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Origine : http://pajol.eu.org/article982.html
Les flux migratoires, c’est depuis toujours. Sans remonter
à l’aube de l’humanité, on peut dire qu’il
y a accélération constante depuis la moitié
du 19ème siècle. On s’en rend compte en consultant
les registres d’inscriptions scolaires qui indiquent la nationalité
des élèves. Ainsi, dans le quartier populaire de Belleville-Ménilmontant
(Paris), lieu traditionnel d’accueil de familles immigrées,
on relève la trace des immigrations russe, polonaise, italienne,
arménienne, espagnole, portugaise - autrefois, ... et aujourd’hui,
maghrébine, africaine, asiatique, d’Europe de l’Est
- en fait, de toute la planète.
En 2005, en France - comme en Europe et dans de nombreux pays des
autres continents - l’immigration reste un problème
politique grave. Les immigrés vivent mal. Les pouvoirs successifs
traitent de façon indigne les sans papiers, les demandeurs
d’asile, leurs enfants. Les luttes sont incessantes, partout,
et aujourd’hui, dans une phase difficile. Pour mémoire,
retour - non exhaustif - sur les principales législations
et les moments forts de ces luttes en France depuis les années
70. Parce que nous ne pouvons nous résigner à ce que
perdure l’injustice. Personne n’est illégal.
C’est surtout dans l’après 1968 que les travailleurs
immigrés s’impliquent dans la vie politique française
par des luttes pour leurs droits : les conditions de vie - le logement
(bidonvilles, cités de transit), le travail (pour l’obtention
de contrats de travail décents), contre le racisme et la
multiplication des crimes et attentats racistes commis par l’extrême-droite,
contre les expulsions et pour la régularisation de leur situation
administrative,. La lutte des sans-papiers n’a donc pas commencé
en 1996 à Saint-Bernard.
1972 La circulaire Fontanet-Marcelin constitue,
après l’Ordonnance de 1945, le début de la politique
de contrôle de l’immigration. Trois exigences pour les
immigrés :
- carte de séjour désormais subordonnée à
l’obtention d’un certificat de travail d’une durée
minimale d’un an et d’une attestation de logement "décent"
fournis par l’employeur.
- obligation à l’employeur de déposer l’offre
d’emploi, pendant trois semaines, à l’ANPE pour
visa, préalablement à toute proposition de celui-ci
à un étranger.
- les dossiers de demande doivent passer obligatoirement par le
guichet unique de la Préfecture de police.
L’application de cette circulaire va provoquer une vaste
mobilisation : grèves, et surtout grèves de la faim,
des occupations (des DDT : Directions départementales du
travail), des manifestations.
1973 La circulaire Gorse assouplit la précédente
: prolongation de trois mois de la date limite pour le dépôt
des dossiers de demande de régularisation, puis sous la pression
des luttes, l’élargissement à tous les sans
papiers entrés avant le 1er janvier 1973. Au terme de la
mobilisation 72/73, près de 35 000 sans papiers sont régularisés
1974
- Création du 1er Secrétariat à l’immigration.
Arrêt officiel de l’immigration.
- La circulaire Poniatowski élargit la circulaire Fontanet
aux travailleurs africains ( jusqu’ici non concernés).
- Grève de la faim des travailleurs mauriciens et turcs.
1975 Décret instituant l’opposabilité
de la situation de l’emploi :
- Autorisation de travail : étrangers non communautaires.
- Situation de l’emploi L’administration peut refuser
une autorisation de travail, si elle estime que le niveau de chômage
est trop important.
- Le refus doit être motivé par des données
statistiques précises et se limite au seul emploi demandé.
- L’autorisation de travail peut être refusée
à un étranger en raison de la situation de l’emploi
présente et à venir dans la profession demandée
par le travailleur étranger et dans la zone géographique
où il compte exercer cette profession.
- L’autorisation peut être refusée même
si sur présentation d’un contrat de travail ou une
promesse d’embauche.
