|
Les TCC ne sont pas des psychothérapies
Pr Roland Gori
Professeur de psychopathologie à l’Université
d ‘Aix-Marseille
Pr C. Hoffmann
Professeur de psychopathologie à l’Université
de Poitiers
Pr Alain Vanier
Professeur de psychopathologie à l’Université
de Paris 7, psychiatre
Origine : http://www.oedipe.org/phorum/read.php?f=6&i=3337&t=3337
Date: 16-09-2005 02:12
Dans le contexte actuel du livre noir de la psychanalyse et du
rapport INSERM, il nous semble indispensable de clarifier la place
des TCC (les thérapies comportementales et cognitives) par
rapport au débat sur les psychothérapies et les psychothérapeutes.
Les TCC se présentent comme une technique de réhabilitation
des comportements ajustés à un milieu socio-technique.
De ce fait, elles ne peuvent pas prétendre au même
statut que les psychothérapies et elles se rapprochent davantage
de la rééducation , notamment, de celle de patients
cérébraux-lésés.
L’Association Française de Thérapie Comportementale
et Cognitive (AFTCC) présente les thérapies comportementales
et cognitives comme " un nouvel apprentissage " qui viendrait
rectifier un comportement pathologique, je cite, elles " (…)
ont en commun un support théorique : la démarche scientifique
expérimentale et les théories de l’apprentissage.
En situation clinique, un comportementaliste considère qu’un
comportement inadapté (par exemple une phobie) a été
appris dans certaines situations, puis maintenu par les contingences
de l’environnement. La thérapie cherchera donc, par
un nouvel apprentissage, à remplacer le comportement inadapté
par celui que souhaite le patient. Le thérapeute définit,
avec le patient, les buts à atteindre et favorise ce nouvel
apprentissage en construisant une stratégie adaptée
". Les TCC fondent leur autorité sur l’évaluation
qui montrerait une efficacité supérieure à
tout autre traitement chimique, psychothérapeutique ou psychanalytique.
Ce résultat serait vérifié par des études
" contrôlées " qui confirmeraient cette réussite
en particulier pour les phobies, les troubles anxieux, compulsifs
et sexuels, sans oublier " la réhabilitation "
des patients psychotiques chroniques.
Ces thérapies orientent leur action selon trois points :
selon les causes actuelles du comportement, selon le changement
durable qui est le critère majeur de leur évaluation,
et selon la reproductibilité des traitements par n’importe
quel thérapeute auprès de n’importe quel patient
pourvu qu’il manifeste le trouble identifiable de façon
objective.
Ces thérapies comportementales ne sont qu’apparemment
nouvelles. Elles existent en fait depuis Pavlov et Skinner, et ne
font aujourd’hui que bénéficier des apports
du cognitivisme qui, en permettant l’éclairage de la
fameuse boite noir du behaviourisme, leur donnent accès aux
idées de leurs patients, au-delà du comportement observable.
Pour l’essentiel, elles restent une technique de conditionnement
comme l’indique l’AFTCC et le rapport de l’INSERM
(2004) sur l’évaluation des psychothérapies,
nous le citons : " Les thérapies comportementales et
cognitives représentent l’application à la pratique
clinique de principes issus de la psychologie expérimentale.
Ces thérapies se sont fondées tout d’abord sur
les théories de l’apprentissage : conditionnement classique,
conditionnement opérant et théorie de l’apprentissage
social. Puis elles ont pris pour référence les théories
cognitives du fonctionnement psychologique, en particulier le modèle
du traitement de l’information. Les principes du conditionnement
classique (répondant ou pavlovien) sont fondés sur
la notion qu’un certain nombre de comportements résultent
d’un conditionnement par association de stimulis (…)
".
On l’aura compris, les TCC forment un ensemble de techniques
d’apprentissage, de conditionnement, bref de réhabilitation
à un milieu socio-technique, et non plus naturel, comme l’exprimait
déjà G. Canguilhem dans son article célèbre
Qu’est-ce que la psychologie ? , je cite : " Les recherches
sur les lois de l’adaptation et de l’apprentissage (…)
admettent toutes un postulat implicite commun : la nature de l’homme
est d’être un outil, (…) Et c’est pourquoi
il faut en venir à la question cynique : qui désigne
les psychologues comme instruments de l’instrumentalisme ?
".
La conclusion s’impose : les TCC ne peuvent pas prétendre
à un statut de psychothérapie, leurs méthodes
relèvent de techniques de réhabilitation à
l’image d’une rééducation de patients
cérébraux-lésés.
