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Origine : http://www.carmed.org/livre_noir3.htm
Un livre-événement relance la guerre entre
pro et anti
"Tout est faux dans ce livre"
(Source http://oedipe.org/fr/actualites/livrenoir)
Dans cet ouvrage, les freudiens sont mis en accusation : ils ont,
dit-on, envahi les médias à coups de propagande et
de mensonges. Sont brocardés avec une rare violence tous
les représentants du mouvement psychanalytique depuis ses
origines : Melanie Klein, Ernest Jones, Anna Freud, Bruno Bettelheim
(etc) et, pour la France, Jacques Lacan, Françoise Dolto,
leurs élèves et les principaux chefs de file de l'école
française (toutes tendances confondues, IPA et lacaniens).
Les chiffres sont faux, les affirmations inexactes, les interprétations
parfois délirantes. Les références bibliographiques
sont tronquées et l'index est un tissu d'erreurs. La France
et les pays latino-américains sont traités de pays
arriérés, comme si la psychanalyse y avait trouvé
refuge pour des raisons obscures alors même qu'elle aurait
été bannie de tous les pays civilisés. Je rappelle
qu'elle est solidement implantée dans 41 pays et en voie
d'expansion dans les pays de l'ancien bloc soviétique où
elle avait été interdite, ainsi que dans le monde
arabe et islamique.
La crise de la psychanalyse, qui est réelle aujourd'hui,
a des causes multiples qui ne sont jamais évoquées
par les auteurs, lesquels ont abandonné tout esprit critique
pour se livrer à des dénonciations extravagantes.
Freud est le plus attaqué : menteur, faussaire, plagiaire,
misogyne, drogué à la cocaïne, dissimulateur,
propagandiste, père incestueux, il est présenté
comme une sorte de dictateur ayant trompé le monde entier
avec une doctrine fausse. En somme, cette doctrine n'aurait pas
d'existence (elle est une “théorie zéro”)
puisque l'inconscient existait avant Freud, lequel aurait séduit
une humanité crédule en se prenant pour un nouveau
messie.
Freud est aussi accusé comme tous ses successeurs d'avoir
laissé ses patients dans un état de délabrement
atroce et d'avoir inventé de fausses guérisons. Tous
les mouvements psychanalytiques sont dénoncés comme
des lieux de corruption et les psychanalystes sont accusés
d'avoir commis des crimes : 10.000 morts en France, parmi les toxicomanes,
puisqu'ils auraient contribué à interdire des
traitements de substitution. Aucune preuve de ce goulag imaginaire
n'est apportée par les auteurs.
Les psychanalystes sont également accusés d'avoir
infligé de véritables tortures interprétatives
à des
parents d'enfants autistes en ignorant la causalité organique
de cette maladie.
Les responsables de ce livre noir appellent le grand public et
les médias à se méfier des traitements psychanalytiques.
Le titre est d'ailleurs éloquent : l'expression “livre
noir” renvoie à l'existence de complots ou de massacres
occultés. L'idée de “penser sans Freud”
signifie clairement que la pensée freudienne ne doit pas
être enseignée puisqu'elle est une fausse science.
Dois-je rappeler qu'elle figure au programme du baccalauréat
et qu'elle n'appartient nullement à la communauté
psychanalytique mais à l'histoire de la culture occidentale
?
Quant à la proposition “d'aller mieux sans Freud”,
elle signifie que les patients sont invités à quitter
leurs thérapeutes pour rejoindre ceux qui, aujourd'hui, seraient
les seuls à pouvoir guérir l'humanité de ses
problèmes psychiques : les thérapeutes cognitivo-comportementalistes
(TCC), (532 en France). Cette proposition laisse entendre également
que la psychanalyse serait dénuée de tout savoir clinique.
Veut-on signifier par là qu'elle ne serait pas à sa
place dans les départements des universités où
l'on enseigne la psychopathologie ? On peut se le demander.
Les psychothérapeutes de toutes tendances sont accusés
d'être les valets de la fausse science freudienne et les émules
de ses représentants. Ils sont pourtant appelés à
rejoindre les rangs de la véritable science (TCC) et de se
détacher des freudiens obscurantistes. Philippe Douste-Blazy
(prédécesseur de Xavier Bertrand) est brocardé
pour avoir retiré le rapport de l'INSERM du site du Ministère
de la Santé. Il est accusé d'avoir “prémédité”
son geste - on emploie d'ordinaire ce
terme pour un crime ou un délit - avec la complicité
de lacaniens fanatiques et intellectualisés, adeptes d'un
maître qui aurait poussé au suicide toute une population
de patients.