- Motivation du refus : il doit être motivé par des
données statistiques précises faisant état
des offres et des demandes d’emploi par qualification professionnelle.
- Si le refus de l’autorisation se limite au seul emploi demandé,
on peut présenter une autre demande pour un emploi différent.
La situation de l’emploi n’est pas opposable aux étrangers
:
- pouvant bénéficier de plein droit de la carte de
résident,
- ayant servi dans une unité combattante de l’armée
française,
- ayant servi dans la légion étrangère, titulaires
du certificat de bonne conduite.
- ressortissants cambodgiens, laotiens, vietnamiens, libanais.
La situation de l’emploi n’est pas opposable aux :
- apatrides titulaires de la carte de l’Office français
de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA),
- aux conjoints et enfants séjournant en France au titre
du regroupement familial,
- au conjoint d’un Français,
- au conjoint d’un étranger ayant le statut de réfugié.
Ressortissants OCDE
La situation de l’emploi n’est pas opposable aux ressortissants
d’un pays membre de l’ Organisation de coopération
et de développement économique (OCDE) justifiant de
treize ans de résidence ininterrompue.
Ce délai peut être réduit d’un an par
enfant mineur vivant en France.
Lors du renouvellement de l’autorisation de travail, la situation
de l’emploi ne leur est pas opposable s’ils justifient
de cinq ans de travail régulier et continu en France.
1976 Décret du 29 avril sur le regroupement familial.
Le 8 décembre 1978, un nouveau décret interdit l’admission
des familles des étrangers résidant régulièrement
sur le territoire . En 1980, sur recours du GISTI, le Conseil d’Etat
annulera ce texte, érigeant en principe constitutionnel le
droit de vivre en famille, fût-ce pour les étrangers
- Grève de la faim des travailleurs saisonniers maghrébins
du sud.
1977 Grève de la faim des travailleurs pakistanais.
Le "Million" de Stoléru (Secrétaire d’Etat
chargés des travailleurs immigrés : un million pour
partir volontairement ! Bide...
1979/1980
Loi Barre-Bonnet : premier texte politique d’ensemble depuis
1945 qui tente de réglementer l’entrée et le
séjour des étrangers en France. Le durcissement est
nettement affirmé : exigence de garanties de rapatriement,
élargissement notable du champ de l’expulsion qui pourra
concerner tout étranger entré ou séjournant
irrégulièrement. (Concernant les jeunes (déjà
!), on passe de 5 380 expulsions en 1977 à 8 000 en 1980).
Cette loi entraîne, comme la circulaire Fontanet, mobilisation,
résistance, manifestations, grèves, grèves
de la faim...
Longue lutte de travailleurs de la confection du Sentier à
Paris, essentiellement des Turcs (pour la première fois,
des sans papiers acceptent de témoigner à visage découvert
à la télévision de leurs conditions de vie
et de travail), rejoints par des Marocains, Yougoslaves, Tunisiens.
La lutte s’étend à d’autres régions
(Bordeaux, Gien, Jargeau... Grèves de la faim. Et régularisation
de près de 4 000 personnes.
1981/1982 Arrivée de la gauche au pouvoir
et régularisation exceptionnelle (130 000)
1983 Marche des beurs.
1984 Convergence 84 pour l’égalité.
1985 Marche pour les droits civiques Trois grands
rassemblements/manifestations de/sur l’immigration, notamment
de la jeunesse, et de nombreux soutiens français qui crient
"Français, Immigrés, solidarité !"
Accords de Schengen
La nécessité d’une harmonisation européenne
des politiques d’immigration est rapidement apparue : il est
inutile de fermer ses frontières aux pays tiers si les autres
pays de l’Union, entre lesquels est prévue une liberté
de circulation, ne font pas de même. Pour que les Européens
puissent abandonner leurs contrôles aux frontières
intérieures, il est nécessaire de fermer les frontières
extérieures aux non-Européens suivant une politique
commune et des décisions qui s’appliquent dans tous
les Etats membres. La France, l’Allemagne, la Belgique, le
Luxembourg et les Pays-Bas signent le 1er accord en 1985 à
Schengen. Il entrera en vigueur en 1995. L’Italie, l’Espagne,
le Portugal, la Grèce, le Danemark, l’Autriche, la
Finlande et la Suède ont rejoint le groupe.
