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Origine : http://www.lepoint.fr/societe/document.html?did=167895
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Freud est un menteur et un mystificateur, clament les partisans
des thérapies comportementales et cognitives. Ils le disent
dans le « Livre noir de la psychanalyse » (éditions
Les Arènes). Jacques-Alain Miller, l'un des chefs de file
de la psychanalyse, répond à ces « braillards
haïssant Freud».
Emilie Lanez
Définition du métier de psychanalyste :
« Profession qui, après tout, doit sa propre existence
et sa propagation à une pléthore de personnes crédules,
prêtes à se payer le luxe d'abdiquer leur souveraineté
mentale à quelqu'un d'autre et tentant trop souvent désespérément
de se décharger de la responsabilité morale du naufrage
de leur vie. »
Définition de la psychanalyse :
« Une théorie omnisciente qui ne repose finalement
que sur la dépendance à la vie de personnes souffrantes.
» Voici pour le fond... et la forme. « Le livre noir
de la psychanalyse », paru aux éditions Les Arènes,
ne fait pas dans la litote. Son propos est martial : démasquer
la psychanalyse, qui, prétendant soigner, ne servirait qu'à
entretenir les patients dans leur plainte narcissique.
Ce livre collectif scande la bataille acharnée opposant en
France depuis deux ans les psychanalystes, disciples de Freud, aux
partisans des thérapies comportementales et cognitives. Ces
encore méconnues TCC sont nées dans les années
60 aux Etats-Unis. Ce sont des thérapies mises en oeuvre
par près d'un millier de praticiens (psychiatres ou psychothérapeutes)
qui, se basant sur les théories de l'apprentissage et du
conditionnement, conduisent le patient à se débarrasser
d'un symptôme en quelques séances. Exemple : un timide
sera, par une série d'exercices, invité à prendre
la parole devant un auditoire, puis à se faire remarquer
en public, enfin il chantera à tue-tête « Joyeux
anniversaire » dans une rame de métro bondée.
Une thérapie « efficace », disent ses praticiens.
Les adeptes des TCC, dont Mikkel Borch-Jacobsen et Didier Pleux,
deux auteurs du « Livre noir de la psychanalyse », reprochent
à la psychanalyse d'être « une idéologie
dominante qui véhicule des vérités contestables
». Leurre thérapeutique, « elle prétend
être une thérapie et guérir, alors elle doit
accepter d'être évaluée », ajoute Christophe
André, psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne à
Paris, car « on ne peut en 2005 dispenser des soins sans les
évaluer ». Evaluation, ainsi se nomme la hache de guerre
qui oppose si frontalement partisans des TCC et psychanalystes.
Les TCC sont évaluées depuis vingt ans par des études
anglo-saxonnes et donnent à cette aune des résultats
satisfaisants. Les psychanalystes refusent d'entendre parler d'évaluation.
Marotte comptable, disent-ils, arguant qu'il est impossible d'évaluer
une cure, fondée sur la parole, dont les effets thérapeutiques
peuvent être variés, invisibles, différés,
en tout cas inquantifiables. Evaluer la psychanalyse, c'est ramener,
selon ces petits-fils de Freud, la complexité de l'existence
humaine à un schéma mathématique pour contenter
les managers de la Sécurité sociale.
Freud a vieilli ? Si « Le livre noir de la psychanalyse »
marque une virulente étape, il fut précédé
de deux épisodes. En juin 2003, c'est l'amendement Accoyer,
du nom du député UMP qui vise à réglementer
l'usage du titre de psychothérapeute. Levée de boucliers
des psychanalystes. La loi sera votée, mais, faute de décrets
d'application, n'est toujours pas appliquée.
Deuxième étape, la publication en juin 2004 d'un rapport
d'expertise de l'Inserm qui, sur la base d'études internationales,
conclut que les TCC sont plus efficaces que les « psychothérapies
relationnelles », dont la psychanalyse. Et, coup de théâtre,
alors que ce rapport émane d'un organisme public à
la demande d'un service gouvernemental, le ministre de la Santé,
Philippe Douste-Blazy, le retire in extremis. Les psychanalystes
jubilent. Les partisans des TCC rappellent que ce rapport avait
pour origine la demande de plusieurs associations représentant
quelque 4 500 patients ne sachant trop par qui, comment et pourquoi
se faire soigner quand ça va mal.
Depuis, les armes se fourbissent. Pourquoi, réclament les
partisans des TCC, ne pas admettre que Freud a vieilli, qu'il s'est
trompé, que les neuro-sciences lui donnent tort et que leurs
thérapies soignent mieux que de sempiternelles séances
de divan où l'on s'épanche dans un silence complice
? Archifaux, répliquent les psys. Une personne phobique de
l'ascenseur, à laquelle les TCC auront enseigné comment
prendre l'ascenseur, aura évacué son symptôme,
mais l'origine inconsciente de cette phobie n'aura pas été
entendue.
