"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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Interview Miguel BENASAYAG,
LEXNEWS Paris, 23 juin, 2007.

Origine : http://lexnews.free.fr/philosophie.htm#benasayag

Miguel BENASAYAG, argentin, auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages dont «L’éloge du confit » (septembre 2007, Editions La Découverte) est philosophe, psychiatre et psychanalyste. Mais, aucune « étiquette » en fait ne lui convient parfaitement…

Militant, certes, mais surtout pas militant triste. Ancien résistant guévariste, torturé et emprisonné quatre ans en Argentine, Miguel BENASAYAG, dans la mouvance alternative, n’aime ni le pouvoir, ni les hiérarchies, ni les programmes, ni, ni…mais avant tout et surtout, la politique, la liberté et la justice…Pour une nouvelle radicalité, à l’origine notamment du collectif « Malgré tout » et du Manifeste des Indiens sans terre du Brésil, il est tout simplement un militant passionné !

Psychiatre, mais dans la lignée de la contre psychiatrie bien sûr, psychanalyste, mais au-delà des paroles, des mots et lapsus, Miguel BENASAYAG aime les liens, les liens avec le paysage, les autres et soi... Chercheur de désir d’être, travaillant notamment dans le domaine de l’intelligence, de la vie artificielle et de la neurophysiologie, il aime avant toutes autres choses les subtiles perceptions oubliées, enfouies ou étouffées, les désirs et les singularités, trop souvent également écrasés…Mais ne lui demandez surtout pas de « Je »…S’il sait à l’évidence l’ entendre, il ne sait en revanche que très difficilement le dire… ça, il ne sait pas bien faire !

Un « passeur » de désirs et de vie, passionné et passionnant que LEXNEWS a eu le plaisir pour vous de rencontrer à Paris.

LEXNEWS : "Dans votre dernier ouvrage, « Connaître est agir », vous continuez votre construction d’une pensée de « l’agir » et d’une philosophe de l’organisme ; Vous revenez ainsi sur la nécessité pour l’homme d’aujourd’hui de repenser les mécanismes classiques de la perception (le vieux schéma : conscience, décision, action), notamment à la lumière des apports récents des neurosciences, pour une perception plus élargie, et vous affirmez clairement dans cet ouvrage qu’il faut se fier à nos sens car nos sens ne nous trompent jamais…cela dit, c’est une perception de nos sens bien comprise…en termes d’expériences et de connaissances et donc d’agir…"

Miguel BENASAYAG : "L’homme n’a pas toujours pensé, n’a pas toujours perçu ainsi dans l’histoire et il reste encore des sociétés aujourd’hui dans lesquelles l’homme ne perçoit pas comme cela. L’homme en tant qu’organisme ne perçoit pas n’importe comment et ne construit pas sa perception n’importe comment. Notre problème aujourd’hui est que nous sommes dans une société qui a construit une perception organique de nous mêmes en tant qu’ « individu ». C’est un long travail d’interprétation, de formatage de la perception, d’écrasement de certaines perceptions par rapport à d’autres, de méfiance envers les sens. C’est un travail très long, très complexe qui fait que par exemple la priorité donnée à la vue par rapport au toucher, la priorité donnée aux sens extérieurs par rapport aux autres sens a fini par nous donner vraiment l’expérience, le vécu que nous sommes une monade fermée sur elle-même avec un monde extérieur. Je suis convaincu effectivement qu’il faut donc étudier cela pour pouvoir penser les liens avec l’écosystème, avec les autres, avec la société. Nous sommes dans une société qui est en train de mettre en danger la survie de l’espèce parce que nous sommes dans une société où chacun dit - comme le montre le système pollueur/payeur - après moi le déluge… D’un point de vue conscient, on ne peut pas changer cela, on ne peut pas changer les choses ni consciemment ni moralement. Dès lors, l’idée est de se demander comment a-t-on construit cette perception selon laquelle chacun sent qu’il est un individu isolé par rapport au monde, coupé de son environnement ? Comment a-t-on construit une telle perception, et quelle pratique permettrait de déployer une dimension perceptive du lien qui nous permettrait de sortir de cette illusion que nous sommes des individus isolés."

