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Origine : http://www.cairn.info/
1 Jean-Claude Liaudet : Dans votre livre La fragilité[1],
la déconstruction, que vous tentez, de ce que l’on
pourrait appeler indifféremment une certaine ontologie ou
mythologie occidentale, me paraît concerner la psychanalyse.
Tout d’abord parce qu’elle donne à penser la
psychanalyse comme novatrice, voire innovatrice en matière
de méthode scientifique. En effet, dans son rapport à
son réel, la psychanalyse ne vise pas un savoir absolu de
type positiviste. Son entreprise ne vise pas à épuiser
son objet dans un savoir totalisant : l’inconscient reste
définitivement inconscient, quelle que soit la « science
» que l’on puisse en acquérir. Et aussi parce
que la métapsychologie freudienne décrit un système
qui tire son unité du rapport dynamique existant entre ses
parties (ses instances) ; c’est également un système
ouvert sur d’autres systèmes (que vous appelez «
soubassement »), notamment par étayage, c’est-à-dire
n’existant pas de lui seul.
2 Mais surtout, votre travail conduit à interroger la psychanalyse
dans la reprise qu’elle fait de la conception traditionnelle
du sujet – quand bien même elle y apporte sa marque
en soulignant sa division. Notre univers occidental, en effet, est
marqué par le dualisme entre un moi créateur et un
monde objet, dont on peut trouver l’ancrage dans le mythe
biblique de la création : Dieu dit, et cela est. Ce dualisme
premier se décline en cascade, par exemple dans l’inextricable
distinction psyché/soma où, au mieux, le corps parle
ou converse ; également dans l’opposition individu/société,
qui amènerait à river la psychanalyse à la
singularité du sujet, le reste n’étant que sociologie…
3 On ne peut exactement dire que les psychanalystes ne s’intéressent
pas au sociétal, mais c’est toujours en dépit
de la théorie. Chez Freud déjà, si gêné
avec ce qu’il nomme sans nommer « inconscient collectif
». Aujourd’hui, certains psychanalystes développent,
souvent de façon passionnante, des repérages de l’histoire
collective dans l’histoire individuelle, ou des réflexions
en matière de psychanalyse sociale (pourrait-on dire), mais
ils tentent rarement d’en donner la théorie.
4 Estimez-vous que les ouvertures philosophiques opérées
par certains scientifiques qui acceptent de s’éloigner
du scientisme, notamment ceux qui développent la théorie
de l’émergence que vous décrivez, pourraient
aider à penser ce que j’appelle pour l’instant,
et peut-être à tire provisoire, le collectif en psychanalyse
?
5 Miguel Benasayag : Je crois que, dans la psychanalyse, il existe
en effet une prise en compte de la non-maîtrise, du non-dévoilement
possible d’une « totalité », qui, d’une
façon utilitariste, pourrait déployer le réel,
dire « le vrai sur le vrai ». Mais, à la fois,
force est de reconnaître que cette attitude n’est pas
(loin s’en faut) l’apanage de la psychanalyse, il n’y
a pas là « monopole ». Nous sommes là
dans des sujets qui touchent, entre autres, à ce que Nicolas
de Cues nommait « la docte ignorance » ou, dit autrement,
il existe un développement du savoir, des savoirs qui ne
sont pas en opposition avec un non-savoir. Ce « non-savoir
» n’est pas de l’ignorance, c’est cette
« docte ignorance », loin de tout mysticisme, il s’agit
là de ce non-savoir qui, tout en étudiant et en comprenant
par les causes, ne prétend pas pouvoir « déployer
» le réel.
6 Notre époque est en plein dans cette problématique
et, étonnamment, la psychanalyse se trouve dans une attitude
de repli, de dogmatisme, qui tourne le dos à ce qui, dans
notre époque, « se donne à penser ». Pourquoi
? La question est vaste. Il existe, à mon avis, dans la pratique
psychanalytique, un contenu sacrificiel, par défaut, qui
s’ignore, mais ce n’est pas la seule ni la principale
raison.
7 Bien sûr que l’inconscient « reste inconscient
», comme vous l’écrivez, et pour cause, la structure
n’a rien a dévoiler en tant que telle, elle n’est
pas son contenu. Mais l’impensé de la psychanalyse
touche à la fois à la question qui sépare les
processus d’individuation des processus de singularisation.
Les premiers vont dans le sens d’une identité fixe,
réductionniste, en tant que la singularisation est «
pré-individuation ». Dans la singularisation, nous
sommes dans des processus multiples, des multiples diversement unifiés,
mais multiples quand même.
