Origine : http://maitre.eolas.free.fr/journal/index.php?2006/08/07/411-la-loi-dadvsi-commentee
Où l'auteur, après un travail digne d'Hercule, sort
de son mutisme et pond un pavé comme il en a rarement fait.
Comme promis, voici le commentaire raisonné de la loi DADVSI,
MCCX0300082L de son petit nom. Ce commentaire ne portera que sur
le titre Ier, le reste de la loi portant sur les droits d'auteur
des agents publics (titre II), porte création d'un crédit
d'impôt au profit des sociétés de perception
et de répartition des droits (titre III), étend la
formalité du dépôt légal aux logiciels
et bases de donnée (Titre IV) et étend le droit de
suite aux auteurs d'oeuvres graphiques et plastiques ressortissants
de l'UE (Titre V).
Le titre Ier transpose pour l'essentiel la directive européenne
2001/29/CE du 22 mai 2001, ce que la France aurait dû faire
le 22 décembre 2002. Rappelons qu'une directive fixe des
objectifs et un cadre d'action laissant à chaque Etat membre
une certaine latitude, à charge pour eux de transposer les
règles posées dans la directive avant une date limite,
la même pour tous les Etats membres. Ne pas respecter ce délai
constitue un manquement, passible de lourdes peines d'amendes prononcées
par la cour de justice des communautés européennes
(CJCE).
Donc les pouvoirs du législateur français étaient
rigoureusement encadrés par le contenu de la directive, et
toutes les actions visant à empêcher l'adoption de
la loi étaient vaines. Les adversaires des mesures techniques
de protection doivent diriger leurs efforts vers la commission européenne
qui prendra une nouvelle directive une fois que celle ci sera appliquée
dans toute l'UE, et que ses effets pourront être étudiés.
Le lobbying (l'influençange en jargon francophone) est légal
et encadré à Bruxelles et la commission est demanderesse
de tout avis motivé et informations techniques, ce qui, au
passage rend le processus législatif européen bien
plus démocratique que ce qu'on veut bien en dire, et même
oserais-je, sans doute plus que le nôtre, où les lobbies
n'ont aucune existence légale, même quand ils s'installent
à côté de l'hémicycle, dans la salle
des quatre colonnes..
Ce titre I se divise en 4 chapitres :
?Exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins,
?Durée des droits voisins,
?Commission de la copie privée,
?Mesures techniques de protection et d'information.
Cette loi respecte la tradition moderne des lois modifiant des
lois en vigueur, ce qui ne la rend en rien autonome et rend la lecture
impossible sans une perpétuelle comparaison au texte modifié,
ici principalement le code de la propriété intellectuelle.
Sauf mention contraire, les articles entre parenthèses sont
ceux de la loi DADVSI.
Un peu de vocabulaire avant d'aller plus loin. On appelle droits
d'auteur les droits patrimoniaux et moraux qu'a un auteur sur l'oeuvre
qu'il a créée. Les droits patrimoniaux sont le droit
de représentation et le droit de reproduction, que j'explique
dans ce billet. Le droit moral est un droit incessible de faire
respecter son oeuvre et l'esprit dans lequel elle a été
créée. On appelle droit voisin le droit de l'interprète
d'une oeuvre, qui n'en est pas le créateur mais ajoute par
son art une qualité propre à l'oeuvre : le chanteur
ou le musicien, par exemple. La propriété intellectuelle
se distingue de celle, matérielle, du support de l'oeuvre.
Ce support est essentiel pour les oeuvres graphiques ou plastiques
: la Joconde est indissociable de son support en bois (et non en
toile, comme on le croit souvent), mais quand vous achetez un CD,
si vous devenez propriétaires du disque de plastique où
l'oeuvre est gravée, vous n'êtes que titulaire d'un
droit restreint sur l'oeuvre elle même, délimitée
par la licence qui vous est concédée. Voilà
une source de malentendu fréquent en matière de propriété
littéraire et artistique. Quand vous achetez un disque, vous
ne devenez pas propriétaire de l'oeuvre. Vous avez un droit
d'écoute illimité en nombre, dans un cadre privé
uniquement, tant que la technique vous permet de l'écouter.
Vous avez dans votre grenier des centaines de disques vinyles ?
Le jour où les platines disparaîtront, vous n'aurez
pas pour autant le droit de vous procurer gratuitement et par tout
moyen une copie de ces oeuvres techniquement écoutables.
Il vous faudra racheter une copie licite de l'oeuvre. C'est déjà
le cas pour les 78 tours de nos grands-parents, inécoutables
aujourd'hui. Voilà l'état du droit antérieur
à la loi DADVSI ; cet état date d'ailleurs de 1957,
date de la dernière grande loi en matière de propriété
littéraire et artistique.