Le système repose sur le S.I.S (Système d’Information
Schengen), consulté par chaque Etat membre sur les questions
policières (personnes recherchées), mais aussi avant
toute décision concernant un étranger (demande de
visa, de titre de séjour...). Un étranger fiché
comme indésirable par un Etat est ainsi exclu de tout "l’espace
Schengen".
1986
- Lois Pasqua 1
Lutte contre les clandestins : répression du séjour
irrégulier, contrôle accru des frontières. La
régularité de l’entrée sur le territoire
est déterminante pour la régularisation et le regroupement
familial. Sont particulièrement visés les demandeurs
d’asile déboutés et les demandeurs de regroupement
familial. Le droit au séjour est restreint (il faut à
tout moment pouvoir justifier de ses moyens d’existence).
Plus besoin de respecter l’avis de la commission d’expulsion.
Le préfet peut ordonner la reconduite à la frontière
à tout moment, immédiatement exécutable. 15
887 arrêtés de reconduite en 1987.
Dans ce climat, en décembre, Malik Oussekine est tué
par la police pasquaïenne lors d’une manif étudiante.
Défilé d’un million de personnes en hommage
à Malik.
- Campagne "J’y suis J’y reste !" La commission
Marceau Long, qui débat de la nationalité, mettra
en évidence que 18 millions de français ont des ascendants
issus de l’émigration. D’où les slogans
qui resteront : "1ère ! 2ème ! 3ème génération
! Nous sommes tous des enfants d’immigrés !" et
"J’y suis J’y reste ! Je ne partirai pas !"
1991/1992 Luttes des déboutés du droit d’asile.
Large mouvement de grèves de la faim. Environ 17 000 régularisations
(sur une population de déboutés du droit d’asile
estimée entre 50 000 et 100 000 personnes) .
1993
Lois Pasqua 2. Elles se veulent une réforme globale des ordonnances
de 1945. Objectif "immigration zéro". Elles constituent
alors la législation la plus restrictive qu’ait connue
la France depuis la Libération :
- possibilité de maintenir l’étranger en rétention
jusqu’à l’expulsion définitive ;
- incitation des préfectures à faire du chiffre ;
- organisation de charters d’expulsés ;
- sanctions pénales alourdies contre l’entrée
et le séjour irréguliers ;
- sanctions pénales contre toute personne les ayant facilités.
- droit au séjour toujours restreint (le visa long séjour
- qui permet l’obtention du titre - difficilement accordé)
;
- regroupement familial encadré et limité (obligation
de ressources à hauteur du SMIC, obligation d’une certaine
surface de logement), interdiction de régularisation du membre
de famille déjà sur place.
Dans ces années du contexte honteux des lois Pasqua, certaines
municipalités - à Paris par exemple - demandent en
toute illégalité aux parents étrangers de présenter
un titre de séjour lors de l’inscription scolaire des
enfants. Certains sont dénoncés par des fonctionnaires
"consciencieux" au procureur de la république,
arrêtés et expulsés.
Concernant la nationalité, la loi du 22 juillet 1993 limite
le "droit du sol" : le jeune né en France ne pourra
devenir français qu’à partir de 16 ans s’il
en manifeste la volonté et s’il réside en France.
1994/1995 Lutte pour le droit de vivre en famille.
Action collective des étrangers parents d’enfants français
"ni expulsables, ni régularisables".
Beaucoup de jeunes entrés hors regroupement familial sont
"invités à quitter le territoire" et menacés
d’expulsion. Problème pas nouveau mais qui prend des
proportions insupportables avec les lois Pasqua - et qui suscite
des solidarités et des mobilisations nouvelles (amis, enseignants,
parents d’élèves) qui réussiront à
empêcher de nombreuses expulsions.
