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UPLS DU CRL10 UNIVERSITE POPULAIRE
- LABORATOIRE SOCIAL Compte rendu-synthèse des interventions
Séminaire 1 - Miguel Benasayag
MERCREDI 15 FEVRIER 2012
DOCUMENT DE TRAVAIL

Source : site du centre social du 10ème Paris www.crl10.net

http://www.crl10.net/images/stories/pdf/cr_upls_seance_introductive.pdf


Après une brève reprise de la présentation de l'UPLS par le CRL10 (Gérard Caballéro, voir synthèse des thèmes et de la création de l'UPLS sur le territoire du 10e RV du 21 janvier 2012), Max Leguem, directeur de la MJC de Ris-Orangis recontextualise le travail de l'UPLS à Ris qui existe depuis plus de trois ans:

Introduction de Max Leguem, directeur MJC Ris-Orangis

Max rappelle son parcours au sein des MJC, maisons des jeunes et de la culture, fondées sur le progrès et l’ascension sociale, modèle qui aujourd’hui ne fonctionne plus. L’avenir qui auparavant était une promesse devient une menace pour tous. Les MJC malgré une démultiplication des initiatives ne peuvent que constater un échec en la matière. C'est alors qu'il faut avoir le courage de dire "on ne sait plus" et oser prendre des risques. D'où la création de l’Université Populaire - Laboratoire Social, non pas pour créer un énième lieu de diffusion mais un lieu de construction, d’expérimentation pour lequel la MJC s'est rapprochée de Miguel Benasayag.

L’intérêt de cette expérience non utilitariste est que c’est justement une expérimentation, on ne sait pas vers où on va et il faut accepter cela. Dans ce projet où, dans le volet Laboratoire on tâtonne, on expérimente sans cesse, on parle malgré tout de savoirs académiques et fait venir un philosophe... L’idée de l'UPLS est de partir des hypothèses de Miguel Benasayag qui est chercheur. On accepte de partir de ses hypothèses de travail avec des outils philosophiques. A nous de voir si on les vérifie ou non dans les expérimentations que l’on fera par la suite.

Dans cette université, et surtout au Laboratoire social, on cherche à réunir des personnes qui sont affectées par un problème, qui font une sorte de résistance; ensuite on va leur demander de trouver des solutions concrètes aux problèmes qui se posent et ce, non pas seules, mais de manière collective !

Ce n’est pas simple mais depuis trois ans à Ris-Orangis, où l'on a travaillé sur le commerce de proximité, la violence à l'école et les problèmes intergénérationnels, il y a eu de vrais résultats concrets, pas forcément là où on les attendait. Ce n'est pas simple mais il faut comprendre et convaincre les gens que changer le monde, même au quotidien, n'est pas simple et nécessite un vrai travail. Ce qu’on vous propose est un travail avec la joie de reprendre en main sa vie.

Séminaire 1 - de Miguel Benasayag

Il existe aujourd'hui des UPLS en Italie, Argentine, dans la ZUP de Reims, dans la Cité des 4000 à la Courneuve et maintenant à Paris. La philosophie a toujours été une réponse concrète à des problèmes qui émergent dans la vie. D'où l'idée de commencer par trouver des outils philosophiques pour aboutir à un travail de recherche sur des hypothèses de base à partir desquelles on pourra expérimenter et agir.

Le terrain de travail ici est la question de la complexité - que nous appelons crise - et de l’agir

En citant pour commencer La phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty (Gallimard, 1945, Poche 1976), Miguel Benasayag tire un parallèle entre la démarche de recherche de l'UPLS et celle de M.P. qui se fonde sur les invariants de la conscience étudiés par M.P. qu'il découvre au fur et à mesure qu'il explore les notions de sensation et de perception.

En passant ensuite à Edgar Morin qui, dans La Méthode (6 volumes, 2 tomes publiés de 1977 à 2004, Collection Seuil Opus, 2008), estime que la complexité est non pas un concept mais une rencontre, Miguel indique que, ici, nous allons essayer de comprendre la crise que nous traversons et comprendre comment agir dans et malgré cette complexité. En effet, aujourd’hui la tentation est grande de ne plus agir en tournant le dos à la complexité ou en l'acceptant comme une fatalité et avec un fort sentiment d'impuissance.