Maintenant, plongeons nous dans la loi, chapitre par chapitre.
Exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins
Les articles 1er, 2 et 3 apportent une nouvelle série de
restrictions aux droits d'auteur (article 1er), aux droits voisins
(art. 2) et aux droits des producteurs de base de données
(art. 3). Ces restrictions s'ajoutent aux articles précisant
les exceptions aux droits des auteurs (art. L.122-5 du Code de la
propriété intellectuelle), des droits voisins(art.
L.211-3 du Code de la propriété intellectuelle) et
des producteurs de bases de données (L.342-3 du Code de la
propriété intellectuelle). J'en profite pour rappeler
une fois de plus que ces articles ne prévoient que des exceptions
au principe de la protection des droits des auteurs/interprètes
: ces exceptions, au nombre desquelles se trouvent la fameuse copie
privée ne sont pas des droits, mais des tolérances
de la loi. Conséquences : les juges les interprètent
strictement et le législateur peut revenir dessus. C'est
d'ailleurs ce que va faire cette loi, de façon détournée.
Ces restrictions sont :
? Les reproductions temporaires faisant partie d'un processus technique
: il s'agit de ce que les informaticiens connaissent sous le nom
de « cache » : ainsi, l'affichage par votre navigateur
préféré des pages de ce blog entraîne
automatiquement une copie de mes billets dans la mémoire
cache de votre navigateur ; en principe, cette copie est couverte
par l'exception de copie privée. La loi ajoute expressément
une exception spécifique pour prévenir tout problème
lié à une utilisation professionnelle des navigateurs,
par exemple. Bon, aucun procès n'ayant été
intenté à ma connaissance sur ce fondement, je ne
pense pas que ces nouvelles dispositions vont bouleverser le droit
français.
? Les reproductions et représentations faites à des
fins d'accessibilité aux handicapés (par exemple,
la reproduction d'une oeuvre en braille par une bibliothèque
municipale).
? Les reproductions effectuées à des fins de conservation
par des bibliothèques, musées et services d'archive
: ainsi une bibliothèque peut-elle réaliser elle même
une copie d'une oeuvre et laisser l'original à l'abri des
atteintes des lecteurs indélicats.
? La reproduction intégrale d'une oeuvre d'art graphique,
plastique ou architecturale par voie de presse dans un but exclusif
d'information, sauf s'il s'agit d'une illustration visant à
rendre compte de l'affirmation. Désormais, un peintre ou
l'architecte d'un monument ne pourra plus exiger de droit d'auteur
quand la presse publiera une image de son oeuvre pour annoncer une
exposition, une vente ou une inauguration (jurisprudence Bibliothèque
François Mitterrand), mais un photographe qui fait une photographie
d'actualité doit toujours être rémunéré
pour la publication de son cliché.
S'agissant des bases de données, les changements sont différents,
vu la différence de nature par rapport aux droits d'auteur
et droits voisins : seules sont autorisées l'extraction et
l'utilisation d'une base de donnée à des fins d'accessibilité
aux handicapés et à des fins pédagogiques,
cette dernière exception n'entrant en vigueur que le 1er
janvier 2009, et à condition qu'une rémunération
forfaitaire soit négociée préalablement. Tiens
? Les frais d'inscription à la B.U. vont encore augmenter...
Enfin, ces articles apportent une limitation aux exceptions qu'ils
créent, y compris celles pré-existantes à la
loi (donc y compris à la copie privée) : le «
test en trois étapes », jargon technocratique pour
dire que ces exceptions doivent toujours remplir deux (et non trois...)
conditions cumulatives négatives :
1 : ne pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre,
et 2 : ne pas causer un préjudice injustifié aux intérêts
légitimes de l'auteur. La troisième condition, qui
justifiait le « test en trois étapes » ne concerne
que la copie privée, et existait depuis longtemps en droit
français : la copie privée doit être rigoureusement
privée et non destinée à un usage commercial.
Voilà pour les articles 1 à 3.
L'article 4 transpose en droit français la règle
de l'épuisement du droit de revente dans l'Union européenne
: dès lors qu'un ayant droit a autorisé la vente d'une
oeuvre dans un pays de l'UE ou de l'espace économique européen
(qui inclut la Suisse et la Norvège, entre autres), cette
autorisation vaut pour toute l'UE. Fini les DVD ou CD qui sortent
d'abord en Angleterre puis trois mois après seulement en
France. Bon, ça faisait longtemps que ça ne se faisait
plus, mais bon.