Durant toutes ces années, les travailleurs immigrés
ont démontré par ces multiples luttes leur capacité
de résistance et d’auto-organisation. Ce n’est
pas sans conflits, sans problèmes - de nationalités,
(déjà) la question de la régularisation globale
ou du cas par cas, des actifs engagés dans la lutte quand
d’autres se contentent de déposer un dossier - mais,
toujours, en de nombreux endroits du territoires, actions et résistance.
1996 Une nouvelle période s’ouvre.
18 mars 1996. Occupation de ST Ambroise. "Pour sortir
du trou noir" dit Madjiguène Cissé. Evacuation.
Occupation de Japy. Evacuation. Accueil dans les locaux de la Brèche
(12°), de Droits devant (18°), d’une salle paroissiale
(15°), de SUD ptt (20°), à la cartoucherie de Vincennes,
rue Pajol (18°). Occupation de Saint Bernard.
Dans le même temps, large mouvement de sans-papiers dans tout
le pays : Morlaix, Saint Denis, Colombes, Toulouse, Lyon, Besançon,
Nantes, Longjumeau, Lille, Val de Marne, Paris 13°, Nîmes,
Tours, 3° collectif, Val d’Oise.
Evacuation musclée de St Bernard le 23 août. Tous les
occupants sont placés en centres de rétention ou en
garde à vue. Refuge à nouveau à la Cartoucherie,
rue du fbg Poissonière (10°).
C’est aussi le temps des "charters de la honte"
Exceptionnelle mobilisation à cette époque des soutiens
et de l’opinion publique.
Suivront trois manifestations nationales , une marche régionale
Lille-Paris, des caravanes de sans-papiers en Île de France
à Strasbourg, Nancy, Châlons s/Marne, Lille, Amiens,
Rouen et Paris.
1997
Manifestation contre l’article 1 du projet de la loi Debré
: qui stipule que "toute personne ayant signé un certificat
d’hébergement et hébergé un ressortissant
étranger, dans le cadre d’une visite privée
doit informer la mairie de sa commune de résidence du départ
de l’étranger accueilli". En l’absence de
déclaration du départ, l’hébergeant risque
des poursuites "pour aide au séjour irrégulier".
Précisément, une lilloise vivant avec un sans papiers
vient d’être poursuivie et condamnée pour ce
motif. Un appel à la désobéissance civique
est lancé par des cinéastes, des dizaines de milliers
de pétitionnaires s’engagent à "héberger
des étrangers sans leur demander leurs papiers". Et
le 22 février, 100 000 manifestants défilent à
Paris contre Debré.
Le Traité d’Amsterdam prévoit
de transférer des Etats à l’Union européenne
les compétences en matière d’immigration et
d’asile.
1998 La gauche est revenue au pouvoir. Loi Chevènement :
semi-régularisation. Officiellement, le ministre annonce
76 754 régularisations et 64 461 rejets avec injonction de
quitter le territoire. En fait, beaucoup plus restent sur le carreau
en situation irrégulière parce qu’ils ont refusé
de se déclarer dans les préfectures lors du fichage
organisé avant l’examen des dossiers.
2002 Marche Marseille-Paris
Arrivée le 27 avril, jour de la manifestation qui a suivi
le 1er tour de l’élection présidentielle. Les
marcheurs sont en tête du cortège et acclamés.
2003 Loi Sarkozy sur la maîtrise de l’immigration
et le séjour des étrangers en France.("l’humanisme
et le réalisme" sarkoziens ).
Ce qui change :
- Attestations d’accueil (document indispensable à
l’obtention d’un visa de tourisme).
- Un contrôle plus strict des justificatifs d’hébergement,
que tout étranger désireux d’obtenir une autorisation
de séjour en France de moins de trois mois doit fournir,
est mis en place. le maire peut refuser l’attestation si les
"conditions matérielles d’un hébergement
normal ne sont pas remplies" et s’il soupçonne
une "volonté de fraude". L’Office des migrations
internationales (OMI) et les "services sociaux des communes"
pourront visiter le domicile de l’hébergeant. L’hébergeant
devra verser 15 euros lorsqu’il remplira un formulaire d’hébergement.