8 Nous ne pouvons pas identifier, par décret, l’individu
à une singularité. Un individu peut, dans une situation
concrète, recouvrir une singularité, mais ceci ne
fait pas de lui le lieu, le nom, de la singularité. La psychanalyse
a beaucoup de mal à penser ces processus multiples, où
les agencements qui fondent une situation débordent largement
la figure étriquée de l’individu.
9 Bref, ce que la psychanalyse cherche chez l’individu, ne
se trouve certainement pas chez l’individu, voilà le
problème. La vie n’est pas quelque chose de personnel,
comme l’écrivait Deleuze. Comment pouvons-nous fonder
une pratique, une clinique à partir de cet énoncé
?
10 Jean-Claude Liaudet : Vous dites, me semble-t-il, que la psychanalyse
parle d’un « sens commun » (au sens d’origine
autant que de visée) et ne connaît pas le « paysage
» dont elle fait partie… Deux notions que vous développez
dans votre livre.
11 Par « sens commun », vous entendez « une sorte
d’atmosphère conceptuelle, faite d’expériences,
d’ensembles d’images, d’histoire, de couplages,
porteurs à la fois de la longue durée et de l’efficacité
». On pourrait dire que ce sens commun est créateur
de la réalité que nous vivons, et dont nous avons
une perception immédiate : « les choses sont ainsi
! », disons-nous, sans comprendre que ce que nous voyons,
c’est ce que nous mettons en place. Cette réflexion,
c’est, je crois, ce que vous appelez la pensée critique,
dont vous dites qu’elle est plus proche de son soubassement
qu’elle ne le voudrait, qu’elle ne peut se concevoir
sans elle : impossible de penser l’inconscient sans le fond
commun d’une conscience maîtresse d’elle-même.
Il me semble que la psychanalyse est une de ces pensées critiques
– mais pas très critique vis-à-vis de son soubassement
?
12 J’associe ce que vous appelez sens commun à ce
que je nomme névrose collective que je définis ici,
sommairement, comme un ensemble de représentations communes
à un groupe humain, qui donnent à vivre des idéaux,
des objets à désirer et des objets à rejeter.
En cela proche de ce que l’on peut entendre de la névrose
d’un individu, à savoir un ensemble à la fois
conflictuel et systématisé de représentations
qui permet la satisfaction de pulsions au prix d’un certain
nombre de symptômes (pathologiques ou non, c’est une
question de point de vue… c’est-à-dire de névrose
collective !). La question serait donc : en quoi un discours psychanalytique
reconduit purement et simplement la névrose collective, et
en quoi il contribue à la faire bouger ?
13 Quand vous dites : « ce que la psychanalyse cherche chez
l’individu ne se trouve certainement pas chez l’individu
», vous laissez entendre, me semble-t-il, qu’elle reconduit
le sens commun, selon quoi il y aurait de la volonté libre
(éventuellement divisée, mais le fantasme est plus
libre encore…) d’un côté, et le monde objet
de l’autre. C’est dire que, pour être une pensée
critique, elle devrait réinterroger le sens commun de sa
théorie du sujet. Il me semble que c’est la grande
question, en effet. Est-ce possible, sinon dans la longue durée
de l’histoire, et selon une marche collective qui échappe
à chacun de nous, au-delà de nos contributions personnelles
?
14 Vous développez également le « concept du
paysage », que Fernand Braudel nommait « un nouveau
sujet de l’histoire » (et j’hésite un instant
sur le sens du mot : paysage comme sujet, ou comme thème
?). Il fonctionne comme une structure globale, dites-vous, un système
complexe. Un paysage est toujours plein, centré sur lui-même,
relevant de constellations multiples, de couches successives. Et
vous ajoutez : « nous appartenons à un paysage, comme
il nous appartient ».
15 Miguel Benasayag : Bien, je voudrais répondre surtout
autour du paysage et de la clinique.
16 Il s’avère que la psychanalyse, en tant que pratique
non normative, possède d’emblée un « message
» un peu subversif par rapport à notre société.
Il ne s’agit certainement pas d’un message déployé
mais qui, d’une certaine façon, reste implicite de
par la cure analytique elle-même. Il s’agit de la critique
de toute vision utilitariste de la vie, de toute interprétation
allant dans le sens de l’existence d’une harmonie quelconque
dans le réel. Tout sens est question sur le sens.
