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Origine : http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=3089
Ça tangue sur les divans et les maîtres de l’inconscient
en ont la tête toute chamboulée. Le livre noir de la
psychanalyse, publié sous la direction de Catherine Meyer,
n’en finit pas de provoquer des vapeurs dans le monde feutré
de la psychanalyse.
Force est de reconnaître que ce brûlot au titre racoleur
ne fait pas dans la dentelle ; qu’on en juge plutôt
:
Dans un chapitre à l’intitulé provocateur «
Freud était-il un menteur ? » l’un des auteurs,
Franck Cioffi, assène cette sentence : « La vérité
c’est que le mouvement psychanalytique dans son ensemble est
l’un des mouvements intellectuels les plus corrompus de l’histoire.
Il est corrompu par des considérations politiques, par des
opinions indéfendables qui continuent à être
répétées uniquement à cause de relations
personnelles et de considérations de carrière ».
Les 830 pages de l’ouvrage, qui se prétend scientifique,
et écrit par des personnalités mondialement reconnues
pour leurs compétences, sont bâties sur le même
moule. La psychanalyse y est qualifiée de terrorisme intellectuel,
digne des ayatollahs, responsable de la mort de milliers d’individus,
constituant une activité facile dans laquelle on gagne plus
d’argent qu’en étant professeur de lycée.
Quant à Freud (http://pages.globetrotter.net/desgros/freud/),
les rédacteurs, qui se veulent savants en leur discipline,
emploient une terminologie hautement scientifique lorsqu’il
s’agit de qualifier le père d’une théorie
qu’ils vouent aux gémonies. L’illustre penseur
de Vienne est donc, tout à la fois, (je cite au fil de ma
lecture) : escroc, menteur, faussaire, plagiaire, misogyne, drogué,
cupide, incestueux, en un mot, Sigmund Freud serait une sorte de
dictateur, ayant dupé le monde entier avec une doctrine fausse,
il aurait éconduit ses brillants disciples, notamment Jung
et Adler, et acculé Victor Tausk au suicide. J’en passe,
et des plus affligeants !
Une haine épistémologique
Un tel aréopage de sommités chargées de traquer
l’imposture, au non de la vérité scientifique,
se devait de recevoir un relais à sa mesure. C’est
le Nouvel Observateur qui s’en est chargé, dans un
dossier constitué pour l’occasion, avec un titre n’ayant
rien à envier à celui, racoleur, du livre (pardon,
du réquisitoire) : « Faut-il en finir avec la psychanalyse
? » et pose la question « Pourquoi tant de haine ? »
Réponse dans le corps de l’ouvrage par l’un
des contributeurs, Jacques Van Rillaer : certaines haines sont légitimes
( ?) et ne sont pas (en la circonstance) sans valeur épistémologique.
Bref, l’objectivité chère aux hommes de science
(et de raison) est jetée, pour l’occasion, aux oubliettes.
Pour les besoins de l’argumentaire, on fait table rase des
nombreuses imprécisions ou contradictions peuplant ces propos
qu’un Saint-Just, au bon temps de la Terreur, n’aurait
pas reniés. Ainsi, « l’ignoble Sigmund »
était présenté (entre autres) comme pilleur
des idées géniales défendues par d’autres
(et l’on va remonter jusqu’à ... Platon) et,
en même temps, accusé d’avoir élaboré
une théorie aussi malfaisante que falsifiée. Mais
personne n’a relevé l’évidente contradiction
qu’une telle démonstration implique : se nourrir du
génie d’autrui, véhiculé parfois depuis
des siècles, et produire, simultanément, une pensée
stérile et inopérante ! Tout le reste est à
l’avenant.
Le prurit antifreudien ne date pas d’hier et est, de fait,
contemporain de Freud. Suivront, tout au cours du 20e siècle,
des périodes de contestation, de désacralisation et
de mise à l’index. En 1933, les livres de Freud ont
fait partie des autodafés organisés par Goebbels pour
lutter contre la « pensée dégénérée
». Plus proches de nous, dans la mouvance post-soixante-huitarde,
Foucault, Deleuze mettaient en doute le bien-fondé des théories
freudiennes. Sartre, déjà, se trouvait, sur la question,
sur la même longueur d’ondes qu’Alain, pour qui
le « freudisme est l’art de deviner ce qui n’est
point », bien que sa théorie de la mauvaise foi recoupe,
étrangement, celle de l’inconscient freudien (voir,
sur ce point, Sartre, l’improbable salaud
Sartre
http://www.arte-tv.com/fr/art-musique/selection-livres/Tous_20les_20livres/Litt_C3_A9rature_20fran_C3_A7aise/S_C3_A9lection_20livres/866140,CmC=866132.html)
Mais chacun le faisait en proposant des thèses soumises
au débat, et en cohérence avec la pensée énoncée.
Point d’insultes ou d’anathèmes.
Là où nous cherchons, en vain, une quelconque rigueur
méthodologique, le propos relève plus du pamphlet
ou de l’incantation.
