Source : site du centre social du 10ème Paris www.crl10.net
http://www.crl10.net/images/stories/pdf/cr_upls_seance_introductive.pdf
Après une brève reprise de la présentation
de l'UPLS par le CRL10 (Gérard Caballéro, voir synthèse
des thèmes et de la création de l'UPLS sur le territoire
du 10e RV du 21 janvier 2012), Max Leguem, directeur de la MJC de
Ris-Orangis recontextualise le travail de l'UPLS à Ris qui
existe depuis plus de trois ans:
Introduction de Max Leguem, directeur MJC Ris-Orangis
Max rappelle son parcours au sein des MJC, maisons des jeunes et
de la culture, fondées sur le progrès et l’ascension
sociale, modèle qui aujourd’hui ne fonctionne plus.
L’avenir qui auparavant était une promesse devient
une menace pour tous. Les MJC malgré une démultiplication
des initiatives ne peuvent que constater un échec en la matière.
C'est alors qu'il faut avoir le courage de dire "on ne sait
plus" et oser prendre des risques. D'où la création
de l’Université Populaire - Laboratoire Social, non
pas pour créer un énième lieu de diffusion
mais un lieu de construction, d’expérimentation pour
lequel la MJC s'est rapprochée de Miguel Benasayag.
L’intérêt de cette expérience non utilitariste
est que c’est justement une expérimentation, on ne
sait pas vers où on va et il faut accepter cela. Dans ce
projet où, dans le volet Laboratoire on tâtonne, on
expérimente sans cesse, on parle malgré tout de savoirs
académiques et fait venir un philosophe... L’idée
de l'UPLS est de partir des hypothèses de Miguel Benasayag
qui est chercheur. On accepte de partir de ses hypothèses
de travail avec des outils philosophiques. A nous de voir si on
les vérifie ou non dans les expérimentations que l’on
fera par la suite.
Dans cette université, et surtout au Laboratoire social,
on cherche à réunir des personnes qui sont affectées
par un problème, qui font une sorte de résistance;
ensuite on va leur demander de trouver des solutions concrètes
aux problèmes qui se posent et ce, non pas seules, mais de
manière collective !
Ce n’est pas simple mais depuis trois ans à Ris-Orangis,
où l'on a travaillé sur le commerce de proximité,
la violence à l'école et les problèmes intergénérationnels,
il y a eu de vrais résultats concrets, pas forcément
là où on les attendait. Ce n'est pas simple mais il
faut comprendre et convaincre les gens que changer le monde, même
au quotidien, n'est pas simple et nécessite un vrai travail.
Ce qu’on vous propose est un travail avec la joie de reprendre
en main sa vie.
Séminaire 1 - de Miguel Benasayag
Il existe aujourd'hui des UPLS en Italie, Argentine, dans la ZUP
de Reims, dans la Cité des 4000 à la Courneuve et
maintenant à Paris. La philosophie a toujours été
une réponse concrète à des problèmes
qui émergent dans la vie. D'où l'idée de commencer
par trouver des outils philosophiques pour aboutir à un travail
de recherche sur des hypothèses de base à partir desquelles
on pourra expérimenter et agir.
Le terrain de travail ici est la question de la complexité
- que nous appelons crise - et de l’agir
En citant pour commencer La phénoménologie de la
perception de Merleau-Ponty (Gallimard, 1945, Poche 1976), Miguel
Benasayag tire un parallèle entre la démarche de recherche
de l'UPLS et celle de M.P. qui se fonde sur les invariants de la
conscience étudiés par M.P. qu'il découvre
au fur et à mesure qu'il explore les notions de sensation
et de perception.
En passant ensuite à Edgar Morin qui, dans La Méthode
(6 volumes, 2 tomes publiés de 1977 à 2004, Collection
Seuil Opus, 2008), estime que la complexité est non pas un
concept mais une rencontre, Miguel indique que, ici, nous allons
essayer de comprendre la crise que nous traversons et comprendre
comment agir dans et malgré cette complexité. En effet,
aujourd’hui la tentation est grande de ne plus agir en tournant
le dos à la complexité ou en l'acceptant comme une
fatalité et avec un fort sentiment d'impuissance.
