Origine http://www.psychasoc.com/print_article.php?ID=324
Le psychiatre est partout et plus rien ne lui échappe si
ce n’est peut-être sa pratique, sa clinique. Le discours
ambiant projette sur le psychiatre des attentes relatives à
un savoir « immense » qui le met en place de répondre
à tout car il est vécu comme celui qui sait ou qui
doit savoir. Il est devenu le gourou des temps modernes et recueillir
son avis à tous les âges de la vie ou pour le moindre
événement est devenu une évidence.
Tout un nouveau champ d’intervention se présente à
lui, souvent attractif, qui le met en position d’une immédiateté
conjoncturelle, paradoxe premier pour un professionnel qui se veut
garant du respect du temps psychique et de la singularité.
Tout cela s’inscrit dans une évolution sociétale
où ce fonctionnement sur la fugacité, le savoir jetable
est un symptôme significatif de la mutation actuelle auquel
nous sommes confronté avec une mise en avant du processus
d’individuation.
Changement qui s’appuie sur la disparition des grands fondements
de légitimations tel le récit religieux ou politique
et l’arrivée de l’ère du marché
qui prétend prendre en charge l’ensemble du lien social.
Cette perte de repères, l’absence, pour beaucoup,
de références ou comme le précise Dany-Robert
Dufour (1) : « l’absence d’énonciateurs
collectifs crédibles » crée des difficultés
inédites dans l’accès à la condition
subjective.
Dans ce nouveau contexte d’autonomisation continue de l’individu,
quand on ne sait plus au nom de qui et de quoi parler cela devient
problématique et l’on est souvent désemparé
et épuisé par l’effort nécessaire pour
être toujours présent, « toujours à la
hauteur » et répondre aux sollicitations du quotidien.
On assiste alors dans ce chaos à l’émergence
et la prééminence de nouveaux discours où la
science fait référence et nous dicte nos conduites.
Mais il ne faut pas se leurrer ce n’est pas de sciences dont
il s’agit mais d’un certain discours de la science,
qui du fait du renoncement du politique s’inscrit dans le
modèle dominant, c’est-à-dire le marché
et plus particulièrement son réseau d’échanges
de marchandises et de valeurs.
Dans ce contexte, il n’y a plus qu’à assimiler
psychologie, psychanalyse et psychiatrie à une science pour
répondre à cette quête de réassurance
et surtout à l’insupportable du manque…
On a besoin de ce tiers symbolique, oracle nécessaire pour
être et se référer et alors on a tendance à
psychologiser tout notre discours comme si c’était
la seule voie pour donner du sens, pour refaire du mythe mais aussi
bien du discours totalitaire et du tyran.
Le « psy » est ainsi convié en tout temps et
en tout lieux pour parler et réguler tous les dysfonctionnements
sociaux et moraux : « Il donne la bonne parole… ».
Voici un exemple : une mère vient en consultation de CMPP
me parler de ses difficultés avec ses fils, préadolescents
de 10 et 12 ans, qui ne lui obéissent pas, ce qui implique
des conflits permanents à la maison.
Elle est seule pour les élever car elle est divorcée.
Le père est très peu présent et ses fils n’ont
pas voulu venir consulter avec elle.
Je l’écoute, on échange, j’essaie de
voir avec elle de quoi il s’agit plus précisément,
ce qu’elle en pense et comment elle se situe. Elle ne me répond
pas et ne me fait que des demandes d’avis et de conseils éducatifs
pour trouver une solution rapide.
Je lui signifie mon incapacité à trouver des réponses,
des pseudo-solutions sans qu’on prenne le temps d’élaborer
sur sa problématique pour essayer de comprendre les mécanismes
en jeu dans ce conflit. Je lui propose mon aide, mon soutien pour
essayer d’appréhender mais aussi soulager cette tension.
Elle me répond, qu’elle ne comprend pas que je n’ai
pas de conseils à lui donner pour résoudre dans l’immédiateté
ses difficultés familiales.
