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MALAISE DANS LA SOCIÉTÉ ACTUELLE : LE RÔLE DES MÉDIAS
LE RÔLE DES MÉDIAS DANS LA CONSTRUCTION DE NOUVELLES MODALITÉS DE REPRÉSENTATION SOCIALE ET D'EXPRESSION DE LA SOUFFRANCE PSYCHIQUE ET SES IMPLICATIONS DANS LE DOMAINE DE LA PSYCHOLOGIE ET DE LA PSYCHANALYSE
par Marília Dantas


Les Etats Généraux de la Psychaitrie
Montpellier 5, 6 et 7 juin 2003

MALAISE DANS LA SOCIÉTÉ ACTUELLE : LE RÔLE DES MÉDIAS

LE RÔLE DES MÉDIAS DANS LA CONSTRUCTION DE NOUVELLES MODALITÉS DE REPRÉSENTATION SOCIALE ET D'EXPRESSION DE LA SOUFFRANCE PSYCHIQUE ET SES IMPLICATIONS DANS LE DOMAINE DE LA PSYCHOLOGIE ET DE LA PSYCHANALYSE

25 avril 2003

par Marília Dantas

Pour rendre compte de ce que le malaise actuel n'est pas limité à la France, nous publions un texte de Madame Marília Dantas, Professeure de psychologie à Rio De Janeiro, expliquant les conditions de sa recherche actuelle dans une ville que l'on sait marquée par la violence


« Où sont elles allées, les hystériques, ces femmes merveilleuses, les Anna O, les Doras,... toutes les femmes qui sont devenues les figures matricielles de notre psychanalyse ? » (Nasio, 1991 :09)


I - Un malaise :

Ma recherche actuelle est d'élaborer une cartographie du malaise dans la société actuelle, plus précisément du rôle des médias dans la construction des nouvelles modalités de représentation sociale et d'expression de la souffrance psychique, ainsi que d'analyser les implications de ce phénomène sur les actuelles discussions en psychologie et en psychanalyse.

Comme professeur responsable de la coordination du Cours de Post-Graduation en Psychologie des Organisations de la Faculté de Psychologie de l'Université Catholique de Petrópolis à Rio de Janeiro, ainsi que comme professionnelle de pratique clinique en cabinet de consultation privé, j'ai la chance d'observer attentivement la controverse à l'oeuvre parmi les diverses matrices de la pensée qui soutiennent la constitution de la science psychologique .

D'un côté, il s'agit d'un modèle de psychologie qui se prétend "scientifique", qui n'est ni spéculative, ni historique et qui a une forte tendance à s'appuyer sur la biologie . D'autre part, on trouve des systèmes et des théories psychologiques qui prennent leur inspiration dans un modèle "romantique", dont la spécificité du sujet est reconnue et soulignée :

"On trouve, d'un côté, des écoles et des mouvements qui ont été créés par des matrices scientistes, dont la spécificité de l'objet ( la vie subjective et la singularité de l'individu) tend à ne pas être considérée, en faveur d'une imitation plus ou moins bien réussie et convaincante des modèles en vigueur dans les sciences naturelles. En suivant cette ligne, quand la psychologie surmonte le niveau de l'imitation formelle et caricaturale, c'est pour s'annuler comme science indépendante et pour s'affirmer comme une discipline biologique .
Parallèlement, on trouve les écoles et les mouvements créés par des matrices "romantiques" et "post-romantiques". Ici, on reconnaît et on souligne la spécificité de l'objet (les actes et les expériences d'un sujet, doués d'une valeur et d'une signification pour lui ) et on revendique une totale indépendance de la psychologie devant les autres sciences". (Figueiredo, 2000 :26 et 27)

La divergence entre les deux principaux groupes de matrices psychologiques démontre les différentes représentations de l'objet propre de la psychologie et aussi en ce qui concerne la subjectivité .