Néanmoins, en fournissant des concepts sur la complexité
et l'agir, il ne faudra pas s'attendre à quelque chose d'extra-ordinaire
mais avoir un regard extraordinaire (éloigné, modifié,
distancié) sur des choses ordinaires. Comme par exemple,
Miguel Benasayag et Angélique Del Rey l'ont montré
dans "Plus jamais seul, le phénomène du téléphone
portable".
D'autres encore, comme l'ethnologue Jean Mallaurie (cf nombreux
ouvrages sur les habitants polaires comme Les derniers rois de Thulé,
L'allée des baleines,...et des textes sur l'Ecosystème
arctique, ethnologie et anthropologie arctiques, Développement
durable et périls de perte d'identité des peuples
premiers circumpolaires,...) avec qui MB a pu travailler, ont montré
que l'on pouvait reconstruire un monde, ou des peuples, à
partir d'une simple pierre qu'il sait recontextualiser.
Recherche et concepts, abstrait et concret
La recherche exige d’inverser les concepts du sens commun
que l’on appelle concret et abstrait. Dans un article sur
le sens commun, Hegel parle du concret et de l’abstrait. Il
parle de la plume de M. Krüger (un journaliste): Hegel dit
qu’il ne peut pas rendre compte de cette plume car elle est
trop abstraite.
Si on abstrait trop, on ne peut plus comprendre, on ne peut plus
suivre.
Pour comprendre comment nous en arrivons concrètement à
la sensation d’impuissance, il nous faut prendre conscience
d'une série de surdéterminations qui définissent
ce que nous vivons... ce qui fait de nous des marionnettes. Puisque
nous sommes surdéterminés par des
macroprocessus (l’économie, la technique, le climat),
on peut se demander ce qui nous permet d'agir. D'autant que, face
à cette surdétermination, on ne sait pas trop que
faire.
Intériorité et intentionnalité, période
post-moderne
Dans son ouvrage Par delà nature et culture (Gallimard,
2006), Phillipe Descola propose une typologie des économies
de la connaissance du point de vue anthropologique. Il appelle ontologie
ou paradigme anthropologique le rapport des hommes entre eux, avec
leur environnement et avec l’histoire. Cela est proche de
la problématique du schématisme kantien : les individus
n’existent pas dans un rapport direct individu/monde mais
tout individu préexiste dans un schéma référentiel
opératoire qui va le constituer.
On voit ainsi comment un paradigme modèle et formate l’homme,
y compris dans son fonctionnement neurophysiologique et biologique
et on essaie de comprendre comment le vivant est en train d’être
capturé par un fonctionnement de plus en plus artefactuel.
On cherche à découvrir ce qui possède une intériorité
et une intentionalité: c'est ce qu'on appelle un sujet.
Exemple de la réaction d’un jeune heurté par
une porte de métro : ce jeune ne réagit pas alors
que s’il avait été heurté par un autre
jeune, il aurait réagi. Pourquoi ? Ce jeune soupçonnerait
une intentionnalité chez un autre jeune qu’il ne soupçonne
évidemment pas dans la porte du métro.
La déconstruction post-moderne actuelle est en train de
détisser ce qui dans la modernité s’était
tissé et construit comme un mode d’intériorité,
un mode de subjectivation comme dirait Foucault, donc une intériorité
avec une intentionnalité, ce que Foucault appelle un Homme
sujet.
L’Homme post-moderne est un mode d'être au monde dans
lequel l’intériorité est en train de disparaître.
Très concrètement l’hypothèse de base
aujourd'hui est que la période post-moderne que nous vivons
constitue la fin d’un cycle que Foucault appelle celle de
l’Homme sujet. Cette fin de cycle doit être comprise
dans sa contextualité anthropologique pour pouvoir comprendre
ce qui dans la modernité agissait, sous quelles conditions
on était sujet, sous quelles conditions on était libre,
pour comprendre la fin de cette époque.
Mais avant d’en arriver là, Miguel Benasayag présente
les concepts fondamentaux d’anthropologie de Phillipe Descola
(cf Par delà nature et culture, ci-dessus). Lorsqu'il sera
question de la production historique anthropologique de la modernité,
MB suivra les travaux de Philippe Ariès et Georges Duby dans
le 3e volume de "L’Histoire de la vie privée"
(Philippe Ariès et Georges Duby, 5 volumes, Seuil, Points
Histoire, 1999).