Elle a vu à la télé des « psy »
qui répondaient à tout et qui avaient des solutions
pour tout ! Elle a retenu qu’il fallait aller voir un pédopsy
dés qu’on avait une difficulté avec son enfant,
il saurait quoi faire…
On voit bien avec cela qu’il en faut peu pour glorifier notre
ego en nous faisant croire qu’on est indispensable. Mais aussi
que notre formation et notre signifiant « psy », là
pour le coup riche de toute une approche de l’inconscient
oh combien mystérieux, nous permettraient de répondre
à tout, de tout comprendre et pourquoi pas de tout guérir…
On ne peut être qu’impressionné par l’efficacité
du trompe l’œil qui ordonne le débat, tel qu’aucune
question de fond ne puisse être posée, mais qui nous
dédouane, voir nous déculpabilise, comme si «
le clinquant » de nos interventions ne risquait pas grand-chose.
Arrêtons-nous quelques instants justement sur le versant
médiatique et tout d’abord sur les sondages, outils
souvent controversés mais tout le temps mis en avant comme
références.
Un récent sondage a montré que les téléspectateurs
attendent en priorité, lors des actualités, des informations
sur la santé et la sécurité.
Cette préoccupation est reprise par tous et les marchands
d’informations rivalisent de propos à ce sujet, sachant
que pour faire vendre il faut la caution royale, la référence
obligatoire : l’expert.
Or le « psychiatre » est l’expert rêvé
. À l’articulation de la santé et de la justice,
et pour peu qu’il ait quelques titres universitaires ou des
livres à vendre, il devient alors celui qui sait et qui va
expliquer ce qu’il faut faire.
Cette question de l’expertise est devenue centrale dans la
construction de la légitimité des discours. Les médias
en particulier sont de très grands consommateurs de ces «
spécialistes » convoqués pour commenter les
événements. Mais qui peut prétendre être
expert ? De plus même quand on valorise leur savoir-faire
technique, on passe souvent au second plan la question tout aussi
centrale de leur indépendance.
Essayons de voir quelles méthodologies médiatiques
pour traiter ces événements et les inscrire dans cette
dynamique ?
- Il y a d’abord une dépolitisation au niveau du traitement
de l’information, avec un passage de la rubrique politique,
de celle des problèmes généraux de société,
vers les faits-divers.
- Un glissement qui s’inscrit dans une logique souvent de
sensationnalisme, de banalisation, évitant ainsi toute réflexion
ou travail d’enquête approfondi.
- Un matraquage médiatique avec moult détails orientés
vers des interprétations les plus spectaculaires possibles.
- Et enfin la déformation de la réalité qui
est une dérive découlant du tri qui participe aussi
à la co-construction et à la stigmatisation. Le risque
de déformation est omniprésent puisqu’il consiste
en une manière de découper le réel pour en
choisir la signification qui nous intéresse.
Cette pratique vient ainsi renforcer la sur-médiatisation
du manque de « sécurité » dans le monde
de la « psy » qui permet aux politiques de montrer à
leurs électeurs qu’ils sont soucieux de toujours plus
de sécurité.
Les politiques déploient d’autant plus facilement
leurs discours, les orientations qu’ils veulent faire passer,
qu’ils s’appuient sur des pseudos références
scientifiques avec en priorité : la psychiatrie.
L’utilisation du mot évasion pour parler de sorties
sans autorisation est significatif de l’évolution prévue
pour l’hôpital psychiatrique vers des centres fermés
pour « fous dangereux ».
« Quand on cède sur les mots, on cède
sur les choses » comme disait Freud.
Et l’on voit comment la prescription d’experts psychiatres,
en parallèle à une réduction de la folie aux
symptômes, s’inscrit dans cette démarche d’exclusion
et d’application de mesures d’exceptions.
Le psychiatre sera mis en demeure d’assumer la charge de
l’ordre public, de faire rentrer le porteur de symptôme
dans le rang ou bien d’en être écarté
définitivement.
C’est le risque d’une psychiatrie efficace, toute-puissante
dans une société qui nous promet du « tous pareils
» et exige de la même façon du « tous heureux
».
