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Origine : http://www.raison-publique.fr/article453.html
Introduction
Les discours managériaux évoquent souvent une entreprise
qui se doit d’être optimale, dont l’efficacité
n’a d’égale que le culte de la performance qu’elle
véhicule, développe et tente de mettre en application
à chaque instant [1]. Si ces discours entendaient dans un
premier temps se limiter aux entreprises privées –
érigées en modèles d’efficacité,
d’autonomie et de performance – nous pouvons constater
qu’ils souhaitent étendre leur dimension normative
à l’ensemble des organisations [2], considérant
alors que toute organisation non entrepreneuriale symbolise des
dysfonctionnements inadmissibles dans nos sociétés
modernes. Le Nouveau Management Public, dont la Lolf [3] reprend
en France les principaux éléments, prétend
donner naissance à une nouvelle organisation dite «
post-bureaucratique » et invoque les techniques de management
associées à la performance de l’Etat. Il entend
donc étendre les normes managériales au-delà
de la sphère de l’entreprise et leur permettre de pénétrer
ainsi un lieu qui lui semblait à jamais interdit : les organisations
publiques. Il semble aisé de relier ce nouveau management
public à l’utilitarisme en raison de la convergence
des champs lexicaux utilisés : efficacité, maximisation,
bonheur et contrôle font office chez l’un de management
et chez l’autre de doctrine philosophique. Or un tel rapprochement
ne peut manquer de susciter plusieurs types d’interrogation.
La première, et peut-être la plus évidente,
consisterait à savoir s’il existe réellement
une corrélation entre utilitarisme et nouveau management
public ou, plus précisément, s’il existe un
quelconque fondement utilitariste à un tel discours managérial.
La deuxième tenterait de comprendre si l’utilitarisme
en tant que tel et spécifiquement est en mesure de proposer
une théorie du management public. La dernière, si
l’on devait admettre qu’il existe un management public
utilitariste, serait de définir quel principe guiderait une
telle théorie : reposerait-elle entièrement et uniquement
sur le principe d’utilité ?
Le propos de cet article est de tenter de répondre à
ces questions dans le cadre de la pensée de Jeremy Bentham
– considéré comme le fondateur de l’utilitarisme
classique – qui est probablement la première à
avoir systématisé, ou tenté de systématiser,
l’application du principe d’utilité à
l’ensemble des champs de la pensée et de l’action.
La démarche philosophique qu’il développe se
caractérise ainsi par une volonté et une tentative
d’élaborer un utilitarisme qui pourrait s’appliquer
au-delà de la sphère éthique ou morale en développant
notamment une pensée juridique [4] et politique [5] extrêmement
forte. Nous nous intéresserons plus particulièrement
à ses écrits constitutionnels dont l’enjeu va
alors se situer dans la capacité à organiser et structurer
l’Etat.
Afin de bien comprendre la mécanique à l’œuvre
dans cet espace en évolution, nous commencerons par cerner
précisément ce que Bentham entend par fonctionnaire,
de ses caractéristiques à son rôle, pour ensuite
saisir sa place dans l’économie générale
de sa pensée, notamment à travers la question du lien
entre théorie de la motivation, maximisation des aptitudes
et minimisation des dépenses. Nous serons alors en mesure
de saisir la dynamique de contrôle qui régit, au moins
en partie, les techniques managériales préconisées
par Bentham et qui n’ont pour autre but que de garantir la
transparence de l’appareil étatique et de ses mécanismes,
seul moyen de défendre les intérêts de l’ensemble
des citoyens. La question sous-jacente à notre réflexion
sera celle de la dimension normative qu’il faut accorder à
cette exigence de transparence. Nous constaterons en effet non seulement
qu’elle s’applique à l’ensemble des éléments
qui constituent ce que l’on pourrait appeler le management
benthamien des fonctionnaires ; mais aussi qu’elle opère
selon des modalités différentes lorsqu’elle
s’adresse aux individus, à une classe ou à une
organisation. Enfin, nous pourrons identifier sa force normative
quand, associée au Tribunal de l’Opinion Publique,
elle prend part au fonctionnement même de la démocratie
benthamienne.
I. Etre fonctionnaire : entre utilité et sacrifice
?
1. Qu’est-ce qu’un fonctionnaire ?
Le terme même de fonctionnaire obéit aux impératifs
de la méthode de classification benthamienne : la méthode
dichotomique. Nous devons donc le comprendre comme appartenant au
couple fonctionnaire/non-fonctionnaire. Cette distinction recoupe
celles de dirigeants/sujets, majorité des gouvernants/minorité
des sujets [6] ou encore gouvernants/gouvernés. L’opposition
entre fonctionnaires et non-fonctionnaires s’associe donc
à différentes divisions que Bentham élabore
afin de classifier, de catégoriser la réalité
et de découper la société en classes. La manière
dont Bentham appréhende la société, et plus
particulièrement la société politique, s’appuie
toujours sur une division en deux groupes dont les intérêts
sont opposés. Le rôle du législateur consistera
donc à assurer la jonction de ces intérêts divergents
ou en d’autres termes à réaliser de manière
effective une harmonie artificielle des intérêts à
l’aide des lois, notamment [7]. Ceci suppose que chaque classe,
sur le modèle de l’individu, poursuit un intérêt.
L’acception du terme « fonctionnaire » est extrêmement
large dans les écrits de Bentham : il entend par là
toute personne qui possède une responsabilité officielle
ou qui doit accomplir un devoir lié à une charge officielle
et ce, indépendamment du niveau hiérarchique qu’elle
occupe. Ils appartiennent à l’ « Official Establishment
» – « le vaste réceptacle fictif qui inclut
tous les fonctionnaires » selon les propres mots de Bentham
[8]. Le peuple, qui est alors considéré comme l’«
autorité constitutive », crée la classe des
fonctionnaires à l’aide de deux pouvoirs qui lui sont
conférés : le pouvoir de nommer et celui de destituer
[9] les fonctionnaires. En tant qu’individu appartenant à
une classe spécifique et définie, un fonctionnaire
se doit, selon Bentham, de posséder une « aptitude
officielle » qui recouvre trois catégories : morale,
intellectuelle et active [10].
L’aptitude morale consiste en la capacité à
respecter le principe d’utilité ; l’aptitude
intellectuelle regroupe savoir et jugement approprié, c’est-à-dire
la capacité à maîtriser des compétences
précises et enfin, l’aptitude active concerne le zèle
et l’assiduité au travail [11]. Tout fonctionnaire,
pour Bentham, doit posséder et développer ces trois
aptitudes [12]. Il doit donc nécessairement adhérer
et appliquer les préceptes du principe d’utilité,
posséder les compétences et le savoir requis pour
l’accomplissement des tâches qui lui sont confiées
et être présent sur son lieu de travail. En d’autres
termes, le fonctionnaire benthamien est un technicien, un expert
qui ne cherche que l’intérêt du plus grand nombre.
Bentham construit donc une figure idéale du fonctionnaire
et la question est bel et bien de savoir dans quelle mesure il est
possible de lui donner corps, de trouver ou de former de telles
personnes et de s’assurer que la qualité de leur travail
perdurera.
2. Procédure de sélection des fonctionnaires
L’Etat doit faire face – comme tout manager en charge
d’un recrutement – à un problème d’asymétrie
d’information : il n’est pas possible de savoir a priori
si une personne est réellement compétente, ce n’est
que par une mise à l’épreuve de l’effectivité
de ses compétences que l’on connaîtra sa valeur
a posteriori, ce qui pourra amener le manager à revoir son
jugement et revenir sur sa décision initiale. Il s’agit
donc de gérer une incertitude qui sera partie intégrante
du processus de recrutement et qui n’empêche pas, qui
ne doit pas empêcher intrinsèquement la décision
d’embauche. C’est légèrement différent
dans le cas des fonctionnaires. Il ne faut pas en effet commettre
d’erreur lorsque l’on embauche un juge, un douanier
ou un Ministre des Finances car les conséquences sur l’ensemble
de la société pourraient être désastreuses.
La réduction – voire la suppression – de la marge
d’erreur, la gestion de l’incertitude deviennent alors
les objectifs que va se fixer Bentham. Il s’agit pour lui
de résoudre la question de l’asymétrie d’information
concernant les aptitudes morale, intellectuelle et active des candidats.