Les ontologies de Philippe Descola
Les schémas référentiels opératoires
qui tissent l’homme sont appelés ontologies. Ces schémas
opératoires sont évoqués par l'école
structuraliste et Ph. Descola pour qui il existe 4 paradigmes ou
ontologies de base.
Nous partons de l’hypothèse qu’il n’existe
pas de possibilité que des humains isolés puissent
vivre s’ils ne sont pas pris dans un paradigme.
Le paradigme dominateur, celui de la modernité occidentale
est en train de finir son cycle. En agissant dans ces paradigmes-là
les hommes n’arrivent pas à dépasser les problèmes
qui se présentent à eux. Les instruments d’agir
que ce paradigme donne ne permettent pas de résoudre les
problèmes.
Une époque est obscure quand les hommes n’envisagent
pas un horizon de dépassement.
L’homme universel serait l'homme (occidental) d'aujourd'hui
se considérant, à partir de l'homme préhistorique,
comme fruit d'une évolution à laquelle tout le monde
doit aboutir.
Durckheim lui même, dans Le Suicide (Le Suicide, étude
de sociologie, collection Petite bibliothèque Payot, 2008;
1ere publication en France: 1897), part de l'Homme isolé.
Il classifie les différentes sociétés et explique
que la société occidentale représente un niveau
supérieur de l'évolution des cultures dans la mesure
où c'est elle qui a "accouché" de l'individu.
Et de fait, l’Occident a regardé le monde comme dans
un miroir darwinien où il se considérait en haut de
la pyramide. Dans cette vision pyramidale darwinienne, l’Occident
veut intégrer tout le monde. Mais dans les cités,
aujourd'hui, les habitants ne veulent plus de l'intégration
qu'on leur propose car elle présuppose qu’ils se "désintègrent"
de leur propre culture, de leur singularité pour s'intégréer
dans la nôtre. C'est l'échec de la société
qui se considérait comme "universelle", intégratrice;
en fait, c'est l’homme universel qui est un échec.
L'échec de la société qui se vivait come universelle
est un des éléments de la crise.
Aujourd’hui Miguel Benasayag traite des ontologies de Philippe
Descola et la séance prochaine, du modèle moderne
qui est un échec.
Les 4 socles anthropologiques ou ontologies
Les 4 modèles sont :
- Le modèle totémique
- Le modèle animiste
- Le modèle analogique ou culture par enchevêtrement
- Le modèle naturaliste ou moderne
Chaque paradigme anthropologique est une forme de construction de
l’homogène à partir de l’hétérogène
du monde.
Le totémisme
Dans les cultures totémiques, il n’y a pas de différence
entre l’humain et le non-humain; la construction du concept
indique d’autres types de frontières. Le rapport de
l'existant se structure autour de qualités, c'est-à-dire
des essences partagées par des êtres différents
qui correspondent aux totems.
Dans le totémisme, le monde est enchanté. Les séparations
dans l’animal représentent les séparations dans
la société. Dans le totémisme, il n'y a pas
de différence entre intériorité et physicalité;
l'intériorité sera donnée par différentes
essences et il y a continuité entre intériorité
et physicalité, séparées uniquement par des
essences, des qualités.
Chaque paradigme a un mythe des origines, le notre est le Big Bang.
Dans la culture totémique, le mythe des origines disait :
dans le temps héroïque, les essences existaient en tant
qu’essences séparées dans le monde et à
un moment donné ces essences-là se sont s’incarnées
dans des êtres différents (homme, vache, pierre, fleuve).
Le monde totémique est le plus difficile à identifier
dans notre société.
Ci-contre, une figure totémique qui évoque les origines
: une spirale, et petit à petit on voit apparaitre les frontières
entre essences différentes qui se développent pour
faire monde. Une essence est une qualité, on peut dire qu’une
pierre est lumineuse. La luminosité peut être dans
différents êtres. Chaque être possède
plusieurs essences
mais avec une essence dominante.
On cherchera à quelle essence appartient cette personne ou
cette montagne. Cela déterminera leur rapport avec l'une
ou l'autre
Ci-contre, à droite, les frontières
sont plus claires, et font monde.
Dans les 3 paradigmes non-modernes, l’homme n’est pas
au centre du dispositif. Il n’est jamais extrait du monde,
il n’est jamais séparé.