Néanmoins, en fournissant des concepts sur la complexité et l'agir, il ne faudra pas s'attendre à quelque chose d'extra-ordinaire mais avoir un regard extraordinaire (éloigné, modifié, distancié) sur des choses ordinaires. Comme par exemple, Miguel Benasayag et Angélique Del Rey l'ont montré dans "Plus jamais seul, le phénomène du téléphone portable".

D'autres encore, comme l'ethnologue Jean Mallaurie (cf nombreux ouvrages sur les habitants polaires comme Les derniers rois de Thulé, L'allée des baleines,...et des textes sur l'Ecosystème arctique, ethnologie et anthropologie arctiques, Développement durable et périls de perte d'identité des peuples premiers circumpolaires,...) avec qui MB a pu travailler, ont montré que l'on pouvait reconstruire un monde, ou des peuples, à partir d'une simple pierre qu'il sait recontextualiser.

Recherche et concepts, abstrait et concret

La recherche exige d’inverser les concepts du sens commun que l’on appelle concret et abstrait. Dans un article sur le sens commun, Hegel parle du concret et de l’abstrait. Il parle de la plume de M. Krüger (un journaliste): Hegel dit qu’il ne peut pas rendre compte de cette plume car elle est trop abstraite.

Si on abstrait trop, on ne peut plus comprendre, on ne peut plus suivre.

Pour comprendre comment nous en arrivons concrètement à la sensation d’impuissance, il nous faut prendre conscience d'une série de surdéterminations qui définissent ce que nous vivons... ce qui fait de nous des marionnettes. Puisque nous sommes surdéterminés par des
macroprocessus (l’économie, la technique, le climat), on peut se demander ce qui nous permet d'agir. D'autant que, face à cette surdétermination, on ne sait pas trop que faire.

Intériorité et intentionnalité, période post-moderne

Dans son ouvrage Par delà nature et culture (Gallimard, 2006), Phillipe Descola propose une typologie des économies de la connaissance du point de vue anthropologique. Il appelle ontologie ou paradigme anthropologique le rapport des hommes entre eux, avec leur environnement et avec l’histoire. Cela est proche de la problématique du schématisme kantien : les individus n’existent pas dans un rapport direct individu/monde mais tout individu préexiste dans un schéma référentiel opératoire qui va le constituer.

On voit ainsi comment un paradigme modèle et formate l’homme, y compris dans son fonctionnement neurophysiologique et biologique et on essaie de comprendre comment le vivant est en train d’être capturé par un fonctionnement de plus en plus artefactuel. On cherche à découvrir ce qui possède une intériorité et une intentionalité: c'est ce qu'on appelle un sujet.

Exemple de la réaction d’un jeune heurté par une porte de métro : ce jeune ne réagit pas alors que s’il avait été heurté par un autre jeune, il aurait réagi. Pourquoi ? Ce jeune soupçonnerait une intentionnalité chez un autre jeune qu’il ne soupçonne évidemment pas dans la porte du métro.

La déconstruction post-moderne actuelle est en train de détisser ce qui dans la modernité s’était tissé et construit comme un mode d’intériorité, un mode de subjectivation comme dirait Foucault, donc une intériorité avec une intentionnalité, ce que Foucault appelle un Homme sujet.
L’Homme post-moderne est un mode d'être au monde dans lequel l’intériorité est en train de disparaître.

Très concrètement l’hypothèse de base aujourd'hui est que la période post-moderne que nous vivons constitue la fin d’un cycle que Foucault appelle celle de l’Homme sujet. Cette fin de cycle doit être comprise dans sa contextualité anthropologique pour pouvoir comprendre ce qui dans la modernité agissait, sous quelles conditions on était sujet, sous quelles conditions on était libre, pour comprendre la fin de cette époque.

Mais avant d’en arriver là, Miguel Benasayag présente les concepts fondamentaux d’anthropologie de Phillipe Descola (cf Par delà nature et culture, ci-dessus). Lorsqu'il sera question de la production historique anthropologique de la modernité, MB suivra les travaux de Philippe Ariès et Georges Duby dans le 3e volume de "L’Histoire de la vie privée" (Philippe Ariès et Georges Duby, 5 volumes, Seuil, Points Histoire, 1999).