Cette résolution engendre l’intervention d’une
exigence de transparence : faire apparaître ce qui peut ou
pourrait être caché par un individu lors du processus
de recrutement ; elle vise à réduire l’incertitude
et à rendre disponible l’ensemble des informations
nécessaires à la prise de décision. Bentham
sait cependant parfaitement qu’une telle exigence ne peut
s’appuyer sur une décision de l’individu concerné
; il va donc s’agir de rendre l’individu lui-même
transparent, d’où la réduction de ce dernier
à trois dimensions identifiées par les aptitudes décrites
par Bentham.
Nous pouvons noter une seconde série de problèmes
inhérente au recrutement des fonctionnaires et directement
liée à l’affirmation suivante : « Le plus
grand bonheur pour le plus grand nombre requiert qu’aucun
fonctionnaire ne soit nommé par hasard, encore moins en raison
de sa naissance et en aucun cas par une procédure autre que
la nomination ou l’élection » [13]. Est-il possible
de s’assurer qu’aucune erreur ne sera commise dans le
recrutement des fonctionnaires ? Comment créer un système
de mécanismes et de procédures qui va s’attacher
à repérer les aptitudes précitées chez
les postulants et non à légitimer des candidatures
de classe [14] ? Bentham va même plus loin : comment s’assurer
que seuls les bons candidats souhaitent devenir fonctionnaires ?
Ces questions doivent trouver une réponse avant, pendant
et après le recrutement.
Dissuasion et auto-sélection
La première étape consiste à décourager
les postulants qui ne possèdent pas les aptitudes morales
et intellectuelles. Pour Bentham, cela est possible en rendant les
fonctions publiques moins attractives. Il identifie deux méthodes
: l’une directe, l’autre indirecte. Directement, il
s’agit de minimiser les avantages liés à chaque
poste. Indirectement, il s’agit de maximiser la responsabilité
morale et juridique de chaque fonctionnaire [15]. Il faut donc «
réduire le plus possible le pouvoir entre les mains d’un
fonctionnaire. Ce que nous pouvons appeler minimisation du pouvoir
» [16] et minimiser les sommes d’argent à sa
disposition [17] car ce sont les deux principales causes d’une
mauvaise administration. Les conséquences directes sont le
« le principe de minimisation de la confiance » et le
« principe de maximisation du contrôle » [18],
c’est-à-dire que les actions des individus sont nécessairement
connues et identifiées comme telles. Il pense en effet que
seules les personnes candidatant à des postes publics seront
à même de combiner leur intérêt et celui
du plus grand nombre ; décourager les postulants inaptes
aux fonctions publiques revient à garantir l’aptitude
morale des fonctionnaires.
Apprentissage et examens publics
La deuxième étape concerne l’aptitude intellectuelle.
Elle repose sur deux procédures : l’apprentissage et
le concours où les candidats sont mis en compétition.
Elles obéissent toutes deux au même principe : une
évaluation stricte et précise du savoir des candidats
à partir des compétences – ou talents selon
les propres mots de Bentham – requises pour chaque poste [19].
Les différents postulants sont donc clairement compartimentés
et individualisés : il s’agit de repérer les
compétences nécessaires à l’exercice
d’une fonction particulière et non de s’appuyer
sur des compétences générales et une polyvalence
des individus. Chaque test, entretien ou épreuve est pensé
à l’aune d’une volonté délibérée
de supprimer tout élément extérieur qui pourrait
venir perturber les procédures de recrutement ; il s’agit
en quelque sorte de créer une procédure idéale
correspondant à la recherche de l’individu pouvant
être le fonctionnaire idéal, procédure non soumise
aux aléas des circonstances et du contexte, une sorte de
procédure pure et parfaite en quelque sorte. Les individus
ne sont ainsi jugés que sur leur aptitude intellectuelle,
le niveau ou la classe sociale ne devant en aucun cas être
pris en compte. Bentham ne s’économise pas en mots
pour décrire de manière extrêmement détaillée
la composition des jurys, l’organisation des épreuves,
le classement. Il suggère également que l’ensemble
de la procédure soit rendu public : le recrutement des fonctionnaires
doit être absolument transparent. Procédures parfaites
et transparence absolue sont les deux éléments qui
doivent permettre que seuls les individus compétents seront
recrutés ; elles sont également censées garantir
l’efficacité de leurs actions futures. Nous voyons
bien ici que Bentham tente à nouveau de réduire l’incertitude
liée à la procédure de recrutement. Mais le
passage à l’effectivité de l’embauche
l’amène à chercher des garanties et à
s’assurer de la possibilité de ne pas placer un pouvoir
trop important et non contrôlé entre les mains des
fonctionnaires.
3. Fonctionnaires et pouvoir
Le peuple possède un véritable pouvoir en ce qui
concerne la constitution de la classe des fonctionnaires. Nous sommes
ici en présence de la théorie benthamienne classique
de l’habilitation [20]. Les fonctionnaires sont soumis à
deux types d’obligation : l’une, morale, leur enjoint
de suivre strictement le principe d’utilité alors que
la seconde, qui relève autant de l’obligation morale
que politique, leur demande de respecter les souhaits que peut exprimer
le peuple. Ces obligations sont inhérentes à leurs
fonctions.
Mais une telle conception de la délégation de pouvoir,
qu’implique la conception benthamienne des fonctionnaires,
ne va pas sans poser quelques difficultés. Bentham considère
en effet que les individus poursuivent leur propre intérêt,
et ce quelles que soient les circonstances, plutôt que l’intérêt
d’autrui ou du plus grand nombre. Il y a donc un conflit latent
entre plusieurs intérêts au sein de la société.
Mais lorsque l’on considère un groupe d’individus
comme un tout se pose la question de la transformation des intérêts
individuels en raison même de leur agrégation. Pour
Bentham apparaît alors un nouvel intérêt : celui
de la classe constituée par les individus. Il est le résultat
de la somme des intérêts individuels qui la composent
et diffère de l’intérêt du plus grand
nombre. Le conflit entre les intérêts individuels et
les intérêts de classe s’offre alors au grand
jour et constitue l’un des grands problèmes que doit
affronter l’utilitarisme. Ce problème, déjà
identifié dans le cadre de l’éthique utilitariste,
prend une autre dimension lorsqu’il devient un problème
social et politique, et plus particulièrement pour ce qui
nous concerne, quand nous l’appliquons aux fonctionnaires
et à leurs devoirs. Les fonctionnaires constituent, en tant
que tels, une classe qui poursuit son propre intérêt
et qui peut donc entrer en conflit avec les intérêts
du peuple. En d’autres termes, ils ont constamment la tentation
de sacrifier l’intérêt du peuple qu’ils
sont censé servir afin de satisfaire leur propre intérêt.
Bentham parle ici d’intérêts sinistres («
sinister interests ») – qui s’opposent à
l’intérêt du plus grand nombre – qui donnent
lieu à un sacrifice sinistre [21]. Le pouvoir de destituer
et de punir les fonctionnaires revient naturellement au peuple,
au plus grand nombre – en tout cas dans la logique de Bentham
– dans la mesure où il s’agit de maximiser cet
intérêt, l’utilité collective plutôt
que les intérêts individuels d’un petit nombre
de personnes. Chaque fonctionnaire est donc constamment soumis au
vote de confiance ou de défiance du plus grand nombre et
son poste dépend du choix effectué par le peuple.
4. Problèmes liés aux actions des fonctionnaires
La question du management des fonctionnaires revêt deux aspects
: tout d’abord, comment garantir que les fonctionnaires agiront
dans tous les cas et de manière certaine selon l’intérêt
du peuple et ne poursuivront pas leur intérêt personnel
? Ensuite, comme faire coïncider de manière certaine
et véritable l’intérêt des fonctionnaires
et l’intérêt du plus grand nombre afin d’éviter
le sacrifice du premier pour le second ? La seule réponse
possible à ces deux questions que permet la pensée
de Bentham est de structurer et organiser l’appareil étatique
afin qu’il soit dans l’intérêt du fonctionnaire
d’augmenter le bonheur du plus grand nombre. L’intérêt
individuel ou l’intérêt de classe s’harmonise
alors avec l’intérêt public. La théorie
de la motivation benthamienne doit précisément être
interprétée de cette manière dans un tel contexte
: elle est le fondement de la tâche principale du législateur
qui va être de créer une harmonie artificielle des
intérêts dans la société afin d’augmenter
la somme totale de plaisir.
