"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Alerte rouge pour le logement en France
Fondation Abbé Pierre

Communiqué Lundi 14 Mars 2005

La Fondation Abbé Pierre s'alarme de l'aggravation de la situation sur le front des expulsions.

http://www.fondation-abbe-pierre.fr/home_flash.html

Alors que le 15 mars marque la date de reprise des expulsions pour les ménages en difficulté, la Fondation Abbé Pierre relève avec inquiétude l'augmentation des décisions de justice prononçant leur expulsion, ainsi que des commandements à quitter les lieux.

Déjà, dans son dernier Rapport mal-logement publié le 1er février dernier, elle exprimait une forte préoccupation quant à la montée des statistiques depuis 2000, qui traduisait un durcissement de la politique en la matière. Sur l'année 2003, plus de 23 000 décisions accordaient le concours de la force publique pour expulser les familles en rupture de paiement de leur loyer, et près de 10 000 se traduisaient par une intervention effective de la police.

Bien que les chiffres 2004 ne soient pas tous disponibles, la Fondation s'inquiète d'ores et déjà de la situation qui prévaut à Paris, puisqu'une nouvelle fois les statistiques relatives aux décisions de justice prononçant l'expulsion et le nombre e commandements de quitter les lieux sont en hausse sensible. Plus grave encore, il apparaît que les protocoles mis en place dans le cadre de la loi de cohésion sociale, et qui prévoyaient la suspension de la décision d'expulsion pour les locataires du parc public dès la reprise du loyer et l'accord sur un échelonnement de la dette, s'avèrent quasi-impossibles à mettre en oeuvre, compte tenu de la dégradation de la situation financière des ménages.

Enfin, il reste que ces nouveaux dispositifs ne s'appliquent qu'aux locataires du parc public, alors que ceux-ci ne représentent qu'un tiers des locataires sur Paris et la moitié sur le reste de la France. Les ménages précaires logés dans le parc privé ne bénéficient donc pas de mesures particulières leur permettant de reprendre pied.

Dans un contexte où la pénurie de logements accessibles atteint des records sans précédent depuis la fin de la 2è guerre mondiale, et où le nombre de travailleurs pauvres ne cesse d'augmenter, la Fondation dénonce la double peine que constitue l'absence d'accompagnement des ménages en difficulté au moment où ils basculent dans une situation d'impayés et où ils ont besoin d'un soutien spécifique pour les aider à faire face à des injonctions à couvrir leur dette qu'ils ne sauraient honorer sans être accompagnés.

Plus de trois millions de personnes en France vivent dans des conditions de logement très précaires, et plus de cinq millions d'autres pourraient basculer dans cette situation "à court ou moyen terme"


FONDATION ABBE PIERRE

Rapport sombre sur le logement social

La Fondation Abbé Pierre estime que l'objectif de 100.000 logements par an ne sera pas atteint et dénonce un double discours gouvernemental.

L a Fondation Abbé Pierre s'inquiète, dans son rapport 2005 publié mardi 1er février, de la progression du nombre de personnes hébergées chez des tiers faute de logement, et estime que l'objectif gouvernemental de construction de 100.000 logements par an ne sera pas atteint.

La fondation pour le logement des défavorisés dresse un tableau très critique du logement social en France, la crise perdurant depuis plusieurs années. Elle met l'accent sur un phénomène nouveau, l'hébergement chez des amis ou par la famille, d'enfants adultes partis et revenus au domicile familial, d'adultes séparés, de chômeurs, qui ne trouvent pas à se loger.

Entre 1996 et 2002, leur nombre est passé de 924.000 à 973.000 selon l'Insee, mais "on est persuadé que cela s'est aggravé", affirme Patrick Doutreligne, délégué général adjoint de la fondation, qui se base sur les témoignages des associations.

Deux fois le Smic

Les hébergements durables posent le problème du surpeuplement et de la dégradation des logements, et lorsqu'ils sont subis, conduisent à des conflits.

Les projets de construction "affichés par les 30 plus grandes agglomérations montrent que, sans nouvelles mesures, les objectifs du plan de cohésion sociale - 500.000 logements en 5 ans - ne seront pas atteints", affirme-t-elle dans son rapport.

