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Origine : http://villagillet.files.wordpress.com/2011/04/benasayag_miguel.pdf
« On a bien plus loué les hommes occupés à
faire croire que nous étions heureux, que les hommes occupés
à faire que nous le fussions en effet. »
Diderot, Encyclopédie.
L’individualisme aujourd’hui dominant nous fait croire
à l’existence de ce quelque chose qu’on appelle
« l’individu », sorte d’électron
libre pouvant (et devant) se balader dans le décor de la
réalité sans racines, affinités électives
ni appartenance. Une époque qui a fait de l’individu
son mythe par défaut nous présente la société
comme un ensemble d’unités simples et élémentaires
n’ayant d’autre rapport au monde que celui que leur
« pleine liberté » leur conseille d’établir,
sous forme de petits contrats utilitaristes. Ce mythe qui présente
chacun d’entre nous comme un petit entrepreneur de soi, avec
un ensemble de capitaux à gérer (pour certains, une
usine ou un portefeuille d’actions, pour la plupart la force
de travail, le temps, la santé, le corps) fait de l’individu
le lieu du développement d’une certaine puissance d’agir
(en tant que chef d’entreprise, homme politique, voire citoyen/consommateur,
« consom’acteur » typique des pays du Nord).
Peu viable tout en étant culturellement et anthropologiquement
structurante, une telle croyance en l’individu comme sujet
de l’agir est directement responsable de ce que nous nommons
l’obscurité d’une époque : si les défis
que nous pose celle-ci sont relativement clairs, la représentation
du sujet d’un agir possible l’est beaucoup moins. Si
beaucoup de nos contemporains sont d’accord sur l’objectif
de défendre le vivant, l’environnement et la culture
face aux forces destructrices représentées par l’économisme,
l’utilitarisme et la sérialisation individuelle, une
grande confusion règne lorsqu’il s’agit de définir
ce qui, agissant dans ce sens, constitue un agent. La confusion
règne sur l’agir, parce que le sujet de l’agir
est obscur à nos contemporains. En d’autres termes,
le caractère « obscur » de l’époque
est donné par le fait objectif que, face aux défis
de nos sociétés, face aux dangers et aux menaces que
subit la vie, il n’y a pas d’horizon de dépassement.
Ce sont les « passions tristes », passions propres à
l’impuissance selon Spinoza, qui rendent une époque
obscure et inquiétante. Et l’époque en question
sera d’autant plus obscure que seront plus rares, pour ses
contemporains, les possibilités concrètes vers un
dépassement des problèmes qui menacent la vie, sous
toutes ses formes.
Nos hypothèses quant à ce qui agit, quant au sujet
de l’agir propre à l’époque – ni
individu ni pouvoir centralisé, mais peut être situation
ou encore multiplicité de situations agencées –
chercheront à clarifier ce qu’est un engagement dans
une époque obscure, dans l’optique de donner ni plus
ni moins que des instruments pour l’action.
Michel Foucault appelle « l’époque de l’homme
» le dispositif anthropologique émergé à
la Renaissance et dans lequel l’Homme, au sens d’ensemble
social et culturel, va prendre peu à peu la place de Sujet
de son histoire (et par là même de l’Histoire),
délogeant de cette place celle qui l’avait occupée
dans le dispositif précédent : la divinité.
Gagnant cette place, l’homme devient alors paradoxalement,
à la fois prophète et messie de son propre devenir
vers le monde promis. Ou dans la version « séculière
» : son histoire possède des « lois » qu’il
peut connaître et modifier, devenant le maître de son
propre destin grâce à la supériorité
de sa Raison.
La question est : la désacralisation du monde et des cieux
impliqua-t-elle la fin de tout désir de transcendance ? Non,
car à la transcendance de la « justice divine »
se substitua la recherche d’une justice sociale comme finalité
de l’engagement humain, ladite justice sociale apparaissant
dans cette configuration comme un déplacement de l’au-delà
sur terre. La désacralisation du monde et des cieux entraîne
la sacralisation de la société et de l’homme.
