|
Origine : http://www.forez-info.com/actualite/culture/2849-benasayag-q-le-premier-acte-de-resistance-cest-denjamber-la-survieq.html
Miguel Benasayag a répondu à l'invitation du "Remue-Méninges",
début juin, à Saint-Etienne. Philosophe et psychanalyste,
chercheur, notamment dans le domaine des sciences humaines cliniques,
le franco-argentin a écrit de nombreux essais. "La santé
à tout prix" est un des derniers en date, paru en janvier
2008, dans lequel l'auteur alerte sur les dangers d'une société
où un biopouvoir qui s'articule avec la médecine tendrait
à créer des normes sociales et rendre certaines attitudes
obligatoires.
Cette question, celle de la "première grande crise
culturelle et historique de l'espèce humaine", selon
l'auteur, où " la science dit que tout est possible
mais rien n'est réel" et où un pouvoir appliqué
à la vie tendrait vers une uniformité de la vie, marqua
en quelque sorte le préambule de son intervention.* Ce n'en
fut pourtant pas le thème central. Avec les habitués
du Remue-Méninges, son échange portait surtout le
guévarisme et la Nouvelle radicalité. Benasayag en
effet fut aussi un résistant guévariste au sein de
l'ERP en Argentine. Sa double nationalité lui valut d'être
libéré des geôles de la junte après le
meurtre de deux religieuses françaises par cette même
junte en 1978. "Puisqu'il fallait à la France deux ou
trois couillons", comme des faire-valoirs, à une époque
où son gouvernement entretenait des liens économiques
et militaires étroits avec l'Argentine. Nous avons enregistré
ses propos dont nous faisons une brève retranscription à
partir de quelques mots-clés.
Guévarisme
Les partis communistes de l'Amérique latine nous assommaient
avec une croyance métaphysique selon laquelle l'histoire
avait des lois et un sens... Et n'arrêtaient pas de dire que
les conditions objectives n'étaient pas là. Ce qui
était un peu drôle compte tenu que Lénine avait
expliqué que les conditions objectives on s'en foutait. Tout
ça pour dire que le moment n'était pas venu de nous
révolter. Le Che disait quelque chose qui semble très
con et qui était pourtant fondamental pour nous: "un
révolutionnaire fait la révolution." Ce qui signifiait
qu'un révolutionnaire ne crée pas un parti, n'attend
pas que l'histoire lui dise où il faut aller. Il fait la
Révolution. Le Che, c'est le mec qui rend légitime
la révolte, là.(...) Historiquement, le Guévarisme
c'était ça. L'éruption d'une sorte de mouvement
de libération, d'émancipation libertaire dont Le Che,
même s'il n'aurait pas été d'accord avec un
certain nombre de choses - mais ça on s'en fout - a été,
disons, le catalyseur ou le déclencheur...
Terrorisme
Dans le terrorisme idéologique actuel, il y a une confusion
entre terrorisme et résistance armée. Pour nous, le
terrorisme était une voie sans issue. Pas parce que ce n'est
pas gentil, mais parce que c'est une arme des puissants utilisée
comme monnaie d'échange: je te massacre si tu ne cèdes
pas. Pour nous, ça nous semblait absolument impensable. On
n'utilisait pas la menace sur une population innocente pour faire
pression sur quelqu'un d'autre.** Et c'est là que Le Che
et la lutte armée trouvent un problème fondamental.
Le Che va commettre une erreur qui n'invalide pas son action mais
qui reste pour nous une erreur criminelle. A un moment donné,
il ne va pas comprendre quelles sont les limites de la légitimité
de la lutte armée. Il va procéder à des exécutions
plus ou moins sommaires une fois qu'il a pris le pouvoir. C'est
un enseignement majeur. Quelqu'un que vous tuez en étant
au pouvoir, c'est la peine de mort. Le même tortionnaire exécuté
une semaine avant la prise de pouvoir, c'est un acte de résistance.