Les ontologies de Philippe Descola

Les schémas référentiels opératoires qui tissent l’homme sont appelés ontologies. Ces schémas opératoires sont évoqués par l'école structuraliste et Ph. Descola pour qui il existe 4 paradigmes ou ontologies de base.

Nous partons de l’hypothèse qu’il n’existe pas de possibilité que des humains isolés puissent vivre s’ils ne sont pas pris dans un paradigme.

Le paradigme dominateur, celui de la modernité occidentale est en train de finir son cycle. En agissant dans ces paradigmes-là les hommes n’arrivent pas à dépasser les problèmes qui se présentent à eux. Les instruments d’agir que ce paradigme donne ne permettent pas de résoudre les problèmes.
Une époque est obscure quand les hommes n’envisagent pas un horizon de dépassement.

L’homme universel serait l'homme (occidental) d'aujourd'hui se considérant, à partir de l'homme préhistorique, comme fruit d'une évolution à laquelle tout le monde doit aboutir.

Durckheim lui même, dans Le Suicide (Le Suicide, étude de sociologie, collection Petite bibliothèque Payot, 2008; 1ere publication en France: 1897), part de l'Homme isolé. Il classifie les différentes sociétés et explique que la société occidentale représente un niveau supérieur de l'évolution des cultures dans la mesure où c'est elle qui a "accouché" de l'individu.

Et de fait, l’Occident a regardé le monde comme dans un miroir darwinien où il se considérait en haut de la pyramide. Dans cette vision pyramidale darwinienne, l’Occident veut intégrer tout le monde. Mais dans les cités, aujourd'hui, les habitants ne veulent plus de l'intégration qu'on leur propose car elle présuppose qu’ils se "désintègrent" de leur propre culture, de leur singularité pour s'intégréer dans la nôtre. C'est l'échec de la société qui se considérait comme "universelle", intégratrice; en fait, c'est l’homme universel qui est un échec.

L'échec de la société qui se vivait come universelle est un des éléments de la crise.

Aujourd’hui Miguel Benasayag traite des ontologies de Philippe Descola et la séance prochaine, du modèle moderne qui est un échec.


Les 4 socles anthropologiques ou ontologies

Les 4 modèles sont :

- Le modèle totémique

- Le modèle animiste

- Le modèle analogique ou culture par enchevêtrement

- Le modèle naturaliste ou moderne


Chaque paradigme anthropologique est une forme de construction de l’homogène à partir de l’hétérogène du monde.

Le totémisme

Dans les cultures totémiques, il n’y a pas de différence entre l’humain et le non-humain; la construction du concept indique d’autres types de frontières. Le rapport de l'existant se structure autour de qualités, c'est-à-dire des essences partagées par des êtres différents qui correspondent aux totems.
Dans le totémisme, le monde est enchanté. Les séparations dans l’animal représentent les séparations dans la société. Dans le totémisme, il n'y a pas de différence entre intériorité et physicalité; l'intériorité sera donnée par différentes essences et il y a continuité entre intériorité et physicalité, séparées uniquement par des essences, des qualités.

Chaque paradigme a un mythe des origines, le notre est le Big Bang. Dans la culture totémique, le mythe des origines disait : dans le temps héroïque, les essences existaient en tant qu’essences séparées dans le monde et à un moment donné ces essences-là se sont s’incarnées dans des êtres différents (homme, vache, pierre, fleuve). Le monde totémique est le plus difficile à identifier dans notre société.


Ci-contre, une figure totémique qui évoque les origines : une spirale, et petit à petit on voit apparaitre les frontières entre essences différentes qui se développent pour faire monde. Une essence est une qualité, on peut dire qu’une pierre est lumineuse. La luminosité peut être dans différents êtres. Chaque être possède plusieurs essences
mais avec une essence dominante.
On cherchera à quelle essence appartient cette personne ou cette montagne. Cela déterminera leur rapport avec l'une ou l'autre

Ci-contre, à droite, les frontières sont plus claires, et font monde.

Dans les 3 paradigmes non-modernes, l’homme n’est pas au centre du dispositif. Il n’est jamais extrait du monde, il n’est jamais séparé.