II. La théorie de la motivation ou du bon usage
des punitions et des récompenses
1. Plaisir et douleur : les deux sources de motivation
Selon Bentham, un principe unique permet de rendre compte de la
motivation : les gens recherchent le plaisir et évitent la
douleur.
La nature a placé l’humanité sous le gouvernement
de deux maîtres souverains, la douleur et le plaisir. C’est
à eux seuls d’indiquer ce que nous devons faire aussi
bien que de déterminer ce que nous ferons. A leur trône,
sont fixés, d’une part, la norme du bien et du mal,
de l’autre, l’enchaînement des causes et des effets.
Ils nous gouvernent dans tout ce que nous faisons, dans tout ce
que nous disons, dans tout ce que nous pensons : tout effort que
nous pouvons faire pour secouer le joug ne servira jamais qu’à
le démontrer et à le confirmer. Quelqu’un peut
bien prétendre en paroles renier leur empire mais il leur
restera en réalité constamment soumis. Le principe
d’utilité reconnaît cette sujétion et
la tient pour le fondement du système dont l’objet
est d’ériger l’édifice de la félicité
au moyen de la raison et du droit. Les systèmes qui tentent
de le remettre en question font commerce de son plutôt que
de sens, de caprice plutôt que de raison, d’obscurité
plutôt que de lumière. [22]
La théorie benthamienne de la motivation s’appuie
sur la descriptivité des axiomes de pathologie mentale et
sur la normativité du principe d’utilité, les
uns rendant compte des ressorts de l’action humaine et l’autre
prescrivant des actions [23]. Il n’est possible d’influencer
la conduite des gens qu’en agissant sur les plaisirs et les
douleurs, supposés ou réels [24]. La conception benthamienne
de l’action humaine repose sur une transparence de l’individu,
non pas à lui-même mais aux autres — ici, les
autres étant constitués par le législateur.
En d’autres termes, si ce dernier souhaite agir sur le comportement
de ses sujets, il doit nécessairement distribuer plaisirs
et douleurs, attribuer des récompenses ou infliger des punitions.
C’est par leur intermédiaire qu’il sera possible
de faire coïncider les intérêts potentiellement
opposés des différentes classes qui composent la société.
Concernant les fonctionnaires, il s’agit d’associer
plaisir et satisfaction de l’intérêt pour le
poste en question, ses actions et devoirs spécifiques. Si
l’Etat veut œuvrer à la maximisation du plus grand
bonheur du plus grand nombre, il lui faudra atteindre deux objectifs
qui ne peuvent être pensés séparément
: maximiser les aptitudes des fonctionnaires et minimiser les dépenses.
2. Diminuer les dépenses publiques
L’organisation de l’Etat s’appuie sur la satisfaction
de l’intérêt des fonctionnaires en tant qu’elle
doit permettre de maximiser leur efficacité. Ce principe
managérial s’accompagne de son homologue : la diminution
des dépenses publiques dont la réduction contribue
à augmenter le plus grand bonheur du plus grand nombre. Une
gestion attentive et stricte du budget public implique moins d’impôts
et mène à une augmentation du niveau de vie et donc
du bonheur des contribuables. Selon Bentham – et sa théorie
de la motivation –, il n’est pas nécessaire que
les postes bureaucratiques proposent des salaires importants pour
recruter les meilleures personnes : le prestige qui leur est associé
est plus important que la grille de salaires proposée. Bentham
est cependant très clair sur un point : il est nécessaire
et important de s’intéresser au bonheur des fonctionnaires
[25]. A supposer que les charges publiques soient attractives, Bentham
est néanmoins tout à fait conscient que le plaisir
procuré par l’honneur d’être fonctionnaire
peut ne pas être suffisant lorsqu’un agent public est
confronté à certaines tentations, comme cela peut
être le cas avec la corruption. Il faut donc trouver un équilibre,
peut-être précaire, entre le montant du salaire qui
doit être suffisamment élevé pour éviter
la corruption tout en étant suffisamment raisonnable pour
ne pas entraîner des dépenses trop importantes. Cet
équilibre est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement
de l’Etat.
Le salaire des fonctionnaires doit donc être défini
de manière à assurer une adéquation la plus
parfaite possible entre leurs devoirs et leurs intérêts
[26]. La possibilité de lier devoir et intérêt
s’opère donc par le salaire en créant «
un intérêt qui associe la force que seule la punition
peut posséder et le degré de certitude que seule la
récompense est en mesure d’apporter » [27]. Le
salaire est pensé comme une récompense accordée
aux fonctionnaires accomplissant leur devoir, c’est-à-dire
maximisant l’intérêt général. L’équilibre
entre salaire et dépenses de l’Etat faire partie d’une
tentative de trouver un équilibre plus général
et a donné lieu à un livre complet : Official Aptitude
Maximized, Expense Minimized [28].
3. Maximiser les aptitudes
La position de Bentham sur la question de la gestion des aptitudes
au sein de la fonction publique opère en trois temps : il
s’agit tout d’abord de s’assurer que les candidats
qui vont postuler possèdent bien ces trois aptitudes, ils
sont ensuite choisis en fonction de ces aptitudes et enfin, une
fois à leur poste, Bentham cherche à garantir la maximisation
des trois aptitudes qu’il a identifiées : morale, active
et intellectuelle. Il faut bien comprendre que l’utilisation
et l’effectivité d’une aptitude ne dépend
pas uniquement d’une compétence naturelle et individuelle.
Elle ne prend en fait un sens concret et utile que dans la relation
qui s’établit entre aptitude individuelle et structure
générale des institutions. Par exemple, l’aptitude
morale d’un fonctionnaire n’est effective qu’à
partir du moment où son intérêt particulier
se trouve confronté à celui du plus grand nombre et
que l’utilisation de la punition et l’exercice d’un
certain contrôle les font converger. L’aptitude active
est directement liée à la motivation inhérente
au poste occupé et à sa place dans l’organisation
générale de l’Etat : l’expérience
et la motivation à accomplir certaines tâches le rendent
de plus en plus valorisant. L’aptitude intellectuelle, quant
à elle, dépend certes et dans une certaine mesure
de talents naturels mais elle se développe grâce au
système éducatif et à l’intérêt
pour la chose publique. Dans une société utilitariste,
l’aptitude intellectuelle des membres du Tribunal de l’Opinion
Publique est maximisée car ils sont en mesure d’élaborer
des jugements politiques informés et rationnels [29].
Bentham veut maximiser l’aptitude morale des fonctionnaires
en utilisant les récompenses si telle ou telle action est
effectivement réalisée, impliquant que leur non-réalisation
ou la réalisation d’une autre action entraîne
une sanction ; c’est-à-dire qu’il pense qu’en
appliquant strictement ce que préconise le principe d’utilité,
qu’en agissant sur les plaisirs et les douleurs, il sera possible
d’influencer positivement l’aptitude morale et de la
maximiser. L’Etat devient un espace éthique placé
sous le règne du principe d’utilité et où
les intérêts individuels des fonctionnaires, a fortiori
si on les considère en tant que classe, doivent coïncider
avec le plus grand bonheur du plus grand nombre.
Jusqu’à présent, nous avons vu à quel
point Bentham se concentrait sur les aptitudes des individus potentiellement
ou effectivement fonctionnaires et dans quelle mesure le principe
d’utilité devait guider leurs actions ; nous avons
ainsi pu saisir la place de sa théorie de la motivation dans
l’organisation de l’Etat. Cependant, avec la découverte
des « sinister interests », Bentham va devoir se concentrer
sur la création de garanties contre les abus de pouvoir.
C’est à ce niveau que nous pourrons saisir l’importance
normative de la transparence, aussi bien au niveau structurel qu’au
niveau individuel. Ce sera également le moyen de remettre
le peuple au cœur du processus de nomination et destitution
des fonctionnaires, ce qui s’intègre à la théorie
benthamienne de la démocratie.