Nouvelle radicalité
Françoise Héritier dit par exemple que la soumission
des femmes aux hommes est une invariante de l'histoire. Nous disons
effectivement, partons de cette hypothèse, mais une invariante
de l'histoire est quelque chose que nous pouvons en permanence rattraper
par l'action. Dans la nouvelle radicalité, ce que nous abandonnons,
c'est l'idée qu'un jour il y aura un monde parfait. On assume
l'idée que la lutte pour la justice n'a pas un terminus et
"tout le monde descend". La lutte est quelque chose de
permanent dans toute société et il faut faire le deuil
de l'idée d'une société communiste, de justice
totale... L'hypothèse centrale est que nous ne luttons pas
pour une société de fin de l'histoire, on lutte parce
que dans toute situation, dans toute société, il y
a des asymétries concrètes, il y a des injustices,
des oppressions contre lesquelles on lutte. Et si jamais il y a
un changement, la seule certitude que nous avons c'est que dans
cette société là qui nous paraît comme
archi-désirable, il y aura autant de justice que d'injustice
et ce sera aux gens qui la vivront de lutter contre ces injustices
de ce moment là. (...)
C'est une rupture radicale avec l'historicisme. Nous ne croyons
pas que nous luttons pour demain, dans l'espoir. L'espoir est une
merde, qui nous fait laisser tranquille, en train d'attendre. Il
faut la joie de la révolte et de la pensée, ici et
maintenant. Ce qu'il y aura après la rupture n'est pas notre
affaire. Un révolutionnaire fait la révolution ici
et maintenant dans un plan d'immanence. On n'est pas des curés
d'avenir...
Local et dispersion
Il y a du global dans chaque partie. Le global n'existe que comme
un élément de chaque partie. La seule possibilité
de mener une lutte d'anticipation quelconque est d'agir local et
penser local. Il n'y a nul lieu où le global ne se passe
(...).
Il ne faut pas se disperser, passer du social au politique. Je
trouve que dans l'alternative, la dispersion est un danger mais
qu'il vaut mieux courir le danger de la dispersion que de retomber
dans l'horreur de la centralité. L'alter mondialisme a mon
avis est tombé un peu trop vite car ceux qui voulaient centraliser
ont toujours occupé le devant de la scène. L'idée
serait de construire une multiplicité agencée, puissante,
en réseau, non-centralisable...
Résistance
Pour être dans l'action, il faut déjà rompre
avec l'illusion que nos vies sont des affaires personnelles. La
vie est quelque chose traversée par l'histoire, par le monde,
par tout. La vie de quelqu'un commence quand elle est traversée
par l'histoire, les tribus comme disait Deleuze, etc. On dit "La
vie c'est mon compte en banque et mon corps clinique." Et c'est
quand même la survie. Alors le premier acte de résistance,
c'est d'enjamber la survie. Résister à cette discipline
réactionnaire qui dit "occupe-toi de tes affaires".
Mais mes affaires sont le monde. Et où passe le monde ? En
France, partout. Chacun dans son boulot, dans son quartier... Ne
pas avoir une vie de merde qui soit disciplinée autour de
sa bagnole et ce genre de choses. Je ne peux pas dire par où
passe la tienne (Résistance). Mais la mienne passe par RESF
par exemple, par le DAL, par la résistance à la normalisation
psychiatrique...
Il faut surtout pas être prudent, parce que l'engagement,
comme disait Sartre, se fait toujours en partie dans l'ignorance.
Je ne sais pas si c'est bien ce qu'on fait, mais c'est là
que passe ma résistance...
* A propos de cette question, lire cet entretien où figure
une allusion de l’auteur aux travaux de Simondon, un chercheur
stéphanois, pour l’anecdote. Admiroutes.asso.fr
** Ce qui distingue les mouvements guévaristes d’autres
mouvements d’Amérique latine comme les FARC en Colombie
ou le Sentier lumineux au Pérou.
Lire aussi ce long entretien avec l’auteur sur periphéries.net
Résister "malgré tout" Miguel Benasayag
philosophe et psychanalyste Collectif Malgré Tout Site Péripheries
Résister "malgré
tout" Miguel Benasayag philosophe et psychanalyste Collectif
Malgré Tout Site Péripheries
|
|