L’animisme
Tous les êtres ont une intériorité cachée
dans une apparence extérieure. Mais dans l’animisme,
il y a une discontinuité physique et intérieure. Par
exemple, une pierre a une forme mais elle est habitée par
une âme, une singularité.
Avec le masque ci-contre, on voit que dans les objets, il y a une
âme mais à la fois l’homme peut ne pas avoir
une âme.
Les Indiens d’Amérique Latine disent : "cet homme-là,
il ne le sait pas mais il est mort". Ils veulent dire que cet
homme-là est entièrement capturé par la physicalité,
il ne le sait pas mais il n’a pas d’intériorité.

Ci-contre, à droite et à gauche, la physicalité
entoure l’intériorité.

Dans la crise de la culture occidentale, nous sommes en
plein retour de l’animisme.
On essaie de voir comment l’économie agit comme une
sorte de sujet. La macro-économie par exemple devient de
plus en plus animiste mais dans le sens négatif. C'est comme
un sujet qui a une stratégie qui fonctionne sans stratège
humain et nous n’avons pas la culture qui nous permette d’établir
une relation avec des entités non-humaines mais qui possèdent
une intériorité.
Nous sommes de plus en plus envahis par des entités que,
d’un point de vue culturel, on nommerait animiste mais que
malheureusement notre culture n’a pas les éléments
qui nous permet d’avoir des rapports avec. Dans la macro-économie,
il n’y a pas de stratège qui dirige, il y a une combinatoire
qui se développe d’après des déterminations
antérieures que nous n’arrivons pas, nous humains,
à maîtriser.
Dans l’animisme, par exemple, l’écosystème
a ses raisons que la raison ne comprend pas. Quel est le mode de
rapport que les cultures animistes établissent avec les êtres
non- humains ? C’est un rapport sacrificiel, un rapport où
l’homme accepte que dans son rapport avec l’environnement,
il y ait de la perte humaine.
La conséquence est que nous ne pouvons pas garder à
la fois l’homme au cœur du dispositif et négocier
avec des entités autonomes. Cela pose la question du sacrifice.
Une société qui n’accepte pas le sacrifice n’est
pas une société qui ne perd pas mais une société
qui n’arrête pas de perdre. Que nous ne sachions pas
négocier avec les entités autonomes est un problème
majeur.
L’Occident réfléchit depuis longtemps à
des entités animistes. Dans le livre fondateur de la sociologie
française, "Le suicide" (cf p. 3) Durkheim établit
des déterminants sociologiques. Démographiquement,
sociologiquement, conomiquement, il y a des éléments
qui exercent sur les individus un pouvoir coercitif et extérieur
qui vont faire que les gens se suicident.
Ce n’est pas nouveau qu’il y ait des entités
non-humaines avec lequel l’humain est en rapport. Ce qui est
actuel est que ces entités là deviennent de plus en
plus présentes dans notre vie sociale et individuelle.
Les Occidentaux croient qu’ils dirigent. Dans la question
du voile, des cultures nous rappellent comme le dit Freud que "nul
n’est maître en sa demeure". Nous n’arrêtons
pas de nous confronter à cette frontière, et de reculer.
Freud découvre les surdéterminations au moment où
tout l’Occident les découvre aussi. En 1900 commence
la crise de la culture occidentale. Le projet kantien de l’homme
qui maîtrise sa vie par la raison ne fonctionne pas (pour
Kant, voir réf. page 5)
Le modèle analogique
Ce modèle pose la question de qu’est-ce qui fait unité
? Dans les cultures analogiques ou cultures de l’enchevêtrement,
on émet l’hypothèse que des entités différentes
constituent une unité organique, tout en sachant que tout
agrégat n’est pas un organisme.
C’est l’hypothèse centrale de la post-modernité
: un ensemble est la somme de ses parties voir, par exemple l'utilitarisme
dans l'urbanisme de Le Corbusier : la machine à vivre. Il
y a quelque chose dans l’addition agrégative de l’ensemble
qui ne fait pas organisme. Qu’est-ce qui fait organisme ?
Pour Spinoza, ce qui fait organisme, c’est la partie intensive
par rapport aux parties extensives. La partie intensive, ça
veut dire : qu’est-ce qui fait qu’un ensemble qu’on
appelle éléphant soit un éléphant constitué
par tous ces organismes agencés et que ce ne soit pas un
agrégat mort. Dans la biologie moléculaire, on est
convaincu que la vie est un phénomène qui émerge
à partir d’une table rase: je peux agencer des éléments
et la vie va émerger.