LEXNEWS : "Votre approche, justement, de la perception, de la connaissance et dès lors d’un «agir » repensé redonne toute son importance, sa place à la singularité de la personne (puisque le sujet ne pouvant être séparé de l’objet de la perception…on a en « perdu le sujet ! ») ; cependant, il ne s’agit nullement pour vous d’une singularité strictement individualiste, surmoïque, telle que nous pouvons trop souvent la rencontrer aujourd’hui, mais ontologique…"

Miguel BENASAYAG : " Être singulier signifie que quelque chose puisse s’échapper de la surdétermination, c’est-à-dire s’échapper de tout ce qui est déterminé, inévitable, s’échapper de ce que sont les fils de la marionnette. Alors, on se demande qu’est-ce qui s’échappe des fils de la marionnette ? Ainsi, par exemple, lorsque vous faites quelque chose, qu’est-ce qui dans ce que vous faites s’échappe, qu’est-ce qui n’est pas entièrement surdéterminé ? La psychanalyse, l’anthropologie, l’étude de la longue durée en histoire, la neurophysiologie en générale conduisent, convergent vers l’idée que le phénomène humain est un phénomène tout à fait surdéterminé. Et lorsque les hommes et les femmes se sentent les plus originaux, les plus particuliers, les plus singuliers, c’est justement là où ils sont en fait les plus surdéterminés. Lorsque que quelqu’un vient vous raconter sa vie personnelle, en analyse par exemple, et qu’il pense vous raconter la chose la plus singulière, il va vous raconter à coup sûr la chose la plus banale ! S’il vous dit : « mais vous ne savez pas, mais moi…, moi…, quand j’ai eu treize ans, j’ai commencé à m’intéresser au sexe…, ou quand j’étais petit j’avais honte quand mes parents venaient me chercher à l’école… », plus il va raconter quelque chose de « personnel », plus il va en fait raconter quelque chose de surdéterminé. Il va dire par exemple : « Moi, j’aime l’argent…, ou la réussite…, ou maintenant que j’ai quarante ans, je fais un bilan de ma vie… » ; On est tout le temps dans des « trucs » tellement surdéterminés que la question est de savoir si, comme l’affirment les positivistes réductionnistes, tout est surdéterminé, et finalement l’idée de la singularité n’est qu’une histoire de narcissisme idiot. Et effectivement, on peut se demander finalement si tout cela, l’imaginaire du libre-arbitre, l’imaginaire d’être quelqu’un, ne correspondrait pas après tout à certains mécanismes que d’autres espèces pourraient avoir et qui auraient une utilité quelconque qui resterait à découvrir. En travaillant depuis vingt cinq ans comme moi en psychiatrie, en psychanalyse, on pourrait effectivement finalement dire qu’après tout la singularité n’est-ce pas en fait « que » cela ? Parce que, ce que l’on voit, entend, ce n’est que cela tout le temps… Mais, je pense que la question est plutôt de savoir, s’il y a une singularité qui s’échappe, s’il y a quelque chose qui effectivement n’est pas simplement mécanique, si cette singularité ne doit pas être cherchée ailleurs que chez l’individu. S’il y a quelque chose qui effectivement fait la différence entre l’artefact et un organisme, il faut la chercher ailleurs que chez l’individu."

LEXNEWS : "Dans ce dernier ouvrage, vous abordez de nouveau la question fondamentale de la liberté qui – selon vous – ne peut se penser qu’en termes de déterminisme, là encore bien compris : un déterminisme non prédéterminé, non figé. Vous vous opposez ainsi à une conception volontariste qui a un certain succès dans notre société…"

Miguel BENASAYAG : " La question est de savoir s’il y a quelque chose qui est de l’ordre d’une dimension de l’existence, non artefactuelle c'est-à-dire qui ne serait pas que des mécanismes et, si cela existe, où se trouve-t-elle ?