Les épreuves du livre ont circulé avant publication
dans les médias et à l'INSERM. Les familles d'enfants
autistes ont été appelées à saisir le
Comité d'éthique, non pas contre des charlatans dont
ils auraient été les victimes réelles mais
contre une discipline (la psychanalyse) et contre ses traitements
désignés comme nocifs. On fait donc le procès
de Freud et de la psychanalyse et non pas de personnes privées
présumées coupables d'abus. Jean Cottraux est l'un
des rédacteurs du rapport de
l'INSERM. Il se présente volontiers, sur son site et dans
la presse, sans en apporter la preuve, comme un interlocuteur privilégié
du Cabinet du Ministre de la Santé. Information démentie
par le Ministère.
Dans un sous-chapitre du Livre noir intitulé “Chronique
d'une génération. Comment la psychanalyse a pris le
pouvoir en France”, Jean Cottraux parle de lui-même.
Il raconte que lorsqu'il poursuivait ses études de psychiatrie
à Lyon à la fin des années 1960, il fut l'innocente
victime de la contamination freudienne. Il fut, dit-il, le témoin
de choses abominables dans sa bonne ville, en assistant, notamment,
à trois scènes atroces : une invasion de “visiteurs”,
comme il le dit. Il vit arriver un jour à la gare de Lyon-Perrache,
un monstre du nom de Jacques Lacan reçu par un étrange
professeur de philosophie, un peu ridicule, nommé Gilles
Deleuze. Et tenez-vous bien, les deux hommes se sont dit des sottises
: “Ah mon cher maître, quel plaisir etc.” Un autre
jour, il vit venir un autre visiteur aussi suspect, une dame, un
peu bébête, du nom de Françoise Dolto, et il
conserva de cette visite un souvenir effrayant : “elle avait
poussé un peu loin le bouchon”. Le troisième
visiteur qui inquiéta Jean Cottraux était un ogre,
un imbécile, une brute, du nom de Bruno Bettelheim. Après
avoir été ainsi visité, Jean Cottraux passa
quatre ans sur un divan. Au terme de ce calvaire, il “a jeté
aux orties le froc analytique” et maintenant il est un homme
heureux. Voilà donc ce qu'est pour lui l'histoire de la psychanalyse
en France, sa fameuse face cachée. Elle se résume
à l'autofiction d'un humble psychiatre de province (c'est
ainsi qu'il se désigne) qui a été la proie
de grands méchants loups et qui maintenant a découvert
enfin, avec les TCC, la solution à ses problèmes Président
de plusieurs associations privées qui délivrent des
formations en TCC, Jean Cottraux s'est donc remis de ses émotions
de jeunesse : il dirige un DU de TCC tout en étant le responsable
d'une unité de traitement de l'anxiété dans
un centre hospitalier de neurologie.
Un autre psychiatre, Patrick Légeron, a été
lui aussi terrifié autrefois par la contamination freudienne
en France. Et du coup, il livre une nouvelle version de “la
face cachée” de son histoire. Ses praticiens, dit-il
en substance, ont été dans leur ensemble si nuls et
si peu compétents qu'ils sont responsables collectivement
d'un formidable délit : la surconsommation de Prozac en France.
Il s'agit là, on l'aura compris, d'une admirable méthodologie
historique - fondée sur la notion de causalité unique
et d'explication à l'emporte-pièce - digne de Monsieur
Homais, et dont les historiens auraient dû se soucier. Pour
sortir de cet “effet pervers”, Patrick Légeron
appelle les malheureux patients, victimes des cures analytiques,
à quitter leur divan, à cesser de prendre des antidépresseurs
et à faire confiance aux TCC qui leur apporteront enfin une
solution à leurs problèmes.
L'ouvrage est rédigé par quarante auteurs et composé
de quatre parties. La tonalité générale
est celle d'un réquisitoire qui vise à réduire
l'individu à la somme de ses comportements et à dénoncer
toute tentative d'explorer l'inconscient. Une violente
diatribe contre la religion, et notamment contre le catholicisme,
auquel Lacan et Dolto sont rattachés, permet aux auteurs
de se situer, en France, à gauche de l'échiquier politique
et de jouer la carte du progrès contre l'obscurantisme.
