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Psychogénèse et symbolique du lien 1
Alcoologie
Docteur Daniel SETELLEN
Psychanalyste
Juillet 2005

Oroigine : http://www.medisite.com/medisite/spip.php?page=print_article&id_article=4041

S’il l’on exclu les alcoolismes liés à des pathologies nosologiques repérables dont la consommation excessives de boissons ne constitue qu’un symptôme parmi les autres et le traitement celui de la pathologie psychiatrique.

Ne devient pas alcoolique qui veut. Cela suppose une prédisposition d’ordre éducative ou génétique et un ou plusieurs évènements déclenchants.

L’alcoolisme, phénomène psycho-social

Il nous faut dans tous les cas considérer l’alcoolisme comme un phénomène d’ordre psycho-social qui se détermine à partir de 2 réalités complémentaires et en intéraction :

- La réalité psychique individuelle qui nous renvoie à l’édification et à la structuration de l’identité de chaque individu et à sa capacité relationnelle.

- La réalité extérieure qui est le fait de la rencontre d’un individu donné, à un moment donné de son histoire, dans la société donnée, avec le produit alcool. Cela nous renvoie au fait collectif social et politique d’une société donnée à un moment donnée à un moment donné de son histoire. Elle constitue l’élément déclenchant de l’alcoolisation et non la cause.

L’alcool, pansement d’une souffrance existentielle profonde

L’immense majorité des buveurs dépendants hommes et femmes se ressemblent dans la mesure où tous consomment à l’excès un produit mythique contenant de l’alcool. Produit dont ils deviendront plus ou moins rapidement dépendant. Produit qu’ils utilisent au départ comme un pansement d’une souffrance existentielle profonde, d’une dépressivité narcissique, d’un manque de confiance qui les gène au quotidien.

Mais aussi produit qu’ils utilisent comme médiateur d’une parole difficile, d’une capacité de lien à l’autre qui ne parvient pas à se faire rapidement.

Produit enfin qui les aide à fuir la vie réelle devenue insupportable.

En effet, nous retrouvons chez presque tous :

A partir de l’observation clinique :

- Une difficulté à communiquer par la parole et à utiliser les mots pour représenter et mettre en scène leur souffrance profonde, les angoisses existentielles communes aux humains. Tout se passe comme si les difficultés à mentaliser se déplacaient vers un comportement médiateur de parole au début, mais qui devient très vite seule expression de la souffrance et enferment au sens de l’isolement.

- Un vécu de manque originel, d’incomplétude, une carence ou un vécu carentiel innomable et irreprésenté.

- Une recherche, à travers la transgression, de la Loi symbolique qui leur a fait défaut.

Nous trouvons également, chez ces sujets :

- Des carences narcissiques primaires souvent importantes qui les conduisent à rechercher des relations annaclitiques de dépendance.

- Une relative pauvreté du fonctionnement imaginaire.

- Des grandes difficultés à pouvoir différer la satisfaction d’un désir.

Cela nous amène plusieurs réflexions :

- Chaque histoire est spécifique unique et différente donc chaque être est différent sur ce point.

- Cette difficulté à communiquer par la parole et avec les mots doit donc logiquement être en lien avec des troubles précoces de la maturation affective, avant l’acquisition du langage et de la capacité à symboliser et à représenter.

 



Psychogénèse et symbolique du lien -2-

 

Si nous regardons du côté de leur filiation et des repères identifica-parentaux proposés, nous retrouvons dans presque tous les cas :

- Des carences identificatoires parentales.
- Une mauvaise qualité des interrelations.
- Parfois des carences affectives.

Presque toujours une relative toxicité du milieu familial, lui-même mal libidinisé et ayant des difficultés à jouer un rôle de pare-excitation chez leurs enfants.

Nous avons dit : difficulté à communiquer par la parole et avec les mots.

Or, si l’on considère que l’être humain se construit et devient adulte à partir des multiples interrelations affectives, expériences heureuses et malheureuses, frustrations nécessaires et gratifications, vécus avec l’environnement familial puis social que nous appelons maturation affective.

Pour mieux comprendre : quelques éléments de psychogénèse :

Ce qui permet a un petit humain de se développer, de grandir, de se connaître, de se différencier, de se structurer de se reconnaître en tant que sujet, d’organiser son identité (son Moi), c’est la communication et les liens qu’il tisse progressivement avec son environnement et en premier lieu avec sa mère ou son substitut.

C’est de la qualité des inductions et des intercommunications avec l’environnement familial, de la sécurité affective (HOLDING et HANDLING WINICOTTIEN) de ce milieu que dépend la bonne organisation de la personnalité d’un sujet, (épigénèse interactionnelle des éthologistes).