L'article 5 autorise la reproduction d'un phonogramme (de la musique
enregistrée) à des fins de diffusion par des entreprises
de communication audiovisuelle à condition qu'elles acquittent
la Rémunération Équitable (c'est pas la SACEM,
c'est la SPRÉ qui la perçoit).
L'article 6 étend l'exception générale aux
droits reconnus par le Code de la propriété intellectuelle
en cas de procédure judiciaire ou administrative aux commissions
d'enquête parlementaires.
Nous voilà à présent au chapitre II, composé
des articles 7 et 8. Il s'agit de la transposition de l'article
11 de la directive, qui allonge la durée des droits voisins.
Ceux ci sont de cinquante ans, sans compter l'année de l'interprétation
de l'oeuvre, ces 50 ans courant du 1er janvier au 31 décembre.
Par exemple, j'interprète aujourd'hui une version bouleversante
de la Danse des Canards mais qui parlerait en fait de pingouins
dansant le ragga sur la banquise (je fais exprès de prendre
un exemple totalement absurde et ridicule, car une telle chanson
ne pourrait avoir aucun succès...) : mes droits d'interprète
s'éteindront 50 ans à compter du 1er janvier de l'année
civile suivante, soit le 31 décembre 2057 à minuit,
à l'heure ou sautent les bouchons de champagne. Le lendemain,
tout le monde pourra diffuser ma chanson sans me payer un euro de
droit[1] (ce qui promet des lendemains de réveillon difficiles).
Ces droits étaient déjà de 50 ans avant la
loi DADVSI. Mais le point de départ des cinquante années
est repoussé : ce n'est plus l'interprétation mais
sa mise à disposition du public qui fait courir le délai.
Pour reprendre mon exemple, si ma chanson est enregistrée
aujourd'hui mais que je ne la communique au public que dans deux
ans, mes droits voisins courront jusqu'en 2059. Enfin, l'extinction
des droits des interprètes à leur décès
pour les contrats antérieurs au 1er janvier 1986 est supprimée.
Chapitre III : Commission de la copie privée.
Autre tradition républicaine avec les lois modifiant des
lois, les commissions, comités, conseils et autorités.
La commission de la copie privée est ainsi la commission
qui fixe le montant de la redevance pour copie privée et
les supports sur lesquels elle est exigible. Elle permet ainsi au
ministre de la culture de dire qu'il n'est pas responsable du montant
parfois exorbitant de cette taxe et de l'absurdité du choix
des supports.
La loi DADVSI change deux choses : la commission est invitée,
dans la fixation du montant de la redevance perçue sur les
supports de mémoire, à tenir compte de l'incidence
des Mesures Techniques de Protection. Cela laisse supposer une prochaine
diminution de cette redevance, mais les termes de la loi sont assez
vagues pour laisser toute latitude à cette commission. Wait
and see... Enfin, les comptes-rendus des réunions de la commission
seront désormais publiés et la commission rendra un
rapport annuel, transmis au parlement. Ce ne sera pas une révolution,
mais la transparence n'a jamais fait de mal.
Oui, c'est tout.
Chapitre IV : Mesures techniques de protection et d'information.
Nous voilà au coeur du projet, celui qui a tant fait parler
sur internet, qui occupe les articles 11 à 30 de la loi,
celui sur les mesures techniques de protection (MTP), à préférer
à l'anglais DRM (Digitial Rights Management) qui peut créer
une confusion avec l'acronyme français Droits de Reproduction
Mécanique, également utilisé dans les droits
d'auteur puisqu'il s'agit de la redevance payée à
l'auteur sur chaque exemplaire pressé d'un disque.
Ces mesures sont définies au nouvel article L.331-5 du code
de la propriété intellectuelle (art. 13), qui est
dans une nouvelle section dédiée du Code de la propriété
intellectuelle (art. 12) :
« Art. L. 331-5. - Les mesures techniques efficaces destinées
à empêcher ou à limiter les utilisations non
autorisées par les titulaires d'un droit d'auteur ou d'un
droit voisin du droit d'auteur d'une oeuvre, autre qu'un logiciel,
d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme
ou d'un programme sont protégées dans les conditions
prévues au présent titre.
« On entend par mesure technique au sens du premier alinéa
toute technologie, dispositif, composant qui, dans le cadre normal
de son fonctionnement, accomplit la fonction prévue par cet
alinéa. Ces mesures techniques sont réputées
efficaces lorsqu'une utilisation visée au même alinéa
est contrôlée par les titulaires de droits grâce
à l'application d'un code d'accès, d'un procédé
de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre
transformation de l'objet de la protection ou d'un mécanisme
de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection.
