsabilité
morale, dans plusieurs cas, à travers des mécanismes de
compensation financière .
"Il y a vraiment une industrie, bien diversifiée et chaque
fois plus globale, qui offre aux clients privés des artifices
de 'déparadoxification' qui évitent la tragédie.
(...) Nos sociétés ne deviennent-elles pas un meilleur
endroit pour vivre si on n'acceptait tout simplement pas la pensée
et la réalité des tragédies potentielles ou effectives
? (Gumbrecht, 2001 : 16 et 17)
Si on compare les modèles modernes de beauté, de propreté
et d'ordre à ceux proposés par la post-modernité,
on peut observer que "ça ne signifie pas que les idéaux
de beauté, de propreté et d'ordre qui ont conduit les
hommes et les femmes dans leur découverte moderne ont été
abandonné ou qu'ils ont perdu de leur éclat originel .
Cependant, maintenant, ils doivent être persécutés
- et aussi réalisés - spontanément, le désir
et l'effort individuels". (Bauman, 1998 :09)
Bauman affirme que la principale différence entre le malaise
dans la modernité et celui de la post-modernité se trouve
dans le fait que, dans le premier cas, il provenait de la supposée
sécurité proportionnée par la civilisation, en
faveur de la suppression des libertés individuelles et du sentiment
de culpabilité provoqué par la dimension tragique du désir
de transgression, en tant que, dans le deuxième cas, le malaise
provient d'une liberté qui admet la recherche du plaisir sans
l'expérience du sentiment de culpabilité. Cependant, la
société actuelle nous offre une illusion de sécurité
très faible, ce que produit dans le sujet contemporain une expérience
de rupture et de fragmentation.
En effet, l'une des caractéristiques les plus importantes de
la société moderne était la longévité
et la solidité de ses institutions, qui établissaient
de rigides systèmes de règles de conduite afin de régler
les activités les plus significatives de la vie du sujet ; par
contre, cette société offrait à ce sujet l'illusion
d'une stabilité, de sécurité et de protection offertes
par les institutions, ce qui évitait l'expérience d'être
désemparé .
Parmi les forces les plus puissantes de la modernité était
la croyance à la raison, c'est-à-dire, qu'à travers
la raison, les hommes pourraient transformer la nature et la société
vers une vie plus heureuse pour tous.
Différemment de la modernité, au moins en thèse,
la post-modernité offre une énorme ouverture de possibilités
existentielles, dont la direction et la spécificité du
chemin à suivre dépendent des compétences du sujet
à les établir et à les réaliser. Ainsi,
le sujet contemporain semble souffrir à cause des libertés
conquises et pour ne pas savoir comment il doit les utiliser d'une manière
satisfaisante. Cette "insoutenable légèreté
de l'être" contemporain lui provoque des sentiments de fragmentation
et d'instabilité car il n'a pas un modèle clair à
suivre ; la société postmoderne ne lui donne pas de définitions
précises car cette même société, elle-même,
est insoutenablement légère. Le rythme des transformations
des valeurs de la société contemporaine semble être
beaucoup plus rapide que la capacité de perception et d'adaptation
du sujet à ce contexte .
La qualité fragmentaire de l'expérience humaine dans
le monde actuel semble promouvoir l'appauvrissement des rapports sociaux.
On assiste aujourd'hui à un culte au narcissisme (Lasch, 1979),
conjugué à une supervalorisation de l'extériorité,
surtout par rapport aux multiples représentations divulguées
et renforcées par les médias quant aux modèles
de beauté, de compétences et de subjectivité, au
détriment de l'intériorité, de la réflexion
sur soi même :
" Dans les situations que je conçois comme "haute
modernité" ou "modernité tardive" - notre
monde d'aujourd'hui -, le "moi", comme les contextes institutionnels
plus larges où il existe, doit être construit de façon
réflexive". (Giddens, 2002 : 11)
Attaché à l'extériorité, exposé
à l'instabilité d'un monde qui change tout le temps et
esclave d'une époque caractérisée par le culte
du narcissisme et par la société du spectacle (Debord,
1992), le sujet contemporain cherche désespérément
des solutions imédiates et sans souffrance qui puissent éliminer
ou réduire son sentiment d'apathie, son manque d'identité
et de sens existentiel, reconnus aujourd'hui sous le nom de dépression
:
"À la veille du troisième millénaire, la
dépression devient l'épidemie psychique des sociétés
démocratiques ; en même temps on assiste à une multiplication
des traitements qui offrent à chaque consommateur une honorable
solution . Il est évident que l'hystérie n'a pas disparue,
mais chaque fois elle est vécue et traitée en plus comme
une dépression . Or, le remplacement d'un paradigme par un autre
n'est pas innocent" . (Roudinesco, 2000 :17)
La souffrance psychique, représentée comme produit des
dysfonctions neuro-hormonales par la psychiatrie biologique, efface
l'aspect essentiellement conflictuel et dramatique de la condition humaine,
c'est-à-dire le fait que l'homme est l'unique réalité
qui ne consiste pas tout simplement en un être mais qui doit choisir
la spécificité de son être et que ce choix peut
lui proportionner des épisodes de bonheur ou de malheur.
"Cette psychiatrie massifiante, diversement de la psychanalyse,
conçoit le sujet comme une modalité de fonctionnalité
biologique, c'est-à-dire qu'elle ne reconnaît ni la singularité
de l'individu qui souffre des "perturbations de l'esprit",
ni la "positivité symbolique du symptôme". (
Birman, 2002 :09)
Ce remplacement de paradigme, comme l'a bien signalé Roudinesco,
n'est pas innocent .