III. Le panoptique constitutionnel : la transparence comme
technologie disciplinaire ou l’internalisation des normes
morales
Nous avons jusqu’à présent tenté principalement
de comprendre comment le management des fonctionnaires s’appuie
sur une source d’influence externe grâce à l’utilisation
des récompenses et des punitions, mais Bentham considère
que cela peut s’avérer insuffisant. En effet, si la
réalisation d’une action est le fruit d’un calcul
utilitariste qui compare et mesure les plaisirs et les douleurs,
un individu est toujours susceptible d’effectuer un mauvais
calcul, d’avoir un mauvais jugement ou tout simplement de
se tromper. Or, une telle incertitude ne peut avoir sa place dans
le système benthamien, c’est pourquoi nous pouvons
également considérer le système managérial
mis en place par Bentham comme un système de gestion de l’incertitude
ou plus précisément comme une tentative d’annihiler
toute incertitude. Bentham va donc chercher à imposer une
contrainte non pas uniquement externe mais aussi interne : il souhaite
que les fonctionnaires intègrent, internalisent les normes
morales pour qu’ils agissent de manière spécifique,
qu’ils réalisent certaines actions précises
dans des circonstances particulières et qu’ils mettent
en œuvre le principe d’utilité.
La normativité éthique devient une normalisation
éthique des comportements : les contraintes font partie intégrante
de la conduite des fonctionnaires. Pour arriver à ses fins,
Bentham s’appuie sur les technologies disciplinaires identifiées
par Michel Foucault dans Surveiller et punir et que l’on peut
identifier dans les écrits panoptiques tout en en proposant
ici une déclinaison spécifique que l’on peut
appeler le panoptique constitutionnel [30]. L’œil du
pouvoir dont parle Foucault n’est plus unique mais multiple
: il n’y a pas un gardien du panoptique constitutionnel mais
des gardiens. Chaque citoyen, à travers le Tribunal de l’opinion
publique, devient un gardien potentiel, ce sont les yeux du peuple
qui gardent ce panoptique. Nous allons donc identifier les différents
mécanismes disciplinaires à l’œuvre dans
le panoptique pour étudier l’influence qu’ils
exercent sur les conduites à travers l’internalisation
des normes.
1. La spatialisation des corps
La discipline est un art qui consiste à distribuer les corps
dans l’espace, qui s’appuie sur une chronologie précise
des actes et un contrôle de la disposition spatiale des corps
— l’articulation des corps dans un agencement spécifique
augmentant à la fois l’utilité collective et
la docilité individuelle.
La première caractéristique de la technologie disciplinaire
est sa capacité à arranger les corps dans l’espace.
Dans la plupart des cas, un espace clos est nécessaire car
il permet la concentration de forces hétérogènes.
Elle va alors chercher à maximiser leur utilité, d’autant
plus que la fermeture de l’espace dans lequel les corps évoluent
va permettre une surveillance plus efficace des corps et des individus.
Un espace confiné a un double avantage : chaque individu
est placé dans la position la plus utile et il est séparé
a priori de ce qui pourrait potentiellement constituer un groupe,
doté d’une force et d’une dynamique propre et
être ainsi susceptible de produire des valeurs sociales et
des normes collectives.
Le contrôle de l’organisation de l’espace poursuit
un but unique : contrôler l’ensemble des relations qui
peuvent se dérouler à l’intérieur de
ce dernier. L’exemple de l’organisation architecturale
des bureaux des ministres est à ce titre particulièrement
parlant. Les bureaux forment un demi-cercle ce qui permet au premier
ministre d’avoir potentiellement une vision de l’ensemble
de ses collaborateurs. L’architecture et l’organisation
de l’espace des différents bureaux et des différents
étages où travaillent les fonctionnaires est extrêmement
précis : division en bureaux et corridors à simple
ou double entrée, mécanismes des portes assignés
à des fonctions spécifiques et à des portiers
chargés de surveiller les allées et venues ; tout
cela n’a d’autre fonction que de s’assurer que
les individus sont au bon endroit pour réaliser la tâche
qui leur est assignée ou pour transmettre l’information
adéquate [31]. L’espace ainsi créé et
agencé propose un enchevêtrement de lieux permettant
la localisation précise de chaque individu. Le contrôle
sur les corps ne vise pas seulement un contrôle individuel
des actions mais bel et bien la surveillance constante d’une
institution politique mettant en jeu une dialectique entre l’un
et le multiple, l’individu et la communauté. Un tel
contrôle n’est possible que parce que chaque individu
est identifié et identifiable : des bureaux ouverts –
que l’on appellerait aujourd’hui open-space –
assurent ainsi une visibilité maximale [32]. L’espace
dans lequel évoluent les fonctionnaires est strictement défini,
délimité, dessiné. Il déconstruit et
reconstruit les corps [33] en prescrivant les actes devant être
réalisés dans une visée programmatique.
2. Une chronologie programmatique
La gestion du temps constitue la seconde caractéristique,
tout aussi importante que la première. Les institutions disciplinaires
sont comme des nœuds de réseaux : les temps, comme les
espaces ne cessent de s’entrecroiser. Contrôler le temps
signifie imposer un certain rythme et obliger les gens à
le suivre. Tous les moments doivent être utiles et utilisés.
Foucault explique très clairement dans Surveiller et punir
que l’optimisation du temps est imposée par une source
externe qui va le diviser et l’organiser. Mais il insiste
également sur le fait que la discipline prend possession
de la durée interne à chaque individu, c’est-à-dire
du temps nécessaire à accomplir telle ou telle action,
tel ou tel geste et que se fixe l’individu. Le pouvoir disciplinaire
va ainsi chercher à pénétrer la temporalité
des corps individuels : une mesure externe des mouvements devant
être accomplis successivement est intériorisée
par les sujets et le rythme imposé pour tel ou tel geste
doit devenir le rythme spontané, en quelque sorte naturel,
qu’adoptera chaque accomplissant, répétant ce
même acte. Il y a donc substitution d’un ordre temporel
par un autre, cette substitution étant d’autant plus
efficace qu’elle est intériorisée.
L’enjeu réside dans la capacité d’extraire
d’un temps donné le plus d’instants disponibles
[34] de façon à contrôler des séquences
d’action réalisées par des corps durant un certain
temps mais aussi à gérer le rythme des actions de
manière disciplinaire. La gestion du temps s’appuie
sur une internalisation ou une intériorisation d’un
rythme imposé de l’extérieur et qui aboutit
à la création d’un groupe temporellement homogène.
Décomposer, segmenter, individualiser le temps et l’espace
revient à recomposer « un mouvement d’ensemble
et un déroulement commun qui n’est ni effectué
par un véritable ensemble ni vécu dans un véritable
commun » [35].
Il faut interpréter l’organisation des bâtiments
exactement de cette manière. Ils sont conçus afin
d’optimiser la transmission d’informations, c’est-à-dire
de supprimer tout délai : l’idéal benthamien
est celui de l’immédiateté. Efficacité
rime avec suppression de tout vide temporel, cela revient à
rechercher constamment l’instantanéité. [36]
Après avoir été répartis dans l’espace,
assujettis à un rythme spécifique à travers
un temps et une durée interne imposés par une mesure
externe, les corps doivent être rassemblés le plus
rationnellement possible afin de constituer un groupe, une classe
plus puissante et plus efficace que la somme des individus qui le
composent. Il est ainsi nécessaire de « construire
une machine ». Chaque individu devient un individu avec sa
propre durée et ces multiples « corps-durée
» doivent s’intégrer dans cette machine corporelle
et disciplinaire. Elle a pour but de maximiser la force utile de
ces groupes tout en minimisant leur force politique. Appliqué
à l’Etat, cela veut dire que le contrôle des
fonctionnaires implique de maximiser leur efficacité tout
en minimisant leur rôle, leur pouvoir politique ce qui revient
à renforcer le pouvoir politique du peuple.
L’organisation architecturale transparente permet de contrôler
les activités des fonctionnaires : la machine étatique
doit être contrôlée ou, plus précisément,
sa force productrice et son efficacité doivent être
visibles pour être contrôlées.