En ce moment, cette question est encore polémique dans l'académie, où l'on observe fréquemment un certain malaise parmi les élèves qui se sentent souvent perdus, ne sachant pas comment s'orienter devant cette divergence et ne sachant pas quelles représentations adopter pendant leur formation . Ce malaise apparaît aussi dans la société qui demande l'aide d'un professionnel et qui ne sait pas très bien, en fin de compte, quel est le rôle du psychologue.

Parallèlement à ce débat, on observe que le monde, en ce moment, passe par de grandes transformations en ce qui concerne ses idéaux et ses coutumes . On assiste à une période de coexistence - parfois bouleversante - entre deux grands systèmes de représentations : les paradigmes et les valeurs "modernes" et ceux caractéristique de la "post-modernité".

Ces changements dans le champ des institutions, on le sait, engendrent la construction d'un nouvel ordre de la perception, de la cognition, ce qui provoque l'apparition de nouvelles formes narratives sur la conception de l'homme, sur la condition humaine et la subjectivité .

Créée pendant les années 50, la post-modernité a surgi dans la scène mondiale à partir des années 60, avec le développement de la culture de masse, de la télévision, du rock, de la pilule, de la minijupe, du mouvement féministe, de la consommation de masse, du néolibéralisme, de la mondialisation, etc.

La caractérisation de la post-modernité a surgi à partir d'un débat à propos de la culture - le cinéma, la musique, la peinture et l'architecture - et s'est étendue dans la sphère de la philosophie, de l'économie, de l'anthropologie, de la sociologie et de la psychanalyse.

"Le déclin de la sphère publique et de la politique dans le modèle consacré, la crise écologique, les tribalismes, l'expansion des fondamentalismes, les nouvelles formes d'identité sociale et les conséquences de l'informatisation sur la production matérielle et sur le quotidien ont engendré la discussion sur la pluralité et la fragmentation postmoderne". (Fridman, 2000 :14)

En même temps et en conséquence de ces transformations, on assiste à une augmentation du scepticisme en général par rapport aux grandes institutions et aux idéologies qui orientaient la société moderne.

Dans la post-modernité, ce qui prévaut, c'est la représentation d'une individualité prétendument libérée des valeurs traditionnelles engendrées par la modernité :
"Dans l'époque postmoderne, on distingue une valeur principale, inaccessible et indiscutable à travers ses multiples manifestations : l'individu et son droit chaque fois plus proclamé de se réaliser à part, d'être libre, au fur et à mesure que les techniques de contrôle social appliquent des dispositifs chaque fois plus raffinés et "humains". (Lipovestsky, 1983 :13)

La tendance à se présenter comme une époque où l'on cherche à vivre selon le culte de la spontanéité - c'est-à-dire une culture qui renforce le sujet à "être vraiment soi même", à sentir et à s'exprimer librement, à s'émanciper des rôles sociaux rigides, qui donne la douce illusion d'une liberté individuelle presque souveraine - se compare avec le modèle moderne de civilisation, engendré à partir de la renonciation aux pulsions et à l'imposition de grands sacrifices à la sexualité et à l'agressivité de l'homme et de la recherche d'une sécurité illusoire offerte par la civilisation.

Cependant, on voit que le modèle du sujet de la contemporainéité qui semble prévaloir n'est pas celui qui produit un sujet heureux et bien installé dans la vie, mais on perçoit, en général, un modèle de sujet qui n'a ni projets, ni idéaux, sauf le désir de consommer ; c'est-à-dire un sujet qui fait le culte à son propre image et qui ne veut que de la satisfaction immédiate et sans souffrance ; un sujet qui se sent vide et qui se sent incapable de conférer un sens à son existence et de surmonter sa condition de vivre le malaise .