Quant aux principaux auteurs, ils ont en commun de figurer parmi
les déçus du divan, comme Mikkel Borch-Jacobsen ou
Jean Cottraux, chantre des thérapies cognitives et comportementales,
qui nous explique, à longueur de pages, sa psychanalyse ratée,
avec la passion d’un amant éconduit.
C’est bien là que la démonstration pèche.
Car, à bien le lire, la téléologie du Livre
noir de la psychanalyse est de nous faire entendre que si la psychanalyse
est oeuvre de charlatans, les thérapies comportementalistes,
en vigueur dans le monde anglo-saxon, et héritières
des théories de Pavlov, seraient notre seul salut. A leur
actif, on peut apporter la preuve de leurs réussites dans
la résolution des symptômes ; en outre elles sont peu
onéreuses et courtes, contrairement aux psychanalyses. D’ailleurs,
à l’usage des sceptiques, quelques témoignages
nous sont servis pour l’occasion, certains sous le couvert
de l’anonymat ! Elles n’ont, par conséquent,
que des avantages.
C’est sur ce point que le débat, avorté hélas
par les auteurs, aurait pu être intéressant. Car l’humeur
du moment est à la norme, y compris dans la maladie mentale,
au matérialisme et à l’étalonnage des
comportements humains. En toutes choses, nous sommes voués
au culte du contrôlable et du résultat. La règle
a, depuis belle lurette, pris le pas sur le sujet.
A voir les annonces s’étalant dans les revues spécialisées,
ou le succès d’un magasine comme Psychologies, on constate
que le marché de la souffrance psychique est en pleine expansion.
De là à considérer cet opulent pamphlet comme
une arme de concurrence (déloyale ?) afin de miner le territoire
économique du concurrent (les psychanalystes) il y a un pas,
peu difficile à franchir. Et comme l’édition
est toujours prompte à emboîter l’air du temps,
cela donne ce genre de production littéraire où le
scientisme le dispute au marketing.
Une quête de sens.
Bien évidemment, les psychanalystes bon teint, un temps
groggys, ont sonné la charge et envoyé au front l’historienne
incontestée de la discipline, Elisabeth Roudinesco
http://www.lexpress.fr/info/sciences/dossier/psy/dossier.asp?ida=434806,
afin de remettre les pendules à l’heure.
Certes, la psychanalyse n’est pas sans reproche. L’opacité
du fonctionnement de ses écoles, ses querelles, autant intestines
qu’ésotériques, ne militent pas en sa faveur.
Pas plus que la « psychanalysation » du champ médiatique
qui voit tout plateau de télévision, tout journal,
investi par un « psy quelque chose » chargé de
nous délivrer la bonne lecture de l’évènement
ou de l’homme du jour.
L’apport de la psychanalyse a enrichi, incontestablement,
les sciences humaines, mais celle-ci n’était pas destinée
à devenir un objet de foire. En sortant, trop ostensiblement,
du champ de la cure, elle a perdu un peu de son âme.
Cette hargne pamphlétaire sera, peut-être, l’occasion
pour elle de revenir à ses fondamentaux ? Et à Freud.
La psychanalyse n’est ni une science ni un art, plutôt
une zone d’entre-deux où se questionne le symptôme,
un parcours initiatique menant l’homme à la découverte,
et à l’acceptation, de sa vérité. La
guérison, si guérison il y a, vient de surcroît.
Ni Freud, ni Lacan (traité de gourou par les auteurs du livre)
n’ont dit autre chose.
Dans un monde où la quête du sens est enfouie dans
le tonneau des Danaïdes, la psychanalyse reste, avec la philosophie,
le seul lieu qui explore encore les questions ontologiques. En ce
sens, elle constitue une discipline originale, ne pouvant s’apparenter
à la seule médecine, et contribue à ce que
chaque homme puisse inventer son chemin.
Au-delà de ce tintamarre médiatico-éditorial,
il reste des souffrances singulières, de plus en plus nombreuses,
qui ne se posent pas la question des chapelles au sein desquelles
la guérison, ou tout au moins le mieux-être, sera consacré(e).
Et il y a, encore, des hommes qui sont là pour y répondre,
au-delà, et au mépris, de tout anathème et
de toute polémique.
Catherine Meyer et coll. - Le livre noir de la psychanalyse (Les
Arènes - 830 pages - 29,80 E)
N. B. Le traitement du dossier dans le Nouvel Observateur a fait
un tel tollé, notamment parmi les lecteurs, que Laurent Joffrin,
directeur de la rédaction, a du faire une mise au point le
15 septembre 2005
http://permanent.nouvelobs.com/culture/20050914.OBS9217.html
Article rédigé par Bernard Lallement
AgoraVox : le journal media Citoyen
Bernard Lallement
Proche de Jean-Paul Sartre, avec lequel il a fondé le quotidien
Libération, Bernard Lallement est essayiste, éditeur
et critique littéraire à Paris. (...)
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