C’est l’hypothèse centrale de l’utilitarisme
: j’agence des choses et ça fonctionne (voir p.ex.
Villes bonnes à vivre, villes invivables. Urbanisme, utilitarisme
et démocratie, Alan Caillé (dir.), La Découverte/Mauss,
1999).
Dans la culture analogique, la préoccupation centrale est
que tout ne fait pas monde, tout ne fait pas société,
tout ne fait pas vie. Il y a quelque chose qui fait partie intensive,
qui n’est pas négociable. Dans l’épistémologie
moderne, la question centrale, c’est : est-ce que tout est
possible ou pas ? Est-ce que tout est possible ou est-ce que, effectivement,
il y a du non possible qui n’est pas de l’arbitraire.
Par exemple, qu’est-ce qu’un interdit ? Un interdit
social est-ce un interdit auquel on arrive en dialoguant, en parlant,
en votant ou est-ce qu’il y a des interdits qui relèvent
d’invariants à ne pas transgresser ?
Dans le constructivisme, comme dans l’urbanisme de Le Corbusier,
dans cette vision agrégative du réel comme constitution
d’unité, il y a quelque chose de morbide. La discussion
scientifique est : est-ce qu’il existe des invariants de construction
non constructibles eux- mêmes ou pas ?
Dans le Bouddhisme, la partie contient le tout,
chaque partie contient l’univers, l’univers n’est
pas la somme des parties, l’univers est ce qui existe comme
partie intensive organisée dans chaque partie.
Miguel Benasayag fait ensuite référence à Kant
qui, dans La Critique de la raison pure (Folio, Essais, 1990; première
édition en 1781, remaniée en 1787) dit "un organisme
se définit comme un système où chaque partie
est pour et par l’autre". Les parties ont un rapport
local où la globalité est la partie intensive que
chaque partie possède. La vie n’existe pas dans un
organe en particulier mais existe dans chaque partie d’un
organisme vivant. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe
pas d’organes vitaux.
Ci-contre: L'unité ici est donnée
par un élément propre dans un autre type d’agencement:
par enchevêtrement.
Quand on demande ce qui donne l’homogénéité,
on voit que l’unité sera donnée par le fait
qu’il existe un élément intensif qui dit "ça
c’est une unité et si on agence ça d’une
autre façon, ça ne fait pas unité".
C’est la même question que l'on pose quand on demande
ce qui donne son unité dans une œuvre d’art...
Jean Petitot, philosophe, dit que l’unité est l’émergence
d’une forme, d’une auto-organisation.
Le naturalisme ou le modèle moderne
L’hypothèse de l’ontologie naturaliste ou moderne,
c’est l’hypothèse folle de pouvoir vaincre l’obscurité.
L’histoire est ascendante qui va d’un point alpha au
point oméga, c’est l’émancipation totale
de l’homme de toute physicalité. L’homme sera
libéré de toute souffrance, de toute maladie, de toute
injustice. Le négatif va disparaitre un jour et ce sera le
paradis; 2 dates importantes: 1900 et 1980.
Quand cette hypothèse centrale se casse, notre société
voit le retour du négatif que l’on pensait éliminable.
Les 3 autres ontologies négocient avec le négatif,
ces ontologies incorporent le phénomène humain dans
un ensemble dynamique d’autres processus.
Dans ces autres cultures, organiques, ce n’est pas que l’homme
accepte de perdre, c’est qu’il y a de la perte pour
tout le monde. La perte sacrificielle qui est anthropologiquement
fondamentale pour toute culture ne signifie pas l’idée
que l’homme perd.
Ce n’est qu’à partir du monothéisme (pré-modernité),
qu’apparaît l’idée que l’homme ou
une partie de l’homme pourra se libérer, c’est
l’âme.
La question sacrificielle sera beaucoup abordée ici. La
modernité va inventer quelque chose qu’il appelle la
nature, qui lui est extérieure et qui est pure physicalité
par rapport à l’intériorité humaine.
La question du sacrifice est importante car dans la culture moderne,
quand on parle de décroissance, de contrôle démographique,
de contrôle de mode de consommation, on dit que l’homme
doit se limiter mais la nature reste extérieure à
nous, et nous, on doit se sacrifier.