La Fondation Abbé Pierre critique "l'ambiguïté" du programme gouvernemental de constructions de logements sociaux, qui comptabilise des logements, les PLS (prêt locatif social), exigeant pour y accéder de gagner deux fois le SMIC.

La plupart des six millions de ménages qui reçoivent l'aide au logement (APL) n'ont pas accès au logement PLS, souligne Patrick Doutreligne. Or, ajoute-t-il, "entre 2001 et 2004, le nombre de logements sociaux accessibles a baissé de 6,5 % et le nombre de PLS a augmenté de 35 %".

"On est devant un double discours gouvernemental, volontariste de la part de Borloo (ministre de la Cohésion sociale), et libéral de la part d'une aile droite qui continue à déréguler le marché", dit-il.

Crainte du renouvellement urbain

Au cours de six dernières années, selon le rapport, le prix des appartements neufs a progressé de 54,6 %, celui des terrains à bâtir de 57,5 % et celui des logements anciens de 97,9 %, tandis que dans la même période, le revenu disponible des ménages n'augmentait que de 24 %.

Les craintes sont vives aussi, de la part de la fondation, à propos des opérations de renouvellement urbain lancées par Jean-Louis Borloo, visant à démolir et reconstruire sur cinq ans 200.000 logements dans les quartiers difficiles.

Les 20 premiers dossiers examinés par l'Agence nationale de renouvellement urbain (ANRU), selon elle, "ont un déficit de reconstruction de plus de 2.300 logements".

Sur plusieurs sites, on est "loin du 1 pour 1" (un logement construit pour un logement démoli), et les logements démolis ne sont pas, "mixité oblige", dit le rapport, remplacés forcément par un logement social.

Certaines opérations se font "contre" la population du quartier, affirme la fondation qui cite des exemples de familles que l'on déménage pour la troisième fois.

Installé aux côtés de l'ANRU pour suivre les projets, le comité de vigilance dont il est membre, "ne fonctionne pas", dit Patrick Doutreligne, et n'est intervenu sur aucun dossier, faute d'être saisi.


Logement : la Fondation Abbé Pierre dénonce le décalage entre parole et actes

Le Monde - 31.01.05

http://ecolesdifferentes.free.fr/LOGEMENTBLABLA.htm

Les objectifs annoncés dans la loi de cohésion sociale sont loin d'être tenus, et une large partie de la population vit dans des "conditions inacceptables".

Depuis près d'un an, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a élevé le logement au rang de "grande cause nationale", mais son action, pour ambitieuse qu'elle soit, ne va pas assez loin ou demeure en décalage par rapport aux besoins d'une large partie de la population.

Dans son dixième rapport annuel, qui doit être rendu public mardi 1er février, la Fondation Abbé Pierre (FAP) se livre à une expertise sans concession de l'action de Jean-Louis Borloo et de Marc-Philippe Daubresse, les deux ministres qui fixent le cap en matière de logement. Leurs objectifs, déclinés dans la loi de cohésion sociale pour la période 2005-2009, sont sans doute louables, mais ils risquent fort de ne pas être atteints et entrent en contradiction avec d'autres choix gouvernementaux, d'après la fondation.

Construire 500 000 logements sociaux en cinq ans est "une bonne chose", souligne le rapport, mais ce chiffre englobe l'offre locative intermédiaire, qui peut difficilement être assimilée à du HLM, du fait des loyers pratiqués. Financé grâce à des prêts locatifs sociaux (PLS), ce type d'habitat est, en effet, inaccessible à la plupart des six millions de ménages qui touchent l'aide personnalisée au logement (APL). Il représente cependant plus du tiers des objectifs de production inscrits dans la loi de cohésion sociale. Une tendance inquiétante, aux yeux de la FAP, d'autant que le nombre de logements "réellement sociaux" financés a diminué entre 2001 et 2003 (- 8 %).