"L'éclaircissement des causes sociales de l'anxiété d'aujourd'hui ne tient pas son origine d'un source unique . Il peut être cherché dans l'investigation de la culture, du travail, de la mondialisation ou de la constitution de l'ordre postmoderne . En ce moment, le manque de sécurité, la peur et la fragilité des rapports parmi les individus attestent les difficultés de construction de l'identité dans un monde marqué par la pluralité et par les changements significatifs dans l'institutionnalité". (Fridman, 2000 :63)

Si on examine les récentes publications sur les recherches scientifiques dans les champs de la médecine, de la psychologie et de la psychanalyse, on constate qu'un même thème apparaît sous la forme actuelle de représentation sociale et d'expression de la souffrance psychique : la dépression.

"La souffrance psychique se manifeste aujourd'hui sous la forme de dépression. Atteint dans le corps et dans l 'âme par cette étrange syndrome où se sont mélangées la tristesse et l'apathie, la recherche de l'identité et le culte à soi même, l'homme déprimé ne croit plus à la validité d'aucune thérapie . Et pourtant, avant de refuser tous les moyens de traitement, il cherche désespérément à vaincre le vide de son désir. C'est pour cela qu'il passe de la psychanalyse à la psychopharmacologie et de la psychothérapie à l'homéopathie, sans se rendre compte de l'origine de son malheur". ( Roudinesco, 2000 :13)

La dépression est certainement la représentation sociale par excellence du malaise contemporain . On constate son "existence" manifeste ou latente dans la tristesse, dans le stress, dans la crise de panique, dans la phobie sociale, dans les compulsions en général, telles que la toxicomanie, l'anorexie et la boulimie, parmi d'autres formes d'expression de la souffrance psychique.

Devant cette configuration, quelle orientation théorico-professionelle le psychologue doit-il adopter ? Doit-on concevoir la dépression comme la représentation et l'expression de la souffrance psychique, dont les racines se trouvent dans des dysfonctions hormonales ou doit-on la concevoir comme un ensemble de symptômes contextualisés dans la post-modernité et indicateurs du drame propre à la condition humaine ?

La consolidation, chaque fois plus impérieuse, des savoirs produits par la psychiatrie biologique, par les neurosciences et par la génétique, qui ont transformés les représentations sociales sur le psychisme et qui mettent l'accent sur les métaphores de l'homme-information (software/hardware) au détriment de la conception de "l'homme désirant", semblent provoquer un changement radical sur la spécificité de la représentation sociale de la souffrance psychique dans la société actuelle.

Ce modèle de l'homme "post-humain", renforcé par les médias et parfaitement adapté aux intérêts d'une industrie culturelle, qui se soutient à partir de la massification et de la consommation de ses produits et de ses images, dans l'illusion d'un bonheur immédiat et sans effort, semble être consolidé définitivement dans l'imaginaire de la société actuelle.

"Ainsi, ce qui est mis en question aujourd'hui c'est la croyance absolue à la drogue telle quelle, comme instrument thérapeutique par excellence de la psychopathologie dans la post-modernité. Par croyance à la drogue, je veux dire ici, la certitude que les scientistes dans le domaine de la psychopharmacologie et de la psychiatrie clinique attribuent aux effets des médicaments, sans se pencher suffisamment sur les fondements de l'expérience en question . Je parle d'une croyance, car la rationalité attribuée à cela n'est pas suffisante ; d'ailleurs on doit la mettre même en question." (Birman, 2002 :49)

A partir de tout ce qui a été exposé auparavant, cette recherche est un essai sur le rôle des médias sur la construction et la diffusion des valeurs post-modernes en ce qui concerne la représentation sociale et l'expression de la souffrance psychique, ainsi que de l'analyse de leur influence sur la foule et les comportements de consommation dans une société postindustrielle et enfin sur les implications de ces procès dans le domaine de la psychologie et de la psychanalyse.

Quelles conséquences les changements culturels déclenchent dans la vie intérieure, dans les modes de subjectivation et dans la conscience de l'homme contemporain ? Comment situer l'homme contemporain du point de vue de son désir, de son mode de construction du monde, de soi même et des autres ?