3. La discipline comme dressage
La fonction principale du pouvoir disciplinaire est de dresser
[37]. Il repose sur trois opérations : la surveillance hiérarchique,
la sanction normalisatrice et l’examen. La surveillance hiérarchique
transforme l’architecture en un outil du pouvoir sur les individus
grâce à une visibilité totale et constante :
chaque individu est soumis au pouvoir en raison de sa visibilité
mais cette visibilité n’est possible que par l’exercice
du pouvoir. La surveillance hiérarchique articule actes de
regard et états de visibilité. Chacun surveille chacun
tout en se sentant constamment surveillé par un groupe d’individus,
rendant ainsi inutile toute obligation de surveillance : l’emboîtement
spatial des surveillances hiérarchisées aboutit donc
à l’auto-surveillance, le groupe est sous contrôle
et docile [38].
Il ne suffit pas d’établir un état constant
de surveillance, encore faut-il savoir ce qui doit être surveillé.
Nous pourrions alors penser que les autres sont l’objet de
cette surveillance mais il n’en est rien : il s’agit
en fait de surveiller l’adéquation des actions des
gens à ce que le pouvoir leur demande d’effectuer,
en d’autres termes, il faut surveiller l’adéquation
à la norme. Toute inadéquation doit pouvoir être
punie, d’où l’apparition d’un mécanisme
punitif [39] qui aboutit à « rendre pénalisables
les fractions les plus ténues de la conduite et [à]
donner une fonction punitive aux éléments en apparence
indifférents de l’appareil disciplinaire » [40].
Ceci suppose que toute action individuelle est susceptible d’être
visible. Les délits prennent désormais la forme d’une
inadéquation à la norme érigée en modèle
et la punition a pour but de corriger, rectifier cette dernière
: il faut rendre les comportements conformes à la norme.
La punition d’un système disciplinaire a donc pour
but de corriger ; « en un mot, elle normalise » [41].
C’est pourquoi Bentham insiste sur la présence des
fonctionnaires à leurs postes : leur soustraction à
l’exigence normative de la transparence, c’est-à-dire
à leur possible invisibilité au sein du système
étatique, doit nécessairement entraîner des
sanctions.
L’examen permet d’associer surveillance hiérarchique
et sanction normalisatrice. Il est défini comme suit par
Foucault : « un regard normalisateur, une surveillance qui
permet de qualifier, de classer et de punir » [42]. Stéphane
Legrand a une formule particulièrement juste quand il affirme
qu’« il est le schème qui lie la vérification
des aptitudes et la sanction des sujets » [43]. A travers
cette analyse de l’examen, Foucault renverse l’économie
générale des relations de pouvoir. Celui qui détient
le pouvoir n’est plus celui qui doit être visible :
ce sont les sujets de ce pouvoir qui doivent être vus, observés,
constamment surveillés grâce à un « mécanisme
d’objectivation ». Les individus font désormais
partie d’un champ documentaire, d’un réseau d’écritures,
qui enregistre toutes leurs actions dans un ensemble potentiellement
infini de documents qui classent les personnes et les comparent
afin de créer des codes disciplinaires. Ils vont formaliser
un savoir sur les individus en accumulant des connaissances. Une
telle masse de connaissances sur les individus rejoint le projet
benthamien de réduction maximale de l’asymétrie
d’information : la transparence requise par un tel fonctionnement
est une norme politique qui non seulement sert de socle à
la théorie démocratique de Bentham mais doit également
en assurer le bon fonctionnement. Le « tout visible »
s’accompagne d’un « tout connu », le management
des fonctionnaires n’est pas tant régi par une optimisation
de l’efficacité que par une optimisation d’une
transparence épistémologique. La réduction
de l’invisible et de l’inconnu n’est en fait que
la tentative, presque désespérée, de rendre
invisible le non-visible ; de supprimer tout inconnu.
Avec la surveillance hiérarchique, « tout regard est
un élément du pouvoir à l’œuvre
» : la visibilité des sujets assure la mainmise du
pouvoir sur les actions et leurs comportements. L’espace est
désormais organisé autour d’un « emboîtement
de surveillances hiérarchisées » qui engendre
une auto-surveillance systématique et intériorisée
du groupe. Le groupe recouvre ici deux réalités :
les fonctionnaires et les fonctionnaires plus le peuple, le public.
Le réseau de surveillance et de visibilité ainsi créé
peut fonctionner de manière autonome : « La discipline
fait marcher un pouvoir relationnel qui se soutient lui-même
par ses propres mécanismes » [44]. L’organisation
des bureaux des bâtiments publics obéit précisément
à cette logique : ce sont des espaces dont l’emboîtement
est rendu possible par des tubes de transmission d’informations
qui autorisent une surveillance hiérarchique [45]. Le panoptique
constitutionnel impose un certain type d’actions et de conduites
aux fonctionnaires tout en pénétrant chaque sujet.
L’intériorisation aboutit à l’établissement
d’un mode de comportement spécifique. Le management
des fonctionnaires – la maximisation de leur efficacité
– repose sur le management de soi, c’est-à-dire
sur le pouvoir normalisateur des technologies disciplinaires. L’exigence
de transparence intègre ce dispositif selon deux modalités
: elle rend transparente l’organisation étatique aux
yeux du peuple et elle oblige les fonctionnaires à être
transparents vis-à-vis de tous ceux avec qui ils sont susceptibles
d’entretenir une relation hiérarchique ou de pouvoir.
4. Le contrôle de l’information
Le management des fonctionnaires est un terrain privilégié
pour Bentham puisque leur comportement peut affecter leur efficacité
et mener à des coûts supplémentaires. Un tel
comportement est lié au remplacement de l’intérêt
général par un intérêt individuel comme
guide de l’action. Étant donné que chaque individu,
et a fortiori chaque fonctionnaire, en tant qu’agent rationnel,
va chercher à maximiser son plaisir et minimiser sa douleur,
nous pouvons supposer – dans la perspective benthamienne –
qu’il va tenter de trouver des moyens d’augmenter son
pouvoir, son influence et son salaire en minimisant ses efforts.
Il va en conséquence utiliser toute l’information à
sa disposition pour créer l’illusion que chacune de
ses actions est vertueuse et qu’il cherche à atteindre
la maximisation de l’intérêt général.
C’est typiquement le type de situation qui se produit dans
le cas d’une asymétrie d’information entre le
fonctionnaire et la personne en charge de contrôler son travail.
Comme nous l’avons précédemment évoqué,
il existe un lien très fort chez Bentham entre transparence
et information : la transparence est ce qui peut permettre de résoudre
une asymétrie d’information. Le contrôle des
fonctionnaires passe alors nécessairement par la suppression
de tout monopole de l’information par les fonctionnaires.
Leurs activités, leur travail doivent être rendus complètement
transparents afin de supprimer la possibilité de dissimuler
leur véritable nature.
L’analyse foucaldienne a bien montré que les rapports
entre l’organisation des corps, des espaces et des temps individuels
et collectifs devaient œuvrer à rendre les actions visibles,
et il faudrait ajouter publiques. Ceci permettrait de résoudre
le problème d’asymétrie d’information
entre les fonctionnaires et le public, les citoyens. Nous devons
cependant ajouter deux points allant dans ce sens : tout d’abord,
les fonctionnaires doivent porter des vêtements permettant
à toute personne présente de les identifier en tant
que tels ; ensuite, il faut assurer une meilleure communication
avec les citoyens, en particulier en ce qui concerne les règles
des institutions publiques. Le secret doit être complètement
aboli [46], tout doit être transparent car le peuple constitue
les premières personnes que le travail des fonctionnaires
concerne [47]. La transparence est constitutive de la théorie
démocratique benthamienne et devient une norme managériale
qui en assure le bon fonctionnement.
IV. Transparence et démocratie : rendre compte de
ses actions auprès du Tribunal de l’Opinion Publique
La transparence comprise seulement comme norme managériale
ne peut suffire à rendre compte de la volonté démocratique
de Bentham. L’enjeu réside ici dans l’articulation
entre contrôle et pouvoir : dans quelle mesure le contrôle
instauré au sein de l’Etat permettrait-il de donner
un certain pouvoir au peuple ? Dans quelle mesure l’instauration
de la transparence comme norme managériale impliquerait-elle
ou serait-elle l’expression d’un pouvoir démocratique
? Si nous avons certes identifié que le peuple possédait
le pouvoir de nommer ou destituer les fonctionnaires, il nous faut
désormais nous attacher à saisir les modalités
de ce qui constitue la structure que Bentham a pensée pour
exprimer le pouvoir aux mains du peuple : le Tribunal de l’Opinion
Publique. Celui-ci est une pierre angulaire de la conception démocratique
de Bentham. Ce qui nous semble alors fondamental chez Bentham est
la construction de l’architecture discursive d’un espace
démocratique qui chercherait à penser et à
rendre compte des relations entre fonctionnaires et non-fonctionnaires.