« Un protocole, un format, une méthode de cryptage,
de brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que
tel une mesure technique au sens du présent article.
« Les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet
d'empêcher la mise en oeuvre effective de l'interopérabilité,
dans le respect du droit d'auteur. Les fournisseurs de mesures techniques
donnent l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité
dans les conditions définies aux articles L. 331-6 et L.
331-7.
« Les dispositions du présent chapitre ne remettent
pas en cause la protection juridique résultant des articles
79-1 à 79-6 et de l'article 95 de la loi n° 86-1067 du
30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
« Les mesures techniques ne peuvent s'opposer au libre usage
de l'oeuvre ou de l'objet protégé dans les limites
des droits prévus par le présent code, ainsi que de
ceux accordés par les détenteurs de droits.
Mes aïeux, quel charabia ! Bon, le législateur ne s'est
pas creusé les méninges et a recopié les termes
de la directive (art. 6.3 de la directive), mais quand bien même
le parlement a les mains liées sur le sens des mesures à
adopter, il peut à tout le moins utiliser ses talents ainsi
libérés à concevoir d'habiles traductions du
jargon technocratique vers le français. Par exemple, le mot
« efficace » pouvait disparaître sans faire vaciller
l'édifice. La loi a-t-elle besoin de préciser qu'une
mesure technique de protection inefficace ne bénéficie
d'aucune protection légale ? Je pense que tout le monde pouvait
aisément concevoir qu'une mesure technique inefficace n'est
pas, par définition, une mesure technique de protection.
Alors, pour tenter de résumer par une formulation plus simple
: une Mesure Technique de Protection est toute technique destinée
à empêcher les utilisations d'une oeuvre non autorisées
par le titulaire des droits sur cette oeuvre.
Est assimilé à une Mesure Technique de Protection
l'information permettant d'identifier une copie d'une oeuvre (art.
18) ; c'est à dire par exemple les éléments
qui permettent de savoir que mes fichiers iTunes ont été
achetés par Maître Eolas. C'est le « numéro
de série » des fichiers licites, en quelque sorte,
qui ne visent pas à empêcher la copie ou limiter l'écoute,
mais juste à individualiser un fichier et à le rattacher
à un utilisateur licite identifié.
La possibilité d'utiliser des Mesures Techniques de Protection
doit figurer dans le contrat liant les auteurs et les interprètes
aux éditeurs de l'oeuvre (art. 11). Pas de Mesure Technique
de Protection à l'insu des artistes, ce qui ne veut pas dire
qu'ils pourront efficacement s'opposer à leur utilisation.
Pour un éditeur, ça risque d'être « Mesure
Technique de Protection ou pas d'album », puisque le risque
financier de l'exploitation de l'oeuvre est assumé par l'éditeur
: c'est donc lui qui souffre le premier de la contrefaçon.
Notons que la loi prévoit expressément l'hypothèse
des Mesures Techniques de Protection permettant un contrôle
à distance de la licence ou entraînant communication
d'informations (art. 15), comme le système proposé
par Microsoft prévoyant avant la lecture une connexion à
leurs serveurs pour vérifier que la licence est toujours
valide. Ces Mesures Techniques de Protection sont en principe légaux
mais doivent préalablement être déclarés
à la CNIL avec toutes les données techniques, et doivent
respecter les dispositions de la loi Informatique et Liberté
(notamment droit d'accès et de rectification aux données
personnelles nominatives). Les détails sont renvoyés
à des décrets futurs.
Que serait une nouveauté législative sans une nouvelle
autorité administrative indépendante qui lui est consacrée,
et qui permet ainsi au ministre concerné de se défausser
de ses responsabilités ? Réponse : ce que vous voulez
sauf une réforme française.
La loi crée donc une nouvelle Autorité Administrative
Indépendante, qui doit être la 42e ou la 43e, j'ai
perdu le compte : L'Autorité de régulation des mesures
techniques, ARMT (art. 17).
Je passe sur sa composition, qui figure au nouvel article L.331-18
du Code de la propriété intellectuelle (art. 17).
Notons simplement que le président de la commission de la
copie privée (qui est une AAI qui ne dit pas son nom) participe
aux débats avec voix consultative.
La mission de l'ARMT est au nouvel article L.331-17 du Code de
la propriété intellectuelle (art. 17) :
Elle assure une mission générale de veille dans
les domaines des mesures techniques de protection et d'identification
des oeuvres et des objets protégés par le droit d'auteur
ou par les droits voisins.
Une « mission générale de veille » qui
donne lieu à un rapport... Je préfère ne pas
commenter outre mesure.