MAUVAISE VOLONTÉ

Autre difficulté : l'implication insuffisante des communes. Compte tenu des buts qu'elles affichent actuellement en matière de construction, les trente plus grandes agglomérations ne pourront réaliser que 60 % du programme qui leur est assigné par la loi de cohésion sociale, selon la fondation. On est loin du compte. Certaines municipalités font même preuve de mauvaise volonté, alors qu'elles sont tenues de construire du HLM afin d'en avoir 20 %, à terme, sur leur territoire, conformément à la loi "solidarité et renouvellement urbains" (SRU). Ainsi, un tiers des villes "concernées par ce texte n'ont construit aucun logement social depuis trois ans", dénonce le rapport.

Dans ce contexte, il faudrait que la collectivité accroisse son "effort" en faveur du logement, d'après la fondation. Mais les "tendances récessives"se révèlent pour l'heure plus fortes : les dépenses consenties par l'Etat, les collectivités locales et les partenaires sociaux en matière d'habitat représentaient 1,95 % du PIB en 2004, contre 2,07 % en 2000. Seul le "1 % patronal" a vu sa part progresser, tandis que les pouvoirs publics se désengageaient. De même, les aides personnelles au logement ont "beaucoup souffert des "nouvelles orientations" de la politique du logement" (mesures d'économie, absence de revalorisation en 2004, etc.). Du coup, ces prestations ne compensent plus la hausse des prix et des loyers.

Faute de trouver un toit dans le monde HLM ou dans le parc privé, de plus en plus de ménages se tournent vers des proches pour être hébergés, poursuit la fondation. Près d'un million de personnes étaient dans cette situation en 2002 (soit 50 000 de plus en six ans). Parmi elles, de 150 000 à 300 000 "vivent dans des conditions de logement inacceptables".

Bertrand Bissuel


Logement L’abbé Pierre : " On ne construit pas pour les plus pauvres "

http://www.humanite.presse.fr/journal/2003-10-11/2003-10-11-380461

État, élus, riverains... Le fondateur d’Emmaüs en appelle à la responsabilité de tous pour assurer ce qu’il considère comme " un devoir de la Nation " : loger les plus démunis.

L’auteur du fameux appel de l’hiver 1954, qui exhortait la population et les pouvoirs publics à mettre en pratique la solidarité pour les sans-toit, tire à nouveau la sonnette d’alarme. Entretien exclusif.

La crise du mal-logement atteint un seuil plus que critique et prend la forme d’une crise de société. Que vous inspire ce triste état de fait ?

Abbé Pierre. Cela m’inspire beaucoup de tristesse, d’inquiétude et de révolte. Malgré ces cinquante années passées à crier, à dénoncer, à défendre les laissés-pour-compte, je suis toujours aussi indigné par tant d’indifférence. Nous laissons encore aujourd’hui sur le bord du chemin des générations de jeunes, de familles, sans projet, sans avenir, sans espoir de vie meilleure. Auparavant, la France manquait de logements parce que ses priorités étaient ailleurs, dans la relance industrielle par exemple. La machine économique devait repartir après l’horreur de la guerre. L’effort sur la construction de logements était chaque année retardé. Aujourd’hui, les difficultés sont autres, mais la crise est réelle. Vous dites " crise de société ", oui, je ne peux qu’être d’accord. La différence, cinquante ans après, c’est qu’elle est devenue une crise du " vivre ensemble ". On construit des logements, on en construit beaucoup, mais insuffisamment comme le disent tous les experts. Et surtout, on ne construit pas pour les plus pauvres. On bâtit pour les gens qui ont des revenus et qui peuvent payer des loyers chers. Le fossé se creuse chaque jour davantage. La Fondation m’a signalé que sur cinq logements construits aujourd’hui, un seul est social ou à vocation sociale. Cette situation est inacceptable.

Vous, dont l’appel avait contraint les pouvoirs publics à appliquer la réquisition puis à lancer une politique de construction pour loger les ménages à bas revenus, qu’avez-vous envie de dire à nos dirigeants actuels ?