Comment la psychologie et la psychanalyse envisagent ces transformations et comment elles se situent dans les domaine de ces discutions ? Quelles sont les conséquences de ces nouvelles représentations sociales pour la psychologie et pour la psychanalyse ?



II - FONDEMENTS THÉORIQUES

"La psychanalyse atteste un avancement de la civilisation sur la barbarie . Elle reprend l'idée que l'homme devient libre par sa parole et que son destin ne se restreint pas à son être biologique . Alors, à l'avenir, elle doit conserver intègrement sa place, à côté des autres sciences, afin de lutter contre les prétentions obscurantistes qui désirent réduire la pensée à un neurone ou confondre le désir avec une sécrétion chimique". (Roudinesco, 2000 :09)

Freud (1930), dans son œuvre célèbre intitulée "Le Malaise dans la Culture", reprend une problématique peut-être aussi ancienne que la propre existence de l'humanité : la recherche par l'homme du bonheur. L'auteur nous offre la base pour définir la nature du malaise dans la société actuelle, qui se configure autour du rapport entre le "moi" et la représentation du bonheur, le but le plus évident de la pensée contemporaine :

"On se tourne vers une question moins ambitieuse, celle qui fait référence à ce que les hommes, par leur comportement, montrent comme le but et l'intention de leurs vies . Qu'est-ce qu'il demandent de la vie et qu'est-ce qu'il veulent en réaliser ? La réponse ne peut pas provoquer de doutes . Ils s'efforcent d'obtenir du bonheur ; ils veulent être heureux et y rester . Cette entreprise présente deux aspects : un but positif et l'autre négatif . D'un côté, l'entreprise vise à l'obtention de l'absence de souffrance et de malaise ; d'autre part elle vise à l'expérience d'intenses sentiments de plaisir. Dans ce sens restreint, le mot "bonheur", n'a que des rapports à ces derniers (...) Comme on peut voir, ce qui commande le but de la vie c'est tout simplement le programme du principe du plaisir". (Freud, 1997 : 23 et 24)

Les thèmes les plus importants de cette œuvre définissent la structure morale dont la société moderne soutenait ses bases et d'où venait le sentiment diffus du malaise : l'antagonisme irrémédiable entre les exigences de la pulsion sexuelle et les restrictions imposées par la civilisation ; les idéaux modernes de beauté, de propreté et d'ordre, ainsi que le sentiment de culpabilité qui, selon Freud, est le problème le plus important dans le développement de la civilisation moderne :

"Le principal aspect du livre peut s'exprimer par les mots de Freud dans son intention de représenter le sentiment de culpabilité comme le problème le plus important de l'évolution de la culture et de transmettre l'idée dont le prix du progrès de la civilisation est payé par la privation du bonheur à travers le sentiment de culpabilité". (Jones, 1989 :338)

Si on analyse la société contemporaine à partir des aspects présentés dans le texte de Freud, on peut affirmer que la société actuelle nous offre de puissants instruments qui visent à éliminer ou, au moins, à réduire, chez le sujet, l'expérience de vivre des conflits qui sont potentiellement de nature paradoxale et qui produisent des sentiments de culpabilité, par conséquence, de malaise. Ses instruments crées par la société actuelle agissent soit en déplaçant la responsabilité de la transgression de la Loi des sujets délinquants à la société dans son ensemble, soit en remplaçant la question de la responsabilité morale, dans plusieurs cas, à travers des mécanismes de compensation financière .

"Il y a vraiment une industrie, bien diversifiée et chaque fois plus globale, qui offre aux clients privés des artifices de 'déparadoxification' qui évitent la tragédie. (...) Nos sociétés ne deviennent-elles pas un meilleur endroit pour vivre si on n'acceptait tout simplement pas la pensée et la réalité des tragédies potentielles ou effectives ? (Gumbrecht, 2001 : 16 et 17)

