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Origine : http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Michel_Foucault
Publié le vendredi 4 janvier 2008
Si l’on recherche chez Foucault une définition du
pouvoir, on en trouvera une, finalement assez simple, mais risquant
néanmoins de bousculer toutes nos idées préconçues.
Selon Foucault, le pouvoir est un rapport de forces. Vous noterez
que le terme de « force » ici, n’est pas écrit
au singulier. En effet, pour Michel Foucault le rapport de force
se conjugue toujours au pluriel. Car précisément,
tout rapport de forces est nécessairement un « rapport
de pouvoir ». On pourrait même dire avec Foucault qu’une
force est toujours en rapport avec une autre, ce qui la conduit
à n’avoir aucun autre objet ni aucun autre sujet que
la force elle-même. Toute force est alors déjà
un rapport, et ainsi un « pouvoir ».
La mort de l’homme
Voilà certainement une première bonne raison de relire
Foucault aujourd’hui. Certains ont cru l’enterrer il
y a vingt ans déjà, en le traitant par exemple, de
suppôt d’Hitler, (il est vrai que Foucault annonça,
à la fin de son ouvrage Les mots et les choses, la «
mort de l’homme », ce qu’on ne lui pardonna pas,
car, à cause d’une très mauvaise lecture de
ces pages prophétiques, on y vit une réelle offense
aux « droits de l’homme », alors qu’il n’annonçait
en réalité qu’une mort de l’homme comme
figure, comme pli du savoir ; une mise en cause de la référence
« homme » dans les sciences humaines exclusivement ;
un malentendu tout de même, qui poussa un psychanalyste, à
rapprocher Les mots et les choses de Mein Kampf) ou encore, en l’accusant
d’être l’éminent représentant d’une
technocratie structurale (certes, sa façon d’aborder
l’histoire de la pensée était nommée
par Foucault lui-même « archéologie » des
savoirs, mais de là à être bombardé au
rang de grand représentant du structuralisme, il y avait
tout de même un pas !). Néanmoins, c’est bien
dommage pour ces penseurs qui ne pensaient pas, mais leur haine
ne sut atteindre le travail de ce grand archiviste, dont la boite
à outil qu’il nous laissa à sa mort prématurée,
en 1984, est un réservoir de concepts et de conceptions novatrices
de termes-clés dont l’interprétation et la compréhension
nous semblaient jusque-là acquises.
Le pouvoir
Par exemple, dans plusieurs de ses ouvrages, notamment Surveiller
et punir, et La volonté de savoir, sa relecture du «
pouvoir » laisse à penser, voire nous en propose une
interprétation assez étonnante, et peu banale. Tout
d’abord, Michel Foucault étudie le pouvoir sur le plan
des processus mineurs qui cernent et investissent le corps. Quatre
investissements du corps par le pouvoir sont décrits dans
Surveiller et punir : premier investissement comme morceau d’espace
; deuxième comme noyau de comportements ; troisième
comme durée interne, et dernier comme somme de forces. Contre
toute attente, il ne s’agit donc plus, comme on le ferait
un peu trop précipitamment, d’étudier la question
du pouvoir sous l’angle de grandes interrogations autour de
la genèse de l’Etat ou les droits de la nature. A la
lecture de Foucault, on réalise que tout le travail du pouvoir
pour discipliner ses sujets s’opère autour d’une
très fine technique politique des corps : il s’agit
de rendre docile, de discipliner les individus sans que ces derniers
naturellement, ne s’en aperçoivent. On comprend alors
que le niveau d’analyse requis par Foucault n’est autre
qu’une « microphysique » du pouvoir.
Réguler
Foucault remarque également un effort du pouvoir pour quadriller
les corps, et les répartir dans l’espace. Il s’agit
d’éviter quoi qu’il en coûte le moindre
désordre au sein de la société. Alors chacun
doit être à sa place selon son rang, sa fonction, ses
forces, etc. Que ce soit à l’usine, à l’école,
à la caserne, le pouvoir doit contrôler l’activité,
en atteignant l’intériorité même du comportement,
jouant au niveau du geste dans sa matérialité la plus
intime ; il doit également combiner les corps afin d’en
extraire une utilité maximale. C’est ce qu’on
pourra appeler la combinaison des forces. Cela entraîne Foucault
à étudier les diverses techniques très méticuleuses
de pédagogie initiées par le pouvoir, et ses règles
très méticuleuses de dressages des individus dans
les diverses strates du corps social.
