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Origine : http://www.carmed.fr/livre_noir7.htm
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Violemment attaquée de toutes parts, la psychanalyse n’est
pas exempte de reproches.
Miguel Benasayag demande plus d’ouverture.
Un Livre noir de la psychanalyse, un rapport de l’Inserm
qui préconise une méfiance envers les thérapies
analytiques, des journaux qui se demandent s’il faut en finir
avec la psychanalyse, des controverses médiatiques : une
nouvelle fois, la psychanalyse se retrouve au cœur du débat.
Mais il faudrait en préciser l’enjeu. Assiste-t-on
à un nouvel épisode du conflit entre méchants
positivistes et gentils psychanalystes ? Doit-on s’habituer,
depuis que Freud a apporté "la peste aux États-Unis",
d’après ses paroles, à voir les anticorps disciplinaires
s’activer régulièrement ? Là n’est
pas le cœur du problème. Il se trouve au sein même
de la psychanalyse, dans son incapacité à se remettre
en question depuis une quinzaine d’années, prêtant
ainsi le flanc à toutes sortes de critiques. Le danger n’est
pas à l’extérieur, mais à l’intérieur.
Avec Freud et Lacan, la psychanalyse est née et s’est
développée dans un dialogue très ouvert, très
riche, très contradictoire avec la société,
la philosophie, la politique, l’anthropologie. Or, depuis
une quinzaine d’années, elle s’est repliée
sur elle-même dans une position frileuse. Beaucoup de psychanalystes
jouent les précieuses ridicules, uniquement préoccupés
par de petites questions de pouvoir et de scissions dans le temple
psychanalytique. Comment en est-on arrivé là ?
Revenons aux sources. La psychanalyse est née au début
du XXe siècle à l’unisson des grands mouvements
d’émancipation. Rappelons-nous que Freud a écrit
L’Avenir d’une illusion pour parler de la révolution
et Malaise dans la culture pour traiter du mal-être anthropologique
des êtres humains. La psychanalyse, en tant que grand récit,
prétend aujourd’hui être la seule épargnée
par la post-modernité. Elle considère être dans
une sorte de bulle, intouchable. D’où l’attitude
pédante de ses grands-prêtres. Les psychanalystes paradent
dans les médias, conseillent sur tout, se prétendent
au-dessus de tout. Mais cette position est illusoire. La psychanalyse
ne peut survivre seule comme unique courant de pensée critique
de l’utilitarisme et des visions normalisatrices.
Elle a raté, par exemple, la grande invitation de Deleuze
et de Guattari à se repenser dans l’Histoire à
travers l’anti-Œdipe. À la fin des années
70, elle aurait pu devenir un lieu de résistance à
l’utilitarisme, ouvert sur la société. Elle
a loupé un second rendez-vous important : ces quinze dernières
années ont vu un développement magnifique des neurosciences,
grâce à la technologie. Or, la psychanalyse ne s’y
est pas intéressée, à l’exception de
quelques tendances minoritaires comme celle de René Majeur.
Les psychanalystes ont diabolisé la neurophysiologie d’une
façon obscurantiste. Ce qui donne une bonne raison à
certains de s’en prendre à elle aujourd’hui dans
une attitude réactionnaire purement positiviste qui prétend
que « le cerveau pense comme la vésicule biliaire secrète
la bile ». Une autre attitude consiste à dire que le
cerveau est aussi le lieu de soubassement de la pensée et
des affects. Il aurait fallu engager un débat constructif
avec les scientifiques sur ce terrain au lieu de les rejeter d’emblée.
Les psychanalystes doivent accepter d’être dérangés
par la société et par la science de façon moins
pédante.
Cette question dépasse les enjeux de courants et de pouvoir.
Elle concerne tout le monde. Il y a en France des millions de personnes
sous psychotropes. Qu’aujourd’hui la seule réponse
au malaise des gens soit une réponse chimique, telle est
la nature de l’attaque contre les psychanalystes. «
Vous êtes déprimé, voici le produit qu’il
vous faut », nous disent certains. Il y a là un enjeu
qui touche au modèle d’être humain que l’on
est en train d’imposer. Peu importe le mécontentement
de quelques précieuses ridicules ! Il s’agit de savoir
si nous acceptons de franchir un pas de plus vers « l’homme,
machine performante ».
Miguel Benasayag est psychanalyste et philosophe.
Dernier ouvrage : "Abécédaire de l'engagement"
(Bayard).
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