Si on compare les modèles modernes de beauté, de propreté et d'ordre à ceux proposés par la post-modernité, on peut observer que "ça ne signifie pas que les idéaux de beauté, de propreté et d'ordre qui ont conduit les hommes et les femmes dans leur découverte moderne ont été abandonné ou qu'ils ont perdu de leur éclat originel . Cependant, maintenant, ils doivent être persécutés - et aussi réalisés - spontanément, le désir et l'effort individuels". (Bauman, 1998 :09)

Bauman affirme que la principale différence entre le malaise dans la modernité et celui de la post-modernité se trouve dans le fait que, dans le premier cas, il provenait de la supposée sécurité proportionnée par la civilisation, en faveur de la suppression des libertés individuelles et du sentiment de culpabilité provoqué par la dimension tragique du désir de transgression, en tant que, dans le deuxième cas, le malaise provient d'une liberté qui admet la recherche du plaisir sans l'expérience du sentiment de culpabilité. Cependant, la société actuelle nous offre une illusion de sécurité très faible, ce que produit dans le sujet contemporain une expérience de rupture et de fragmentation.

En effet, l'une des caractéristiques les plus importantes de la société moderne était la longévité et la solidité de ses institutions, qui établissaient de rigides systèmes de règles de conduite afin de régler les activités les plus significatives de la vie du sujet ; par contre, cette société offrait à ce sujet l'illusion d'une stabilité, de sécurité et de protection offertes par les institutions, ce qui évitait l'expérience d'être désemparé .

Parmi les forces les plus puissantes de la modernité était la croyance à la raison, c'est-à-dire, qu'à travers la raison, les hommes pourraient transformer la nature et la société vers une vie plus heureuse pour tous.

Différemment de la modernité, au moins en thèse, la post-modernité offre une énorme ouverture de possibilités existentielles, dont la direction et la spécificité du chemin à suivre dépendent des compétences du sujet à les établir et à les réaliser. Ainsi, le sujet contemporain semble souffrir à cause des libertés conquises et pour ne pas savoir comment il doit les utiliser d'une manière satisfaisante. Cette "insoutenable légèreté de l'être" contemporain lui provoque des sentiments de fragmentation et d'instabilité car il n'a pas un modèle clair à suivre ; la société postmoderne ne lui donne pas de définitions précises car cette même société, elle-même, est insoutenablement légère. Le rythme des transformations des valeurs de la société contemporaine semble être beaucoup plus rapide que la capacité de perception et d'adaptation du sujet à ce contexte .

La qualité fragmentaire de l'expérience humaine dans le monde actuel semble promouvoir l'appauvrissement des rapports sociaux. On assiste aujourd'hui à un culte au narcissisme (Lasch, 1979), conjugué à une supervalorisation de l'extériorité, surtout par rapport aux multiples représentations divulguées et renforcées par les médias quant aux modèles de beauté, de compétences et de subjectivité, au détriment de l'intériorité, de la réflexion sur soi même :

" Dans les situations que je conçois comme "haute modernité" ou "modernité tardive" - notre monde d'aujourd'hui -, le "moi", comme les contextes institutionnels plus larges où il existe, doit être construit de façon réflexive". (Giddens, 2002 : 11)

Attaché à l'extériorité, exposé à l'instabilité d'un monde qui change tout le temps et esclave d'une époque caractérisée par le culte du narcissisme et par la société du spectacle (Debord, 1992), le sujet contemporain cherche désespérément des solutions imédiates et sans souffrance qui puissent éliminer ou réduire son sentiment d'apathie, son manque d'identité et de sens existentiel, reconnus aujourd'hui sous le nom de dépression :

"À la veille du troisième millénaire, la dépression devient l'épidemie psychique des sociétés démocratiques ; en même temps on assiste à une multiplication des traitements qui offrent à chaque consommateur une honorable solution . Il est évident que l'hystérie n'a pas disparue, mais chaque fois elle est vécue et traitée en plus comme une dépression . Or, le remplacement d'un paradigme par un autre n'est pas innocent" . (Roudinesco, 2000 :17)

La souffrance psychique, représentée comme produit des dysfonctions neuro-hormonales par la psychiatrie biologique, efface l'aspect essentiellement conflictuel et dramatique de la condition humaine, c'est-à-dire le fait que l'homme est l'unique réalité qui ne consiste pas tout simplement en un être mais qui doit choisir la spécificité de son être et que ce choix peut lui proportionner des épisodes de bonheur ou de malheur.

