"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Loi Perben, un état d'exception permanent
JEAN-CLAUDE PAYE

La loi Perben mobilise le monde judiciaire français, qui y voit un danger pour la démocratie parce qu'elle accorde des prérogatives extraordinaires au pouvoir exécutif et à la police

Le vote de la loi Perben (1), du nom du ministre français de la Justice, le 11 février, a provoqué une mobilisation sans précédent du monde judiciaire.

Toutes les organisations d'avocats, ainsi que le Syndicat de la magistrature, sont descendus dans la rue et ont stigmatisé ce qu'ils appellent «un Etat d'exception permanent». Cette notion d'Etat d'exception s'applique parfaitement pour caractériser les transformations qu'opère cette loi dans le code de procédure pénale français. En fait, le rôle de cette dernière est renversé. Comme l'exprime Stéphane Dhonte, de l'Union des jeunes avocats: normalement, « le code de procédure pénale édicte les obligations de l'Etat vis-à-vis du citoyen. La loi Perben le transforme en un recueil des droits de l'Etat sur le citoyen ».

La domination des procédures d'exception
En fait, cette loi entraîne une domination de la procédure dérogatoire au droit commun sur ce droit lui-même. Elle établit une notion floue de criminalité organisée qui lui permet d'introduire un ensemble de procédures d'exception, telles que les perquisitions de nuit en l'absence de la personne suspectée ou la pose de micros ou de caméras dans son domicile. Ces techniques d'exception sont généralisables au niveau de la plupart des délits, puisqu'elles peuvent s'appliquer à tout groupe d'au moins deux personnes. Ainsi, elles ont la vocation de devenir la norme. Leur utilisation dépendra de la volonté des forces de police de les mettre en oeuvre. Ce sont elles qui, dans les faits, décideront que l'on a affaire à une bande organisée et décideront de mettre en oeuvre les procédures d'exception.

Dans le cadre d'une recherche préliminaire, les policiers pourront mettre en oeuvre des techniques spéciales de recherches, telles que la mise sous écoute, l'infiltration, la surveillance rapprochée Il s'agit d'une procédure secrète, non contradictoire et d'une durée illimitée. En opposition avec les procédures habituelles, les policiers pourront, en l'absence des personnes suspectées, procéder à des perquisitions la nuit et saisir des pièces à conviction. Les personnes interpellées pourront être placées pendant 96 heures en garde à vue, au lieu des 48 heures prévues.

Grâce à la notion de criminalité organisée, l'objectif déclaré de la loi Perben est de s'attaquer aux mafias et à la traite des êtres humains, mais la liste des délits concrets, susceptibles d'être identifiés, ne comprend aucunement les infractions économiques ou financières. Par contre, elle inclut la « dégradation de biens » ou « l'aide au séjour irrégulier », commis en « bande organisée ». Ainsi, les infractions financières n'auraient pas de rapport avec la criminalité organisée; par contre, cette définition pourrait s'appliquer à des actions sociales, telle l'aide aux « sans-papiers ».

Une justice à géométrie variable
La loi met en place une justice à deux vitesses. D'une part, elle installe une procédure de « plaider coupable », baptisée « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ». Il s'agit d'obtenir une réduction des chefs d'accusation par une requalification des faits ou une recommandation de clémence pour le juge de fond, en échange d'un aveu de culpabilité. Ce procédé renforce considérablement la domination de la procédure sur la loi. Elle instaure une espèce de contrat entre les deux parties qui s'oppose au principe de légalité. Il sera aussi possible de juger une personne sur le seul témoignage anonyme d'un officier de la police judiciaire.

D'autre part, la mise en place du « plaider coupable » se double d'une autre procédure: la « composition pénale ». L'auteur du délit peut échapper aux poursuites, en échange de l'indemnisation de la victime ou de travaux d'intérêt général. Installée en 1999 et réservée au départ à des délits dont la peine maximale d'emprisonnement est inférieure à 3 ans, la loi Perben porte le seuil à 5 ans. Ce qui a pour effet d'inclure des délits tels que l'escroquerie, le trafic d'influence ou l'abus de biens sociaux. Ces infractions, liées à la criminalité financière, pourront être l'objet d'une négociation qui permet à l'auteur des faits d'échapper au jugement Cette loi met en place une justice à géométrie variable, d'une part une présomption de culpabilité pour ceux qui seront présentés comme tels par l'appareil policier et d'autre part, la possibilité d'échapper à la justice pour les auteurs de délits économiques et financiers. Cette dualité ne résulte pas de la non-application du droit, elle fait partie de l'ordre juridique.