- Les maires sont aussi autorisés à constituer des
fichiers communaux des demandeurs d’attestation d’accueil
afin d’éviter les demandes répétées
et fraudeuses.
- Mariages. Pour "lutter contre l’utilisation frauduleuse
du mariage", le maire pourra demander ses papiers à
un conjoint étranger, vérifier ainsi la régularité
de son séjour et surseoir à la célébration
pendant un mois en cas de séjour irrégulier. Durant
ce délai, renouvelable une fois, le sans-papiers sera invité
à se présenter à la préfecture, qui
pourra saisir le procureur s’il "existe des indices sérieux"
de suspicion de mariage blanc.
La durée de vie commune nécessaire désormais
à l’époux du conjoint français pour obtenir
une carte de résident de dix ans sera de deux ans, et non
plus d’un. Le même délai sera appliqué
pour les candidats à la naturalisation.
La loi crée un délit spécifique aux mariages
blancs, passible de cinq ans de prison et 30 000 euros d’amende,
et de dix ans et 750 000 euros pour les organisateurs de ces mariages
de complaisance.
- Regroupement familial : la délivrance automatique d’une
carte de résident de plein droit pour les étrangers
entrés au titre du regroupement familial disparaît.
Désormais, c’est au bout de cinq ans qu’ils pourront
y prétendre, à condition de présenter une intégration
"satisfaisante".
Des mesures visant à contrôler les regroupements familiaux
ont été adoptées sous la pression des députés
: les maires émettront un avis après avoir fait vérifier
la réalité des logements des demandeurs par leurs
services sociaux avant toute intervention de l’OMI.
- Les mineurs de plus de 16 ans, nés en France mais repartis
dans leurs pays sans avoir effectué au moins cinq ans de
scolarité en France, ne pourront plus prétendre au
regroupement familial.
- Enfin, tout étranger faisant venir sa famille en dehors
d’une procédure normale se verra retirer son titre
de séjour. Attestations d’accueil, mariage, regroupement
familial : le pouvoir de contrôle des maires est considérablement
accru.
- Paternité L’étranger se prévalant de
la paternité d’un enfant français pour obtenir
une carte de résident devra désormais prouver qu’il
exerce l’autorité parentale, même partiellement,
et qu’il subvient à ses besoins. Auparavant une seule
des deux conditions était exigée.
- Visas Le texte crée des fichiers d’empreintes digitales
pour tous les demandeurs de visas et de titres de séjour
non ressortissants de l’Union européenne.
Les intéressés seront tous photographiés. Ces
fichiers d’empreintes digitales permettront de connaître
incontestablement le pays d’origine des étrangers arrêtés
sans papiers ou avec de faux papiers.
Les étrangers demandeurs d’un visa de tourisme devront
contracter une assurance pour couvrir leurs frais médicaux
et hospitaliers en France ("Il faut éviter que des touristes
viennent se faire soigner pendant leur séjour, et repartent
sans payer").
- Titre de séjour Il est supprimé pour les ressortissants
de l’UE. Pour les non-communautaires, carte de résident
de dix ans accordée après cinq ans en France, au lieu
de trois. Ce titre ne sera délivré que si l’étranger
fait preuve de son "intégration dans la société
française". La même condition sera exigée
pour les sans-papiers présents en France depuisplus de dix
ans et régularisés à ce titre par la loi.
- Rétention La durée maximale de rétention
administrative des étrangers en situation irrégulière
est portée à 32 jours au lieu de 12. Le délai
de recours contre un arrêté de reconduite à
la frontière porté de 48 à 72 heures. _ Création
d’une commission nationale de contrôle des centres de
rétention ou "zones d’attente".
- Tribunaux Ils pourront tenir leurs audiences dans les ports, les
gares ou les aéroports.