"Cette psychiatrie massifiante, diversement de la psychanalyse, conçoit le sujet comme une modalité de fonctionnalité biologique, c'est-à-dire qu'elle ne reconnaît ni la singularité de l'individu qui souffre des "perturbations de l'esprit", ni la "positivité symbolique du symptôme". ( Birman, 2002 :09)

Ce remplacement de paradigme, comme l'a bien signalé Roudinesco, n'est pas innocent .

"La dernière décade du vingtième siècle a été dédiée aux recherches sur le cerveau, qui ont été transformées en choix politique par le gouvernement des Etats Unis de l'ère Clinton, et qui a produit des effets significatifs dans les recherches des autres pays (...) Tout ce projet psychiatrique, en même temps épistémologique et politique, constitue ce que j'ai nommé, dans un autre moment, la psychopathologie de la post-modernité". (Birman, 2002 :48)

La psychopathologie postmoderne, de nature essentiellement massifiante, refuse la dimension tragique du sujet et renvoie au second rang les psychothérapies et la psychanalyse. D'ailleurs, cette dernière tend à être abandonnée comme système théorique pour comprendre le sujet et son malaise.

Le malaise dans la post-modernité semble être configuré comme l`une des principales forces qui engendrent la consommation en masse des médicaments . Ce procès de transformation du sujet qui souffre dans un sujet consommateur passe, évidemment, par la construction des représentations sociales sur le malaise qui puissent engendrer une nouvelle conception de la subjectivité où les origines de la souffrance psychique puissent être attribuées à des dysfonctions biologiques.

Cependant, il semble que la psychiatrie biologique n'a ni les moyens de dire exactement de quoi il s'agit dans la maladie mentale ni ne possède de preuves irréfutables sur les origines causales de la dépression . La grande majorité des psychiatres reconnaît que la psychiatrie a des difficultés en ce qui concerne la détermination de la nature de la dépression .

Malgré ce contexte, les médias jouent le rôle de divulgation et de "démocratisation" de l'accès de la population aux nouvelles découvertes de la psychiatrie biologique. Mais la forme de divulgation de ces découvertes n'est pas neutre ; elle vient accompagnée d'informations sur l'existence de certaines pilules miraculeuses qui peuvent neutraliser ou réduire les effets négatifs de la condition humaine .

Évidemment, les pratiques psychothérapeutiques ne peuvent pas ignorer les découvertes réalisées par les neurosciences et les effets de la psychopharmacologie dans le soulagement de la souffrance psychique . Mais on ne peut pas aussi ignorer la force de l'industrie pharmaceutique et ses intérêts technocapitalistes !

" Il y a une culture véhiculée par les médias dont les images, les sons et les spectacles aident à ourdir le tissu de la vie quotidienne, en dominant le temps de loisir, en modelant les opinions politiques et les comportements sociaux, en fournissant le matériel avec lequel les gens forgent leur identité . La radio, la télévision, le cinéma et les autres produits de l'industrie culturelle fournissent les modèles de ce qui signifie être homme ou femme, (...) La culture véhiculée par les médias fournit le matériel dont on construit les identités et dont les individus se sont insérés dans les sociétés technocapitalistes contemporaines en produisant une nouvelle forme de culture globale". (Kellner, 1998 :09)

Le procès de mercantilisation des médias est évident dans son intérêt à transformer le spectateur en consommateur . Devant ce panorama, le sujet vit le sentiment de rupture et de fragmentation : il n'est jamais bon suffisamment, car il ne possède pas telle voiture ; il n'est pas un client spécial d'une certaine banque ; il ne s'habille pas en portant une certaine étiquette ; il n'est pas le consommateur d'une certaine marque de boisson.... "Une grande partie des messages des médias base son potentiel socialisateur dans l'usage des mécanismes de séduction . Ils n'ont pas l'intention de convaincre, mais de séduire". (Ferrés, 1998 :65)