Il s’agit de normaliser la conduite du corps : dans les ateliers,
les écoles, les casernes, partout, les techniques disciplinaires
qui vont assurer cette normalisation mettent à l’œuvre
ce qu’on peut appeler une micropénalité.
Châtier le corps rebelle, le corps indocile. Le dissuader
de recommencer. De plus, cette micropénalité ne doit
pas être confondue avec les grands mécanismes judiciaires
étatiques, comme s’il n’existait qu’un
seul pouvoir, le pouvoir d’Etat, et le pouvoir politique.
A côté d’un grand pouvoir, il existe omniprésents
dans notre société tout un tas de micro-pouvoirs,
ce qui permet à Foucault de distinguer et d’opposer
la loi et la norme. La loi étant ce qui s’applique
aux individus de l’extérieur, essentiellement à
l’occasion d’une infraction, la norme est ce qui s’applique
aux individus l’intérieur, puisqu’il s’agit
pour elle d’atteindre leur intériorité même
en imposant à leur conduite une courbe déterminée.
Les micro-pouvoirs
Si ces micro-pouvoirs, dont l’objectif est de normaliser les comportements,
sont nombreux, c’est parce qu’ils se situent à
différents niveaux : que ce soit les pouvoirs de certains
individus sur d’autres comme les parents, les professeurs,
les médecins, etc., de certaines institutions, telles les
asiles ou les prisons, ou même de certains discours. Quand
par exemple, le pouvoir politique est répressif, les micro-pouvoirs
eux, sont productifs. Quand le pouvoir politique cherche à
faire taire en se réservant le droit à la parole,
à maintenir dans l’ignorance, à réprimer
les plaisirs et les désirs, et exerce la menace de mort,
les micro-pouvoirs, en revanche, produisent des discours, et incitent
à l’aveu : il faut par exemple avouer au prêtre,
au professeur, à son supérieur, au médecin,
ce qui permet de contrôler qui est ou non dans la norme. La
norme ne cherche pas à saisir l’individu à l’occasion
d’actes précis et ponctuels, elle veut investir la
totalité de son existence. Alors que la loi dans son application
s’entoure de tout un rituel théâtral, la norme
est plus diffuse, plus sournoise, plus indirecte : elle veut gérer
la vie et cherche à se faire désirer, aimer : le patron
est étymologiquement le père, on parle de mère
patrie, de Dieu le père, etc. « Si tu ne m’obéis
pas, je ne t’aime plus », telle est la formule plus
ou moins implicite de la norme qui utilise le jeu de la séduction
pour mieux asservir. Elle finit par s’imposer au détour
de mille et mille réprimandes mesquines. Nous nous retrouvons
tous tôt ou tard pris à son piège.
La mise en question des savoirs
Et comble de l’étonnement, Foucault nous le fait remarquer,
les termes de Pouvoir et de Savoir sont insidieusement liés,
car l’exercice de ces pouvoirs s’appuie essentiellement
sur des savoirs. Il explique par exemple dans Surveiller et punir,
que c’est la prison elle-même, qui fabrique le concept
de délinquance, comme le pouvoir psychiatrique a fabriqué
le concept de maladie. La micropénalité des systèmes
disciplinaires est relayée par un dispositif de savoir qui
diffuse et instille ces normes ; ce dispositif allant jusqu’à
énoncer comme vérités de nature des conduites
prescrites par le pouvoir disciplinaire.
Et les micros-pouvoirs d’être tout aussi contraignants
voire davantage que le pouvoir politique. Ils sont, en tout état
de cause, plus subtils, et précisément, moins visibles
que le pouvoir politique. Mais sommes-nous pour autant impuissants
à les combattre, à s’y soustraire ? Doit-on
considérer comme une fatalité que la société
ne puisse être autre chose qu’une collectivité
d’hommes dirigés et sous surveillance ? N’est-il
pas toujours possible néanmoins de penser notre libération
de l’asservissement des diverses strates du pouvoir et de
ses micros-pouvoirs ?
