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Origine : http://www.liberation.fr/page.php?Article=324407
Péremptoire : «Moi, j'applique à la lettre le
principe de l'historien Vidal-Naquet. On ne discute pas avec des
gens qui veulent vous tuer. On parle d'eux, sans eux. Pas de débat»,
s'enflamme Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse.
Agacé : «Ce débat ne m'intéresse pas.
C'est vieux, aigri, cela ne rend pas intelligent. Revenir sur comment
Anna Freud, la fille de Freud, a caviardé les propos de son
père... Tout le monde le sait, cela m'emmerde», poursuit
Laurent Levaguérese, qui dirige le site OEdipe, portail de
la psychanalyse.
Lointain : «Attendez, je n'ai pas le temps», murmure
de sa voix de vieux sage René Major, grande figure du milieu.
«Tout cela est médiocre.» Certes... Mais depuis
la sortie, le 1er septembre, du Livre noir de la psychanalyse, c'est
tout feu tout flamme.
«Une rare violence». Et la guerre est repartie de plus
belle entre les fils de Freud et les tenants de pratiques psychothérapeutiques,
dites comportementalistes ou cognitives.
«Cet ouvrage est ignoble», tempête Elisabeth
Roudinesco dans une note de lecture pour le site OEdipe. «Les
freudiens sont mis en accusation. Sont brocardés avec une
rare violence tous les représentants du mouvement psychanalytique
depuis ses origines. Les chiffres sont faux, les affirmations inexactes,
les interprétations parfois délirantes. Les références
bibliographiques sont tronquées et l'index est un tissu d'erreurs.
La France et les pays latino-américains sont traités
de pays arriérés, comme si la psychanalyse y avait
trouvé refuge pour des raisons obscures alors même
qu'elle aurait été bannie de tous les pays civilisés.»
L'heure est donc grave, comme l'écrivait encore le psychanalyste
Daniel Sibony dans Libération cette semaine. D'autant que
cet affrontement est devenu particulièrement violent depuis
trois ans, avec l'épopée de ce que l'on a appelé
l'amendement Accoyer. Résumé des épisodes précédents...
Automne 2003, un député UMP, médecin de formation,
s'étonne que n'importe qui puisse mettre une plaque sur le
bas de son immeuble pour se déclarer psychothérapeute.
Il veut «bien faire». Il dépose un amendement
pour réglementer le titre de psychothérapeute (Libération
du 25 octobre 2003). Dans sa première version, le bon docteur
Accoyer inclut dans cette réglementation les psychanalystes.
Fureur d'une grande partie de ces derniers, qui rappellent que Freud
et ses descendants se sont toujours construits en marge de l'Etat
et des pouvoirs publics. Et que leurs disciplines et pratiques s'autoréglementent
autour d'écoles. Après moult réunions et assemblées
générales, mais aussi grandes envolées lyriques
contre la mainmise des experts et des évaluateurs, un texte
anodin est finalement adopté par le Parlement qui exclut
les psychanalystes du champ de cette réglementation (1).
«C'est une honte». Fermez le ban ? Pas tout à
fait... A l'occasion d'Etats généraux de la psychanalyse,
en février dernier à l'initiative de Jacques-Alain
Miller, gendre et éditeur de Jacques Lacan , le ministre
de la Santé de l'époque, Philippe Douste-Blazy, annonce
devant un parterre ravi qu'un rapport de l'Inserm (Institut national
de la santé et de la recherche médicale), qui entendait
comparer l'efficacité des différentes psychothérapies,
serait retiré du site du ministère. Ce rapport, qui
avait été rendu public un an auparavant, concluait
que les fameuses thérapies comportementales et cognitives
(TCC) avaient une efficacité incomparable par rapport aux
chemins mystérieux d'une cure analytique. «C'est une
honte. On n'a jamais vu un cas de censure scientifique, opéré
par un ministre de la République», ont aussitôt
protesté les auteurs dudit rapport, appuyés par la
direction de l'Inserm et par les tenants des TCC.
Une telle polémique ne pouvait qu'attirer l'attention d'un
éditeur. Eté 2004, dans un restaurant parisien, Catherine
Meyer, ancienne éditrice chez Odile Jacob, déjeune
avec Laurent Beccaria qui a fondé les éditions des
Arènes. Le titre est déjà choisi : le Livre
noir de la psychanalyse. «Il n'y a pas que Freud dans la psychanalyse,
nous raconte aujourd'hui Catherine Meyer. Lors de ce repas, on évoque
l'hégémonie de la psychanalyse. Une spécificité
française, ou plutôt une exception française.
Et c'est cela qui nous a intéressés : faire une brèche.»
Elle poursuit : «Le projet a mûri. On s'est dit que
l'on allait faire une remise à plat. En lisant les ouvrages
de Mikkel Borch Jacobsen, historien de la psychanalyse, j'ai découvert
les incroyables mensonges et escroqueries de Freud.» Peu à
peu s'est dessiné un ouvrage collectif, regroupant un grand
nombre d'interventions de personnes mettant en cause Freud et la
plupart de ses descendants. Avec beaucoup de notes et de citations.
Menaces de procès. La violence et la confusion des attaques
sont telles que le milieu analytique traditionnel est, au départ,
désarçonné. Les hebdos s'en emparent, font
leur une, le premier tirage de 10 000 est épuisé.
On s'injurie, on se menace de procès. Aujourd'hui, plus de
20 000 exemplaires ont été vendus. De méchantes
rumeurs circulent, affirmant que les rares auteurs présentables
de l'ouvrage auraient été piégés. Ce
qui est inexact.
«Plutôt qu'un livre noir, j'aurais préféré
que l'on parle plutôt des pages sombres de l'histoire de la
psychanalyse», tempère Philippe Pignarre, un des auteurs,
d'ordinaire spécialisé dans la dénonciation
des pratiques de l'industrie pharmaceutique. Non sans raison, il
souligne combien le milieu analytique a tardé à «revisiter»
des questions importantes, telles l'homosexualité ou la culpabilisation
des mères, un temps jugées responsables de l'autisme
de leurs enfants. Il dénonce aussi un regard trop fermé
des psys sur la toxicomanie, ces derniers ne se souciant guère
qu'à l'heure du sida il y ait urgence à éviter
d'abord que les toxicomanes ne deviennent séropositifs. De
là à affirmer que les fils de Freud sont responsables
de la mort de milliers de toxicomanes... Sauf, évidemment,
à vouloir faire du bruit.
(1) Les décrets n'ont toujours pas été publiés
par le ministère.
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