Si elle existe, elle ne se trouve pas dans une volonté consciente. Et, en tout état de cause, pas comme le croyait BOURIDAN avec l’âne de BOURIDAN dans la différence entre l’homme et l’animal selon laquelle l’homme pourrait, lui, choisir avec son libre arbitre ; Ce sont des imaginaires narcissiques de notre époque. S’il existe quelque chose, la question demeure : Où la trouvons nous ? En quoi réside cette chose qui fait la différence entre un organisme et l’artefact ? Aujourd’hui, dans le domaine de la vie artificielle, de l’intelligence artificielle, de la neurophysiologie, tous ces domaines sur lesquels je travaille, les biologistes n’ont plus de concept pour faire la différence entre un artefact et la vie. Et ce d’autant plus que nous sommes dans des dimensions d’hybridations de l’humain qui font que ces mélanges machines, gènes transformés etc., introduisent aujourd’hui les organismes dans un après humain, c’est-à-dire qu’on ne sait plus trop où sont les frontières. Dès lors, la question « est-ce que l’être humain en tant qu’organisme est autre chose qu’un mécanisme – oui ou non ? » est la question principale de nos jours. On peut certes améliorer la nature humaine, on peut hybrider l’humain avec du non humain, mais une question demeure : Où est la différence ? Or, la plupart des scientifiques aujourd’hui ne font pas de différence, ne voient même pas La différence…"

LEXNEWS : " Cela fait peur, ce que vous dites… "

Miguel BENASAYAG : " Oui, bien sûr. D’autant plus que si cela était arrivé, admettons par exemple il y a deux siècles, cela aurait pu prêter à rire, parce que même si on ignorait comme aujourd’hui où pouvait résider la différence, les capacités techniques de cette époque en revanche ne permettaient pas d’aller plus loin, et dès lors cela ne mettait nullement en danger la vie. Mais aujourd’hui, par exemple, nous pouvons faire voir les aveugles, entendre les sourds, faire marcher les paralysés... Grâce à la thérapie génique et à la manipulation du génome humain, on pourrait comme pour les plantes, mettre un gène de chien dans une plante de tabac et empêcher telle maladie… Or, aujourd’hui, au Conseil national d’Ethique auquel j’ai participé lors de sa création pendant quelques années, lorsque quelqu’un parle du caractère sacré de la vie, tout le monde rigole… – c’est même la blague ! – parce qu’au nom de quoi aujourd’hui, quelqu’un pourrait par exemple dire « je ne veux pas hybrider génétiquement un être humain pour éviter telle ou telle maladie » ? Qui aujourd’hui pourrait dire, au nom de quoi, on ne fera pas une hybridation qui pourtant permettrait par exemple de vaincre la mucoviscidose ?

Mais, le pacte que nous sommes en train aujourd’hui de faire – nous ne sommes pas à la veille de le faire, mais nous sommes bien aujourd’hui même entrain de le faire ! – est une hybridation. Cela n’est plus tout à fait de l’humain tel qu’on l’a connu depuis le néolithique, voire même bien avant, puisque cela fait des millions d’années que génétiquement nous sommes très stables. Ce pacte met en œuvre quelque chose de l’homme que nous ne connaissons pas bien tout en acceptant pourtant l’idée d’aller plus loin. Il s’agit d’un pacte dans lequel il y a quelque chose à la frontière entre la vie et l’artefact que l’on ne connaît pas, que l’on ne trouve plus et pourtant que nous faisons...

Dès lors, et ce qui m’intéresse - sachant qu’aujourd’hui pour aujourd’hui tout montre que les mécanismes zombis, automatiques de l’individu, et notre société paraît ne pas vouloir le savoir et ne fait que chanter les louanges de cet individu - est la question « qu’est-ce qui a d’autre ? », quel est « ce quelque chose » qui fait l’humain et qu’on risque de perdre, qu’on risque de brader parce que l'on n'avait pas compris… Dés lors ce qui m’intéresse c’est de rechercher ce qu’il y a d’autre, à savoir quelle est cette part de l’humain que nous risquons de perdre faute de l’avoir comprise."