Heureusement, l'essentiel est ailleurs, et c'est aux articles L.331-6
et L.331-7 du Code de la propriété intellectuelle
(art. 14) que l'ARMT trouve ses pouvoirs (soit avant même
qu'elle soit définie, le législateur a parfois un
sens de l'organisation un peu étrange).
« Art. L. 331-6. - L'Autorité de régulation
des mesures techniques visée à l'article L. 331-17
veille à ce que les mesures techniques visées à
l'article L. 331-5 n'aient pas pour conséquence, du fait
de leur incompatibilité mutuelle ou de leur incapacité
d'interopérer, d'entraîner dans l'utilisation d'une
oeuvre des limitations supplémentaires et indépendantes
de celles expressément décidées par le titulaire
d'un droit d'auteur sur une oeuvre autre qu'un logiciel ou par le
titulaire d'un droit voisin sur une interprétation, un phonogramme,
un vidéogramme ou un programme.
« Art. L. 331-7. - Tout éditeur de logiciel, tout
fabricant de système technique et tout exploitant de service
peut, en cas de refus d'accès aux informations essentielles
à l'interopérabilité, demander à l'Autorité
de régulation des mesures techniques de garantir l'interopérabilité
des systèmes et des services existants, dans le respect des
droits des parties, et d'obtenir du titulaire des droits sur la
mesure technique les informations essentielles à cette interopérabilité.
A compter de sa saisine, l'autorité dispose d'un délai
de deux mois pour rendre sa décision.
« On entend par informations essentielles à l'interopérabilité
la documentation technique et les interfaces de programmation nécessaires
pour permettre à un dispositif technique d'accéder,
y compris dans un standard ouvert au sens de l'article 4 de la loi
n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie
numérique, à une oeuvre ou à un objet protégé
par une mesure technique et aux informations sous forme électronique
jointes, dans le respect des conditions d'utilisation de l'oeuvre
ou de l'objet protégé qui ont été définies
à l'origine.
« Le titulaire des droits sur la mesure technique ne peut
imposer au bénéficiaire de renoncer à la publication
du code source et de la documentation technique de son logiciel
indépendant et interopérant que s'il apporte la preuve
que celle-ci aurait pour effet de porter gravement atteinte à
la sécurité et à l'efficacité de ladite
mesure technique.
« L'autorité peut accepter des engagements proposés
par les parties et de nature à mettre un terme aux pratiques
contraires à l'interopérabilité. A défaut
d'un accord entre les parties et après avoir mis les intéressés
à même de présenter leurs observations, elle
rend une décision motivée de rejet de la demande ou
émet une injonction prescrivant, au besoin sous astreinte,
les conditions dans lesquelles le demandeur peut obtenir l'accès
aux informations essentielles à l'interopérabilité
et les engagements qu'il doit respecter pour garantir l'efficacité
et l'intégrité de la mesure technique, ainsi que les
conditions d'accès et d'usage du contenu protégé.
L'astreinte prononcée par l'autorité est liquidée
par cette dernière.
« L'autorité a le pouvoir d'infliger une sanction
pécuniaire applicable soit en cas d'inexécution de
ses injonctions, soit en cas de non-respect des engagements qu'elle
a acceptés. Chaque sanction pécuniaire est proportionnée
à l'importance du dommage causé aux intéressés,
à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné
et à l'éventuelle réitération des pratiques
contraires à l'interopérabilité. Elle est déterminée
individuellement et de façon motivée. Son montant
maximum s'élève à 5 % du montant du chiffre
d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé
au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant
celui au cours duquel les pratiques contraires à l'interopérabilité
ont été mises en oeuvre dans le cas d'une entreprise
et à 1,5 million d'euros dans les autres cas.
« Les décisions de l'autorité sont rendues
publiques dans le respect des secrets protégés par
la loi. Elles sont notifiées aux parties qui peuvent introduire
un recours devant la cour d'appel de Paris. Le recours a un effet
suspensif.
« Le président de l'Autorité de régulation
des mesures techniques saisit le Conseil de la concurrence des abus
de position dominante et des pratiques entravant le libre exercice
de la concurrence dont il pourrait avoir connaissance dans le secteur
des mesures techniques. Cette saisine peut être introduite
dans le cadre d'une procédure d'urgence, dans les conditions
prévues à l'article L. 464-1 du code de commerce.
Le président de l'autorité peut également le
saisir, pour avis, de toute autre question relevant de sa compétence.