Après avoir été traitée de science
juive et bolchevique par les nazis, de science bourgeoise par les
staliniens, d'obscénité par l'Eglise catholique, de
science boche par les Français, de science latine par les
Nordiques, la psychanalyse est donc devenue une science chrétienne
pour les nouveaux scientistes.
Dans les deux premières parties, “La face cachée
de l'histoire freudienne” et “Pourquoi la psychanalyse
a eu tant de succès”, sont rassemblés des textes
et des entretiens d'historiens majoritairement anglophones et connus
pour leurs positions dites “révisionnistes” :
c'est ainsi qu'ils se sont eux-mêmes désignés,
il y a vingt ans, en prétendant réviser les mythes
fondateurs de l'imposture freudienne. On les appelle aujourd'hui
aux USA les “destructeurs de Freud”. Ils sont minoritaires
et ont fini, à cause de leurs excès, par être
marginalisés après avoir voulu faire interdire, en
1996, la tenue de la grande exposition Freud de Washington, jugée
(à juste titre d'ailleurs) trop “orthodoxe”.
Mais est-il raisonnable de lutter contre l'orthodoxie d'une discipline
par des mesures d'interdiction ? Certainement pas. Et c'est pourquoi,
à cette époque, J'avais pris l'initiative avec Philippe
Garnier d'une pétition internationale contre ce type de censure.
Ces historiens révisionnistes détournent l'oeuvre
d'Henri Ellenberger (dont j'ai la responsabilité en
France et dont les archives ont été déposées
à la SIHPP) en faisant de lui un anti-freudien radical qui
aurait été le premier à démasquer les
impostures freudiennes. Ils s'approprient donc l'historiographie
savante, celle dont je me réclame - et qui est issue à
la fois d'Ellenberger, de Canguilhem et de Foucault - pour la mêler
à une entreprise de dénonciation qui n'a plus rien
à voir, ni avec l'étude critique, même sévère,
des textes théoriques, ni avec la nécessaire mise
à jour de l'histoire du mouvement psychanalytique : de ses
moeurs souvent compassées, de ses crises, de ses errances,
de sa propension à l'adulation des maîtres, de son
dogmatisme, de son jargon et de ses véritables années
noires (collaboration avec le nazisme ou les dictatures), évoquées
en une ligne de manière ambiguë.
Rien de tout cela n'est abordé dans ce livre, écrit
dans une langue dénonciatrice, et truffée d'une terminologie
évoquant les procès en sorcellerie : mystification,
imposture, possession, préméditation, assassinats,
meurtres, complots, etc. Tel est le vocabulaire qui revient sans
cesse sous la plume acerbe de ceux qui se présentent comme
de grands spécialistes de l'histoire des sciences, de la
médecine, de la psychiatrie, etc, et qui n'ont comme vision
de l'histoire que l'axe du bien et du mal : le mal, c'est Freud,
ses suppôts, ses curés, ses idolâtres, le bien
c'est l'armée vengeresse de ses détracteurs, attachés
à une médecine des pauvres et qui partent en croisade
contre l'arrogance médiatique et intellectuelle des méchants
psychanalystes dont ils imaginent qu'ils ont étendu leur
empire sur la planète entière à coups de protocoles
et de mensonges.
Je ne fais pas partie de ceux qui ont contribué à
la psychologisation de notre société. Je désapprouve
la manière dont les psychanalystes et les psychiatres de
toutes tendances s'appuient sur la doctrine freudienne pour prononcer,
dans les grands médias, des diagnostics foudroyants à
l'encontre de tel ou tel homme politique, comme ce fut le cas récemment
dans l'hebdomadaire Marianne (434, 13-19 août) : “Les
psys analysent le cas Sarkozy”.
Soucieux d'en découdre avec un Ministre détesté,
la patron de ce journal a fait appel aux “psys” pour
qu'ils déclarent, au nom de Freud, de la psychanalyse et
des classifications de la psychiatrie, que le Ministre de l'intérieur
était un psychopathe dangereux incapable de gouverner la
France. Que la psychanalyse puisse être invoquée, par
ses praticiens même, pour servir à un tel abaissement
du débat politique, a quelque chose de révoltant.
Revenons maintenant au Livre noir. En réalité, les
textes rassemblés par l'éditrice dans ces deux chapitres
sont des résumés de livres déjà publiés
en anglais, en allemand ou en français et donc parfaitement
connus des spécialistes de l'historiographie freudienne.