De la même façon qu’un médicament efficace
a des indications, des contre-indications et des effets secondaires,
il est important de rappeler que la psychiatrie ne sert pas à
tout et qu’elle peut dans des « mains » mal intentionnées
avoir des conséquences nocives.
La psychiatrie doit défendre ce qui la fonde, l’éthique
qui la sous-tend au lieu de s’éparpiller avec toutes
les commandes qui l’interpellent et qui l’écartent
de sa fonction.
Cette notion de prescription se retrouve aussi à un autre
niveau dans de nombreuses demandes de nos confrères ou collègues,
dans l’attente d’un savoir et d’une réponse.
On peut se demander s’il n’est pas surtout question
de faire disparaître au plus vite un ou le symptôme.
Ce qui ne veut pas dire qu’on ne doit pas s’occuper
du symptôme et essayer de soulager mais être psychiatre
c’est se questionner en premier sur ce qu’il en est
de ce symptôme.
Ce questionnement, on le retrouve pour chaque « psy »
dans sa pratique, avec ses propres références à
des normes, qu’il prend en compte pour une adaptation minimale
à la réalité. Chacun se réfère
à une certaine normalisation, ne serait ce qu’en qualifiant
par des signifiants un fonctionnement psychique anormal.
Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit quand je parle
de dérive normative, c’est un positionnement en tant
que maître qui dicte ce qu’il en est du bien pour l’autre.
Or le danger est de vouloir le bien de l’autre sans prendre
en compte la singularité de toute demande et sans se rappeler
qu’il n’est de vérité du bien que particulière
ou parcellaire.
On perçoit dans ce contexte, la complexité encore
plus grande de la demande. En effet, cette demande n’est pas
que la plainte et il y a fort à faire quand on sait combien
le névrosé tient à sa plainte, à son
symptôme.
Entendre la demande c’est prendre en compte la dimension
d’un appel et l’expression d’un désir.
Mais c’est aussi, comment un sujet pris dans un individualisme
forcené peut manifester sa difficulté face à
la pression de la commande sociale.
Le psychiatre est souvent prescrit et il ne doit pas être
dans un a priori avant d’avoir entendu ce qu’il en est
de cette demande, pour éviter une position de maîtrise
et de contrôle. Le psychiatre de par sa position, choisit
tout en respectant tant que faire se peut une neutralité.
En effet il choisit pour le patient une manière d’aborder
les choses, que ce soit celui de ne pas décider, qui fonde
une éthique sur le désir inconscient ou qu’il
décide de l’aider activement à le soulager de
ses symptômes.
Ceci montre l’importance et la complexité de la rencontre
singulière et comment toutes théories qui ne reposeraient
pas sur une clinique seraient désincarnées et dogmatiques.
La pédopsychiatrie en est le paradigme, dans le cadre des
consultations sachant que la particularité de l’enfance
est que cette situation excède largement l’intéressé
et concerne l’entourage au sens large.
Les demandes, qui peuvent venir de tous les horizons, sont souvent
liées à des injonctions sociales relayées par
les parents et il est important que les parents s’en fassent
le relais sinon celles-ci n’aboutissent pas.
Pour prendre l’exemple des CMPP, les parents arrivent avec
des demandes multiples : réassurance, avis, prescription
scolaire avec souvent une visée orthopédique plus
ou moins explicite. Il est important que le psychiatre ou le soignant
qui reçoit prenne en compte cette prescription, souvent de
l’école mais aussi de la famille, avant même
de travailler la demande. Prescription qui nous met à une
place qu’il faut clarifier, élaborer avec nos différents
partenaires ou les différents intervenants du système.
Réflexion, travail institutionnel mais aussi élaboration
individuelle de la place et la représentativité de
chacun dans le lien social et la commande sociale. Cela pour éviter
une confusion tant pour les soignants que les soignés et
aussi pour favoriser une inscription dans cette démarche
de l’enfant qui lui permette une différenciation des
lieux, des temps et des personnes.