LEXNEWS : " Cela dit, votre construction philosophique ne s’inscrit nullement cependant dans une dimension métaphysique ou d’une quelconque religion. Vous précisez même clairement que vous ne vous inscrivez nullement dans une approche Bouddhiste…Vous préférez parler d’ « immanence concrète » ou « universel concret..."

Miguel BENASAYAG : " Je pense effectivement que notre culture ne peut pas se placer dans une dimension bouddhiste. Si je suis un tibétain par exemple, et que tout d’un coup, je descends de ma montagne, et que je dise : « je ne suis qu’un individu délié du tout, et je suis auteur de toutes mes pensées …» ; Les gens me regarderaient et me diraient immédiatement « tu vas mal, retournes dans tes montagnes méditer ! ». Mais, l’individu en occident, c’est un système, une économie, un mode de production, il ne suffit donc pas de méditer et de sentir un lien avec le tout parce que ce « tout » là n’est pas donné dans l’immédiat c’est-à-dire que ce que nous vivons en occident dans l’immédiat d’avant même notre naissance jusqu’après notre mort c’est qu’en permanence on expérimente le fait d’être des individus avec nos intérêts, nos stratégies… Or, la question du « tout » est la question du lien c’est-à-dire « à quoi je participe en tant que personne ? ». Or, en occident, ces liens là, nous ne pouvons pas les trouver par la méditation, nous ne pouvons pas les trouver par le bouddhisme, parce que ces liens ne sont pas attaqués dans notre tête par ce qu’ils sont cassés par un mode de production, un mode d’éducation… Or, de ce point de vue, je pense qu’il faut faire très attention de ne pas vouloir donner des réponses imaginaires métaphysiques aux problèmes concrets car le problème de la rupture des liens avec les autres, avec l’environnement, avec soi même, est un problème beaucoup trop sérieux pour donner des réponses imaginaires. Il ne faut pas que quelqu’un puisse simplement se dire « oui, je suis lié au tout », mais dans sa vie de tous les jours, continue à vivre comme un individu sauf avec un petit supplément d’âme qui est de faire du yoga ou de la méditation par exemple !"

LEXNEWS : " Oui, il s’agit effectivement, d’une pratique courante aujourd’hui…."

Miguel BENASAYAG : " Tout à fait. C’est comme souvent dans les aventures amoureuses, une personne se sent coincée dans une vie trop aliénée, et à un moment donné, elle sent tout de même qu’il y a un peu de désir qui déborde de sa norme. Elle va tomber amoureuse de quelqu’un et ils vont vivre quelques temps une histoire amoureuse où la musique est possible, la philosophie est possible, la peinture est possible…et quand l’histoire est finie, l’art, la musique…sont parties aussi ! C’est-à-dire qu’il y a des méthodes disciplinaires dans notre société, auto-disciplinaires, pour rabattre les débordements du désir et l’on croit que la seule chose que l’on peut faire : c’est « cela ». La psychanalyse n’arrête pas de montrer ces schémas aux hommes, de faire cela parce qu’on dit « mais non, ta vie n’est que quelque chose de personnel… ». Par exemple si quelqu’un dit à son analyste « normal » qu’il est passionné d’Egypte ancienne et que Marinette lui a justement offert un livre sur ce thème, l’analyste va tout de suite couper et conclure « vous désirez Marinette ! ». Il y a ainsi des mécanismes pour rabattre tout excédent du désir vers l’individu…"

LEXNEWS : " Comme le bonheur ? "

Miguel BENASAYAG : " Oui. Effectivement chercher le bonheur, ce genre de « trucs », sont des mécanismes disciplinaires très durs pour rabattre le désir, la vie vers des « sales petites affaires » comme le disait DELEUZE ! Ainsi, tout d’un coup, on peut être passionné par la philosophie, par la botanique, par la musique…on peut être fasciné par des choses qui nous tirent par le bout du nez c’est-à-dire qui nous conduisent – ce n’est pas nous qui décidons – et tout cela va être rabattu vers des considérations personnelles et cela est très très dur…"

LEXNEWS : " Vous allez même loin puisque vous dites par exemple que le bonheur conduit au malheur – ce qui est dommage – voire même que cela est dangereux …"