Pour ce nourrisson le premier lien à l’autre (mère ou substitut) se fait par le sein et le biberon. Mais à la différence in-utero où tout est livré sans demander, ce sein ou ce biberon peut s’en aller, disparaître, n’est pas à disposition.

Le nourrisson qui se percevait jusqu’alors centre du monde, découvre les premières nécessaires frustrations et fait l’expérience de Soi .

Il n’est pas le centre du monde, il n’est pas tout puissant, il existe une réalité extérieure à lui, distincte de lui, séparés de lui (la mère, le père, la fratrie...).

Cela génère en lui angoisses et colères qui ne doivent pas se transformer en désespoir mais progressivement être mise au service de la libido grâce à l’interactivité affective maternelle suffisamment bonne, mais aussi capable de frustrer.

Peu à peu le bébé crée une articulation entre son imaginaire tout puissant et le réel frustrant mais aussi gratifiant. C’est l’étape de la symbolisation, décisive, totale qui conditionnera toute la fonction de communication.

Pour le dire autrement, le bébé se découvre différent et dépendant . Il vit l’expérience du manque primitif, celui de la mère qui n’est pas toujours à sa disposition et qui est l’amante du père. Il est dépendant de cet objet d’amour qui le satisfait, mais qui peu s’en aller, qui est autonome.

Il va intérioriser cet objet aimé (quand il gratifie) et haï (quand il frustre) et le protéger contre les pulsions agressives.

C’est l’Accession au symbolique, noyau du Moi, dont dépend la fonction de communication.

C’est l’Accession au symbolique, noyau de Moi, dont dépend la fonction de communication ;

Chassé du Paradis : Dès sa naissance le nouveau-né a besoin pour se développer de soins, d’amour et de stimulations positives. Son monde pulsionnel se confronte à la réalité extérieure = dure épreuve.

Il va devoir créer un organe de gestion entre ses besoins (expression de ses pulsions) et la réalité extérieure puisqu’il n’ y a plus (comme dans le ventre) de satisfaction immédiate.

C’est organe de gestion est le Moi. (Il est d’ordre CS, ICS, PCS).

Les scientifiques ont montré

Le développement du SN obéirait lui aussi au principe de la Sélection Darwinienne.

Quand un animal grandit, ses neurones se câblent ou obéissent à un plan déterminé par les gènes.

Mais la soudure entre deux neurones ne subsiste que s’ils fonctionnent dans un circuit, s’ils sont sollicités par l’environnement.

Exemple : les neurones visuels d’un NNE ne se connecteront pas s’il est plongé en permanence dans l’obscurité.

Il y a donc une sélection qui ne retient que les circuits pertinents, sollicités, pour l’individu.

Apprendre, c’est éliminer....

Joël de Rosnay



Psychogénèse et symbolique du lien -3-

Epigénèse interactionnelle

Ce nouveau-né n’est plus considéré comme un « Tabula rasa ». Il apporte avec lui dans son équation génétique (d’ordre phylogénétique) des éléments présymboliques non utilisables tels quels.

Pour devenir opératoires, ces éléments devront être éveillés et stimulés par des modèles imaginaires environnementaux. Ce qui aura pour effet de donner naissance aux premiers fantasmes ou plutôt formation fantasmatiques.

Ces premiers fantasmes de l’enfant induit par l’interaction avec l’environnement sont renvoyés sur cet environnement et vont déclencher dans les imaginaires de l’entourage des réactions affectives importantes au niveau relationnel.

L’environnement stimulé va renvoyer sur l’imaginaire naissant de l’enfant de nouveaux modèles fantasmatiques et ainsi complète et si possible intégrer (dans les cas heureux) les modèles antérieurs devenus efficients.

A nouveau l’enfant renvoie à l’entourage de nouvelles inductions imaginaires, etc... etc....

Ces mouvements de va et vient, d’aller retour ont été appelés par les éthologistes : epigenèse interactionnelle (J.COSNIER).

Ces mouvements ont été évoqués par M. KLEIN à propos de l’identification projective où elle insistait sur l’influence des inductions environnementales et des réponses environnementales (malheureusement seulement réduites à l’attitude de maternelle) dans ce jeu interactif chez le nouveau-né. Les premiers modèles imaginaires actives ne sont pas érotiques mais violents.

Les inscriptions libidinales symboliques existent phylogénétiquement, mais ne seront efficientes que dans un second temps après la mise en activité initiale de fantasmes violents. Les Kleiniens décrivent la première relation d’amour de l’ordre de la réparation donc secondairement et avec un but intégratif qui va peu a peu libidiniser la violence dont elle prendra l’énergie à son profit.