Et le symptôme resurgira, prédisent-ils. « Les
psychanalystes sont aux abois. Nos outils sont simplistes face à
des souffrances complexes, mais ils obtiennent des résultats,
ajoute Christophe André ; et il m'arrive d'envoyer des patients
qui vont mal vers des psys. » La réciproque est rare.
Ce qui signifie, docteur ?
Interview : Jacques-Alain Miller
Le Point : L'amendement Accoyer puis le rapport de l'Inserm
et enfin ce « Livre noir de la psychanalyse », comment
expliquez-vous ces assauts de plus en plus virulents ?
Jacques-Alain Miller : Un livre comme ça, j'en voudrais
un tous les ans ! Ça fait l e plus grand bien aux psychanalystes
d'être régulièrement étrillés,
passés au crin ou à la paille de fer. Le président
Mao disait : « Etre attaqué par l'ennemi est une bonne
et non une mauvaise chose. » Constatons que la psychanalyse
existe très fort, pour être ainsi assiégée
depuis deux ans, aux niveaux politique, scientifique, et maintenant
médiatique. Il faut supposer qu'elle recèle quelque
chose de très précieux, dont les psychanalystes sont
les gardiens, éventuellement ignorants.
Pourquoi les psychanalystes refusent-ils l'évaluation comparative
des thérapies ?
Les thérapies comportementales et cognitives, les TCC, sont
des produits récents, formatés sur mesure pour aider
les gestionnaires de la santé à baisser les coûts.
Car l'enjeu de la dispute, c'est le marché du mental. Jusqu'où
«marchandiser» et «sociétaliser»
le mental sans cesser d'être une société de
liberté et un Etat de droit ? La psychanalyse est aujourd'hui
comme une enclave où ne vaut pas le ratio coût/profit.
Elle est d'autant plus nécessaire et d'autant plus attaquée
que le ratio de rentabilité gouverne tout le reste. La psychanalyse,
c'est comme Astérix !
La psychanalyse conduit-elle à la guérison
? Est-ce une thérapie ?
La psychanalyse a sans doute des effets thérapeutiques.
Pas question d'entrer « pour voir ». Il faut un désir
décidé, et que l'existence vous soit une souffrance.
Seulement, ces effets ne s'obtiennent qu'à condition de mettre
en question la notion même de guérison, car de l'humaine
condition on ne guérit pas.
Quant aux TCC, ce sont des techniques d'apprentissage et de conditionnement
et aucunement des psychothérapies. Elles ne tiennent compte
que du comportement observable et quand elles intègrent le
fonctionnement psychique, ce n'est qu'au titre du traitement de
l'information. L'efficacité du conditionnement a été
jadis mise en évidence par un esprit éminent, le soviétique
Pavlov, chez le chien. Agir sur l'homme par les mêmes moyens,
c'est horrible. Savez-vous que l'armée américaine
comprend des équipes spécialisées de comportementalistes,
désignées par l'acronyme BSCT, et qui opèrent
à Guantanamo comme à Abou Ghraib? Là il y aurait
matière pour un vrai « Livre noir » si quelqu'un
voulait bien s'y intéresser.
Mais dites-nous ce qu'est la psychanalyse ?
Une psychanalyse, cela consiste à par ler en roue libre,
à ne pas taire les idées qui passent dans la tête,
comme nous le faisons maintenant. Au fur et à mesure, dans
vos propres paroles, un autre sens prend consistance, vous surprend,
puis se délite, emportant le mal. En général,
on découvre à quel point on a été conditionné
par des éléments d'apparence infime dans des circonstances
hasardeuses : des choses de l'enfance, entrevues, certaines paroles
qui vous ont été dites, et l'on revient là-dessus
jusqu'à ce que la charge maléfique de ces éléments
soit détrempée. Chaque cas est différent.
Et comment définiriez-vous les thérapies comportementalo-cognitives
?
Voyez-vous, ce sont des dresseurs d'hommes, comme il y a des dresseurs
d'ours, de chevaux ou d'otaries. Ayant triomphé dans le dressage
animal, ils entreprennent de faire pareil avec les hommes. Seulement,
minute, papillon ! Chez l'humain, le rapport de cause à effet
«stimulus-réponse» est toujours déréglé
par ce qu'on appelle comme on peut : inconscient, désir,
jouissance.
Ce « Livre noir de la psychanalyse » est le fruit monstrueux
des noces du comportementalisme avec une bande de fameux braillards
haïssant Freud, en mouvement depuis vingt ans. Je me souviens
d'un qui, jadis, à New York, me poursuivait : « J'ai
ici toutes les preuves, disait-il en montrant sa sacoche, que Freud
couchait avec sa belle-soeur »
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m u l t i t u d e s - i n f o s
Liste transnationale des lecteurs de "Multitudes"
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