- Nationalité Une condamnation passée ne retire plus
le droit de demander la nationalité française. Mais
des "faits de terrorisme" peuvent entraîner le retrait
de la nationalité.
- Double peine Sans supprimer la peine complémentaire d’interdiction
du territoire français (ITF), le projet institue quatre catégories
d’étrangers protégés de façon
"quasi totale" : les étrangers nés ou entrés
en France avant l’âge de 13 ans, les conjoints de Français
ou de résidents, les parent d’enfants français
et ceux résidant en France depuis plus de vingt ans. En sont
exclus les auteurs d’actes de terrorisme ou d’atteintes
aux intérêts fondamentaux de l’Etat. Les mesures
d’expulsion seront réexaminées tous les cinq
ans et les assignés à résidence seront autorisés
à travailler.
Ce texte modifie donc considérablement la législation
concernant les étrangers extra-communautaires. En durcissant
- encore - leurs conditions d’entrée et de séjour,
il s’inscrit dans un mouvement général vers
une Europe-forteresse visant à renforcer la lutte contre
l’immigration clandestine. Il contient de graves reculs en
terme de droits qui contribueront à précariser davantage
la situation des émigrés vivant en France.
Aujourd’hui
L’ordonnance du 2 novembre 1945 sur l’entrée,
le séjour et l’éloignement des étrangers,
la loi du 25 juillet 1952 sur le droit d’asile, c’est
terminé depuis le 1er mars 2005 avec le Code de l’entrée
et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
- Une politique de dissuasion est menée - accueil déplorable
et honteux dans les CRE ( Centre de réception des étrangers
), rendez-vous piégés (on convoque et on arrête).
Les demandeurs d’asile - en France et en Europe - sont de
plus en plus déboutés et beaucoup vivent désormais
"furtivement" dans la plus totale clandestinité.
- Divers projets circulent au niveau européen : "les
portails d’immigration", hors des territoires européens
(par exemple, en Lybie), la mise en réseau des casiers judiciaires...
- Le droit d’asile est quasiment achevé. Pourtant,
les demandes affluent. La faim, la peur - misère et conflits
- en sont les raisons essentielles. Le regroupement quasi impossible
du fait des conditions posées (ressources, logement).
Depuis trente ans, c’est "l’ère du soupçon
institutionnalisé" à l’égard de
l’immigration : suspicion systématique, obsession de
la lutte contre la clandestinité, du contrôle, de la
fraude, répression accrue contre les sans-papiers, les demandeurs
d’asile et criminalisation des soutiens - individus et associations
- "délinquants de la solidarité" coupables
d’avoir aidé des étrangers en situation irrégulière.
On crée ainsi un sentiment d’insécurité
qui alimente la xénophobie, le racisme, l’exclusion
et, par réaction, les communautarismes. De plus en plus,
les gouvernements successifs durcissent les mesures contre les étrangers.
C’est la négation du droit des migrants et des valeurs
d’un Etat de droit.
Pourtant, la lutte des sans-papiers est installée dans la
durée et entretient leur visibilité , pour dire leurs
souffrances, leur crainte constante d’être arrêtés
et expulsés, l’exploitation dont ils sont victimes.
Ils se joignent aux luttes des travailleurs français. Ils
sont au coeur du mouvement social. Et partout, ça continue
: réunions, débats, manifs, manifs, marches, occupations,
grèves de la faim - et centres de rétention, expulsions...
Mais au fil du temps, il y a reflux, - du mouvement de soutien,
moins mobilisé, de l’opinion publique, moins solidaire.
La lutte des sans papiers traverse une phase particulièrement
difficile non seulement du fait de la situation politique, mais
aussi du fait de la situation des collectifs.
La seule action nationale réellement positive de cette année
scolaire 2004/2005 a été celle du Réseau Education
sans frontières qui a mobilisé fortement en de nombreux
endroits du territoire en révélant l’ampleur
du scandale des jeunes scolarisés sans papiers menacés
d’expulsion, des enfants en centre de rétention et
en organisant leur défense.