Le bébé a donc besoin d’une mère suffisamment bonne (P.C. RACAMIER) mais aussi capable de frustrer sans jamais abandonner. C’est de l’intériorisation de cet objet total maternel (Bon et Mauvais) que dépend la capacité à devenir un adulte dans l’altérité.
Que s’est-il passé chez l’alcoolique

Les aléas de la maturation affective sont nombreux et variés. Il y a donc de nombreuses raisons pour qu’un enfant se vive abandonné ou délaissé, avant qu’il ne soit capable d’éviter les blessures et les mutilations de sa personnalité.

Nous avons dit en préambule, que nous ne sommes pas dans la pathologie nosologique psychiatrique mais dans une faille de l’accession au symbolique, une défaillance des liens primaires, ayant entrainé des difficultés de communication et d’utilisation des mots pour exprimer, mentaliser et représenter les maux existentiels.

On peut penser que la fonction de relation a été perturbée par insuffisance ou défaillance de l’intercommunication parentale, par une défaillance des liens, mais aussi et surtout me semble-t-il par un événement familial extérieur plus grave, mais suffisamment grave pour détourner un temps le regard parental entrainant ainsi une rupture dans la continuité du lien primaire.

Cet événement peut-être différent et varié, mais il n’est traumatique qu’à travers l’incidence qu’il représente chez le parent et le détournement transitoire du regard qu’il entraine.

Ce peut être : - Un deuil,

Un divorce,

L’arrivée prématurée d’une autre grossesse plus ou moins désirée,

Mort d’un parent, d’un proche, etc...

Cette rupture transitoire du lien, ce détournement dans la continuité affective joue le rôle de traumatisme désorganisateur primaire irreprésentable puisqu’il se situerait avant l’acquisition du langage.

Des souvenirs traumatiques archaïques agissant comme marqueurs corporels puisque vécus avant l’acquisition du langage (donc avant la capacité de représentation et de mentalisation), engendrent des excitations pulsionnelles qui ne peuvent se lier à des représentations et perturbent de ce fait, les processus de maturation psychique et d’organisation libidinale du sujet (SHENTOUB et de MIJOLLAH).

Par ailleurs le reste de la maturation affective se poursuit. Mais il persiste une zone d’ombre, (une brique manquante dans un édifice en construction), un trou noir qui n’est pas libidinisé et demeure une menace permanente pour le Moi, pour l’unité du sujet.

Cette partie de Moi défaillante, fragilise le Moi tout entier et ne peut être représentée, nommée (puisque que le traumatisme se situe avant l’acquisition du langage).

C’est de la que nait, à mon avis, le sentiment d’incomplétude du buveur dont l’accession au symbolique a été défaillante de là le fonctionnement imaginaire et le deuil de la toute puissance, (renoncement à posséder l’objet total, c’est-à-dire la mère toute bonne et toute puissante) pour accepter de posséder et d’intérioriser l’objet réel mère suffisamment bonne (P.C. RACAMIER) ou mère ordinaire normalement dévouée (WINICOTT) capable de gratifier et de combler , mais aussi mère suffisamment mauvaise c’est-à-dire capable de frustrer.

Cela aboutit à une sorte de clivage de la personnalité avec une partie qui fonctionne et évolue presque normalement et aboutit à une adaptation pseudo-normale (faux-self) et l’autre partie inélaborée, inominée, mais menaçante pour le Moi et entrainant le sentiment d’incomplétude, la défaillance narcissique primaire, le besoin d’anaclitisme rassurant et de reconnaissance.

Nous sommes là très proche de l’organisation Limite ou Etat Limite bien décrit (par STERN, KERNBERG et Jean BERGERET).

A partir de cette souffrance constitutionnelle psychogénétique va s’organiser, en réponse, un mode d’expression :

Mental,

Comportemental
Somatique

Chez l’alcoolique c’est le mode d’expression comportementale qui prend le pas.

La valeur de la rencontre avec le produit va permettre :

La négation du travail de deuil fondamental (P.C. RACAMIER) indispensable : renoncement à la toute puissance.

Le remplissage compulsif permet de maitriser l’expérience du manque primitif (de la mère objet total) auquel il n’a pas renoncé. Cela lui donne l’illusion transitoire de la toute puissance narcissique dans une sorte de déni maniaque du manque.

« Vivre c’est d’accepter de manquer et de différer la satisfaction des besoins ».

Permet de nommer cette zone d’ombre, cette brique manquante, ce trou noir, de le remplir, de lui redonner des bords et entraine le sentiment jouissif de complétude.

L’alcool permet une jouissance indicible d’avoir enfin pu trouver un liant représentatif aux pulsions liées.