Ils sont pourtant présentés comme révélateurs
d'une vérité cachée. Dans la troisième
partie, “La psychanalyse et ses impasses”, celle-ci
est désignée comme une fausse science. Et c'est Van
Rillaer qui se charge d'instruire le procès en reproduisant
presque mot pour mot le contenu d'un ouvrage déjà
publié sur le même thème. Oedipe est un mensonge,
Lacan un bavard, la psychanalyse un délire ou une illusion,
Elisabeth Roudinesco un auteur qui écrit en jargon et qui
a oublié de dire que certains freudiens avaient été
nazis et que les fondateurs des TCC étaient juifs. Freud
est qualifié de truqueur de résultats, les psychanalystes
français de nouveaux jdanoviens.
A noter que plus aucune allusion n'est faite au livre de Jacques
Bénesteau, Mensonges freudiens, dont on connaît le
destin. Deux auteurs du Livre noir (Cottraux et van Rillaer) en
avaient fait l'éloge à plusieurs reprises. Enfin,
dans la quatrième partie, sont rassemblées des histoires
de victimes : Tausk, suicidé par Freud, Anna Freud détruite
par son père incestueux, Marilyn Monroe, suicidée
par ses psychanalystes. Suivent ensuite des témoignages de
mères d'autistes et de patients victimes de charlatans. Parmi
les autres victimes figurent tous les enfants de France. C'est à
Didier Pleux, psychologue et directeur d'une Association de TCC,
et spécialiste de la chasse à Dolto, que l'on doit
cette stupéfiante révélation, occultée
par les historiens officiels - je suis visée - et selon laquelle
la terrible visiteuse de Lyon (Dolto) serait responsable de la crise
de la famille occidentale. Elle aurait rendu tyranniques et impossibles
à éduquer la totalité des enfants d'aujourd'hui.
Ses héritiers - Caroline Eliacheff, Claude Halmos, Marcel
Rufo, etc - ne seraient, selon le quatrième auteur du Livre
noir, que les complices médiatiques de ce grand ratage éducatif
dont seules les TCC pourraient venir à bout. Notons que le
nom de ma mère, Jenny Aubry, ne figure pas dans cette liste
noire.
Le livre fait la une du Nouvel Observateur (en couverture), le
1er septembre 2005, avec bonnes feuilles, vignettes et extraits
sur les impostures de Freud. A l'intérieur du numéro,
un “débat” a été orchestré
par Ursula Gauthier - responsable du dossier, favorable de longue
date aux TCC - entre “celui qui croit” en la psychanalyse”
(Alain de Mijolla), comme révélation divine, et “celui
qui n'y croit pas” ou plutôt qui a cessé d'y
croire après avoir été un fanatique lacanien
“déconverti” (Van Rillaer). C'est à Ursula
Gauthier qu'a été confié l'article dit de “synthèse”
destiné à ouvrir enfin un grand débat en France
sur les vérités cachées, etc, etc...
On oppose ainsi, dans un prétendu débat objectif
(dans le genre pour ou contre la rotation de la terre), le représentant
d'une religion obscurantiste à un véritable savant
qui, après être descendu dans l'enfer d'une secte,
en est enfin revenu pour célébrer les bienfaits de
la science et d'un traitement nouveau testé et évalué
et qui prétend, par exemple, guérir la phobie des
araignées en dix séances en proposant à des
patients de se confronter d'abord à une araignée,
puis à un troupeau d'araignées : la main, le bras,
le corps entier. En lisant de telles choses, on se dit qu'il faudrait
suggérer au propagateur de ce fabuleux traitement de le tester
sur lui-même lors d'une émission de télé-réalité,
en direct et en présence d'une armée d'évaluateurs.
Le débat du pour et du contre a d'ailleurs été
organisé, ici comme ailleurs, pendant le mois d'août,
avec des psychanalystes qui, après avoir été
interrogés selon cet axe, ont pris la défense de la
psychanalyse sans avoir lu le livre. Certains n'avaient eu connaissance
que de quelques articles (sur épreuves). Ainsi la revue Psychologies
magazine (septembre 2005) a-t-elle déjà lancé
le “débat” à la une en opposant les pour
et les contre sur le thème : “La guerre des psys :
pourquoi tant de haine?”, ce qui laisse entendre que ce sont
les “psys” qui se haïssent entre eux et non pas
les auteurs d'un brûlot qui haïssent Freud et la psychanalyse.