Une neutralisation du juge d'instruction
Non seulement l'organisation du jugement est profondément transformée, mais aussi la mise en oeuvre des recherches. Le choix des poursuites sera effectué par un procureur instrumentalisé par le pouvoir exécutif. Sa stricte dépendance est assurée grâce au contrôle de procureurs généraux nommés en Conseil des ministres. Le rôle des procureurs est formellement renforcé. Ils dirigent légalement les enquêtes préliminaires de la police.

Les prérogatives du juge d'instruction sont réduites au profit du procureur de la république, magistrat hiérarchiquement soumis au Ministre de la Justice, et, dans les faits, en faveur des forces de police. Le procureur n'a, en effet, pas les moyens de contrôler étroitement les techniques particulières de recherches mises en oeuvre dans le cadre de cette procédure. La plupart de ces mesures prises dans le cadre de l'enquête préliminaire seront placées sous la surveillance d'un juge alibi, le «juge des libertés et de la détention».

État d'exception ou dictature
La notion « d'Etat d'exception permanent », mise en avant par les syndicats d'avocats, est particulièrement pertinente pour décrire la situation, elle est cependant une contradiction dans les termes. Historiquement, l'Etat d'exception procède à une suspension des libertés fondamentales, afin de faire face à une menace momentanée. Ici, cette procédure n'est pas liée à une situation déterminée, ni limitée dans le temps, elle s'inscrit dans la durée et a pour vocation de devenir la règle. Cependant, même devenu permanent, ce type de régime n'est pas une figure juridique stable. Il est généralement le premier pas d'une autre forme de gouvernement: la dictature.

Dans l'Etat d'exception, les pouvoirs extraordinaires du pouvoir exécutif, ainsi de la police, résultent du fait de la suspension du droit, de la mise en veilleuse des mécanismes de protection des libertés fondamentales. Dans la dictature, il n'y a plus de séparation formelle des pouvoirs, l'exécutif acquiert une fonction de magistrat. Les pouvoirs étendus des autorités administratives leur sont donnés par des lois et arrêtés spécifiques. Ils font partie de l'ordre juridique.

La loi Perben, comme également la loi belge sur les méthodes spéciales de recherches, adoptée le 20 juillet 2002 (2), fait partie de ce deuxième mode de gouvernement. Les prérogatives extraordinaires accordées à la police, la possibilité d'échapper elle-même au code pénal, font partie de l'ordre de droit, elles sont la base d'un nouvel ordre juridique. A travers l'ensemble de ces procédures, le juge d'instruction est neutralisé, le procureur instrumentalisé et la police acquiert un rôle de magistrat. Elle fait davantage que d'appliquer le droit, elle l'interprète.

C'est aux Etats-Unis que la domination de l'exécutif est la plus évidente, puisque le président Bush se réserve la possibilité de désigner les magistrats composant les commissions militaires spéciales chargées de juger les étrangers accusés d'activités terroristes. Cependant, cette confusion des pouvoirs est également le fait de l'Union européenne. Dans le cadre de la lutte antiterroriste, toute personne peut être, sans jugement, soumise à des mesures spéciales de surveillance ou faire l'objet de mesures de blocage de comptes bancaires, si elle est soupçonnée de faire partie ou de participer à des activités, même légales, d'une organisation reprise sur une liste établie par le Conseil, le pouvoir exécutif de l'Union, ou mentionnée dans la liste secrète construite par Europol, l'office européen de police.

Tous ces éléments nous indiquent que la mise en place d'une dictature est bien une possibilité.
(1) Texte disponible sur Web http://www.assemblee-nationale.fr

(2) Lire: Damien Vandermeersch, «Un projet de loi particulièrement inquiétant», Journal des Procès, n°440, 28 juin 2002.

Origine : La Libre Belgique 2004 - Mis en ligne le 26/02/2004


Publié sur la liste
Réseau RESISTONS ENSEMBLE
****************************************
+ Pour consulter le site : http://resistons.lautre.net