17 En effet, le désir n’est pas « endogène
», il traverse la multiplicité qui est la personne,
à condition, justement que la personne puisse expérimenter
que « la vie n’est pas quelque chose de personnel »,
comme l’écrit G. Deleuze. Nous sommes « bougés
», nous sommes déterminés. C’est-à-dire
que nous vivons un destin qui n’est pas une fatalité.
C’est la croyance dans le libre arbitre qui fait de cette
détermination une fatalité.
18 Il n’y a pas de moment de la décision, pensons
un peu à l’apologue de l’âne de Buridan
; cet âne qui, placé à un point équidistant
de deux meules de foin, finit par mourir de faim, car il ne peut
pas se décider pour aucune des deux meules. Justement, ni
chez les ânes, ni chez les humains, ni dans aucun organisme
vivant d’ailleurs, n’est possible l’existence
de cette « équidistance ». D’une façon
infinitésimale, peut-être, mais toujours, un organisme
se trouve dans des inflexions, dans des tropismes, qui font que,
très longtemps avant que cette perception arrive à
devenir une aperception, une information consciente, nous sommes
toujours déjà « décidés »,
nous sommes toujours en retard, d’un point de vue de la connaissance
ou de la conscience, sur ce que nous sommes déjà en
train de vivre. Au commencement fut le mouvement…
19 Mais ceci, qui est pourtant le b-a-ba de la psychanalyse, n’est
pas, pour le dire ainsi, répercuté dans la cure analytique,
ou dans tous les cas pas assez.
20 On aime croire qu’à un moment donné, tel
l’âne de l’histoire, nous sommes dans un instant
et dans un lieu où, « finalement », c’est
au moi ou bien à un sujet (assez moïque alors) de «
décider »… Chant des trompettes dans le ciel,
une liberté, non déterminée, sans cause, qui
interrompt la chaîne causale ; en bref, moi est arrivé.
C’est de ce côté-là qu’il faut réinterroger
le rapport de la psychanalyse avec le social, du côte de l’opérateur
dans un agir.
21 Où peut bien se trouver alors ce lieu de production du
désir, quelle est cette instance qui insiste, pourtant, pour
se présenter comme une singularité, comme une histoire,
une mémoire, un sujet ?
22 Nous sommes en retard par rapport à ces questions qui
pourtant sont les questions qui fondent notre époque.
23 Alors, la pensée du paysage est une tentative pour quitter
les lieux imaginaires d’identité, individu, rôle
social, etc., pour essayer de connaître, un peu, les appartenances,
les tropismes dus à la longue durée, les invariances
qui nous constituent, plus comme une question, que comme un sujet.
Ou bien, le sujet comme un mode de la question, ce qui veut dire
un mode du devenir.
24 Nous sommes liés, nous appartenons aux différents
paysages ; toute question, toute forme désirante, tout défi
est résultante du paysage, est paysage. Au-delà de
toute interprétation beaucoup trop mystique, le désir
est appel, notre Ithaque, qui n’a rien de personnel. Or le
paysage est, à l’instar de toute résultante,
une hégémonie, une force qui n’existe que dans
chacun des multiples qui la composent, elle n’a pas de lieu
d’existence. Le paysage, aussi, n’a pas de lieu, il
est le lieu de chacun des multiples qui le composent.
25 Penser en termes de paysage n’est pas un mot d’ordre,
c’est une invitation pour chercher, pour dire, nous avons
du retard, nous avons à chercher. Une pensée du paysage
est donc ce qui d’emblée s’inscrit au-delà
de la problématique « psycho-sociale », où
chacun des deux termes paraît réclamer sa part dans
un gâteau commun.
26 Aujourd’hui, peut-être plus que jamais, comme Platon
le fait dire à Socrate, l’homme ne peut pas être
« la mesure de toutes choses », l’homme doit se
repenser parmi les choses, voilà le défi. Le paysage
n’est pas une sorte de « super-sujet », il s’agit
plutôt de trouver un socle à partir duquel nous pouvons
penser la vie, un socle qui ne soit pas piégé dans
l’idéologie de l’individu et la société
qui lui correspond, cette société qui au demeurant
met en danger la vie même.
27 Jean-Claude Liaudet : On connaît aujourd’hui d’autres
tentatives de repenser le sujet. Qu’en pensez-vous ?
28 Classiquement, le sujet a à voir avec le Père
et son sacré nom, qui règne au ciel de la psychanalyse.