La nuance est de taille car elle permet à ceux qui sont favorables
au livre de le valoriser en ayant l'air de conserver une “objectivité”.
Note sur le statut juridique de l'ouvrage Contrairement au Livre
noir du communisme (Laffont, 1997) qui était un livre collectif
réalisé par six auteurs (qui furent ensuite en désaccord),
Le livre noir de la psychanalyse n'est pas un livre d'auteurs mais
un livre d'éditeur comme l'indique son titre et le nom qui
figure sur la couverture. Il est l'oeuvre de Catherine Meyer qui
l'a réalisé pour les éditions des Arènes.
Cette éditrice n'est en rien une spécialiste de l'histoire
de la psychanalyse. Pour réaliser ce livre, elle s'est entouré
de trois collaborateurs (Borch-Jacobsen, Van Rillaer, Cottraux)
dont les positions violemment anti-freudiennes sont parfaitement
connues. Deux d'entre eux (Van Rillaert et Cottraux) n'ont aucune
compétence en matière d'histoire du freudisme. Le
troisième fait partie de l'école révisionniste
américaine (dite des “destructeurs de Freud”).
Le but de cette opération éditoriale est d'une part
de nuire à une discipline et à ses représentants
- dans un contexte de crise qui fait suite, en France, au vote d'une
loi sur le statut des psychothérapeutes - et, de l'autre,
de faire une opération classique de commercialisation. L'éditrice
a ensuite demandé à de nombreux auteurs de donner
des contributions à cet ensemble. La plupart d'entre eux
- comme d'ailleurs les trois collaborateurs - ont donné des
textes ou des entretiens, certes inédits, mais qui sont en
général un résumé de leurs propres ouvrages
ou la reprise d'articles déjà publiés et à
peine remaniés pour le présent ouvrage. Certains d'entre
eux ont donné des articles parus en anglais dans d'autres
ouvrages collectifs. Le livre noir est donc un montage ou un collage
éditorial de différents articles qui, pour la moitié
d'entre eux, n'ont aucun rapport avec ce qui est énoncé
dans le titre, dans la préface de l'éditrice ou dans
les déclarations des trois collaborateurs. Parmi les nombreux
auteurs qui ont donné leur accord à ce livre d'éditeur,
on constate que le contenu de leurs textes ne correspond en rien
à l'annonce faite par Catherine Meyer. Freud n'y est pas
traité de mystificateur ou de plagiaire et la psychanalyse
n'y est pas assimilée à une discipline criminelle
comme c'est le cas pour une dizaine d'autres articles ou entretiens.
Ainsi les articles de Joëlle Proust (sur les relations de la
psychanalyse et des neurosciences), de Patrick Mahony (sur les relations
de Freud avec sa fille Anna) et de Philippe Pignarre (sur les antidépresseurs)
- et dont le contenu était déjà connu avant
le présent ouvrage - ne participent guère à
une quelconque dénonciation des prétendus mensonges
de Freud.
Autrement dit, même si ces auteurs ont donné leur accord
pour figurer dans ce livre noir, rien ne permet de dire que le contenu
de leurs articles soit l'expression de la volonté destructrice
affirmée par l'éditrice et par ses trois collaborateurs.
Ajoutons que si l'on peut parler des crimes commis au nom du communisme
ou des crimes perpétrés par le colonialisme, ou encore
des complots orchestrés par des services secrets, il est
difficile d'imputer à la psychanalyse en tant que telle et
à ses représentants un génocide, des massacres,
des crimes ou des complots. Ou alors il faut le prouver. En revanche,
si des abus ont été commis au nom de cette discipline
- et l'on sait qu'ils existent - alors les victimes ont le devoir
de porter plainte devant la justice contre leurs abuseurs. Car dans
un Etat de droit, on ne peut pas faire le procès d'une discipline
ou de ses représentants à titre collectif, sauf à
ouvrir une chasse aux sorcières. On ne peut que porter plainte
contre des personnes.
Diffamations
Dans un article intitulé “Freud était-il un
menteur”, on trouve la phrase suivante sous la plume de Frank
Cioffi : “La vérité c'est que le mouvement psychanalytique
dans son ensemble est l'un des mouvements intellectuels les plus
corrompus de l'histoire. Il est corrompu par des considérations
politiques, par des opinions indéfendables qui continuent
à être répétées uniquement à
cause de relations personnelles et de considérations de carrière.”
