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Dans ce petit ouvrage (138 pages), Michel Benasayag, psychanalyste
et philosophe, propose cinq études de cas venant illustrer
une thèse annoncée dans l'introduction. Cette thèse
s'appuie sur les travaux de Michel Foucault concernant l'avènement
de la biopolitique. Pour Benasayag, la médecine contemporaine
allie des techniques disciplinaires destinées à dresser
les corps individuels, et des processus de régulation adressés
à la population dans son ensemble. Mais cette « stratégie
sans stratège » qui domine la médecine d'aujourd'hui
n'est réellement opérante que conjuguée à
deux autres processus : une demande croissante d'être protégé
des menaces corporelles (la « santé à tout prix
» est une exigence du public et de la médecine) et
une crise de la médecine, jamais aussi puissante et cependant
éloignée de son objectif historique : vaincre la maladie.
Cette crise est selon l'auteur le motif profond de l'alliance avec
la société de biopouvoir, qui lui offre un nouvel
horizon de légitimité.
Il y a des points délicats, et les terrains explorés
servent à les indiquer : le nouveau regard sur le handicap,
considéré non plus du point de vue de l'être,
mais du point de vue de compétences unidimensionnelles qu'il
convient de pallier, accrédite l'idéologie d'un corps
agrégat de compétences ; le plan cancer construit
la figure d'un individu déviant par ses comportements et
dispersé dans des protocoles de soins ; le développement
des soins palliatifs commence à montrer des conséquences
négatives : coloniser médicalement la fin de vie de
manière normalisée et standardisée, ce qui
est à l'opposé de l'intuition initiale ; le champ
« psy » exemplifie le glissement du diagnostic vers
la classification.
Le dernier exemple développé est celui de la maladie
d'Alzheimer. En mettant en crise le modèle d'homme centralisé
par ses performances cognitives, celle maladie incite, selon l'auteur,
à soutenir une autre perspective de l'être humain (que
celle issue d'un biopouvoir à dominante utilitariste), largement
inspirée de Spinoza : un être multiple, complexe, à
prendre en compte dans une situation elle-même multiple, élément
du paysage et non pas individu isolé. Si la conclusion à
propos du posthumain est moins convaincante, ce livre montre la
fécondité de la pensée critique de Foucault
pour appréhender l'évolution de la médecine
contemporaine, et invite à chercher chez Spinoza des modalités
de résistance au présent dont on perçoit bien
les dérives normalisantes.
Jean-Christophe Weber, CHU Strasbourg
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