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Origine : http://www.carmed.fr/livre_noir10.htm
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Oui, il y a un marché de la souffrance psychique. Oui, il
y a là de l’argent à gagner. Pour l’exploiter
au mieux il faut l’étendre. Cette extension, fruit
d’un marketing soutenu, s’appuie sur diverses interventions
faites au nom de « La Science ». Elles cachent des manipulations
destinées à faire énormément d’argent,
comme on le voit avec la consommation de psychotropes en France.
Les deux dernières de ces interventions sont le Livre noir
de la psychanalyse, et le tout récent rapport de l’INSERM
sur le dépistage des « troubles des conduites »
chez l’enfant et l’adolescent. Tous deux font chaud
au cœur de certains tenants des soi-disant thérapies
comportementales et cognitivistes (TCC) et aux laboratoires pharmaceutiques,
les premiers faisant le jeu des seconds.
Développons cela.
Depuis vingt ans, s’opère un tour de passe-passe qui
tend à substituer du prêt-à-porter psychiatrique
aux démarches psychodynamiques, dont celles de la psychanalyse.
Ainsi voit-on peu à peu se réduire les approches psychopathologiques
fines et nuancées de la psychiatrie, en particulier française,
au profit d’un catalogue de symptômes, le fameux et
quasi universel DSM IV grâce auquel chaque comportement humain
un peu surprenant ou douloureux se voit assigner la valeur d’un
trouble. L’usage de cet ouvrage, destiné à l’établissement
de statistiques, a été perverti et d’aucuns
en ont fait une bible dispensant d’un savoir nosographique
et d’une vraie pensée sur la souffrance psychique,
au cas par cas. D’où vient qu’un tel détournement
ait pu séduire tant d’intervenants en santé
mentale ?
D’où vient que tant d’organismes se soient appuyés
sur lui pour produire, très officiellement, des rapports
qui vont tous dans le même sens ?
A partir de l’association de quelques items du DSM IV ils
préconisent une TCC, des psychotropes. C’est ce que
fait le dernier rapport de l’INSERM, infiniment plus perfide
que le grossier Livre noir. Il introduit les « Troubles oppositionnels
avec provocation : les TOP ». Ainsi élargit-on le marché
de la santé mentale en transformant une manifestation habituelle
en trouble pathologique avec les retombées thérapeutiques
susdites. Les psychanalystes savent depuis Freud et Winnicott combien
ces comportements sont nécessaires aux acquisitions du statut
de sujet et à la pensée. Donc ils gênent.
Cette offensive est mondiale. Elle a des résultats tant
il est tentant de s’appuyer sur un catalogue de signes et
sur des thérapies stéréotypées, normalisées.
Si cette parodie s’appuie sur une résistance à
la perception de l’intime des souffrances psychiques, ou sur
une paresse, voire un automatisme, il faut pourtant aller plus loin
et continuer à s’interroger : d’où peut
venir l’inspiration, le souffle et le mouvement qui soutiennent
financièrement et psychologiquement un tel désastre
? Qui en tire massivement avantage ?
Prenons la « petite histoire » actuelle. Le Livre noir
de la psychanalyse rapportera quelque argent à ses instigateurs.
Là n’est pas l’important. Montons d’un
cran.
Plus il y aura d’acteurs dans le monde de la santé
mentale, plus le marché de celle-ci s’ouvrira. La création
du statut de psychothérapeute, adossé au DSM IV, crée
un élargissement du marché de la santé mentale
: plus d’intervenants, plus de soi-disant « troubles
» à soigner, plus d’échecs de celles-ci
– car s’agit de manifestations humaines fort résistantes
– d’où plus de prescriptions de psychotropes
(on a vu cela en URSS pour d’autres raisons). Le marché
ira grossissant avec le nombre des psychothérapeutes unis
en groupes de pression de plus en plus puissants. Il leur faudra
démontrer qu’ils sont bons, voire les meilleurs. Quoi
de plus tentant alors que de se comparer avantageusement et fallacieusement
aux psychanalystes ? C’est ce qui se passe pour l’heure
en France.
L’ouverture de l’éventail de la pathologie mentale
assure celle du marché des médicaments psychotropes.
Ce n’était probablement le but premier des rédacteurs
du DSM pas plus que celui des zélotes des TCC mais, souvent
à l’insu, ils se constituent en fourriers de l’industrie
pharmaceutique. Pour vendre, il faut ranger l’action, la pensée,
l’émotion, l’affect, dans le Grand Livre de la
Pathologie Mentale. Les attaques contre la psychanalyse ne sont
qu’une escarmouche dans une stratégie universelle de
déconsidération de la pensée et de passage
du statut de sujet à celui de consommateur.
Gérard Bayle
Président de la Société Psychanalytique de
Paris
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