Miguel BENASAYAG : " Oui, qui cherche le bonheur – et cela s’appuie sur vingt cinq ans de clinique, de pratique d’analyse – trouve le malheur ; Car vouloir être heureux, cela signifie vouloir éviter tout ce qui pourrait nous rendre malheureux…Or, c’est une vie qui se coupe de tout, petit à petit on se coupe de tout parce qu’on ne veut pas prendre le risque d’être malheureux : ainsi, on ne veut pas trop travailler parce qu’on sera fatigué, et ainsi de suite…! Vouloir le bonheur, cela implique déjà que la vie même devienne sa propre caricature, devienne l’ombre de la vie…et quand la vie devient l’ombre de la vie, même là, on n’aura pas éviter le malheur ! Toutes ces idéologies, comme « chercher le bonheur », qui présentent des couleurs vives, attrayantes, sont en fait des trucs très très tristes… elles sont des machines à produire de la tristesse. Quelqu’un qui cherche le bonheur est – malheureusement pour lui – piégé dans une machine à produire de la tristesse et le danger – il y en a plusieurs – est notamment qu’une société devienne de plus en plus disciplinaire : « vous devez éviter le malheur… », « vous devez vouloir le bonheur…», et les gens sont dès lors très malheureux puisqu’on n’arrête pas de leur dire vous avez tout pour être heureux ! Or, être heureux ne dépend jamais d’un tout quelconque ; On peut être heureux à n’importe quel moment et sans aucune condition. Mais, on culpabilise les gens ; Or, on doit faire ce que l’on fait et le bonheur, comme le malheur, sont de surcroît. Il m’est arrivé à des moments parfois incroyables, par exemple en prison, de sentir une plénitude totale parce que j’étais en train de faire ce que j’étais en train de faire, et à l’inverse, à des moments où tout allait bien, de sentir un malheur total…C’est là qu’il faut pouvoir s’excentrer, il y a des moments lumineux et des moments obscurs dans la vie, des moments de bonheur et des moments de malheur, et ne pas s’attarder à cela et de pouvoir savoir qu’à un moment obscur va succéder un moment lumineux et inversement…La seule question qui demeure est : « mis à par cela, de quoi s’agit-il ? » En fait, plus on se concentre sur ce qu’on croît être personnel plus on s’en éloigne. Parfois, ce qui me fait rire, c’est lorsque on me dit « mais, toi, tu ne parles pas de ta vie personnelle ! » ; Mais, c’est drôle, parce qu’à vrai dire, je pense fondamentalement, de par mon expérience, que plus on parle de choses que l’on considère comme personnelles, plus on est dans une sorte d’impuissance. C’est comme ces gens qui veulent connaître la vie d’EINSTEIN, qui était vraiment EINSTEIN ? Mais, que veulent ils en fait savoir ? Comment mangeait-il ? Comment dormait-il ?…c’est ridicule, si EINSTEIN est justement EINSTEIN pour quelque chose, ce quelque chose justement n’a rien de personnel. Nous sommes dans cette singularité justement dans les côtés de nos vies qui débordent le côté personnel. Or, cette inversion est, pour moi d’un point de vue politique, comme un mécanisme disciplinaire très fort de rabattement de la vie, du désir sur des « petites affaires."

LEXNEWS : " Oui, on sent très bien cela dans votre livre biographique « Parcours » !"

Miguel BENASAYAG : " Le coté personnel ce n’est pas sorcier : si on vous tire dessus, vous avez peur ; si vous tirez vous êtes un peu un barbare, si on vous torture, cela fait mal ; si vous êtes en prison, vous voulez sortir…voilà, ce n’est pas sorcier ! La véritable interrogation est de quoi était-il question à ce moment là, et cela déborde toujours le côté personnel."