1. La force du Tribunal de l’Opinion Publique [48]
Les sujets peuvent être potentiellement des membres du Tribunal
de l’opinion publique (ci-après TOP). Ce dernier possède
des pouvoirs judiciaires [49] et est justement le moyen que peut
utiliser l’autorité constitutive pour exercer ses pouvoirs
constitutifs suprêmes et nommer ou révoquer des fonctionnaires.
Il est une instance distincte qui entend inclure « toutes
les classes qui sont exclues de toute participation à l’exercice
de ce pouvoir suprême » [50] ; il est composé
de « tous les individus dont se compose le corps Constitutif
» [51]. « Tous les membres de toutes les autres communautés
politiques lorsqu’ils prennent connaissance de la question,
quelle qu’elle soit » [52] peuvent y prendre part, ce
qui lui assure potentiellement une constitution extrêmement
large.
Bentham identifie quatre fonctions de ce Tribunal : toute personne
doit pouvoir rechercher des informations et des preuves sur un sujet
public particulier ; le Tribunal rend des jugements, il punit et
récompense les personnes impliquées dans les actions
politiques en forgeant leur réputation – ou en la détruisant
– et il entend effectuer des propositions concernant des questions
publiques. On ne peut donc résumer ses fonctions à
la surveillance des gouvernants : son rôle dans l’élaboration
des politiques gouvernementales ne saurait être minimisé.
Les informations sont « entrantes » et « sortantes
» : elles doivent intégrer le processus du Tribunal
mais il en produit également sans lesquelles les législateurs
ne sauraient faire de choix conformes au plus grand bonheur du plus
grand nombre [53].
En fait, le TOP ressemble par bien des aspects à un tribunal
officiel. Il réunit des preuves qui vont lui permettre d’élaborer
une opinion et d’établir un jugement [54] et l’une
de ses plus importantes sources d’information est la presse
[55]. Il doit alors établir si le gouvernement a porté
atteinte à l’intérêt de la communauté,
s’il est coupable d’abus de pouvoir. Son activité
peut donc être pensée dans une certaine mesure sur
le mode de l’« enquête » mais il s’agit
également d’un organe auprès duquel les fonctionnaires
doivent rendre des comptes, expliciter et justifier leurs actions
de manière directe (le peuple peut observer le travail des
fonctionnaires) ou indirecte (par la consultation de diverses informations
quant aux activités des fonctionnaires). La transparence
ainsi induite doit permettre d’améliorer l’exercice
du pouvoir, notamment en prévenant toute conduite qui pourrait
aller à l’encontre des intérêts du peuple.
Il diffère cependant d’un tribunal classique car il
peut constituer toute question publique en objet d’étude
et il peut avoir recours à toutes les sources d’informations
qu’il estimera nécessaire [56]. Cette flexibilité
le distingue de toutes les autres instances officielles. Son jugement
est indépendant et fondé sur la communication entre
ses membres, celle-ci a lieu avant que le fruit de ses délibérations
ne soit communiqué aux institutions étatiques.
Bentham le considère également comme un corps législatif
susceptible de créer des obligations morales [57]. Mais celui-ci
aura à nouveau un avantage flagrant sur les instances législatives
officielles : la réaction quasi immédiate aux discussions,
notamment en rendant visibles les contradictions éventuelles,
permet d’assurer une continuité du débat. Plus
important encore : la simultanéité des délibérations
publiques et de la formation de l’opinion publique soustrait
cette dernière aux luttes de pouvoir qui pourraient l’influencer
et biaiser l’évaluation du problème.
Le TOP tire sa force de la conception que Bentham adopte du public
et de la possibilité de construire une opinion homogène.
Un pré-requis est cependant nécessaire si l’on
veut assurer son efficacité : toute restriction concernant
le secret lié à l’activité des fonctionnaires
doit être levée. Le Tribunal doit avoir à sa
disposition le maximum d’informations disponibles afin de
constituer son jugement.
Chez Bentham, l’opinion publique est nécessairement
indéterminée et dynamique car elle est composée
de l’agrégat des conceptions individuelles et changeantes
de ce qui constitue leur intérêt. L’opinion publique
et l’idée même de ce tribunal sont donc fondées
sur l’idée que « l’agrégat des différents
intérêts personnels est lui-même l’intérêt
universel » [58].
2. Réintroduire le droit dans la sphère politique
: verticalité et horizontalité du pouvoir démocratique
Afin de comprendre les liens entre le TOP et la conception démocratique
de la société politique que défend Bentham,
il nous semble intéressant d’intégrer la dimension
juridique de la pensée benthamienne et plus précisément
le droit comme système de contrôle social. Nous pourrons
alors rendre compte de la place qu’occupe le TOP dans l’économie
générale de la pensée benthamienne.
Le premier élément à prendre en compte est
que lorsque Bentham définit le TOP, le champ lexical qu’il
utilise renvoie plus au juridique qu’au politique.
On peut considérer l’opinion publique comme un système
juridique qui émane du peuple. [59]
L’idée d’opinion publique est liée dans
sa première formulation à celle de sanction. Bentham
parle ainsi de « sanction populaire » comme synonyme
de « sanction morale » :
(Sanction morale). Il vaut mieux l’appeler populaire, puisqu’on
indique plus directement par là la cause qui la constitue
; de même qu’on indique sa relation à l’expression
plus commune « public opinion », opinion Publique en
français, nom donné à ce pouvoir tutélaire
dont on a tant parlé dernièrement, et par lequel on
a tant fait. Toutefois la dernière expression est malheureuse
et peu significative ; puisque si l’opinion est substantielle,
c’est seulement en vertu de l’influence qu’elle
exerce sur l’action, par l’intermédiaire des
affections et de la volonté. [60]
Le Tribunal intègre donc deux dimensions : la première
est juridique puisqu’il peut dispenser des sanctions ou en
d’autres termes agir sur l’action et la seconde est
politique dans son exercice même en intégrant les relations
d’influence de la société.
Or l’un des enjeux fondamentaux de la théorie du droit
benthamienne est de comprendre comment le législateur peut
s’assurer que sa volonté sera obéie. Ce tribunal
va lui fournir un outil indispensable : d’une part, il lui
apporte un ensemble d’informations nécessaires à
l’élaboration des lois les plus en adéquation
avec les demandes de ses sujets. L’enjeu est ici épistémologique
: il s’agit de penser la connaissance dont doit disposer le
législateur pour élaborer les meilleures lois possibles.
Avec le TOP, les relations entre législateur et sujets ne
sont plus uniquement verticales : il lui offre les informations
lui permettant de se constituer la connaissance la plus précise
possible des intérêts en jeu. Il pourra ainsi œuvrer
à la maximisation des intérêts de la société
grâce à une harmonisation artificielle ; celle-ci utilisera
les lois dont l’efficacité est augmentée. D’autre
part, le peuple en raison de la transparence de l’ensemble
des activités des fonctionnaires disposera des éléments
nécessaires pour évaluer les politiques et accepter
ou non de se soumettre aux lois ; une possible confiance pourra
ainsi être restaurée et surtout, cela montre bien la
place qu’occupe le peuple dans le processus de fonctionnement
de l’Etat. Enfin, l’opinion critique et raisonnée
intègre les raisonnements à l’œuvre au
sein de la sphère publique. Autrement dit, le TOP joue un
rôle crucial dans la détermination et la mise en place
des limites constitutionnelles.
Pour Bentham, tous les pouvoirs du gouvernement – établir
les lois et les faire exécuter – sont en dernière
instance limités par le jugement populaire : l’argumentation
et la persuasion structurent les relations entre le TOP et le gouvernement.
Les membres du TOP agissent comme des juges entre deux parties,
dans la mesure où cela concerne les limites constitutionnelles
: ils seront les juges entre deux types d’intérêt
relevant de la société politique.