Abbé Pierre. Je leur dirai qu’il est de leurs responsabilités d’accueillir dans nos villes toute la population, quelle que soit la catégorie sociale dont elle relève. C’est un devoir de la nation, c’est un devoir de chacun d’entre nous. Quand on me dit que des maires refusent des logements sociaux sur leur commune, quand on me dit que, chaque année, on renvoie l’argent qui, prévu au budget logement de l’État, n’a pas été dépensé, par manque de projet, ou quand on me dit que des associations de riverains luttent contre l’arrivée au bout de leur rue d’un logement social, je me dis qu’on ne peut pas tolérer cette situation dans un pays comme le nôtre. On ne l’accepterait pas dans un pays du tiers-monde ou en voie de développement. Dans un pays riche comme la France, c’est un devoir et un honneur pour un élu d’avoir à s’occuper de tous, et des plus faibles en particulier.

Propos recueillis par C. P.

Article paru dans l'édition du 11 octobre 2003.


Cinquante ans après l’appel de l’abbé Pierre

Xavier Frison

http://www.politis.fr/article826.html

Le 1er février 1954, par un appel célèbre d’une rare intensité, l’abbé Pierre posait le problème du logement social. L’énorme effort de construction qui a suivi a permis d’améliorer la situation. Mais l’élan s’est brisé sur la crise économique et l’explosion du chômage.

« Mes amis, au secours... ». Le 1er février 1954, au coeur de l’un des hivers les plus rigoureux du siècle, une voix inconnue touche la France. « Une femme vient de mourir gelée, cette nuit... » Au journal de 13 heures, Henry Grouès, dit l’abbé Pierre, lance son « insurrection de la bonté » des studios de Radio Luxembourg, provoquant un élan de solidarité gigantesque envers les sans-abri de France. Le cri de l’abbé Pierre (voir encadré) entraîne l’adoption d’une loi interdisant toute expulsion de personnes insolvables pendant les mois d’hiver. Mais l’électrochoc du fondateur d’Emmaüs déclenche surtout la construction de millions de logements neufs à loyer modéré. Un effort sans précédent qui sera poursuivi pendant vingt ans. Le chantier, il est vrai, est colossal.

En 1954, neuf ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la situation de l’habitat est critique : il manque au moins quatre millions de logements et 90 % de ceux existant ne possèdent ni douche, ni baignoire. L’immédiat après-guerre avait déjà plongé la France dans une crise généralisée. La pénurie fait rage, les cartes de pain sont prolongées jusqu’en 1949, et les équipements comme les hôpitaux ou les écoles manquent cruellement. Le logement ne fait pas exception à la règle. Aux bombardements, responsables de la destruction ou de la dégradation d’un million et demi de logements, s’ajoute l’exode rural massif mal anticipé, avant-guerre, par les gouvernements de la IIIe République. Le blocage des loyers décourage l’investissement, si bien que le parc de logements est insuffisant et vétuste. Le début des années 1950 marque le commencement des Trente Glorieuses. Taux de croissance de 5 % par an, hausse continue du pouvoir d’achat et frénésie de la reconstruction drainent une main-d’oeuvre immigrée de l’intérieur et de l’extérieur qu’il faut loger. Les Habitations à bon marché (HBM) deviennent Habitations à loyer modéré (HLM). En 1953, le ministre de la Construction du Président Vincent Auriol, Pierre Courant, fixe l’objectif de 240 000 logements à construire tous les ans. La même année, les entreprises de plus de 10 salariés sont contraintes de verser 1 % de leur masse salariale à la réalisation de logements sociaux. Le 1 % Logement est né mais cela ne suffit pas.

Car, en ce début 1954, la France a d’autres priorités que les sans-logis. Une grande partie des forces et des ressources du pays sont mobilisées par l’effort de guerre en Indochine, où l’armée française s’est embourbée. La mobilisation populaire suscitée par l’appel de l’abbé Pierre contraint le gouvernement à revoir sa copie. À partir de 1956, 300 000 logements sont construits annuellement mais la pénurie s’aggrave : il en manque encore 4 millions en 1958. Les « événements d’Algérie », comme on disait alors, et le rapatriement des pieds-noirs va exacerber le problème. Construire rapidement pour un coût minimum devient une priorité. Les grues installées sur des voies ferrées élèvent les blocs de béton de part et d’autre d’immenses immeubles rectangulaires. Les barres qui émaillent le paysage urbain français sont nées.