Le souci de soi
Foucault, malgré sa mort prématurée, ne laissera
pas ces questions sans réponse. Dans sa trilogie à
propos de l’Histoire de la sexualité, notamment les
tomes II et III, il tâchera, afin de tenter de réconcilier
l’homme avec lui-même, et de le soustraire à
la « tyrannie » de la norme, d’inventer un contre
discours esthétique contre les jeux du pouvoir. Ni histoire
des comportements et pratiques sexuelles, ni histoire des représentations
du sexe par les gens, cette Histoire là à pour objectif
de proposer une recherche sur l’éthique, en s’intéressant
à la solution grecque des problèmes moraux posés
par la sexualité. Pour structurer sa pensée, il se
base sur des petits traités d’existence, des essais
de bonne conduite, les arts de vivre, bref toute une littérature
dite « mineure » où le sujet se voit proposer
des styles de vie, et où s’élaborent des modalités
d’expérience. Il montre que, parce que seuls des hommes
libres peuvent dominer les autres, ils doivent d’abord se
dominer eux-mêmes. Ceci supposant une diététique
des plaisirs d’abord alimentaires, puis sexuels. Mais il leur
faut également, selon les mots mêmes de Socrate, prendre
conscience du souci de soi. Or, qu’est-ce que le souci de
soi ? Certes, c’est porter attention à soi. Mais non
pas dans un sens purement narcissique. Foucault, contrairement à
l’époque contemporaine, ne nous engage pas à
tourner notre regard vers notre ego, à nous livrer à
un examen douloureux de nos imperfections. Il fait référence
au souci de soi, au sens antique du terme, ce qui correspond à
la fois à une attitude se conjuguant sur le mode philosophique,
mais également sur le mode d’une pratique sociale.
« C’est la notion de conversion à soi-même,
écrit Foucault dans L’Herméneutique du sujet.
Il faut que le sujet tout entier se tourne vers lui-même et
se consacre à lui-même » Le souci de soi consistera
donc, non seulement à mieux se connaître (tourner son
regard vers soi) mais aussi à se convertir à soi,
à faire retraite en soi, à être heureux en présence
de soi-même. Le souci de soi va se coller à l’art
de vivre, afin de corriger l’individu et pas uniquement de
le former. Il s’agira alors pour Foucault de se gouverner
soi-même, et même de construire sa vie comme une œuvre
d’art.
Actualité et modernité de Foucault
Ainsi, en relisant avec beaucoup d’attention la problématique
des micros-pouvoirs, son actualité et sa modernité,
il n’est peut-être pas impossible que nous puissions
redéfinir nos comportements, repenser le corps social, ses
modes de fonctionnement, repenser la normalisation et les «
méfaits » de la normes, et que nous trouvions dans
la boite à outils de Foucault lui-même, des éléments
pour penser sur un tout nouveau mode, le rapport à soi, et
le rapport aux autres dans la société occidentale
contemporaine. Car, nous dit Foucault, pour finir : « Alors
que la théorie du pouvoir politique comme institution se
réfère d’ordinaire à une conception juridique
du sujet de droit, il me semble que l’analyse de la gouvernementalité
– c’est-à-dire : l’analyse du pouvoir comme
ensemble de relations réversibles – doit se référer
à une éthique du sujet défini par le rapport
de soi à soi. Ce qui veut dire tout simplement que, dans
le type d’analyse que j’essaie de vous proposer depuis
un certain temps, vous voyez que : relations de pouvoir-gouvernementalité-gouvernement
de soi et des autres-rapport de soi à soi, tout cela constitue
une chaîne, une trame, et que c’est là, autour
de ces notions, que l’on doit pouvoir, je pense, articuler
la question de la politique et la question de l’éthique
», L’Herméneutique du sujet.
Bibliographie indicative
Michel Foucault, Surveiller et punir, La volonté de savoir,
(Histoire de la sexualité I), Gallimard, L’usage du
plaisir, (Histoire de la sexualité II), Gallimard, Le souci
de soi, (Histoire de la sexualité III), L’ordre du
discours, Histoire de la folie à l’âge classique,
Naissance de la clinique : une archéologie du regard médical,
Gallimard, L’Herméneutique du sujet, Sécurité,
territoire, population, Seuil.
Gilles Deleuze, Foucault, Minuit.
Didier Eribon, Michel Foucault, Flammarion.
Didier Eribon, Michel Foucault et ses contemporains, Fayard.
Pour aller plus loin, consulter deux sites Internet de référence
:
http://foucault.info/
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Michel_Foucault
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