La situation politique
Le gouvernement Villepin : immigration "choisie", quotas
et proclamation d’une volonté renforcée de lutter
contre l’immigration "illégale". On veut
des immigrés - on en a besoin - mais des immigrés
"choisis" en fonction de "nos" besoins - en
bras, en matière grise. Cynisme de l’utilitarisme migratoire.1
Cynisme du monde libéral qui se fonde sur la dérèglementation
et le profit financier, qui discrimine, exclut, précarise
parce que c’est indispensable à son fonctionnement.
Les sans-papiers sont au bout de la chaîne de précarisation.
Le retour à l’Intérieur de Sarkozy qui veut
bien sûr faire encore mieux en matière d’expulsions
que Villepin qui voulait déjà faire mieux que Sarkozy
: ce n’est plus 20 000 mais 23 000 expulsions qui sont envisagées
pour 2005. Il est évidemment impossible, politiquement, techniquement,
d’expulser du territoire de France - et d’Europe - les
quelques centaines de milliers de sans-papiers qui tentent d’y
vivre (sauf à transformer ces pays démocratiques en
régimes dictatoriaux et policiers et organiser des rafles
massives). Villepin, Sarkozy le savent bien.
Clairement, l’exploitation du thème immigration va
être utilisée avec toute la démagogie possible
à la fois dans la rivalité Villepin/Sarkozy d’une
part et, à nouveau, comme élément important
de la stratégie de la droite - attirer les voix de l’extrême
droite xénophobe et raciste - dans la perspective de 2007
d’autre part. Les sans papiers sont les victimes/otages de
cette ignominie. Les jeunes majeurs scolarisés sans papiers
sont particulièrement visés - ils viennent d’avoir
18 ans, enfin ils sont expulsables.
76 millions d’euros sont consacrés pour agrandir les
Centres de Rétention Administrative, en créer de nouveaux,
aménager des "chambres familiales" équipées
en "matériel de puériculture adapté"
pour y enfermer aussi les tout-petits, les plus grands que la police
va parfois chercher jusque dans les écoles, les jeunes majeurs
expulsables dès leurs 18 ans.
Des mineurs isolés sont renvoyés dans le pays d’origine.
C’est la suspicion généralisée sur tous
les mariages, le refus d’examen de preuves de travail réel
depuis des années.
Cynisme encore de l’utiltarisme migratoire : on a besoin d’immigrés,
mais on veut les "choisir" - politique des quotas - en
fonction de "nos" besoins, en bras et en matière
grise.
Cet été 2005, nouveau durcissement : les mauvais
coups de l’été, c’est le retour des charters,
ce sont les rafles...
Le 30 juin, une délégation de sans-papiers et de
soutiens a été reçue par le directeur de cabinet
de Sarkozy. C’est sans illusion sur l’issue que les
soutiens se sont rendus à cette rencontre, mais pour témoigner,
par leur présence, de leur solidarité avec la lutte
des sans-papiers ; pour exprimer leur opposition à la politique
de ce gouvernement ; et pour affirmer qu’une autre politique
de l’immigration est nécessaire.
Le directeur de cabinet a donc écouté, répondu,
expliqué et justifié la politique de son ministre
: "pas de régularisation globale". Il a aussi reconnu
"des dysfonctionnements, des injustices, des inégalités
de traitement" et la nécessité de réexaminer
"les situations dignes d’intérêt".
Il a donc annoncé qu’une nouvelle circulaire serait
adressée aux préfets dans les prochaines semaines.
Il a enfin proposé "des rencontres régulières
pour faire le point", écouter "les suggestions"
et à cet effet de constituer "un petit groupe de travail
de 5 à 6 personnes".