L’animisme

Tous les êtres ont une intériorité cachée dans une apparence extérieure. Mais dans l’animisme, il y a une discontinuité physique et intérieure. Par exemple, une pierre a une forme mais elle est habitée par une âme, une singularité.
Avec le masque ci-contre, on voit que dans les objets, il y a une âme mais à la fois l’homme peut ne pas avoir une âme.


Les Indiens d’Amérique Latine disent : "cet homme-là, il ne le sait pas mais il est mort". Ils veulent dire que cet homme-là est entièrement capturé par la physicalité, il ne le sait pas mais il n’a pas d’intériorité.




Ci-contre, à droite et à gauche, la physicalité entoure l’intériorité.


Dans la crise de la culture occidentale, nous sommes en plein retour de l’animisme.

On essaie de voir comment l’économie agit comme une sorte de sujet. La macro-économie par exemple devient de plus en plus animiste mais dans le sens négatif. C'est comme un sujet qui a une stratégie qui fonctionne sans stratège humain et nous n’avons pas la culture qui nous permette d’établir une relation avec des entités non-humaines mais qui possèdent une intériorité.

Nous sommes de plus en plus envahis par des entités que, d’un point de vue culturel, on nommerait animiste mais que malheureusement notre culture n’a pas les éléments qui nous permet d’avoir des rapports avec. Dans la macro-économie, il n’y a pas de stratège qui dirige, il y a une combinatoire qui se développe d’après des déterminations antérieures que nous n’arrivons pas, nous humains, à maîtriser.
Dans l’animisme, par exemple, l’écosystème a ses raisons que la raison ne comprend pas. Quel est le mode de rapport que les cultures animistes établissent avec les êtres non- humains ? C’est un rapport sacrificiel, un rapport où l’homme accepte que dans son rapport avec l’environnement, il y ait de la perte humaine.

La conséquence est que nous ne pouvons pas garder à la fois l’homme au cœur du dispositif et négocier avec des entités autonomes. Cela pose la question du sacrifice. Une société qui n’accepte pas le sacrifice n’est pas une société qui ne perd pas mais une société qui n’arrête pas de perdre. Que nous ne sachions pas négocier avec les entités autonomes est un problème majeur.

L’Occident réfléchit depuis longtemps à des entités animistes. Dans le livre fondateur de la sociologie française, "Le suicide" (cf p. 3) Durkheim établit des déterminants sociologiques. Démographiquement, sociologiquement, conomiquement, il y a des éléments qui exercent sur les individus un pouvoir coercitif et extérieur qui vont faire que les gens se suicident.

Ce n’est pas nouveau qu’il y ait des entités non-humaines avec lequel l’humain est en rapport. Ce qui est actuel est que ces entités là deviennent de plus en plus présentes dans notre vie sociale et individuelle.

Les Occidentaux croient qu’ils dirigent. Dans la question du voile, des cultures nous rappellent comme le dit Freud que "nul n’est maître en sa demeure". Nous n’arrêtons pas de nous confronter à cette frontière, et de reculer. Freud découvre les surdéterminations au moment où tout l’Occident les découvre aussi. En 1900 commence la crise de la culture occidentale. Le projet kantien de l’homme qui maîtrise sa vie par la raison ne fonctionne pas (pour Kant, voir réf. page 5)

Le modèle analogique

Ce modèle pose la question de qu’est-ce qui fait unité ? Dans les cultures analogiques ou cultures de l’enchevêtrement, on émet l’hypothèse que des entités différentes constituent une unité organique, tout en sachant que tout agrégat n’est pas un organisme.

C’est l’hypothèse centrale de la post-modernité : un ensemble est la somme de ses parties voir, par exemple l'utilitarisme dans l'urbanisme de Le Corbusier : la machine à vivre. Il y a quelque chose dans l’addition agrégative de l’ensemble qui ne fait pas organisme. Qu’est-ce qui fait organisme ?

Pour Spinoza, ce qui fait organisme, c’est la partie intensive par rapport aux parties extensives. La partie intensive, ça veut dire : qu’est-ce qui fait qu’un ensemble qu’on appelle éléphant soit un éléphant constitué par tous ces organismes agencés et que ce ne soit pas un agrégat mort. Dans la biologie moléculaire, on est convaincu que la vie est un phénomène qui émerge à partir d’une table rase: je peux agencer des éléments et la vie va émerger.