Le Conseil de la concurrence communique à l'autorité
toute saisine entrant dans le champ de compétence de celle-ci
et recueille son avis sur les pratiques dont il est saisi dans le
secteur des mesures techniques mentionnées à l'article
L. 331-5 du présent code. »
Ainsi, un éditeur de logiciel désirant que son produit
puisse lire des fichiers protégés par des Mesures
Techniques de Protection mais possédés légalement
par l'utilisateur peut demander à l'ARMT que le titulaire
des droits sur ces Mesures Techniques de Protection lui communique
les informations rendant possible cette compatibilité, qui
est le terme français pour interopérabilité.
Le titulaire des droits peut s'opposer s'il prouve que cette communication
aurait des conséquences sur l'efficacité de cette
mesure. Ce sera le cas, je pense (mais mes connaissances en informatique
sont très modestes, donc c'est sous toutes réserves)
que tel sera le cas pour un logiciel libre qui rendrait accessible
les données techniques de la Mesure Technique de Protection,
ce qui reviendrait à publier les plans d'un coffre-fort en
espérant qu'aucun cambrioleur ne tombera jamais dessus. Dans
tous les cas, c'est l'ARMT qui tranche, dans un délai de
deux mois. Ses décisions sont susceptibles de recours devant
la cour d'appel de Paris, ce qui ne peut manquer de provoquer un
haussement de sourcil chez le juriste : une autorité administrative
dont les décisions sont attaquées devant une juridiction
judiciaire, des révolutionnaires doivent se retourner dans
leur tombe (tête et corps, ce qui pour la plupart d'entre
eux ne va pas de soi).
Vous noterez que le terme interopérabilité figure
ici sans avoir attiré les foudres du Conseil constitutionnel.
Mais d'une part, le Conseil constitutionnel n'était pas saisi
de la question, et d'autre part, il ne s'agit pas là d'un
texte pénal : l'obligation de définition précise
est moins prégnante et peut être laissée à
la jurisprudence.
Difficile de dire à l'avance si l'ARMT protégera
les Mesures Techniques de Protection en n'accordant la communication
qu'au cas par cas, ou aura une jurisprudence favorable à
une large compatibilité. Qui vivra verra.
Et maintenant, passons aux choses qui fâchent. On a défini
les Mesures Techniques de Protection, on a créé une
belle autorité administrative indépendante pour s'en
occuper, maintenant, il va falloir punir ceux qui ne les respecteront
pas. Place aux dispositions répressives, pour lesquelles
j'ai toujours une certaine tendresse.
Notons d'abord que la saisie-contrefaçon, qui oblige la
justice, à la demande des auteurs ou de leurs ayant droits,
à saisir sans délai les objets permettant de fabriquer
des contrefaçons et les oeuvres contrefaites (oui, cela s'applique
aux ordinateurs des téléchargeurs pirates, systématiquement
saisis et confisqués) s'applique désormais au contournement
des Mesures Techniques de Protection (art. 19). Les officiers de
police judiciaire peuvent également procéder d'office
à ces saisies (art. 20).
Surtout, de nouveaux délits sont créés, dont
le plus célèbre se trouvé à l'article
21 (nouvel article L.335-2-1 du Code de la propriété
intellectuelle) et a été retoqué par le Conseil
constitutionnel.
Est ainsi désormais puni de 3 ans d'emprisonnement et de
300.000 euros d'amende le fait :
« 1° D'éditer, de mettre à la disposition
du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque
forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à
la mise à disposition du public non autorisée d'oeuvres
ou d'objets protégés ;
« 2° D'inciter sciemment, y compris à travers
une annonce publicitaire, à l'usage d'un logiciel mentionné
au 1°.
Le fameux amendement Vivendi Universal, l'eMulicide, le Kaazadoom,
l'assécheur de Bitorrent. Rappelons une fois de plus que
la loi n'énonce que des maxima, et que le juge est libre
de descendre en dessous de ces quanta, de les assortir du sursis
quand c'est légalement possible, voire de recourir à
des peines alternatives. Le convaincre de le faire est même
mon métier.
Deux termes sont importants : les adverbes sciemment et manifestement.
Pour que le délit prévu au 1° soit constitué,
il faut que la diffusion du logiciel permettant cette mise à
disposition non autorisée soit faite non seulement volontairement,
comme pour tout délit, mais aussi en toute connaissance de
cause de l'usage illicite qui en sera fait. En droit pénal,
on parle ici de dol spécial. De plus, il faut que l'usage
illicite de ce logiciel soit évident, manifeste, qu'il soit
clair comme le soleil de midi un jour de canicule que ce logiciel
a cette finalité, et cette finalité seule. Ce qui
rend son applicabilité au trio infernal cité plus
haut douteuse. Dès qu'une contestation sérieuse apparaîtra
sur la fin illicite du logiciel, dès qu'il pourra être
sérieusement prétendu que ce logiciel peut servir
à autre chose qu'à la mise à disposition illicite
d'oeuvres protégées, l'interprétation stricte
de la loi pénale imposera, à mon sens, la relaxe.