De fait, l’engagement, la « militance » implique
majoritairement, depuis au moins cent cinquante ans, la croyance
implicite en un « arrière monde » (Nietzsche),
un monde derrière celui-ci, paradis sur terre rêvé,
« société de fin de l’histoire »
au nom desquels on se bat, qui justifie la lutte, le sacrifice de
cette vie, que l’engagement a pour but de faire advenir et
dont le militant serait l’ambassadeur.
Loin d’être uniquement lié au politique, le
dispositif militant l’est donc avant tout à la vision
du progrès et du sens de l’histoire propre à
la modernité. Ce que l’organisation militante ou son
militant font dans chaque situation concrète ne puise ni
sa logique, ni son sens, dans la situation elle-même, mais
dans ce à quoi sert cette situation : l’action militante
est transitive. L’oppression et la souffrance sont interprétées
par le militant comme autant de « signes », de balises
lui montrant par où passe l’histoire ; interprétation
qui crée toujours un décalage, plus ou moins tragique,
entre les personnes concrètes qui en situation souffrent
et luttent pour des changements réels, et celui que nous
avons appelé, voulant ainsi désigner celui qui s’absente
des situations concrètes qu’il traverse, le «
militant triste ». Le militant triste est comme possédé
par une vision « messianique » du monde et de l’histoire,
vision qui
consiste, au-delà de la variabilité de son contenu,
à penser que le monde et l’ensemble de l’existant
se fondent sur une erreur, une faille qu’il incombe au militant
de « réparer ».
« Militer », c’est sacrifier le présent
à l’avenir, ce monde-ci à « l’autre
», le vrai, le parfait, le seul au fond qui vaille la peine
d’être pleinement vécu.
Une telle interprétation du monde ne peut que déboucher
sur des désillusions : elle est vouée à l’échec
car elle se méprend sur ce qui provoque le changement. La
sacralisation du social propre à l’époque de
l’homme produit la croyance et l’hypothèse selon
laquelle le tout de l’existant converge, comme dans un entonnoir,
vers l’action politique des militants et de leurs organisations.
L’explication « politique » et sociale est la
vérité universelle, capable de toute expliquer ; la
solution de tout problème exige de partir de son point de
radicalité, c'est à dire le social et le politique
! C’est ainsi que tous les autres domaines – science,
art, médecine, éducation, urbanisme… sans oublier
les rapports humains en général – sont lus d’après
la grille de la lutte politico-sociale. Par exemple, on cherche
dans la lutte politique la raison d’être de la création
artistique. On soumet l’urbanisme à des idéaux
politiques communautaires, progressistes, émancipateurs.
On voit dans la fête des voisins une forme de lutte politique
pour la solidarité. Et ainsi de suite.
Ce qui rend sophistique une telle matrice théorico pratique,
c’est qu’elle prétend que le changement s’ancre
dans l’action politico sociale, là où la grande
majorité des changements a lieu de façon diffuse dans
la multiplicité des domaines et des situations sociales particulières.
Ce qui modifie le monde n’est en effet pas seulement l’action
des hommes décidés : c’est la technologie, l’urbanisme,
les découvertes scientifiques… En d’autres termes,
le monde est beaucoup plus changé par des processus sans
sujets que par des grands hommes ou des groupes militants. L’époque
de l’homme et la sacralisation du social ont fait émerger
l’idée que les hommes exceptionnels, à la tête
d’organisations sociales conquérantes, sont à
la source des changements sociaux véritables. La vision,
tout à fait idéaliste, d’un changement causé
par la volonté et l’action d’une conscience éclairée
est à opposer à une vision plus réaliste du
changement comme émergence liée à une série
de processus tout à fait décentralisés et aveugles,
non voulus donc.