C’est l’hypothèse centrale de l’utilitarisme : j’agence des choses et ça fonctionne (voir p.ex. Villes bonnes à vivre, villes invivables. Urbanisme, utilitarisme et démocratie, Alan Caillé (dir.), La Découverte/Mauss, 1999).

Dans la culture analogique, la préoccupation centrale est que tout ne fait pas monde, tout ne fait pas société, tout ne fait pas vie. Il y a quelque chose qui fait partie intensive, qui n’est pas négociable. Dans l’épistémologie moderne, la question centrale, c’est : est-ce que tout est possible ou pas ? Est-ce que tout est possible ou est-ce que, effectivement, il y a du non possible qui n’est pas de l’arbitraire. Par exemple, qu’est-ce qu’un interdit ? Un interdit social est-ce un interdit auquel on arrive en dialoguant, en parlant, en votant ou est-ce qu’il y a des interdits qui relèvent d’invariants à ne pas transgresser ?

Dans le constructivisme, comme dans l’urbanisme de Le Corbusier, dans cette vision agrégative du réel comme constitution d’unité, il y a quelque chose de morbide. La discussion scientifique est : est-ce qu’il existe des invariants de construction non constructibles eux- mêmes ou pas ?

Dans le Bouddhisme, la partie contient le tout, chaque partie contient l’univers, l’univers n’est pas la somme des parties, l’univers est ce qui existe comme partie intensive organisée dans chaque partie.
Miguel Benasayag fait ensuite référence à Kant qui, dans La Critique de la raison pure (Folio, Essais, 1990; première édition en 1781, remaniée en 1787) dit "un organisme se définit comme un système où chaque partie est pour et par l’autre". Les parties ont un rapport local où la globalité est la partie intensive que chaque partie possède. La vie n’existe pas dans un organe en particulier mais existe dans chaque partie d’un organisme vivant. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’organes vitaux.

Ci-contre: L'unité ici est donnée par un élément propre dans un autre type d’agencement: par enchevêtrement.

Quand on demande ce qui donne l’homogénéité, on voit que l’unité sera donnée par le fait qu’il existe un élément intensif qui dit "ça c’est une unité et si on agence ça d’une autre façon, ça ne fait pas unité".
C’est la même question que l'on pose quand on demande ce qui donne son unité dans une œuvre d’art... Jean Petitot, philosophe, dit que l’unité est l’émergence d’une forme, d’une auto-organisation.


Le naturalisme ou le modèle moderne

L’hypothèse de l’ontologie naturaliste ou moderne, c’est l’hypothèse folle de pouvoir vaincre l’obscurité. L’histoire est ascendante qui va d’un point alpha au point oméga, c’est l’émancipation totale de l’homme de toute physicalité. L’homme sera libéré de toute souffrance, de toute maladie, de toute injustice. Le négatif va disparaitre un jour et ce sera le paradis; 2 dates importantes: 1900 et 1980.

Quand cette hypothèse centrale se casse, notre société voit le retour du négatif que l’on pensait éliminable. Les 3 autres ontologies négocient avec le négatif, ces ontologies incorporent le phénomène humain dans un ensemble dynamique d’autres processus.

Dans ces autres cultures, organiques, ce n’est pas que l’homme accepte de perdre, c’est qu’il y a de la perte pour tout le monde. La perte sacrificielle qui est anthropologiquement fondamentale pour toute culture ne signifie pas l’idée que l’homme perd.

Ce n’est qu’à partir du monothéisme (pré-modernité), qu’apparaît l’idée que l’homme ou une partie de l’homme pourra se libérer, c’est l’âme.

La question sacrificielle sera beaucoup abordée ici. La modernité va inventer quelque chose qu’il appelle la nature, qui lui est extérieure et qui est pure physicalité par rapport à l’intériorité humaine. La question du sacrifice est importante car dans la culture moderne, quand on parle de décroissance, de contrôle démographique, de contrôle de mode de consommation, on dit que l’homme doit se limiter mais la nature reste extérieure à nous, et nous, on doit se sacrifier.