Autrement dit, la société politique n’a de
sens que si l’on comprend et que l’on intègre
la relation juridique qui existe non seulement entre le législateur
et ses sujets mais également entre chaque individu. Autrement
dit la conjonction des sphères politique et juridique permet
la constitution d’un espace pacifié et dont les relations
de pouvoir sont réciproques, ce qui constitue le fondement
de la théorie démocratique de Bentham.
À travers le Tribunal de l’Opinion Publique, que l’on
considère souvent comme une instance exclusivement politique,
se dessine donc la conception démocratique de la pensée
benthamienne. Cette instance devient le point nodal du management
des fonctionnaires et de la garantie du bon fonctionnement de l’Etat
: la transparence requise à la fois dans le processus de
recrutement des fonctionnaires et dans l’ensemble de leurs
actions consiste en fait à rendre compte d’un certain
type de fonctionnement. Elle doit assurer au TOP, c’est-à-dire
au peuple, la possibilité d’intervenir concrètement
dans l’exercice du pouvoir et dans l’élaboration
des différentes décisions politiques de manière
à éviter les abus de pouvoir et à garantir
le bon exercice des fonctionnaires.
Conclusion
Le management des fonctionnaires chez Bentham ne peut être
compris que si nous le replaçons dans le cadre plus général
de l’utilitarisme et plus spécifiquement dans le champ
éthique, politique mais également juridique qui cherche
à influencer le comportement individuel. Nous avons bien
vu que le principe d’utilité occupait une place importante
dans cette dynamique, particulièrement dans l’élaboration
des fondements d’une théorie de la motivation considérant
le plaisir et la douleur comme les principaux ressorts de l’action.
Influencer les comportements se réduit alors à agir
sur le plaisir et la douleur, c’est-à-dire distribuer
des récompenses et infliger des punitions. Cela constitue
effectivement une manière possible de manager les fonctionnaires
et Bentham ne manque pas d’insister sur la place qu’occupe
le salaire en tant que récompense et sur l’influence
supérieure que peut exercer la récompense par rapport
à la punition [61]. Pourtant, la démarche benthamienne
peut également être caractérisée par
une recherche des moyens qui vont permettre à l’Etat
d’un côté et à la société
d’un autre côté de s’assurer du comportement
des fonctionnaires en tant que celui-ci doit s’accorder avec
le principe d’utilité. Mais l’application du
mécanisme panoptique à l’œuvre dans les
prisons et analysé par Michel Foucault laisse entrevoir un
nouveau type de management des fonctionnaires. Le pouvoir disciplinaire
pénètre le corps des gens et c’est bien l’intériorisation
des processus disciplinaires qui change les conduites : les normes
deviennent une procédure de normalisation des conduites.
Les normes éthiques définies par le principe d’utilité
sont donc internalisées, la force n’est plus nécessaire
pour contraindre l’action : personne ne manage les fonctionnaires,
ils sont capables de s’auto-manager. Il s’agit d’élaborer
les modalités d’une normalisation du comportement des
fonctionnaires qui va les amener à adopter un comportement
spécifique en accord avec des prescriptions éthiques
relevant de la théorie utilitariste. Or, une telle normalisation
des comportements ne peut être effective que si l’on
applique à l’appareil étatique des techniques
d’organisation ou de management que Foucault a identifiées
comme des technologies disciplinaires, lorsqu’il s’est
penché sur la question du panoptique. Le management des fonctionnaires,
tel qu’il est décrit et préconisé dans
les écrits de Bentham, est une manière ou une tentative
de normaliser les conduites d’un groupe d’individus
spécifiques et déterminés afin d’obtenir
une internalisation des normes éthiques prescrites par le
principe d’utilité. L’espace bureaucratique devient
alors un espace éthique du management de soi [62] à
la fois possible et effectif par le contrôle constant ainsi
qu’une transparence intrinsèque et nécessaire
des individus et des dispositifs organisationnels.
Mais ceci entraîne une question supplémentaire : aux
yeux de qui ces derniers doivent-ils être transparents ? Concernant
l’organisation, nous l’avons suffisamment répété
: ce sont les yeux du peuple constitué en Tribunal de l’Opinion
Publique qui assurent le contrôle de l’activité
des fonctionnaires afin d’œuvrer à la réalisation
du principe d’utilité et d’actualiser constamment
la démocratie. Concernant les individus, nous pouvons observer
deux niveaux d’application. Tout d’abord, nous nous
sommes intéressés à des individus particuliers
: les fonctionnaires, et nous avons bien vu que la transparence
était requise au niveau de la sélection des candidats
aux fonctions publiques, du recrutement et de leurs activités.
Ensuite, ce sont les individus en tant que tels que la théorie
benthamienne suppose initialement, intrinsèquement et nécessairement
transparents : il ne peut y avoir de motivations cachées,
de ressorts de l’action ou même d’actions invisibles.
Tout ce qui est caché est soustrait à la connaissance
et augmente l’incertitude, qui engendre l’augmentation
de l’alarme dans la société et qui fait baisser
la quantité de bonheur en son sein [63]. La transparence
des individus alimente la connaissance du Législateur, connaissance
sans laquelle il ne peut réaliser l’harmonie artificielle
des intérêts au sein de la société.
L’ensemble de notre analyse invite à revenir à
la question exposée dans l’introduction des rapports
réels ou supposés entre le nouveau management public
et l’utilitarisme, benthamien en ce qui nous concerne. Nous
retrouvons effectivement des éléments identifiés
par Hood comme caractéristiques du nouveau management public
[64] : une utilisation des ressources plus disciplinée et
parcimonieuse et une recherche active de moyens alternatifs de production
à moindre coût ainsi qu’un mouvement vers l’adoption
de standards de performance plus explicites et mesurables (ou plus
contrôlables) ainsi que la mise en avant de la mesure du résultat
(notamment en terme de rémunération des performances).
Il ne faudrait cependant pas réduire la position benthamienne
à ces préceptes, ce serait faire fi de l’esprit
et de la finalité de la réforme de l’Etat qu’il
revendiquait. La bureaucratie dont nous avons esquissé ici
quelques principes et caractéristiques était un moyen
de lutter contre le népotisme, la corruption et la confiscation
du pouvoir et des charges publiques par une minorité représentant
une seule classe sociale. La transparence à l’œuvre
dans les procédures, notamment, de sélection des candidats
et de recrutement, doit être comprise selon ce point de vue.
Or ces « vertus » de la bureaucratie sont précisément
identifiées comme des inconvénients dans une société
post-industrielle [65]. De plus, les nouvelles formes managériales
préconisent que les qualités de l’individu et
ses compétences prendraient le pas sur la règle et
la procédure [66]. Or c’est précisément
l’inverse chez Bentham : ce sont les règles et les
procédures qui garantissent que les qualités des individus
seront repérées au moment du recrutement et que qu’ils
utiliseront bien leurs compétences.
Enfin, apparaît avec Bentham l’idée, reprise
par les théories managériales, d’accountability,
d’obligation de rendre compte de ses actions. Elle repose
dans ses développements contemporains sur la création
d’espaces « comptables », donc plus gérables,
puisque offrant plus de calculabilité et de comparabilité
[67]. Si ces deux dernières idées sont bien présentes
chez Bentham dans l’expression même du calcul d’utilité
– dont il ne faudrait cependant pas maximiser l’importance
– il n’en va pas de même concernant ce qu’il
entend par accountability. Il ne s’agit pas de créer
des espaces comptables mais bel et bien de constituer un espace
public démocratique dont la transparence est assurée
par cette obligation faite à l’appareil bureaucratique
de rendre compte de ses actions. A travers l’exercice constant
du Tribunal de l’Opinion Publique, « rendre compte »
signifie bien « rendre visible » et assure le bon fonctionnement
d’une société démocratique et utilitariste.
La transparence érigée en norme managériale
est le garant de l’Etat démocratique benthamien.
par Malik Bozzo-Rey
Notes
[1] Pour une analyse critique, voir M. Marzano, Extension du domaine
de la manipulation, Paris, Pluriel, 2010 ; en particulier p. 11-40,
p. 77-116 et p. 181-218.
[2] On parle ainsi de « restructuration organisationnelle
». Voir sur ce point P. Thompson, J.O. Davidson, « The
Continuity and Discontinuity : Managerial Rhetoric in Turbulent
Times », Personnel Review, Vol. 24 N°4, 1995, p.17-33.