Aujourd’hui décriés, ces grands ensembles représentent à l’époque un progrès considérable. Au confort nouveau des appartements s’ajoute un esprit de solidarité et de convivialité aidé par un taux de chômage très faible. Mais ces nouveaux quartiers sont enclavés, loin des centres-villes et de leurs aménagements. À partir des années 1960, 195 « zones à urbaniser en priorité » (ZUP) seront construites, représentant 2,2 millions de logements. 1973 est une année record avec 556 000 logements construits en France. Le dernier bidonville, sur les 400 recensés en 1970, est éradiqué en 1976.

C’est pourtant de cette période que l’on peut dater le retournement de l’opinion à l’égard des grands quartiers d’habitat social. L’enthousiasme des débuts s’effondre devant la dégradation des logements et du cadre de vie. Ceux qui en ont les moyens quittent peu à peu les grands immeubles, poussés par les facilités d’accès à la propriété. Ils y sont encouragés par toutes sortes de mesures et notamment l’essor des « villes nouvelles », qui ont pour objectif d’offrir tous les équipements nécessaires à leurs habitants. Ils sont remplacés par des locataires plus modestes, souvent d’origine étrangère : la décision prise par Valéry Giscard d’Estaing de « suspendre l’immigration » en 1974 est contredite par le regroupement familial instauré en 1976. Pour la première fois, le problème de la mixité urbaine se pose.

Jusqu’ici la bonne tenue relative du marché de l’emploi masquait les faiblesses des logements sociaux. La crise d’octobre 1973 bouleverse la donne. Par solidarité avec l’Égypte et la Syrie en difficulté dans la guerre du Kippour, l’organisation des pays exportateurs de pétrole fait exploser le prix du baril, couplé à une baisse de la production. L’économie s’effondre et l’inflation galope. De 450 000 en 1974, le nombre de chômeurs passe à 900 000 fin 1975 et 1 650 000 en 1981, à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing. En 1977, une loi initiée par Raymond Barre institue les prêts d’accession à la propriété (PAP) et l’aide personnalisée au logement (APL), qui allège les loyers en fonction du revenu des locataires. Il s’agit désormais de valoriser l’image du logement social, de freiner la dégradation du cadre de vie et d’enrayer la disparition de la mixité sociale.

Malgré ces mesures, la baisse drastique des constructions de logements sociaux et la hausse continue du chômage détériorent la situation. Les « nouveaux pauvres » font la Une des médias. L’abbé Pierre, oublié par le grand public et tout entier dévoué à ses Compagnons d’Emmaüs, remonte au créneau en 1984. C’est désormais à la télévision qu’il interpelle les hommes politiques de droite comme de gauche. Le 23 novembre, au palais des congrès de Paris, il lance la Banque alimentaire. Le Noël de l’abbé Pierre, grande campagne contre la pauvreté, marque l’échec d’une politique du logement social incapable de résister aux bourrasques de la crise économique.

En 1990, la loi Besson est votée. Le texte du ministre du Logement de François Mitterrand stipule que « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières [...] a droit à une aide de la collectivité [...] pour accéder à un logement décent ». Les contrats de ville, instaurés à partir de 1993 et destinés à améliorer la situation de quartiers particulièrement touchés par les problèmes sociaux, sont plus efficaces mais ne résolvent pas tout. Les foyers bénéficiaires de l’APL passent de 1,6 million en 1986 à 2,7 millions en 1995, conséquence directe de la paupérisation d’une partie de la population.

L’imagination législative ne peut toutefois suppléer à la hausse vertigineuse des loyers dans les grandes villes de France, de plus en plus inaccessibles pour les nombreux salariés précaires. Dans la France des années 2000, la restructuration des grands quartiers d’habitat social devient un impératif, à coup de démolitions spectaculaires. Encore faut-il reconstruire un nombre de logements équivalent, aux mêmes tarifs. Dernière tentative en date de rétablir un minimum de mixité sociale, la loi relative à la Solidarité et au renouvellement urbain (SRU) de décembre 2000 exige des agglomérations de plus de 50000 habitantsqu’elles proposent au moins 20 % de logements sociaux. Pour nombre d’entre elles, c’est encore trop. Elles préfèrent payer des amendes plutôt que d’accueillir une population synonyme de problèmes à leurs yeux.