C’est l’idée écologique qu’on doit avoir une nouvelle alliance avec la nature pour continuer à la dominer, pour continuer à être au centre, il faut accepter de moins consommer. Dans la culture amérindienne, ils ne savent pas qu’ils sont dans un rapport écologique avec le monde : l’Indien accepte de manger moins pour manger demain, il n’accepte pas de manger moins pour les générations futures...
En Occident, le problème est qu’on pense ce nouveau rapport avec la nature dans des termes modernes. Les Indiens n’ont pas un rapport de respect à la nature car pour eux la nature n’existe pas. La nature est une invention de la modernité.

Emergence d’une hypothèse qui va fonder l’humanisme dans lequel l’intériorité est seulement humaine.

On voit l’expression des visages.



Dans cette ontologie naturaliste, le monde est tout à fait désenchanté, le monde n’a plus d’intentionnalité, le monde est vide, est fait que de particules inhabitées. La seule chose qui possède une intériorité est le sujet humain séparé de l’ensemble. La seule ontologie qui marque un début et une fin est celle-ci. Il émerge une pure extériorité par rapport à une pure intériorité. On est dans le socle épistémologique de la modernité. L’hypothèse de base est le monde est constitué par des éléments mesurables, observables extérieurs.

Lecture d'un poème de Fernando Pessoa qui appartient à la tradition romantique et critique.

Quand on va étudier le socle moderne, il ne faut pas oublier que contrairement aux autres cultures, dans la modernité, on ne trouve pas l’homogénéité qu’on trouve dans d’autres cultures. La modernité est moins homogène que d’autres cultures. Spinoza critique la modernité, tout en gardant la rationalité produite par la modernité, il dit que l’homme n’est pas un empire dans l’empire. Il faut penser l’homme comme inclu. Il pense que nous partageons les mêmes surdéterminations que l’ensemble de l’existant.

Exemple de l’âne de Buridan : mythe fondateur dans le récit de l’Occident, c’est un mythe car ce qui fonde la science moderne est ce qui est scientifiquement indémontrable.

Si on met un âne au milieu de 2 meules de foin de façon équidistante, il va mourir de faim car il aura autant de tropisme pour l’un que pour l’autre. Je ne peux pas éliminer les tropismes et les forces matérielles mais je peux les annihiler en les équilibrant. Je ne peux pas faire qu’un âne n’ait pas une matérialité mais je peux annihiler cette matérialité par équidistance des forces opposées.

Ce serait la même chose pour un Chrétien sauf que le Chrétien a une âme, et l’âme est au- delà de la nature. La modernité montre que l’homme possède quelque chose de plus et il va inventer ce qui s’appelle le libre arbitre; l’homme possède une intériorité, la nature n’a pas d’intériorité.

Descartes (voir Le Discours de la méthode, 1637; Descartes a dissocié pensée et matière et a introduit le dualisme dans notre monde moderne; c'est l'homme du cogito ergo sum/je pense donc je suis...) parle du corps-machine, postulat éthologique.

Il y a aujourd'hui sacralisation du corps de l’homme dans la désacralisation du monde.

Quand le prêtre, le militant s’occupe de l’homme en tant que sacré, c’est la
sacralisation du social. Le médecin peut toucher le corps seulement parce qu’il est médecin. Dans les sociétés non-modernes, on torture en place publique. Un des symptômes du détissage de l’homme moderne est la revisualisation de la torture. La torture redevient visible et acceptable.


L’art contemporain se pose la question : qu’est-ce qui fait unité ?


Déesse de la danse : dans cette statuette, les 5 éléments sont réunis.



Au prochain séminaire, Miguel Benasayag parlera de Leibniz pour qui "un homme peut parfois obtenir ce qu’il désire mais ne peut jamais désirer qu’il désire." Le désir naît de son libre-arbitre, de son intériorité. La raison pour laquelle l’homme désire des choses, ce n’est pas lui qui décide. Deleuze dit que le désir n’est pas une cause endogène, c’est un paysage, un agencement, nous sommes capturés par un désir.

Compte rendu établi par Florence Coynault, Francine Loiseau au 20 février 2012