Il permet inlassablement de nommer d’exprimer cette partie inominée du Moi, facilitant ainsi la rencontre ou plutôt l’illusion de la rencontre à l’Autre et la communication ou plutôt l’illusion de la communication.

Ainsi le buveur avec son produit croit panser les plaies de sa pensée, mais se trouve piégé par le produit qui au lieu de le mettre en lien à l’autre, et de servir de médiateur de parole, l’enferme dans un isolement absolu sans autre possibilité que la dualité mortifère infernale :

Alcool - Sujet

Ce qui représentait initialement un espoir de liberté devient une aliénation suprême .

Enfin et pour terminer, car nous pourrions développer à l’infini cette hypothèse que la Clinique vérifie quotidiennement et dont les implications thérapeutiques qui en découle sont riches et évidentes, il nous faut reconnaître que cette psychogénèse que nous venons en quelques minutes de développer, n’est pas spécifique de l’alcoolisme mais s’applique de la même manière à tous les désordres psychoaffectifs :

Toxicomanie

Troubles comportements alimentaires = Boulimie = Anorexie

Frénésie de travail, de sport, de jeu, de sexe

Achats compulsifs

Abus de tranquillisants, café, chocolat, tabac, télévision, internet

Conduites suicidaires

Délinquances, psychopathie, etc...

Toutes ces conduites, banales et dangereuses, supportables (pour l’environnement) ou insupportables ont le même point commun au niveau de la psychogénèse.



Psychogénèse et symbolique du lien -4-

samedi 9 juillet 2005

PSYCHOGENESE DES CONDUITES ADDICTIVES

Il nous resterait enfin à déterminer le pourquoi du choix du comportement alcoolique plutôt que toxicomaniaque, frénésie de travail, délinquance etc.. pour lequel les interférences psychosociales ne sont pas négligeables et viennent compliquer le déterminisme éventuel du choix.

Enfin, il nous faut également préciser que tous les sujets sui s’inscrivent dans ce type d’organisation psychique ne deviennent pas pathologiques et que tout peut fonctionner tant que les aménagements protecteur du narcissisme restent opératoires. Il faut donc un aléa, un élément déclenchant qui effondre le système de défense mis en place. C’est toute la théorie de l’étayage que nous pourrions développer mais le temps qui nous est imparti ne nous le permet pas.
RESUME

L ‘auteur, psychanalyste, enseignant à la faculté au diplôme universitaire de 3° cycle sur les conduites addictives, ayant mis au point un protocole de cure reposant sur un contrat de confiance pour les sevrages alcooliques, montre à travers de son expérience clinique les points communs retrouvés chez tous les alcooliques hommes et femmes et dans leurs repères identificatoires parentaux. A partir de cette observation, et en référence à la littérature existante, il dégage une théorie psychanalytique de la psychogenèse de l’alcoolisme. Il apparaît comme la résultante de traumatismes archaïques, de défaillance des liens primaires, advenus avant l’acquisition du langage et ayant perturbé l’accès au symbolique. L’auteur montre enfin que tous les désordre psychoaffectifs, toutes les addictions ont la même origine psychogénétique ; le choix des conduites étant en lien, et en interférence, avec le milieu familial et le milieu social.


REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

(1) POTIE F., « Aides » ou une alternative possible à l’alcool, LYON, Thèse 1986

(2) GOMEZ H., La Personne Alcoolique, Paris, Dunod, 1999

(3) DESCOMBEY J.P., Précis d’alcoologie clinique, Paris, Dunod, 1994

(4) BERGERET J., La Violence Fondamentale, Paris Dunod, 1984

(5) BERGERET J. CHARAZAC P., GEBLESCO N., LAMOTHE C., SALI A. SETTELEN D. et al, La pathologie Narcissique, Paris, Dunod, 1984

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(7) GONDOLO-CALAIS F.,La femme et l’alcool, La documentation français, 1979

(8) MIJOLLA(de) A., SHENTOUB S.A., Pour une Psychanalyse de l’Alcoolisme, Paris, Payot, 1973

(9) SETTELEN D., Approche psychodynamique des violences à l’adolescence, in rey c ; ? Les Adolescents face à la violence, Päris, Syros, 1990

(10) BERGERET J., Les Toxicomanes parmi les autres, Paris, O. Jacob, 1990

(11) BERGERET J., Les Conduites addictives, in VENISSE J.L., Les Nouvelles addictions, Paris, Masson 1990

(12) LE VOT-IFRAH C., MATHELIN M., NAHOUM-GRAPPE V., De l’ivresse à l’alcoolisme, Paris, Dunod, 1989

(13) BERGERET J., La violence et la vie, Paris, Payot, 1994

(14) GOMEZ H., Soigner l’alcoolique, Paris, Dunod, 1997