Le problème de l’engagement tel qu’il nous est
légué par la « fin des idéologies »,
est de savoir dans quelle mesure nous pouvons comprendre le monde
et agir sur lui sans cette sacralisation du social qui caractérisa
et caractérise encore l’époque de l’homme
: pouvons nous penser la cohérence du changement sans penser
que l’individu ou le groupe maîtrisent cette cohérence
? Pouvons nous penser une action efficace qui ne débouche
pas sur le goulot d’étranglement de la conscience soi-disant
éclairée et/ou de la bonne volonté militante
? Peut-on s’engager autrement que dans cette passion religieuse
qui voue ce monde-ci au sacrifice de celui qui vient ? Un engagement
qui ne soit pas vocation transcendante mais « recherche »
est-il possible ?
Présents de façon minoritaire depuis la naissance
et le développement des luttes sociales, des courants de
la gauche révolutionnaire prônent depuis longtemps
un tel type d’engagement, fondé sur l’idée
de recherche empirique de ce qui « marche » plutôt
que sur la croyance en un monde meilleur. Issus des courants romantiques
de la philosophie ou encore influencés par des cultures indiennes,
ces courants ont donné naissance aux mouvements de la contre-culture,
de l’antipsychiatrie, du féminisme, des minorités…
Des théoriciens comme Marcuse, Foucault, Deleuze, Guattari,
David Cooper, Sartre, entre autres, ont apporté des éléments
pour la construction de cette gauche alternative non normalisatrice…
C’est dans ce courant que nous inscrivons nos propres recherches,
parce que nous en faisons partie depuis toujours et que c’est
lui que nous pensons être à la hauteur du défi
de l’époque actuelle. Par « à la hauteur
», nous ne voulons cependant pas dire que ce courant est susceptible
de faire advenir un autre monde, meilleur et plus rationnel que
celui-ci. Contrairement à l’engagement « transcendance
», l’engagement « recherche » revendique
la lutte radicale, dans ce monde-ci, fondée sur l’acceptation
du monde tel qu’il est ; l’idée que les humains
sont « viables » tels qu’ils sont.
Ceux qui s’engagent dans l’esprit de la recherche sont
comparables aux chercheurs scientifiques : ils ne prétendent
pas que le monde n’est pas tel qu’il doit être,
que les astres devraient se mouvoir différemment dans le
ciel, que les hommes devraient voler ou se déplacer à
la vitesse de la lumière, que les maladies ne devraient pas
exister, et ainsi de suite.
Pour eux, pour nous, tout ce qui est a une raison suffisante, ce
qui n’empêche absolument pas que l’homme puisse
insérer son action dans le monde pour le modifier. Au contraire,
c’en est la condition ! Filons la comparaison avec le chercheur
scientifique : le scientifique qui recherche un vaccin ou le remède
à une maladie ne prétend pas que, puisque le monde
est tel qu’il doit être, on ne saurait toucher à
son ordre ni y introduire aucun changement. La compréhension
et l’acceptation du monde tel qu’il est ne sont pas
seulement compatibles avec le désir de changer l’ordre
des choses. Elles en sont la condition de possibilité. C’est
par la connaissance des lois que le scientifique rend possible l’insertion
de l’action humaine dans le monde. Alors, pourquoi l’homme
engagé ne le pourrait-il pas ? Certes, regarder le monde
tel qu’il est, avec ses maladies, sa misère, ses inégalités,
ses violences, ses guerres, ses injustices, est difficile, mais
n’est-ce pas justement la raison d’être de la
lutte ? Et pourquoi ce regard nous empêcherait-il de chercher
avec sérieux comment agir sur les processus afin de modifier
le cours des choses ? N’est ce pas ainsi que l’engagement
se rapproche le plus d’une action effective et concrète
? N’en est-ce pas la condition ?
Une chose est sûre : plus le « militant triste »,
narcissiquement convaincu que le monde est invivable, parie sur
un autre monde possible, plus la matrice de son engagement est prise,
capturée, par la possibilité de faire advenir cet
autre monde. Et l’espoir, la promesse, l’attente et
les commissaires politiques sont alors à la (triste) fête.
Sans compter que, dès lors que le paradis sur terre s’avère
impossible, le militant risque fort, tel le rêveur déçu,
de retourner sa veste et de se mettre à dire « idiots
et stupides sont ceux qui croient qu’on peut changer quelque
chose à l’ordre des choses »… Alors qu’à
l’inverse, le militant qui lutte dans et pour ce monde-ci
ne risque nullement d’être conduit à renier la
lutte pour se mettre à bénir l’ordre des choses.