Nous avons appris à faire avec les demandes et à
prendre en compte les différentes attitudes défensives,
opposantes ou autres qui se présentent à nous. Mais
il est toujours nécessaire d’insister sur le fait que
le travail sur la demande avec la famille est un des points fondamentaux,
et il est important pour l’enfant que ceux-ci prennent une
certaine distance avec la demande sociale.
De façon générale, la question posée
au psychiatre le conduit à prendre position sur ce qu’il
en est du sujet, du symptôme et du sort à faire à
celui-ci.
Dans ce temps de protocoles, d’efficacité et de rendements,
comment tenir cette place, ce temps et être garant de cette
rencontre sans être dans une dérive formatée
et normative.
Le fait que le psychiatre soit souvent « prescrit »,
cette quasi-injonction thérapeutique que vivent certains
de nos patients nous oblige à une grande rigueur et à
nous situer, à prendre position. On est confronté
à une tendance générale qui s’inscrit
dans le cadre d’un plan de santé mentale, d’une
démarche hygiéniste, sécuritaire et d’évaluation
qui ne fait pas que réduire notre pratique mais qui la modifie
radicalement.
Nicole Koechlin (2) rappelle que le plan pour la santé mentale
masque une absence de conception générale de la psychiatrie
du fait même de son intrication avec ce concept qui est indéfinissable
si ce n’est en termes de normes. Elle dit : « nous sommes
pris, comme l’ensemble de la société, dans un
modèle, qui obéit à des lois (la loi du marché
n’étant pas la moindre) dont la maîtrise nous
échappe. Quête de consensus immédiat qui s’impose
avant même de pouvoir poser une vraie problématique,
et de se questionner. Cela va avec une absence totale de mise en
perspective historique et le recours « massif » à
des grands fétiches non questionnable, tel Science, Qualité
et Autorité. Mais comment agir en l’absence de questionnement
? »
Que nenni ! « tout se vaut », tout à un coût
et donc tout est quantifiable et mesurable. L’évaluation
et les ratios n’ont-ils pas pour but, de mettre à distance
les vraies questions. Cette confusion fait l’économie
d’interroger le mot valeur voire même y substitue le
terme d’idéal, d’objectif pour justement faire
l’impasse des questions sur la valeur.
Évaluer, c’est « extraire (de) la valeur ».
Jean Jacques Lottin (3) nous le rappelle en précisant : «
Parlons en justement de la valeur et de ce quelle entraîne
comme non-valeur, c'est-à-dire : quand il s’agit d’évaluer
l’humain, quel peut être cette non-valeur ? Si ce n’est
l’humain lui-même… de plus, évaluer, n’est-ce
pas justement extraire de la valeur ! »
De quoi s’agit-il à travers toutes ces «
prescriptions » d’évaluation ?
Nous savons tous qu’évaluer en psychiatrie, comme
dans beaucoup d’autres secteurs, a pour ultime fin de démontrer
l’inefficacité et la non-rentabilité de cette
modalité d’action et, donc de préparer des licenciements
ou des diminutions de moyens.
Christophe Dejours (4) rappelle que « l’évaluation
est un procédé puissant qui médiatise les effets
pervers de l’utilitarisme et de la rationalité instrumentale
».
Les évaluateurs nous parlent du lien social et de son importance
en nous rappelant qu’ils ont le savoir ou plutôt le
savoir faire pour nous mettre à la norme.
« On se donne en donnant » dit Marcel Mauss et si l’on
donne c’est que l’on doit. L’idée est qu’il
faut donner sans attente de retour, qu’il y a perte de bien
dans le don et que c’est dans ce geste que se trouve précisément
fondé le lien social.
Marc Thiberge (5) précise : « Comme si le lien social
ne pouvait être établi que sur l’absence de contrainte,
l’idée qu’une société ne repose
pas sur la crainte du danger, ni sur l’utilité ou sur
le gain mais sur le sentiment d’appartenance ».