LEXNEWS : " Comment avez-vous perçu ces dernières élections et la victoire de la droite ? Vous avez soutenu pour cette campagne présidentielle José BOVE même si cela était du bout des lèvres ! "

Miguel BENASAYAG : " Il me semble que c’est une remise des pendules à l’heure. Il est tout à fait normal que la droite libérale, le néo-libéralisme se moque de l’idéologie et montre d’une certaine façon ostentatoire qu’il peut mettre des ministres de gauche, même KOUCHNER, par exemple. C’est une sorte de triomphe idéologique et réel du néo-libéralisme. Et le néo-libéralisme, c’est cela : aucun caractère sacré à quoi que ce soit. C’est la désacralisation de tout. Ce qu’ils montrent c’est que nous sommes tous des cochons. Tu peux penser ce que tu veux, tu penses à gauche, tu penses « en beur », tu es féministe, ce que tu veux…La seule vérité est que nous sommes tous des « cochons » qui suivons nos intérêts personnels. C’est le message ! La seule chose qui compte est que nous sommes dans un monde où nous sommes tous des cochons, cela est très néo-positiviste, réductionniste c’est-à-dire que eux se croient au-delà de toute idéologie et en fait c’est justement une idéologie très forte. Ainsi, un jour, dans un congrès, un DRH nous expliquait que sur 3000 employés, il en avait viré déjà 2000 et que c’était très dur la réalité ! Voilà, la réalité, ici, c’est le plan économique et les 2000 virés une abstraction. Aujourd’hui, beaucoup de personnes, même celles qui peuvent apparaître comme les plus empiristes, sont en fait paumées dans une idéologie très abstraite, mais très efficace. D’un autre côté, le problème est que la gauche n’est plus à la hauteur historique. La gauche est née à une époque où l’on pensait qu’un autre modèle de société était possible. La gauche est née avec les idées d’historicisme théologique autour du concept de progrès, de la croyance au progrès, etc. La gauche fait semblant d’avoir toujours un socle, mais elle n’a plus de socle historique car elle est fondée sur l’idée qu’un monde de justice est possible et la fin des injustices, de la rareté, sont encore chose possible. Mais toutes ces hypothèses ne sont pas des hypothèses morales, mais des hypothèses très objectives fondées sur une philosophie de l’histoire, une philosophie des sciences et ceci est cassé. La gauche ne s’est pas du tout renouvelée, elle ne se pose même pas la question. Il s’agit maintenant d’un problème sur le long terme car la gauche n’a jamais existé simplement comme une droite démocratique, ce qu’elle est devenue, y compris l’extrême gauche. La gauche parle au nom du citoyen, des droits de l’homme, mais il y a une lâcheté pour reconnaître que c’est fini, que historiquement ce qui a fondé la gauche - le progrès, l’historicisme, que l’homme pouvait vaincre définitivement l’injustice – est fini. Maintenant,il faut s’interroger sur ce que signifie aujourd’hui vraiment « être de gauche ». Mais le problème, à mon avis, est de longue durée parce que la gauche refuse de reconnaître qu’elle a perdu son socle. Les élections ont été tout de même ridicules, surtout lors des législatives, lorsque la différence entre la droite et la gauche s’est réduite au débat sur la TVA sociale. Une simple « mesurette » économique –qu’elle soit juste ou pas juste – fait la différence ! Cette lâcheté de la gauche, des militants de gauche montre le niveau d’abstraction de la réalité pour continuer à affirmer des idées de façon dogmatique, il n’y a qu’en politique que l’on voit cela ! Or, il faut bien sûr, je pense, reconstruire un socle de gauche, mais ce socle doit être fondé sur le fait qu’il n’y a pas une fin de l’histoire, que les injustices ne disparaîtront pas, qu’il y a un certain « permanentisme. Il y a quelques pistes pour penser une gauche, mais, il faut avant tout accepter cette attitude. En Argentine, par exemple, le gouvernement de gauche essaye de faire le « moins pire », mais là-bas, il n’y a pas d’autre modèle possible pour le moment. Sinon, il y a les amoureux de l’autoritarisme comme le monde diplomatique qui adorent CHAVEZ, CASTRO, mais il s’agit là d’un infantilisme total. En Amérique latine, il y a des choses intéressantes comme EVO MORALES…mais le problème est qu’aujourd’hui la gauche a perdu son socle, et que le libéralisme est là, il a gagné mondialement. "

L.B.K pour LEXNEWS