Continuons à filer la métaphore : le reniement de
sa lutte serait aussi absurde que le serait, pour un chercheur n’ayant
par exemple pas trouvé le vaccin désiré, de
déclarer forfait, ou pire encore, de reconnaître dans
le triomphe de la maladie … une raison !
La transcendance de la lutte, loin de garantir la constance du militant,
la suspend à l’existence d’une croyance de type
religieux. Plus cette croyance est forte, plus l’engagement
est puissant. Mais un tel engagement est tout aussi fort qu’éphémère
: comparable à celui qui se réveillerait d’un
état hypnotique, celui qui perd la foi, l’ancien «
militant croyant » ne comprend plus comment il a pu croire
et devient généralement adepte de la pire des croyances,
la croyance en sa propre lucidité cynique… Si donc
l’engagement dans l’esprit de la recherche implique
un lien moins passionné à la fin de la lutte que l’engagement
transcendance, sa constance est cependant mieux garantie par la
passion de la recherche. Pour celui qui cherche le remède
à une maladie, il n’est d’obstacle, de difficultés,
d’apparentes impossibilités, qui le persuadent que
la maladie devrait être et qu’idiot et stupide est celui
qui cherche à la faire reculer. Pas « d’arguments
paresseux » qui vaille pour le militant-chercheur ; car, répétons-le,
pour lui, si le monde est tel qu’il doit être, tout
n’est pas écrit.
L’engagement-recherche n’a pas besoin de promesses,
d’abord parce que les motivations auxquelles il répond,
les sources de sa passion de chercher, ne résident pas dans
l’autre monde à faire advenir mais sont immanentes
à la situation, à l’ici et maintenant. Mais
il n’y a pas que la motivation qui fait la différence
; le modèle dans lequel on s’engage est également
déterminant. Là où l’engagement-transcendance
se fondait sur un modèle rationaliste, l’engagement
recherche se fondera sur un modèle complexe de compréhension
du monde, faisant de la complexité son point de départ,
son environnement, le tout dans lequel s’inscrit son action,
sans prétendre à nulle maîtrise du changement
global.
Dans un système « complexe » (au sens épistémologique),
le déploiement du jeu en modifie au fur et à mesure
les règles même : il n’est donc pas possible
de prévoir le développement futur du système.
La rationalité d’un système complexe n’est
pas de l’ordre de « l’analytiquement prévisible
». Un système dit « complexe » laisse dès
lors toujours ses agents dans une certaine obscurité, un
certain « non-savoir ». L’application de modèles
complexes au social présente une rupture avec le mode classique
d’engagement. Il s’avère en effet que, dans un
système complexe, la situation à venir n’est
pas prédictible : la situation « 2 » a beau résulter
de la précédente, cette « résultante
» n’est en rien prévisible depuis la situation
« 1 » - et elle est donc encore moins maîtrisable.
Or la conséquence de ceci est bel et bien que nous ne pouvons
pas lutter, nous engager, développer des projets, au vu de
ce que sera la situation à venir (situation « 2 »).
Alors l’engagement doit être pensé dans ces termes
radicalement immanents ; on fait ce qu’on doit faire dans
cette situation-ci et pour cette situation-ci. C’est dans
l’immanence des situations qu’une vision consistante,
logique, est possible, même si pour ceci il faut laisser de
côté l’illusion d’une vision globalisante.
L’engagement recherche implique ainsi un tout autre rapport
de l’engagement à l’avenir. Au « programme
» politique caractéristique de l’engagement-transcendance
- à la fois définition rationnelle de comment le monde
doit être et détermination des pas à effectuer
pour la réalisation de cette alternative – l’engagement
recherche substitue la notion de « projet ».
Un « projet », toujours situationnel, implique un tout
autre rapport à l’engagement et à l’avenir.