C’était évidemment non une avancée, mais
un piège diviseur, une proposition contre-nature. C’est
une chose, nécessaire, de discuter et batailler avec les
préfectures. Mais, instituer un travail commun Intérieur/sans-papiers/
soutiens, pour quelques "bénéfices" mineurs,
serait forcément reconnaître et donc valider une politique
détestable qu’il suffirait d’amender, corriger
à la marge pour qu’elle devienne acceptable. Elle ne
l’est pas. Donc, sans ambiguïté : pas de "collaboration",
"d’élaboration commune", de "groupe
de travail intérieur/sans-papiers/soutiens".
En juillet, Sarkozy déclare : les sans-papiers "n’ont
pas vocation à se maintenir en violation de nos lois, ils
seront raccompagnés" ... "quand on vit en France
... on aime la France, si on n’aime pas la France, personne
ne vous oblige à rester", ( variante du slogan lepéniste
: "la France, aimez-la ou quittez-la") ... "nous
voulons les meilleurs étudiants du monde et pas ceux dont
personne ne veut".
La réunion du G5 - présidée par la France,
regroupant les ministres de l’intérieur allemand, britannique,
espagnol, français et italien - débouche sur l’annonce
de vols charters européens pour expulser à grande
échelle. Le 27 juillet, un premier charter expulse 40 Afghans
vers Kaboul. L’Afghanistan est "un pays sûr".
Rafles à Paris, 27 sans-papiers place Stalingrad le 25 juillet
, plusieurs dizaines à Belleville le 6 août, à
Barbès et en banlieue de Rroms....
Le 29 juillet, deux décrets, publiés en douce, précisent
les conditions d’attribution de l’AME - Aide médicale
d’Etat - pour en limiter l’accès (justifier d’une
présence ininterrompue depuis 3 mois, plus une foultitude
de justificatifs de ressources, d’identité, impossibles
à réunir pour un sans-papier).
Et Raffarin, en partant, a rappelé qu’il était
"humaniste", comme Villepin en en arrivant, comme Sarkozy
qui ne cesse de le proclamer !
La situation des collectifs
Le mouvement est divisé, affaibli par des divisions internes.
On peut penser que la majorité des sans papiers de ce pays
ne sont pas organisés et vivent une clandestinité
furtive dans la crainte quotidienne d’être débusqués
au hasard d’un contrôle de routine, d’une vérification
de papiers.
Pourtant, la combativité des sans-papiers militants organisés
demeure, exaspérée par l’aggravation constante
de la situation qui leur est faite : nécessité d’apparaître,
d’affirmer leur visibilité, de ne pas attendre, de
montrer que la lutte continue.
Par contre, nous, organisations de soutiens, nous avons à
dire et à faire. A dire que, quels que soient les problèmes,
nous soutenons la lutte des sans papiers .
Nous avons à re-dire que les "sans papiers ne mettent
en danger ni la République ni le droit" .
Leur lutte - pour la liberté de circulation et d’installation,
pour l’instauration d’un statut de résident européen,
pour la régularisation - est aussi notre affaire, parce que
nous sommes syndicalistes, défenseurs des droits fondamentaux
de tous, citoyens - certes, dans le respect de l’autonomie
de la lutte des sans papiers eux-mêmes, et aussi avec nos
propres analyses parce que le soutien ne peut se réduire
à l’approbation systématique des décisions
prises par tel(s) collectifs, tel(s) autre(s). A faire en sorte
de récréer un espace politique autour de la question
sans papiers, demandeurs d’asile et plus largement de l’immigration.
Ce qui signifie re-mobiliser. Remobiliser partout, certes l’opinion
publique, mais d’abord remobiliser les adhérents de
nos propres organisations. Et ce n’est pas évident.
Il ne suffit pas de signer, le soutien de papier n’est rien
sans implication réelle sur le terrain des luttes.
Il faut aujourd’hui au minimum un moratoire immédiat
sur les reconduites à la frontière, et, dans les temps
qui viennent, mener un large débat national pour bâtir
une autre politique de l’immigration fondée sur les
droits de la personne.
La seule solution humaine, réaliste et efficace est la régularisation
globale de tous les sans-papiers.
Pierre Cordelier
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