[3] Loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative
aux lois de finances. On parle à son propos de « Constitution
financière ».
[4] En ce qui concerne sa théorie du droit, voir l’ouvrage
majeur que constitue Of the Limits of the Penal Branch of Jurisprudence,
Oxford, Oxford University Press, 2010. Sa pensée constitutionnelle
marque les dernières années de sa vie avec la rédaction
du monumental Constitutional Code dont seul le premier volume est
actuellement disponible. Bentham, Jeremy, Constitutional Code :
Volume I, Oxford, Clarendon Press, 1983.
[5] Sa pensée politique est développée dans
différents ouvrages, nous ne citerons que le Fragment sur
le gouvernement, Paris, LGDJ, 1996 et Tactique des assemblées
législatives, Boston, Elibron Classics, 2007.
[6] L’expression benthamienne est la suivante : « the
ruling few/the subject many ». Voir sur l’articulation
des différentes classes : E. de Champs, « Les fonctionnaires
dans le Code Constitutionnel », Revue d’études
benthamiennes [En ligne], 1 | 2006, mis en ligne le 01 septembre
2006, consulté le 15 avril 2011. URL : http://etudes-benthamiennes.revues.....
Voir également pour une analyse plus générale
de la bureaucratie benthamienne : L. J. Hume, Bentham and Bureaucracy,
Cambridge, Cambridge University Press, 1981 ainsi que C. Chauvet,
Jeremy Bentham. Vie, œuvres, concepts, Paris, Ellipses, 2010.
[7] Nous reviendrons sur ce point.
[8] Constitutional Code, Op. cit., p. 195.
[9] La destitution d’un fonctionnaire peut s’accompagner
de sa nomination à un autre poste.
[10] Ibid., p. 21.
[11] J. Bentham, First Principles Preparatory to Constitutional
Code, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 4 et 151.
[12] Constitutional Code, Op. cit., p. 19.
[13] First Principles, Op. cit., p. 117.
[14] La volonté réformatrice de Bentham se fait ici
clairement entendre puisqu’il faut exclure les aristocrates
des charges étatiques. Voir sur ce point, F. Dreyfus, «
Actualité de Bentham. Penseur de la bureaucratie utilitaire
» dans M. Bozzo-Rey et G. Tusseau, Bentham juriste. L’utilitarisme
juridique en question, Paris, Economica, 2011.
[15] Il serait intéressant d’analyser cette dissuasion
indirecte à la lumière de ce que Bentham appelle en
droit pénal la législation indirecte. Voir sur ce
point les Traités de législation civile et pénale,
Paris, Dalloz, 2010, p. 331-405 et pour une analyse plus précise,
se reporter à la préface p. xxii-xvi.
[16] Ibid., p. 30.
[17] Ibid., p. 40.
[18] Constitutional Code, Op. cit., p. 118.
[19] Ibid., p. 314-315.
[20] Pour une analyse précise, se référer
à G. Tusseau, « Jereremy Bentham on Power-Conferring
Laws », Revue d’études benthamiennes [En ligne],
3 | 2007, mis en ligne le 01 novembre 2007, consulté le 15
avril 2011. URL : http://etudes-benthamiennes.revues.....
[21] First Principles, Op. cit., p. 151 et 276.
[22] J. Bentham, Introduction aux principes de morale et de législation,
Paris, Vrin, 2011, p. 25-26.
[23] Pour une analyse détaillée, voir R. Harrison,
Bentham, Londres, Routledge, 1983 et particulièrement p.
106-134 et p. 197-194.
[24] Cet ajout a toute son importance, notamment dans le cadre
de la théorie benthamienne des punitions. « C’est
la peine réelle qui fait tout le mal ; c’est la peine
apparente qui produit tout le bien. Il faut donc tirer de la première
tout le parti possible pour augmenter la seconde. L’humanité
consiste dans le semblant de la cruauté. » Traités,
Op. cit., p. 356.
[25] Constitutional Code, Op. cit., p. 244 et p. 356.
[26] J. Bentham, Théorie des peines et des récompenses,
Londres, B. Dulau, 1811, vol. 2, p. 169.
[27] Ibid., p. 26.
[28] J. Bentham, Official Aptitude Maximized, Expense Minimized,
Oxford, Clarendon Press, 1993.
[29] First Principles, Op. cit., p. 1-122.
[30] A. Brunon-Ernst, « Les métamorphoses panoptiques
: de Foucault à Bentham », dans Cahiers critiques de
philosophie, 4, 2007, p. 61-72.
[31] Constitutional Code, Op. cit., p. 285.
[32] Ibid., p. 442.
[33] M. Foucault, Surveiller et Punir. Naissance de la prison,
Paris, Gallimard Tel, 1993, p. 162.
[34] Ibid., p. 180.
[35] Legrand, Stéphane, Les normes chez Foucault, Paris
: PUF, 2007, p. 54.
[36] Constitutional Code, p. 440.
[37] Surveiller et punir, Op. cit., p. 200.
[38] Ibid., p. 201-208.
[39] Ibid., p. 209. « Au cœur de tous les systèmes
disciplinaires fonctionne un petit mécanisme pénal.
»
[40] Ibid., p. 210.
[41] Ibid., p. 215.
[42] Ibid., p. 217.
[43] Les normes chez Foucault, Op. cit., p. 63.
[44] Surveiller et punir, Op. cit., p. 208.
[45] Constitutional Code, Op. cit., p. 443-450.
[46] Sauf dans des cas très précis mais qui ne sont
pas en jeu ici. Constitutional Code, Op. cit., p. 440-448.
[47] Tactique, Op. cit., p. 245 et Constitutional Code, Op. cit.,
p. 539.
[48] Voir également E. de Champs, La déontologie
politique : ou la pensée constitutionnelle de Jeremy Bentham,
Genève, Droz, 2008 ; F. Rosen, Jeremy Bentham and Representative
Democracy. A Study of the Constitutional Code, Oxford, Oxford University
Press, 1983 et O. Ben-Dor, Constitutional Limits and the Public
Sphere. A Critical Study of Bentham’s Constitutionalism, Oxford,
Hart Publishing, 2000.
[49] Constitutional Code, Op. cit., p. 35.
[50] Ibid.
[51] Ibid.
[52] Ibid.
[53] Ibid., p. 36-37.
[54] J. Bentham, Securities Against Misrule and Other Constitutional
Writings for Tripoli and Greece, Oxford, Clarendon Press, 1990,
p. 56.
[55] Ibid., p. 62-63.
[56] Ibid., p. 67.
[57] J. Bentham, Deontology ; Together With a Table of the Springs
of Action ; and the Article on Utilitarianism, Oxford, Clarendon
Press, 1983, p. 72.
[58] First Principles, Op. cit., p. 96 et p. 133.
[59] Constitutional Code, Op. cit., p. 36.
[60] Introduction, Op. cit., p. 52.
[61] Même s’il convient que l’utilisation systématique
de la récompense est ce qui peut mener à la corruption,
qu’il n’a eue de cesse de combattre.
[62] Ce concept est particulièrement étudié
dans l’ouvrage suivant : E. Pezet (dir.), Management et conduite
de soi. Enquête sur les ascèses de la performance,
Paris, Vuibert, 2007.
[63] Voir sur ce point les Traités, Op. cit., p. 258-271.
[64] C. Hood, « The “New public management” in
the 1980s : variations on a theme », Accounting, Organizations
and Society Vol. 20, n°3, 1995, p. 93-109.
[65] D. Osborne et T. Gaebler, Reinventing Government. How the
Entrepreneurial Spirit is Transforming the Public Sector, New-York,
Plume, 1992.
[66] S. Halford et M. Savage, « Restructuring organizations,
changing people : Gender and restructuring in banking and local
government », Work, Employment and Society, 9, 1995, p. 97-122.
[67] Voir sur ces points : M. Power et R. Laughlin, « Critical
Theory and Accounting », dans M. Alvesson et H. Wilmott, (dirs.),
Critical Management Studies, Londres, Sage, 1992, p.113-135, ainsi
que P. Miller, « Accounting and objectivity : the invention
of calculable selves and calculable spaces », Annals of Scholarship
9 (1), 1992, p. 61-86.
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