C’est l’idée écologique qu’on doit
avoir une nouvelle alliance avec la nature pour continuer à
la dominer, pour continuer à être au centre, il faut
accepter de moins consommer. Dans la culture amérindienne,
ils ne savent pas qu’ils sont dans un rapport écologique
avec le monde : l’Indien accepte de manger moins pour manger
demain, il n’accepte pas de manger moins pour les générations
futures...
En Occident, le problème est qu’on pense ce nouveau
rapport avec la nature dans des termes modernes. Les Indiens n’ont
pas un rapport de respect à la nature car pour eux la nature
n’existe pas. La nature est une invention de la modernité.
Emergence d’une hypothèse qui va fonder
l’humanisme dans lequel l’intériorité
est seulement humaine.
On voit l’expression des visages.
Dans cette ontologie naturaliste, le monde est tout à fait
désenchanté, le monde n’a plus d’intentionnalité,
le monde est vide, est fait que de particules inhabitées.
La seule chose qui possède une intériorité
est le sujet humain séparé de l’ensemble. La
seule ontologie qui marque un début et une fin est celle-ci.
Il émerge une pure extériorité par rapport
à une pure intériorité. On est dans le socle
épistémologique de la modernité. L’hypothèse
de base est le monde est constitué par des éléments
mesurables, observables extérieurs.
Lecture d'un poème de Fernando Pessoa qui appartient à
la tradition romantique et critique.
Quand on va étudier le socle moderne, il ne faut pas oublier
que contrairement aux autres cultures, dans la modernité,
on ne trouve pas l’homogénéité qu’on
trouve dans d’autres cultures. La modernité est moins
homogène que d’autres cultures. Spinoza critique la
modernité, tout en gardant la rationalité produite
par la modernité, il dit que l’homme n’est pas
un empire dans l’empire. Il faut penser l’homme comme
inclu. Il pense que nous partageons les mêmes surdéterminations
que l’ensemble de l’existant.
Exemple de l’âne de Buridan : mythe fondateur dans
le récit de l’Occident, c’est un mythe car ce
qui fonde la science moderne est ce qui est scientifiquement indémontrable.
Si on met un âne au milieu de 2 meules de foin de façon
équidistante, il va mourir de faim car il aura autant de
tropisme pour l’un que pour l’autre. Je ne peux pas
éliminer les tropismes et les forces matérielles mais
je peux les annihiler en les équilibrant. Je ne peux pas
faire qu’un âne n’ait pas une matérialité
mais je peux annihiler cette matérialité par équidistance
des forces opposées.
Ce serait la même chose pour un Chrétien sauf que
le Chrétien a une âme, et l’âme est au-
delà de la nature. La modernité montre que l’homme
possède quelque chose de plus et il va inventer ce qui s’appelle
le libre arbitre; l’homme possède une intériorité,
la nature n’a pas d’intériorité.
Descartes (voir Le Discours de la méthode, 1637; Descartes
a dissocié pensée et matière et a introduit
le dualisme dans notre monde moderne; c'est l'homme du cogito ergo
sum/je pense donc je suis...) parle du corps-machine, postulat éthologique.
Il y a aujourd'hui sacralisation du corps de l’homme
dans la désacralisation du monde.
Quand le prêtre, le militant s’occupe de l’homme
en tant que sacré, c’est la
sacralisation du social. Le médecin peut toucher le corps
seulement parce qu’il est médecin. Dans les sociétés
non-modernes, on torture en place publique. Un des symptômes
du détissage de l’homme moderne est la revisualisation
de la torture. La torture redevient visible et acceptable.
L’art contemporain se pose la question : qu’est-ce
qui fait unité ?
Déesse de la danse : dans cette statuette, les 5 éléments
sont réunis.

Au prochain séminaire, Miguel Benasayag parlera de Leibniz
pour qui "un homme peut parfois obtenir ce qu’il désire
mais ne peut jamais désirer qu’il désire."
Le désir naît de son libre-arbitre, de son intériorité.
La raison pour laquelle l’homme désire des choses,
ce n’est pas lui qui décide. Deleuze dit que le désir
n’est pas une cause endogène, c’est un paysage,
un agencement, nous sommes capturés par un désir.
Compte rendu établi par Florence Coynault, Francine Loiseau
au 20 février 2012
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