Tel, on le sait, que le rôle du père est de représenter
la Loi et de faire de l’enfant un humain, la part de la mère
se situant dans un corps à corps à la fois vital et
source d’attachement mortel. À lui la métaphore,
à elle la métonymie ! On sait également que
le Père est partout dans notre société traditionnelle
: au ciel, sur le trône, et dans les familles, c’est
le même pater, celui qui détient le pouvoir ; et que
le rôle du père décline depuis qu’il ne
peut plus s’appuyer sur la mythologie chrétienne ni
sur l’organisation politique libérale pour fonder son
autorité. Nous sommes à une époque charnière
où disparaît le Père de famille, pièce
d’un ensemble politico-religieux millénaire[2], celui
des religions et des civilisations du livre (Thora, Bible, Coran).
29 Pour l’heure, on confond encore Père (avec un grand
P) et père… Et c’est peut-être ce qu’a
fait la psychanalyse ; ou plutôt elle dit le « paysage
» (pour reprendre votre concept) dont elle est partie prenante,
à savoir le fonctionnement psychique d’un sujet de
la modernité occidentale[3], encore pris dans les filets
du Père, quoi qu’il en veuille, et lancé en
même temps dans une libération du sujet individuel.
30 C’est en ce point qu’il y a débat aujourd’hui
: certains lacaniens, comme Pierre Legendre, clament qu’il
faut du Père pour que l’humain reste humain. Ils appelleraient
en quelque sorte à une restauration, ils seraient réactionnaires…
D’autres travaillent à faire progresser la théorie
et la pratique psychanalytiques…
31 Il me semble que, dans son dernier livre[4], Dany-Robert Dufour
fait avancer le débat – en historicisant Lacan. Comme
lui, il rappelle que l’homme est un néotène
; c’est-à-dire qu’il naît encore incomplet,
avant que ses comportements instinctuels se soient mis en place.
En même temps, ce qui lui fait défaut le libère
: il peut s’adapter et changer. Ce qui lui manque, naturellement,
peut-on dire, il le crée en fabriquant des prothèses
: les outils prolongent et compensent ses incapacités physiques,
par le langage il crée un monde de fictions qui lui donnent
des raisons d’agir (à la place des instincts dont il
est dépourvu). C’est ainsi qu’il a créé
le Père… Telle est la preuve athée de l’existence
de Dieu que Dany-Robert Dufour a concoctée !
32 La vie de groupe des animaux sociaux fait l’objet de montages
instinctuels qui peuvent s’adapter. Ainsi, il y a chez les
loups un chef de horde qui possède les femelles et domine
les mâles. En devenant chien, le loup n’a pas changé,
il a seulement changé de maître : désormais
il prend l’homme pour son chef de horde. Dany-Robert Dufour
soutient que l’humain fait de même : ce qu’il
ne trouve pas naturellement, il le fabrique par un montage de langage,
un édifice dont les composants varient selon les lieux et
les époques : il se crée un maître, un «
grand Sujet » qui lui permet d’exister comme simple
sujet, sans quoi il serait perdu dans le non-sens. Il n’arrête
pas d’en créer, et il n’arrêtera pas :
Totem, Brahman, Dieu biblique au ciel, puis Roi, Peuple sur terre…
Du Peuple on a connu plusieurs versions : le Peuple républicain,
le Peuple national-socialiste, le Peuple communiste… il semblerait
qu’on en ait soupé ! Avec l’individualisme libéral,
la tentation est d’établir un court-circuit : se prenant
lui-même pour le tout, le sujet deviendrait le grand Sujet.
Il parlerait comme Yahvé dans la Bible et se définirait
par lui-même et non par un Autre : « je suis celui qui
est ». Mais cette formule, « je est je », n’est-elle
pas celle de la folie unaire ?
33 Sans doute nous faudrait-il fabriquer d’autres grands
Sujets auxquels nous assujettir pour devenir sujets autrement ?
34 Miguel Benasayag : Je crois, en effet, que le « sujet
» tel que le conçoit la psychanalyse est resté
un peu trop piégé dans la constellation propre aux
individus. Par exemple, on a du mal à concevoir un sujet
autre qu’individuel. Or, d’un point de vue philosophique,
nous pouvons très bien accepter qu’un individu ne soit
qu’une des multiples possibilités d’être
d’une singularité.
35 Il ne s’agit pas là d’un débat théorique,
bien au contraire notre époque nous pose cette problématique-là
: quelle est l’instance, quel est l’agencement à
partir duquel un agir, un acte, est possible ? C’est une question
anthropologique à laquelle la psychanalyse tourne le dos.