En considérant que la société contemporaine est marquée par le culte de l'image et du spectacle et que la satisfaction immédiate et sans sacrifice est une valeur dominante, les mécanismes de séduction médiatique accordent un privilège aux modèles imagétiques comme des modélateurs du comportement de consommation . A la recherche de la sensation instantanée de plaisir, les sujets recourent à des solutions "miraculeuses", dont les conséquences tendent à ne pas être considérées.

Le langage des médias est toujours très simple et les contenus plus profonds sont épurés et présentés d'une manière panoramique . De cette façon, le spectateur/consommateur n'a ni le travail de penser ni celui de réfléchir sur les informations reçues ; il reste emprisonné par la fascination que les images produisent .

"Dans la communication de masse, l'omniprésence des médias, l'inondation des images (la télévision, les ordinateurs, la publicité, etc.) et l'intégration entre la vidéo, le son et les informations ont surmonté la culture littéraire qui prédominait auparavant. (...) Des langages esthétiques, chaque fois plus raffinés, atteignent des dimensions de l'existence des individus qui n'étaient pas colonisés auparavant par l'univers des marchandises, en exploitant les registres symboliques et les investissements libidinaux autour de la consommation des produits". (Fridman, 2000 :16)

Le marxiste américain Fredric Jameson considère comme des synonymes les expressions "post-modernité" et "capitalisme des médias", c'est-à-dire, la transformation des objets de tous types en marchandises . Cette transformation a comme but la production des vies dédiées à la consommation et au plaisir. C'est cet homme-consommateur, obligé à jouir et à être heureux, soumis à la logique de la société de consommation, qui est ainsi à l'étude .


RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES


- BAUMANN, Z. - o Mal-Estar da Pós-Modernidade. Rio de Janeiro, Jorge Zahar Editor, 1998.
- BIRMAN, J. - Relançando os Dados : A psicopatologia da Pós-Modernidade, Novamente. In : O (Im)possível Diálogo Psicanálise/Psiquiatria. São Paulo, Via Lettera Editora e Livraria Ltda., 2002.
- DEBORD, G. - La Société du Spectacle. Paris, Gallimard, 1992.
- FERRÉS, J. - Televisão Subliminar : Socializando Através de Comunicações Despercebidas. Porto Alegre, Atmed,1998.
- FIGUEIREDO, L.C. - Matrizes do Pensamento Psicológico. Petrópolis, Ed. Vozes, 2000.
- FREUD, S. - O Mal-Estar na Civilização. Rio de Janeiro, Imago Editora Ltda., 1997.
- FRIDMAN, L.C. - Vertigens Pós-Modernas. Configurações Institucionais Contemporâneas. Rio de Janeiro, Relume Dumará, 2000.
- GUMBRECHT, H. U. - Filosofia e Literatura : O Trágico. Rio de Janeiro, Jorge Zahar Editor, 2001.
- JONES, E. - Vida e Obra de Sigmund Freud. Vol. III. Rio de Janeiro, Editora Guanabara S.A, 1979.
- KELLNER, D. - A Cultura da Mídia. São Paulo, Edusc, 2000.
- LASCH, C. - The Culture of Narcissism. New York, Warner, 1979.
- LIPOVETSKY, G. - A Era do Vazio. Lisboa, Relógio d'Água Editores Ltda, 1999.
- NASIO, J-D. - A Histeria : A Histeria e a Clínica Psicanalítica. Rio de Janeiro, Jorge Zahar Editor, 1991.
- ROUDINESCO, E. - Por que a Psicanálise ? Rio de Janeiro, Jorge Zahar Editor, 2000

Marília Dantas


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