Origine : http://www.millebabords.org/article.php3?id_article=595
ou http://hns-info.net/article.php3?id_article=3596
Vingt-six ans que ça dure, vingt-six ans qu’à
la même période, le silence se fait pesant, la colère
diffuse mais toujours assourdie. En cette fin d’année
2003, nous risquons une fois encore de crier. dans le désert.
Hurler contre « la horde sauvage » ne changera sans
doute rien pour les populations des pays traversés mais se
taire serait une faute.
Pour dénoncer l’utilisation, comme terre de compétition
sportive, d’un continent meurtri par le SIDA, la disette et
le surendettement, il y a chaque année depuis un quart de
siècle quelques coups de gueule, mais toutes les voix de
la révolte sont vite étouffées ou censurées
pour des raisons simples : d’une part, l’unique quotidien
sportif et la télévision dite de service public sont
les principaux metteurs en scène de la course ; d’autre
part, l’indifférence au mal semble malheureusement
gagner toujours davantage du terrain.
En 1988 René Dumont déclarait : "Ce rallye est
indécent. Je compare cela à une bande de fêtards
qui organisent un banquet mais pas chez eux, et qui entrent chez
un pauvre pour ripailler sans l’inviter à partager
(...). La vraie aventure c’est la lutte contre la faim".
Le cri du célèbre agronome se perdit dans les sables.
Les gouvernements de la vraie droite et de la fausse gauche, et
beaucoup de militants pro-sportifs (y compris ceux des droits de
l’homme) n’ont jamais jugé bon de dénoncer
clairement et sans détour cette escapade de négriers.
On a tout dit et tout entendu sur le (Paris)-Dakar rebaptisé
un temps Total-Dakar (au moment de l’Erika et de l’explosion
de l’usine AZF !) puis Telefonica Dakar depuis 2003 afin de
saluer l’arrivée du sponsor principal, la grande entreprise
de téléphonie espagnole à la recherche permanente
et boulimique de nouveaux marchés.
Tout dit sur cette course à la rentabilité, marquée
par des exploits macabres (combien de morts au total ?), sur cet
indécent étalage de luxe au pays de la pauvreté
absolue. L’aventure programmée et sponsorisée
du Dakar illustre parfaitement l’insolence du "capitalisme
en actes".
Tout entendu aussi sur l’alibi humanitaire, comme si le passage
d’une caravane bruyante et l’exposition d’un capital
rutilant était un moyen sérieux et digne de lutte
contre la misère et le sous-développement. L’oubli
de la dimension symbolique de l’épreuve ajoute au cynisme
de la pseudo-aventure.
Chaque année, les déclarations navrantes des responsables
("Nous ne faisons pas de politique"), les réactions
triviales des pilotes (« Nous on est au volant en ne pensant
qu’au sport et à la compétition ») et
les enthousiasmes déplacés d’un Gérard
Holtz tout droit sorti du Téléthon, occultent la réalité
des terres que le Dakar va, une fois encore, traverser à
pleine vitesse. Après un départ à Clermont
Ferrand le 1er janvier 2004, la caravane passera en Espagne, parrainage
oblige, puis débarquera au Maroc avant de parcourir les pistes
de la Mauritanie, du Mali, du Burkina-Faso et du Sénégal.
A 200 km/h, les pilotes auront des choses bien plus dignes et plus
importantes à faire (réparer leur moteur, sortir la
moto des sables, etc.) que de s’occuper de la situation politique,
économique et sociale des « pays conquis ».
L’invraisemblable déploiement de moyens matériels,
financiers et humains, bref toute cette énergie gaspillée
pour continuer à "faire joujou" alors qu’elle
pourrait être mise au service d’une noble cause, ajoute
à l’obscénité d’une épreuve
dont il faut exiger la suppression. S’il y a encore des forces
capables de s’indigner dans la France d’aujourd’hui,
si les militants progressistes jugent déshonorant de cautionner
en silence ce rodéo publicitaire sur le continent de la pauvreté,
qu’ils ne tardent plus à faire signe et à se
dresser.
Mouvement Critique du Sport
E-Mail : critique.sport
(at) libertysurf.fr
téléphone : 02.38.42.00.08
adresse : 58, rue de la Bretonnerie, 45 000 Orléans.
[1] Michel Caillat est l’auteur de Le Sport (Collection Idées
reçues, Editions Cavalier Bleu, 2002), membre du Mouvement
Critique du Sport (toute réaction est à envoyer à
critique.sport@libertysurf.fr).
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