De plus, il faut que cette mise à disposition soit faite
au public, ce qui semble exclure les réseaux fermés
pour peu que leur accès soit effectivement restreints.
Sans jouer les aruspices et annoncer à l'avance la jurisprudence
des juridictions répressives notamment en ce qui concerne
la bande des trois (eMule, Kaaza et Bitorrent), j'ose affirmer sans
avoir peur de me tromper que les hypothèses catastrophistes
émises par quelques internautes égarés par
l'exaltation, annonçant que Thunderbird, les logiciels de
courrier électronique voire Internet Explorer et Firefox
[2] allaient être déclarés illégaux car
susceptibles de permettre l'échange de fichiers illégaux
sont fausses et ridicules. Je fréquente assez de magistrats
pour savoir que si ce ne sont pas tous des foudres de l'informatique,
ce sont des gens profondément rationnels dans leur application
de la loi, et que le fait que l'absurdité de l'application
extensive de ce texte, outre qu'elle serait contraire à l'article
111-4 du Code pénal, qui aboutirait à la mise hors
la loi de l'internet en général, ne leur échappera
pas.
Ce délit sera restreint dans son champ d'application, ce
qu'a voulu le législateur.
Mais nous n'en avons pas fini avec la répression. La loi
prévoit une série de trois fois deux délits
analogues (art. 22 et 23), punis respectivement de 3750 euros d'amende
et de six mois d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende.
Le premier est le contournement artisanal[3] de Mesures Techniques
de Protection, comprendre par tout autre moyen que l'utilisation
d'un logiciel spécifiquement conçu à cet effet
(modification du fichier avec un éditeur hexadécimal,
ou que sais-je...).
Le second est la fourniture de moyens pour contourner ou neutraliser
des Mesures Techniques de Protection (essentiellement la mise en
ligne de logiciels conçus à cette fin).
Ces délits sont déclinés pour l'atteinte au
droit d'auteur (nouvel article L.335-3-1 du Code de la propriété
intellectuelle), au droit voisin (nouvel article L.335-3-2 du Code
de la propriété intellectuelle) et pour l'atteinte
à l'individualisation des fichiers (nouvel article L.335-4-1
du Code de la propriété intellectuelle). Outre les
peines principales évoquées ci-dessus, le tribunal
pourra prononcer une peine de fermeture d'établissement pour
5 ans au plus (art. 26)
Il s'agit d'une amende délictuelle, donc même remarque
que précédemment : c'est un maximum. En cas de contournement
de plusieurs Mesures Techniques de Protection, le tribunal sera
tenu par ce maximum, quel que soit le nombre de fichiers concernés,
ce qui n'était pas le cas de l'amende à 38 euros balayée
par le conseil constitutionnel : s'agissant d'une amende contraventionnelle,
elle se cumulait sans maximum. Vous comprenez mieux pourquoi le
Conseil constitutionnel a trouvé qu'il y avait inégalité
de traitement ?
Ces trois délits connaissent une exception s'ils sont commis
à des fins de sécurité informatique.
Un lecteur attentif qui ne se serait pas perdu dans ces explications
se dira à ce moment : mais que diable arrive-t-il à
celui qui contourne une Mesures Techniques de Protection en utilisant
une application technologique conçue à cet effet ?
La réponse est : rien[4]. Le législateur a visiblement
choisi de ne pas incriminer le simple utilisateur de programmes
comme jhymn, qui visent à ôter les Mesures Techniques
de Protection de fichiers achetés en ligne. C'est somme toute
logique : faire un délit de l'utilisation d'un programme,
souvent en anglais, était aller très loin et posait
un problème de preuve de l'intention criminelle. Au contraire,
elle est facile à établir chez l'informaticien qui
a passé des heures à coder un tel programme (art.
L.335-2-1 du Code de la propriété intellectuelle)
ou chez celui qui « ouvre le capot » de ses fichiers
protégés pour les déplomber (art. L.335-3-2
du Code de la propriété intellectuelle). Ça
ne peut pas se faire par accident. Du coup, le droit commun pourrait
tretrouver à s'appliquer : tirer profit du produit d'une
infraction, c'est du recel, et c'est cinq ans d'emprisonnement et
de 375000 euros d'amende, mais ce serait absurde et disproportionné,
j'ai du mal à imaginer que la jurisprudence aille en ce sens.