Une telle affirmation est diffamatoire. Certes, elle ne vise pas
une association psychanalytique en tant que telle mais l'ensemble
du mouvement psychanalytique toutes tendances confondues, c'est-à-dire
toutes les associations qui se réclament historiquement de
la psychanalyse et de son mouvement. En conséquence, toutes
les associations mondiales ou locales qui se réclament de
la psychanalyse, de Freud ou de son héritage - freudiens,
annafreudiens, kleiniens, lacaniens ou Ego Psychology - seraient
en droit de se grouper ou d'agir à titre individuel pour
porter plainte contre ladite affirmation. Celle-ci vise non seulement
les membres des associations qui composent le mouvement (la carrière
et les relations personnelles) mais aussi les associations elles-mêmes
et la discipline dont elles se réclament.
De nombreux passages de ce livre sont également diffamatoires
et pourraient faire l'objet d'une expertise par des avocats. Il
serait sans doute préférable d'en rire tant la farce
est énorme. Mais, de nos jours, plus la ficelle est grosse
et plus la croyance est forte. N'oublions pas l'impact que peuvent
avoir dans l'opinion publique les livres qui dénoncent de
prétendues conspirations.
Les Arènes
Maison d'édition spécialisée dans la dénonciation
des dossiers noirs de tout. Parmi les publications, on trouve notamment
:
Noir Chirac (violente accusation contre le Président de
la République accusé d'avoir construit par carriérisme
une République occulte et d'avoir couvert les basses oeuvres
de chefs d'Etat africains pour préserver les secrets d'Etat
de la France). Noir procès (réquisitoire identique
orchestré par Jacques Vergès dans lequel trois chefs
d'Etat africains se plaignent, “au péril de leur vie”
des complots de “Françafrique”, c'est-à-dire
de la politique de Jacques Chirac. Négrophobie (même
thématique). D'autres thèmes, conspirationnistes sont
abordés : l'inavouable, les affaires atomiques, etc.
Commentaire
Je ne fais partie d'aucune association psychanalytique et je n'ai
pas l'intention de me mêler de la conduite de leurs affaires.
Mais je déplore que depuis tant d'années les psychanalystes
se soient retranché de la vie publique et de tout engagement
politique. Ils invoquent volontiers pour expliquer ce retrait le
fait qu'ils se concentrent sur leur travail clinique, douloureux
et difficile. Cette attitude est respectable et compréhensible.
Elle prouve en tout cas que la grande majorité des psychanalystes
sont d'excellents cliniciens, et notamment les plus anonymes qui
ne font jamais parler d'eux dans les médias. Mais cette attitude
de retrait a fini par être néfaste. Car en refusant
de s'engager dans des questions de société, et en
laissant la place à ceux qui déshonorent la discipline
par des diagnostics foudroyants ou des propos ridicules sur les
transformations de la famille, les moeurs et les nouvelles pratiques
sexuelles, ils n'ont pas contribué à la nécessaire
critique de leur propre doctrine, préférant se disputer
sur la scène publique dans des querelles interminables. Après
avoir, du moins en France, méprisé les psychothérapeutes
relationnels, issus d'ailleurs de leurs divans, les voilà
désormais confrontés eux-mêmes à ce qu'ils
avaient cru pouvoir éviter. Je souhaite que la nouvelle génération
psychanalytique ne se trompe pas sur la signification de ce Livre
noir qui connaîtra le sort de tous les brûlots de ce
genre, au même titre que les Impostures intellectuelles de
Sokal et Bricmont ou que L'effroyable imposture de Thierry Meyssan.
Mais quoiqu'il en soit, et compte tenu de l'impact qu'il aura sur
l'opinion publique, et notamment sur les patients en souffrance,
il nuira à l'ensemble de la communauté psychanalytique,
si celle-ci persévère à méconnaître
les querelles historiographiques et les débats de société
qui se sont développés, dans le monde entier, depuis
vingt ans et qui, d'ailleurs, ne touchent pas seulement leur discipline.
En effet, l'idéologie de la révision systématique
est l'un des éléments majeurs de cette pulsion évaluatrice
généralisée qui a envahi les sociétés
libérales et qui réduit l'homme à une chose
et le sujet à une marchandise, tout en prétendant
obéir aux principes d'un nouvel humanisme scientifique.
Élisabeth Roudinesco
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