Une société est possible, si on reprend Mauss, Lévi-Strauss
et Ricœur, si la notion d’échange ne se cantonne
pas sur l’économiquement utile. Or notre société
tend de plus en plus vers la domination massive de la règle
marchande. On aboutit actuellement à une idéologie
où tout se vaut avec des valeurs qui ne sont plus du côté
de l’humain, du don « sans prix » et une sacralisation
de la marchandise qui vient annuler l’importance et le sens
du sacré avec une banalisation dangereuse. Cela vient abraser
le sens des mots et se fait un devoir de tout relativiser.
C’est sur ce terrain en rupture, en déperdition de
lien social que dans le cadre de la pédopsychiatrie, le médico-social,
à la mode actuellement, se voudrait comme point de liaison
sachant que la réalité des lois qui sont en place,
ne fait que diminuer le pôle soignant du médico-social.
Le glissement du Public vers le Privé laisse les responsables
du marché sans contre-pouvoir. Il n’y a plus de tiers
garant, qui protége et préserve d’une dérive
dans un risque de compétition concurrentielle perpétuelle.
Tout ce qui ne rentrera pas dans la norme et dans ce système
de valeur sera dans un premier temps répertorié.
(2) « Le réalisme gestionnaire sait bien nommer les
choses et les gens ; échec scolaire, caractériel,
opposition, refus d’intégration ou d’insertion,
etc. ; et ainsi par la nomination qui est essentielle pour la gestion
transformer en problème technique toute difficulté
psychologique ou sociale.
En nommant on classe, on met en place des causalités et
des explications justificatives et une réflexion, un débat
est clos avant même d’avoir eu lieu ».
Après l’entreprise de production de soins qu’est
devenu l’hôpital, on va créer l’entreprise
de régularisation sociale dans le médico-social.
Et, comme le dit Pierre Ginésy (6) : « Il est temps
de proclamer qu’avec une bureaucratie sanitaire prétendant,
pour notre santé, contrôler le moindre détail
de nos gestes et de nos habitudes, notre destin est par elle confisqué
».
Le psychiatre ne peut plus s’isoler dans sa tour d’ivoire,
replié sur sa prescription comme dernier instrument de maîtrise
face à la tourmente de l’évaluation et du contrôle.
En effet, le psychiatre est mis en demeure de cautionner, voire
de gérer, le dysfonctionnement social et de répondre
pour maintenir la paix et la cohésion sociale. Être
« coach », faire du « conflict management »
c’est-à-dire offrir une méthode générale
de médiation applicable à tout conflit. C’est
vouloir entraîner les psychiatres sur une dérive gestionnaire
des conflits qui consiste à considérer toute problématique
comme « un risque comme un autre » dont il s’agit
de réduire la probabilité d’occurrence. AZF,
les crash d’avion, un problème à l’école,
il n’y a qu’à voir comment les « psy »
arrivent en premier secours pour aider, rassurer, réconforter
voir permettre le deuil… Les personnes n’ont pas d’abris,
ont des problèmes financiers, matériels ou n’ont
pas de nouvelles, mais que nenni les « psy » sont là
pour leur permettre de parler et les écouter ! De plus les
caméras des médias sont prêtes pour diffuser
leurs analyses, oh combien pertinentes, et les faits n’auront
qu’à attendre… Et qu’en est-il de ces débriefings
délivrés comme des pansements, et qui viennent souvent
obturer la plainte, dans un politiquement correct ambiant…
Cette tendance à la prescription, à l’injonction
thérapeutique nous interpelle à une place d’expert.
Nous avons entretenu un leurre sur notre savoir et nous nous retrouvons
pris à notre propre piége en étant sommés
d’agir, de faire et de répondre aux attentes que soulèvent
les problèmes généraux de notre société.
Nous avons façonné une telle aura autour du «
psy » que le fait même d’être parlé
comme celui qui va intervenir aurait déjà un effet
et s’inscrit dans une prescription, un protocole efficace…
L’injonction thérapeutique, la commande sociale nous
amènent alors à un fonctionnement régi par
l’immédiateté de la réponse et des résultats
évaluables. Pression, projection difficile à assumer
tant pour le soignant que pour le soigné.