A distance de l’arène médiatique, il convient
de lever des malentendus produits par l’équivocité
et la polysémie du terme " psychothérapie ".
La psychothérapie traite le conflit psychique et procède
d’un soin psychique qui excède la logique médicale.
Depuis près d’un siècle, la psychanalyse a constitué
par sa méthode et ses concepts un référentiel
majeur des pratiques psychothérapiques. Au point que l’on
pourrait très justement considérer la psychothérapie
comme une " psychanalyse compliquée ". C’est-à-dire
qu’épistémologiquement parlant on peut circonscrire
la psychothérapie authentiquement psychanalytique à
la mise en acte de la méthode de la psychanalyse dans des
pratiques dont le cadre se doit d’être ajusté
aux spécificités des situations cliniques au sein
desquelles le psychanalyste œuvre. En somme, la psychothérapie
n’est qu’un cas particulier du travail psychanalytique.
Les choses se sont compliquées ces dernières années
pour au moins deux raisons liées au malaise dans notre culture
et à la part toujours plus grande que prend la logique iatrique
médicoscientifique dans la réhabilitation de "
l’homme performant " du néolibéralisme.
D’une part, les psychothérapeutes ont produit leur
propre malheur en demandant à notre culture une reconnaissance
sociale de leurs actes qui la désavoue structurellement parlant.
Ils sont, malheureusement, tombés dans leur propre piège
en devenant le symptôme de la civilisation dont notre société
est malade. D’autre part, l’évolution des pratiques
psychomédicales depuis plus de vingt cinq ans évoluent
aux Etats-Unies vers une psychologie " environnementale "
qui vise à promouvoir l’individu modelé à
l’image de l’entreprise néolibérale et
réduit à la somme de ses comportements. Ici point
d’ontologie, d’épistémologie, d’éthique
ou d’état d’âme… Ces psychologues
se veulent pragmatiques et l’évaluation n’est
rien d’autre qu’un simple calcul d’intérêt,
la spéculation d’un profit dans " l’esprit
du capitalisme " dont un Max Weber dénudait les racines.
Ces techniques de " rééducation " n’ont
que peu de rapport avec la psychiatrie biologique ou les neurosciences
avec lesquelles elles ne feignent d’avoir des affinités
que pour mieux porter des coups à la psychanalyse. Ces "
alliances objectives " se révèlent comme des
affinités sans assises épistémologiques. Ce
dont témoigne Le livre noir… où la psychologie
apparaît dans le mode grotesque dont Canguilhem prophétisait
les caractéristiques : " " de bien des travaux
de psychologie, on retire l’impression qu’ils mélangent
à une philosophie sans rigueur une éthique sans exigence
et une médecine sans contrôle".
1. Cf. le Site internet de l’AFTCC : http://www.aftcc.org/therapie.html
2. Cf., S. Thibierge et C. Hoffmann, A propos du rapport sur les
psychothérapies remis aux membres du Sénat, in Psychologie
Clinique N° 17, 2004, L’ Harmattan.
3. G. Canguilhem, " Qu’est-ce que la psychologie ? ",
Revue de Métaphysique et de Morale, N°1,1958.
4. G. Canguilhem, op. cit., p. 89.
5. R. Gori, M.J. Del Volgo, 2005, La Santé totalitaire.
Essai sur la médicalisation de l’existence. Paris :
Denoël.
6. P. Fédida, 2001, Des bienfaits de la dépression.
Eloge de la psychothérapie. Paris : Odile Jacob.
7. C. Stein, La mort d'Oedipe, Paris : Denoël, 1977.
8. R. Gori, 2004, " la surmédicalisation de la souffrance
psychique au profit de l’économie de marché
". Psychiatrie française, 4, 76-92.
9. A. Ehrenberg, 1991, Le culte de la performance. Paris : Hachette.
10. J. Lacan, Télévision, Seuil.
11. M. Foucault, Naissance de la biopolitique Cours au Collège
de France. 1978-1979. Paris : Seuil, 2004.
12. Cf. Hannah Arendt, (1958), Condition de l’homme moderne,
trad. G. Fradier, Paris, 1961, " Ce qu'il y a de fâcheux
dans les théories modernes du comportement, ce n'est pas
qu'elles sont fausses, c'est qu'elles peuvent devenir vraies, c'est
qu'elles sont, en fait, la meilleure mise en concepts possible de
certaines tendances évidentes de la société
moderne ".
13. G. Canguilhem, op.cit., p. 77.
|