"La dernière décade du vingtième siècle
a été dédiée aux recherches sur le cerveau,
qui ont été transformées en choix politique par
le gouvernement des Etats Unis de l'ère Clinton, et qui a produit
des effets significatifs dans les recherches des autres pays (...) Tout
ce projet psychiatrique, en même temps épistémologique
et politique, constitue ce que j'ai nommé, dans un autre moment,
la psychopathologie de la post-modernité". (Birman, 2002
:48)
La psychopathologie postmoderne, de nature essentiellement massifiante,
refuse la dimension tragique du sujet et renvoie au second rang les
psychothérapies et la psychanalyse. D'ailleurs, cette dernière
tend à être abandonnée comme système théorique
pour comprendre le sujet et son malaise.
Le malaise dans la post-modernité semble être configuré
comme l`une des principales forces qui engendrent la consommation en
masse des médicaments . Ce procès de transformation du
sujet qui souffre dans un sujet consommateur passe, évidemment,
par la construction des représentations sociales sur le malaise
qui puissent engendrer une nouvelle conception de la subjectivité
où les origines de la souffrance psychique puissent être
attribuées à des dysfonctions biologiques.
Cependant, il semble que la psychiatrie biologique n'a ni les moyens
de dire exactement de quoi il s'agit dans la maladie mentale ni ne possède
de preuves irréfutables sur les origines causales de la dépression
. La grande majorité des psychiatres reconnaît que la psychiatrie
a des difficultés en ce qui concerne la détermination
de la nature de la dépression .
Malgré ce contexte, les médias jouent le rôle de
divulgation et de "démocratisation" de l'accès
de la population aux nouvelles découvertes de la psychiatrie
biologique. Mais la forme de divulgation de ces découvertes n'est
pas neutre ; elle vient accompagnée d'informations sur l'existence
de certaines pilules miraculeuses qui peuvent neutraliser ou réduire
les effets négatifs de la condition humaine .
Évidemment, les pratiques psychothérapeutiques ne peuvent
pas ignorer les découvertes réalisées par les neurosciences
et les effets de la psychopharmacologie dans le soulagement de la souffrance
psychique . Mais on ne peut pas aussi ignorer la force de l'industrie
pharmaceutique et ses intérêts technocapitalistes !
" Il y a une culture véhiculée par les médias
dont les images, les sons et les spectacles aident à ourdir le
tissu de la vie quotidienne, en dominant le temps de loisir, en modelant
les opinions politiques et les comportements sociaux, en fournissant
le matériel avec lequel les gens forgent leur identité
. La radio, la télévision, le cinéma et les autres
produits de l'industrie culturelle fournissent les modèles de
ce qui signifie être homme ou femme, (...) La culture véhiculée
par les médias fournit le matériel dont on construit les
identités et dont les individus se sont insérés
dans les sociétés technocapitalistes contemporaines en
produisant une nouvelle forme de culture globale". (Kellner, 1998
:09)
Le procès de mercantilisation des médias est évident
dans son intérêt à transformer le spectateur en
consommateur . Devant ce panorama, le sujet vit le sentiment de rupture
et de fragmentation : il n'est jamais bon suffisamment, car il ne possède
pas telle voiture ; il n'est pas un client spécial d'une certaine
banque ; il ne s'habille pas en portant une certaine étiquette
; il n'est pas le consommateur d'une certaine marque de boisson....
"Une grande partie des messages des médias base son potentiel
socialisateur dans l'usage des mécanismes de séduction
. Ils n'ont pas l'intention de convaincre, mais de séduire".
(Ferrés, 1998 :65)
En considérant que la société contemporaine est
marquée par le culte de l'image et du spectacle et que la satisfaction
immédiate et sans sacrifice est une valeur dominante, les mécanismes
de séduction médiatique accordent un privilège
aux modèles imagétiques comme des modélateurs du
comportement de consommation . A la recherche de la sensation instantanée
de plaisir, les sujets recourent à des solutions "miraculeuses",
dont les conséquences tendent à ne pas être considérées.
Le langage des médias est toujours très simple et les
contenus plus profonds sont épurés et présentés
d'une manière panoramique . De cette façon, le spectateur/consommateur
n'a ni le travail de penser ni celui de réfléchir sur
les informations reçues ; il reste emprisonné par la fascination
que les images produisent .
"Dans la communication de masse, l'omniprésence des médias,
l'inondation des images (la télévision, les ordinateurs,
la publicité, etc.) et l'intégration entre la vidéo,
le son et les informations ont surmonté la culture littéraire
qui prédominait auparavant. (...) Des langages esthétiques,
chaque fois plus raffinés, atteignent des dimensions de l'existence
des individus qui n'étaient pas colonisés auparavant par
l'univers des marchandises, en exploitant les registres symboliques
et les investissements libidinaux autour de la consommation des produits".
(Fridman, 2000 :16)
Le marxiste américain Fredric Jameson considère comme
des synonymes les expressions "post-modernité" et "capitalisme
des médias", c'est-à-dire, la transformation des
objets de tous types en marchandises . Cette transformation a comme
but la production des vies dédiées à la consommation
et au plaisir. C'est cet homme-consommateur, obligé à
jouir et à être heureux, soumis à la logique de
la société de consommation, qui est ainsi à l'étude
.
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Marília Dantas
La page d'origine : http://www.eg-psychiatrie.com/imprimer.php3?id_article=184
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