|
Origine http://www.humanite.fr/journal/2006-01-10/2006-01-10-821574
"Une logique de prédation"
Antoine Math, économiste, est membre du Groupe d'information
et de soutien des immigrés (GISTI). Entretien.
Comment qualifieriez-vous ce texte ?
Antoine Math. Ce projet de loi est inhumain. Il considère
l'étranger au mieux comme une marchandise, une force de travail,
et encore, s'il est talentueux. Il n'y a d'étranger que celui
qui est utile, qui travaille, tout autre n'est plus une personne,
n'est pas un être humain, on lui dénie les droits les
plus fondamentaux : d'aimer, de vivre en famille, de se soigner.
Priver de ressources les malades, par exemple, est presque criminel.
Que signifie ne plus accorder de possibilité de régularisation
aux sans-papiers actuels, aux déboutés de l'asile,
passés et à venir ?
Antoine Math. Jusqu'à présent, les possibilités
de régularisation existaient pour des gens que l'on avait
déjà fait souffrir pendant longtemps, le plus souvent
plus de dix ans. Ne plus régulariser va laisser des centaines
de milliers de personnes dans la clandestinité, et plus vulnérables
encore, alors qu'on sait que les sans-papiers sont déjà
des proies sur le marché du travail, en matière de
logement, d'exploitation individuelle (prostitution). C'est d'une
énorme hypocrisie. Dominique de Villepin a fixé l'objectif
de renvoyer de 20 000 à 25 000 personnes par an, tout en
annonçant entre 200 000 et 400 000 sans-papiers en France.
Il faudrait donc dix à vingt ans pour y arriver. De la sorte,
il sait qu'il garde un volant de main-d'oeuvre clandestine tout
en faisant des discours sur la lutte contre le travail clandestin.
La répression s'abat d'ailleurs plus sur les salariés
que sur les employeurs. Quant aux futurs déboutés
du droit d'asile, ils risquent d'être moins nombreux puisqu'il
devient pratiquement impossible de l'obtenir : il faut, entre autres,
dans un délai très court, déposer une demande
en français. Toutes les possibilités ont été
durcies en 2004, et l'on ne sait pas encore ce que va proposer la
prochaine loi dans ce domaine.
Ces catégories sont-elles les seules visées
?
Antoine Math. Non, tous les étrangers voient leur droit
au séjour précarisé. La carte de résident
de dix ans, qui permettait une véritable intégration,
est quasiment morte pour les nouveaux migrants. Jusqu'à présent,
le droit au travail faisait partie du titre de séjour de
droit commun. Cela va devenir pratiquement impossible. Il reste
des titres de séjour précaires, par leur durée
et leurs conditions de renouvellement, correspondant à la
durée du contrat de travail, avec retrait en cas de rupture.
L'étranger sera contraint d'accepter beaucoup de choses,
ne serait-ce que pour espérer un renouvellement du droit
au séjour remis au bon vouloir de l'employeur. Ce projet
est extrêmement dangereux pour le monde du travail. On va
faire venir de la main-d'oeuvre dans des conditions d'inégalité
accrue, de subordination telles que les employeurs pourront abaisser
toutes les normes sociales dans les secteurs où elle sera
utilisée.
On ne veut plus d'étrangers qui choisissent de migrer.
Il s'agit de les choisir...
Antoine Math. On va aller piller ailleurs ce dont on pourrait avoir
besoin. Il y a sans doute aussi l'idée que l'Europe et la
France pourraient avoir besoin de main-d'oeuvre nouvelle tout en
conciliant cette nécessité avec la xénophobie
ambiante. Le titre "capacité et talents" est, à
mon avis, une façon de vendre l'ensemble. Cela ne va pas
concerner grand monde, mais sert à légitimer le durcissement.
L'attribution du titre sera arbitraire, puisque c'est l'administration
qui choisira à qui le donner, pour le "rayonnement de
la France". Cette mesure s'inscrit dans cette logique cynique,
utilitariste, de pillage, de prédation, mais elle sent l'effet
d'annonce, l'alibi. Et je ne suis pas persuadé que cela va
marcher, parce que la façon inhospitalière dont notre
pays maltraite les gens, avec des pratiques scandaleuses qui frisent
la xénophobie, n'incitera pas les supposés "
bons" à venir. Il y a, aujourd'hui, plus d'étudiants
sénégalais aux États-Unis que chez nous. La
France ne fait plus rêver.
Entretien réalisé par E. R.
***************************
"Un racisme bien habillé"
Fernanda Marrucchelli membre du Conseil national du PCF
"On aurait tort de considérer cette politique comme
une dérive ou une restructuration de plus. Elle porte tous
les caractères structurels d'un projet de société
libérale. Ce qui se construit contre les migrants se construit
contre la société tout entière, par la pénalisation
de tous les mouvements sociaux, sur un racisme bien habillé,
si banalisé qu'il déclenche de moins en moins de prise
de position nettes."
www.humanite.fr/journal/2006-01-10/2006-01-10-821541
_____________________________________________
ZPAJOL liste sur les mouvements de sans papiers
|