En tout cas, cela répond à ceux qui craignaient de
ne plus pouvoir lire un DVD sous Linux avec DeCSS : l'utilisation
de ce logiciel ne tombe pas sous le coup de la loi DADVSI, sauf
grosse erreur de ma part, j'attends les commentaires éclairés
de mes redoutables lecteurs.
Quid des programmes qui ne sont pas « manifestement destinés
» à la mise à disposition illicite mais qui
sont abondamment utilisés à cette fin[5] ? L'article
27 pense à eux :
« Art. L. 336-1. - Lorsqu'un logiciel est principalement
utilisé pour la mise à disposition illicite d'oeuvres
ou d'objets protégés par un droit de propriété
littéraire et artistique, le président du tribunal
de grande instance, statuant en référé, peut
ordonner sous astreinte toutes mesures nécessaires à
la protection de ce droit et conformes à l'état de
l'art.
La loi prévoit une limite de taille :
« Les mesures ainsi ordonnées ne peuvent avoir pour
effet de dénaturer les caractéristiques essentielles
ou la destination initiale du logiciel.
« L'article L. 332-4 est applicable aux logiciels mentionnés
au présent article. »
Comprendre : le président peut ordonner une saisie-contrefaçon
de l'ordinateur où fonctionne le logiciel incriminé.
Les fournisseurs d'accès sont eux aussi mis contribution
(art. 27).
« Art. L. 336-2. - Les personnes dont l'activité
est d'offrir un accès à des services de communication
au public en ligne adressent, à leurs frais, aux utilisateurs
de cet accès des messages de sensibilisation aux dangers
du téléchargement et de la mise à disposition
illicites pour la création artistique. Un décret en
Conseil d'Etat détermine les modalités de diffusion
de ces messages. »
Un message à leurs frais ? Ce sera un e mail. Sur les dangers
du téléchargement ? Attention, télécharger
rend impuissant et donne de l'acnée ? Bon, vous l'aurez compris
: mesure gadget sans intérêt. N'engueulez pas votre
fournisseur d'accès quand il vous enverra ce message : il
y est obligé.
Reprenons, on touche à la fin.
Les bases de données peuvent avoir recours à des
Mesures Techniques de Protection qui bénéficient de
la même protection légale (art. 29).
Enfin, l'article 30, qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe,
autorise la diffusion dans un réseau audio ou vidéo
interne des oeuvres diffusées à la radio ou à
la télévision : par exemple un hôpital qui rentransmet
dans toutes ses chambres les programmes captés par son antenne
télé unique. Il s'agit en effet juridiquement d'une
diffusion différente de celle autorisée par l'auteur.
Elle devient désormais expressément légale,
mais je n'avais jamais entendu parler de procès intentés
sur ce fondement.
Voilà pour le titre Ier de la loi DADVSI.
Un petit résumé ?
D'accord.
Télécharger des MP3 illicites
est une contrefaçon (La jurisprudence se fixe en ce sens
depuis la cassation de l'arrêt de Montpellier) :
3 ans, 300.000 euros d'amende (art. L.335-4 du CPI, non modifié
par la loi DADVSI).
Diffuser un logiciel manifestement conçu
pour du téléchargement illicite est passible des mêmes
peines (art. L.335-2-1 du CPI, nouveauté DADVSI). Faire la
promotion d'un tel logiciel est puni des mêmes peines.
Tripatouiller ses fichiers pour virer les
Mesures techniques de protection = 3.750 euros d'amende.
Diffuser un logiciel le faisant automatiquement : 6 mois et 30.000
euros d'amende.
Utiliser ce logiciel = Rien, sauf à ce qu'une jurisprudence
facétieuse caractérise le recel.
Lire des DVD sous Linux = rien.
Ceci étant, conformément à la formule traditionnelle
qui termine bien des écrits d'avocat : sous toutes réserves.
Je me réserve le droit de modifier ce billet suite à
de pertinents commentaires.
Notes
[1] Notons toutefois que le compositeur de la musique, lui, touchera
toujours ses droits d'auteur, qui s'éteignent plus tard,
70 ans après sa mort.
[2] Ne riez pas, j'en ai eu en commentaire.
[3] Le mot est de moi ; la loi parle d' « atteinte réalisée
par d'autres moyens que l'utilisation d'une application technologique,
d'un dispositif ou d'un composant existant mentionné au II
» ; je me suis permis de résumer.
[4] Ou alors ça m'a échappé, mais j'ai bien
regardé.
[5] C'est là qu'on retrouve la bande des trois.
Pour faire un tracback sur ce billet : http://maitre.eolas.free.fr/journal/tb.php?id=411
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