On voit bien apparaître le glissement dangereux de l’obligation
de moyen vers une obligation de résultats.
Nos pratiques n’ont pas à s’arranger de cet
état de fait et nous nous trouvons dans l’obligation
:
- De ne pas céder sur notre désir de soignant,
- De ne pas céder sur notre éthique de médecin
psychiatre,
- De défendre notre métier avec ses cadres de références
indispensables pour exercer notre art,
- De rappeler ce qu’il en est de notre champ d’intervention
et de ses limites.
Il est nécessaire de rappeler que ce ne sont pas des «
psy » qui disent tout et n’importe quoi sur tous les
sujets, mais des personnes en leurs noms propres, du fait de leurs
investissements personnels et de leurs réseaux.
La psychiatrie a un champ défini de compétence et
déjà dans ce champ, celui de la maladie mentale et
de la souffrance psychique, elle est confrontée à
une complexité qui la met souvent en difficulté, lui
impose beaucoup de modestie et l’oblige à un questionnement
permanent.
En accord avec le remarquable article de Pierre Ginésy (6)
sur la nécessité d’une « clause éthique
», on peut dire que : « la réforme de la santé
qui se met en place aujourd’hui ne consiste pas en une simple
technologisation de la médecine. Bien loin d’être
simplement technico-économiques, ces réformes sont
destinales et touchent à ce que Sophocle nommait “lois
non écrites“. C’est-à-dire à ces
lois qui s’imposent à toute société humaine
pour qu’elle reste digne de ce nom ».
Même si nous refusons encore de voir, et que nous le voulions
ou pas, nous sommes face à un choix auquel nous ne pouvons
nous dérober. Ce choix qui pose le refus ou l’acceptation
d’emprunter le chemin d’« être sans destin
», comme le décrit Imre Kertesz avec ce qu’il
en est des sujets réduits à des automates par le totalitarisme.
Marc Maximin
Notice bibliographique :
1 - Dufour, Dany-Robert .- L’art de réduire les têtes
.- Paris : Édition Denoël, 2003
2 - Koechlin, Nicole .- Psychiatrie scientifique : De la relation
de soin aux protocoles .- Le Forum Psychiatrie Santé Mentale
2005
3 - Lottin, Jean-Jacques .- L’évaluation, une nouvelle
maladie iatrogène ?.- In : Revue cliniques Méditerranéennes
: Psychanalyse et Psychopathologie Freudienne .- Édition
Erés, 2005
4 - Dejours, Christophe .- L’évaluation du travail
à l’épreuve du réel .- INRA éditions,
2003
5 - Thiberge, Marc .- Psychanalyses et pratiques sociales : inventer
! .- In : Les séminaires du mardi, Tome 1.- Champ Social
Editions, 2005
6 - Ginesy, Pierre .- Trop (Face au vertige biopolitique la necessité
d’une « clause éthique »).- Mars 2005
Résumé :
Les mutations, l’évolution sociétale viennent
interpeller de façon massive la psychiatrie comme tiers symbolique
qui pourrait donner du sens face à ces pertes de repères.
Les « Psy » sont de plus en plus soumis à des
« sirènes » attractives en tout lieu pour répandre
la bonne parole sous couvert d’un pseudo savoir qui leur permettrait
d’analyser, d’apporter des solutions et surtout d’essayer
de rassurer.
Ces nouvelles modalités se font souvent au détriment
de la clinique et surtout s’inscrivent dans une dominante
de la loi du marché à visée normative.
La déferlante des évaluations et protocoles vient
nous rappeler que, pour notre « santé, il est important
de tout classifier et contrôler.
Face à cette dérive dangereuse à laquelle
on nous demande de participer voir de cautionner il est nécessaire
de ne pas céder sur notre désir et notre éthique
de Médecin Psychiatre, en prenant position et en ne nous
dérobant pas devant les choix auxquels nous sommes confrontés
LES LIMITES DE LA PSYCHIATRIE Marc Maximin Pédopsychiatre
privé, psychanalyste, Marseille
Date : 02.03.2006
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