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La santé à tout prix. Médecine et biopouvoir
Michel Benasayag
Bayard 2008



Dans ce petit ouvrage (138 pages), Michel Benasayag, psychanalyste et philosophe, propose cinq études de cas venant illustrer une thèse annoncée dans l'introduction. Cette thèse s'appuie sur les travaux de Michel Foucault concernant l'avènement de la biopolitique. Pour Benasayag, la médecine contemporaine allie des techniques disciplinaires destinées à dresser les corps individuels, et des processus de régulation adressés à la population dans son ensemble. Mais cette « stratégie sans stratège » qui domine la médecine d'aujourd'hui n'est réellement opérante que conjuguée à deux autres processus : une demande croissante d'être protégé des menaces corporelles (la « santé à tout prix » est une exigence du public et de la médecine) et une crise de la médecine, jamais aussi puissante et cependant éloignée de son objectif historique : vaincre la maladie. Cette crise est selon l'auteur le motif profond de l'alliance avec la société de biopouvoir, qui lui offre un nouvel horizon de légitimité.

Il y a des points délicats, et les terrains explorés servent à les indiquer : le nouveau regard sur le handicap, considéré non plus du point de vue de l'être, mais du point de vue de compétences unidimensionnelles qu'il convient de pallier, accrédite l'idéologie d'un corps agrégat de compétences ; le plan cancer construit la figure d'un individu déviant par ses comportements et dispersé dans des protocoles de soins ; le développement des soins palliatifs commence à montrer des conséquences négatives : coloniser médicalement la fin de vie de manière normalisée et standardisée, ce qui est à l'opposé de l'intuition initiale ; le champ « psy » exemplifie le glissement du diagnostic vers la classification.

Le dernier exemple développé est celui de la maladie d'Alzheimer. En mettant en crise le modèle d'homme centralisé par ses performances cognitives, celle maladie incite, selon l'auteur, à soutenir une autre perspective de l'être humain (que celle issue d'un biopouvoir à dominante utilitariste), largement inspirée de Spinoza : un être multiple, complexe, à prendre en compte dans une situation elle-même multiple, élément du paysage et non pas individu isolé. Si la conclusion à propos du posthumain est moins convaincante, ce livre montre la fécondité de la pensée critique de Foucault pour appréhender l'évolution de la médecine contemporaine, et invite à chercher chez Spinoza des modalités de résistance au présent dont on perçoit bien les dérives normalisantes.

Jean-Christophe Weber, CHU Strasbourg