Nous devons essayer de comprendre quels peuvent bien être
aujourd’hui ces agencements capables de composer, d’émanciper
la puissance qui se trouve aujourd’hui bloquée, et
qui nous condamnent au pâtir.
36 Nous ne trouvons plus les voies de l’agir, il nous est
difficile de sortir du pur pâtir, d’être autre
chose que les spectateurs de nos vies. Nos contemporains se trouvent
noyés par des informations, mais nous ne trouvons toujours
pas la « glande pinéale » qui nous permettrait
de développer des pratiques concrètes ; aussi l’information,
les connaissances, loin d’être des instruments d’émancipation,
deviennent des éléments qui aggravent et approfondissent
la tristesse, l’impuissance.
37 La connaissance, l’éducation, ne furent d’aucune
façon, dans le siècle qui est fini, des barrières
contre la barbarie, ainsi que l’Occident l’avait profondément
cru. Et pourtant, notre tâche est de trouver, non pas ce qui
pourrait se substituer à la connaissance, mais une connaissance
qui ne se réduise pas à des informations, des abstractions
qui nous séparent encore plus de notre puissance d’agir.
38 Nos patients nous posent cette « énigme »
: mais une fois que je saurais, que se passera-t-il, comment changer
? Et, que ce soit dans nos consultations ainsi que dans notre vie
de citoyens, la glande pinéale reste introuvable, nous ne
trouvons pas ces articulations, ces agencements qui relèvent
d’un opérateur, qu’on l’appelle ou non
sujet ; un opérateur qui permet que nous puissions agir.
39 La question, en psychanalyse, me semble être la suivante
: comment une personne peut-elle dégager une partie, au moins,
de sa puissance en dehors des circuits de la jouissance liée
a la répétition, à la pulsion de mort ?
40 C’est en cet endroit, à cette articulation-là,
qu’il existe un défi pour l’analyse. Comment
faire pour ne pas identifier ces « tangentes », ces
lignes de fuite, avec la vie « personnelle » ? Est-ce
que l’analyse est capable de se situer comme pratique de la
multiplicité, donc réellement depuis un autre point
de vue que celui de l’individu ?
41 L’inconscient n’est plus conçu, dans la plupart
des cas, comme ce qui fonctionne tout à fait ailleurs que
dans les petites histoires personnelles, il est devenu la «
vérité vraie » de l’individu. Comme si
le mot d’ordre était : « Encore plus d’individu,
avec un zeste d’inconscient, svp ! »
42 L’individu, en tant que figure du sujet, représente
une époque dont il est impossible de faire le bilan. Mais
aujourd’hui, ce que l’on nomme « sujet »,
c’est-à-dire un opérateur capable de libérer
la puissance, bref d’agir, est en manque, en souffrance, dans
le sens de souffrir et d’attendre une nouvelle figure. De
ce point de vue, aucune figure de l’opérateur historique
n’est bonne en soi ou mauvaise en soi. Elle doit être,
pour le dire ainsi, suffisamment bonne.
43 En continuant à demander à la vieille figure humaniste,
l’homme mesure de toutes choses, de résoudre nos problèmes,
notre civilisation nous plonge au cœur de ces problèmes.
L’homme n’est pas le maître à bord, ou
nul n’est maître chez lui… en bref, le vieux rêve
de maîtrise, celui de l’homme messie de l’homme,
se révélant être un échec, nous ne pouvons
plus nous adresser à cette même figure (à l’homme,
à sa conscience, etc.) pour tenter de résoudre, avec
encore plus de maîtrise, les dégâts que justement
le désir de maîtrise a causés.
44 Une pensée de la non maîtrise, qui pourtant ne
cède en rien à une tentation irrationnelle : voilà
le début d’une piste.
NOTES
[1] Miguel Benasayag, La fragilité, Paris, La Découverte,
2004.
[2] Qu’on pourrait qualifier de méditerranéen.
[3] Pour donner une date repère : au moins depuis les révolutions
américaine et française. Les vrais changements, vous
le dites, se font dans la longue durée !
[4] Dany-Robert Dufour, On achève bien les hommes, de quelques
conséquences actuelles et futures de la mort de Dieu, Paris,
Denoël, 2005.
Miguel Benasayag et Jean-Claude Liaudet « L'individu, une
figure historique du sujet », Le Coq-héron 4/2005 (no
183), p. 27-33.
URL : www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2005-4-page-27.htm.
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