Évoquant son appel du 1er février 1954, dans Et les autres ?, le mensuel de sa fondation, l’abbé Pierre reconnaît : « J’étais surtout loin d’imaginer que cinquante ans plus tard des familles en France, avec de jeunes enfants, dormiraient toujours dans la rue. » C’est sans doute la raison pour laquelle son appel historique résonne toujours au présent.

Lire l’ensemble de nos entretiens et reportages dans Politis n° 786


Alerte rouge pour le logement en France

Le rapport estime que 600 000 logements manquent en France (AFP/J.Naltchayan)

"Mes amis au secours" s'était exclamé l'abbé Pierre le 1er février 1954 en cet hiver particulièrement rude, provoquant une immence mobilisation pour les sans-abris. A l'approche du cinquantenaire de ce célèbre appel, sa Fondation dénonce dans son rapport annuel la pénurie dramatique de logements sociaux et même le retour de bidonvilles en France.

Dramatique situation du logement en France

Pénurie de logements sociaux, engorgement des structures d'hébergements, explosion des loyers, et même crise sans précédent. A quelques jours du 50ème anniversaire de l'appel historique à l'"insurrection de la bonté" de l'Abbé Pierre sur radio Luxembourg, devenue RTL, la Fondation Abbé Pierre dénonce la dramatique situation du logement en France dans son neuvième rapport annuel rendu public ce mercredi (28 janvier).

Le rapport parle de pénurie grave de logements sociaux et même de retour de bidonvilles. La crise tient en quelques chiffres: 600 000 logements manquent en France. 3 millions de personnes en cherchent, même avec des revenus suffisants. 40% d'augmentation des loyers sur les 5 dernières années. Et cet écart gigantesque entre l'offre et la demande: 85% de ce qui se construit actuellement n'est accessible qu'au tiers le plus riche de la société française. Même les classes moyennes sont touchées, repoussées de plus en plus loin des centre-villes.

Des chiffres qui se traduisent par une réalité concrète: depuis quelques années, on voit réapparaître des bidonvilles. On retrouve à nouveau des enfants dans les rues, les grands enfants, même adultes et autonomes financièrement restent chez papa-maman faute de pouvoir s'installer, les classes moyennes sont repoussées de plus en plus loin des centre-villes.

L'Etat pointé du doigt

Pour la Fondation Abbé Pierre, la crise a un responsable: l'Etat, qui a progressivement abandonné le terrain du logement social et qui laisse aujourd'hui s'exercer librement le jeu de l'offre et de la demande. Or la pénurie nourrit la flambée des prix. Pour la Fondation, une nouvelle crise du logement menace, non pas comparable au début des années 50, mais tout aussi inadmissible. "N'attendons pas un nouvel hiver 54" implorent les compagnons de l'abbé Pierre convaincus que seule une politique volontariste de construction pourrait changer la donne. On ne peut pas raisonner, disent-ils, comme si le marché allait régler les problèmes de logement.

La politique du gouvernement est mise en cause, et pourtant le ministre du Logement, Gilles de Robien, dit "partager le constat de la Fondation Abbé Pierre". Pour le ministre, la France traverse une crise grave et durable. Il assure que le nombre de logements sociaux a augmenté de 3 % l'an dernier et il promet de financer cette année la construction de 80 000 logements locatifs-sociaux supplémentaires. Insuffisant, répond Emmaüs qui en réclame 120 000. Car, en comptant les logements aux loyers sont trop élevés pour les plus défavorisés, les 12 000 prêts locatifs sociaux également trop chers, et les 20 000 HLM qui seront détruits cette année, pour se remettre à niveau le besoin est donc de 120 000 nouveaux logements. Un constat partagé par le Conseil économique et social dans un rapport paru il y a quinze jours.

Isabelle Marconnet et David Philippot