Là où le programme est défini dans l’avenir
et pour la totalité, pour l’ensemble de la société
et du monde à venir, un projet n’est rien de défini
dans l’avenir. Un projet ne part pas de l’avenir, mais
du présent, autrement dit de la situation. Il n’y a
engagement que dans la mesure où il y a projet : s’engager,
c’est projeter un « agir » possible, autrement
dit un ou des changements dans l’état des choses. Mais
cette projection qui est l’essence même de l’engagement
en situation (présente et locale) n’implique nulle
prévisibilité des résultats de l’action,
et encore moins du monde global que l’action permet de réaliser.
Personne ne promet rien à personne, on construit, on lutte,
on crée. Cette impossibilité de programmer l’action
militante confère toute son importance au présent
de l’engagement. Autant la soumission à un programme
rend celui-ci transitif, lui ôtant toute épaisseur
existentielle, autant un projet habite l’engagement, le dynamise,
le vitalise, lui confère son unité et son sens. Parce
que dans un modèle complexe, le changement n’est pas
prévisible, il n’est pas ce que pourrait se représenter
à l’avance une conscience ou une raison extérieure
à l’agir, il est l’étoffe même de
l’agir engagé dans la situation. Comme l’écrivit
le poète espagnol Antonio Machado, « Caminante, no
hay camino, se hace camino al andar » (Pèlerin, il
n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant). Dans
l’engagement-recherche le moteur de l’agir n’est
pas transcendant mais immanent.
Si chaque époque se définit par une série
de défis qui la traversent et la structurent, l’un
des défis centraux de la nôtre est comment construire
de nouvelles raisons et formes d’agir qui ne soient pas capturées
par le paradigme de la promesse, la croyance dans un au-delà
(religieux ou humaniste). Comment sortir de l’impuissance
dans laquelle nous plonge notre position de spectateurs de la vie
? Dans les dispositifs transcendants, Dieu ou l’homme, le
moteur de l’agir, les raisons de l’agir se trouvent
ailleurs que dans les situations concrètes : dans la promesse.
Le défi de l’époque réside dans le fait
de trouver et construire les moteurs immanents de l’agir et
des raisons de l’agir, sans « machines à espoir
».
On l’a vu : qui dit moteur immanent dit multiplicité
de situations, donc ni harmonie ni rédemption finale. La
multiplicité des situations implique que des problèmes
écologiques nécessitent des situations en contradiction
avec certaines exigences de justice sociale, que les progrès
techniques et scientifiques, loin d’aider systématiquement
la vie, parfois la menacent, et ainsi de suite… Accepter l’immanence
exige d’accepter que le paradis sur la terre n’est pas
davantage promis que celui dans les cieux. Les différentes
situations impliquant des projets non nécessairement en accord
les uns avec les autres, le conflit, les conflits, ne doivent plus
être conçus comme des moments de négativité
à dépasser, mais comme des processus permanents, sans
définitive « bonne solution ».
L’engagement immanent part de la force des situations. Le
moteur immanent ne fonctionne pas par répétition dans
toute situation (et avant même qu’elle existe) de repères
préexistants. La conclusion ne précède pas
l’expérience. D’une situation à l’autre,
des forces et des groupes peuvent changer : un même groupe
profondément réactionnaire dans une situation participe
dans une autre à l’émancipation et inversement.
Dans l’engagement immanent, les groupes, classes, genres,
secteurs sociaux, ne sont pas d’emblée et pour toujours
dans un rôle invariant : les minorités agissantes,
les singularités, les collectifs de lutte ne sont pas «
substantiels », ils se forment et se composent, s’agencent
et se dispersent en suivant la logique interne de la situation.
Pour le dire en une formule simple, tandis que l’engagement
transcendant est le fruit d’une raison consciente d’agir,
l’engagement immanent est l’expression d’un désir
vital. Et c’est ce désir vital qui fait sa force, la
force de répondre au défi de notre époque.
C’est par la force de ce désir vital que, même
si le moteur transcendant de la promesse fait défaut, un
engagement immanent, un engagement sans promesse est possible et
nous convoque à sa recherche.
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