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Subject: TEXTE
Date: Mon, 30 May 2005
Salut,
Voici un texte paru sur le site de la NEFAC (nord-est, fédération
anarchiste et communiste)
Lien origine : http://nefac.net/node/1737
Libres, lindas y locas / Libres, belles et folles
Je ne suis pas la femme de ta vie, parce que je suis la
femme de ma vie.
-Mujeres Creando
“Nous, les putes, voulons mettre au clair que ni Sanchez de
Lozada ni Sanchez Barzain sont nos enfants”, disaient les
pancartes des membres de Mujeres Creando (Femmes créant)
lorsqu’en septembre 2003, en Bolivie, eut lieu la rébellion
populaire contre la privatisation du gaz. Ainsi raconta Julieta
Ojeda, qui fut invitée à Roca Negra pour expliquer
comment, à l’intérieur de l’organisation
féministe, anarchiste et latino-américaine, elles
interpellent quotidiennement une société qui n’accepte
pas d’être questionnée par un groupe qui a comme
objectif le changement social.
Mujeres Creando est constitué de prostituées, de divorcées,
de lesbiennes, d’hétérosexuelles, de femmes
mariées, d’autochtones, de célibataires, d’universitaires,
d’artistes, de professionnelles… Et les pancartes qu’elles
arborèrent en septembre, à contre courant du reste
des manifestants, synthétisent –avec une lucidité
créatrice- la philosophie de cette vingtaine de femmes :
Toutes défendent les causes de toutes.
Elles rendent publique leur position face à la réalité.
Elles utilisent comme stratégie les actions dans les rues.
Elles donnent un sens intentionnel aux symboles et connotations
du langage.
“Femme, ni soumise, ni dévote. Libre, belle et folle”,
“Il est temps de passer de la nausée au vomie”,
“Femme, assez d’agressions, coups de pied dans les couilles”,
“Nous ne pouvons pas détruire la maison du maître
avec les outils du maître”, “Il n’y a rien
qui ressemble plus à un machiste de droite qu’un machiste
de gauche ou autochtone : le même pistolet (double-sens en
espagnol : le même pénis)”, “Nous exigeons
un duel entre Ben Laden et Bush et à nous qu’ils nous
laissent en paix”,… Les “graffitures” (mélange
entre graffiti et peinture) sont devenus une marque d’identité
pour ce groupe né en Bolivie en 1992 et qui décida
de lutter sur le territoire de tous: l’espace public. Les
actions dans les rues incluent des panels, des journaux muraux et
une publication qui est diffusée en criant dans un mégaphone.
Durant la rébellion de septembre, lorsque les mineurs ont
commencé à descendre de l’Alto et que les morts
se multipliaient, les militantes de Mujeres Creando ont peinturé
le devant de la maison du gouvernement avec du colorant rouge, pour
montrer leur dégoût face à l’assassinat
d’une petite fille par un policier lors de la répression
d’une protestation dans la communauté de Warisata.
L’étape suivante fut d’initier une grève
de la faim pour demander la démission de Sanchez de Lozada
et pour mettre sur pied une assemblée constituante. “Nous
pensions que cette manière de protester allait obliger une
réflexion autour du type de violence vécue, explique
Ojada, nous sentions qu’il était nécessaire
de proposer une autre méthode de lutte pour que le peuple
puisse résister.”
Et même si ces femmes sont systématiquement accusées
d’être violentes, elles ne revendiquent ni la violence
ni la lutte armée. Au contraire, elles légitiment
l’agressivité comme un outil parce que “c’est
une force d’affirmation de soi” qui permet aux femmes
d’assurer leur défense et d’avoir conscience
de leur volonté personnelle ou collective. On peut affirmer
son agressivité par un cri ou par l’usage de la parole
et du type de mots utilisés, par la créativité.
Maria, lesbienne, et Luz, prostituée, sont entrées
dans les bureaux du Défenseur des Droits Humains afin de
commencer la grève de la faim. “C’est un lieu
où on suppose qu’on respecte les droits humains mais
ils nous ont mis dehors à coups de pied, ils nous ont réprimé
et ils ont arrêté deux compagnes”, se rappelle
Ojeda, encore indignée. Et ce ne fut pas mieux lorsqu’elles
eurent recours à l’Assemblée pour les Droits
Humains : “Son président nous a dit que en tant que
femmes nous devrions être en train de collecter de la nourriture
et des vivres pour les mineurs.”
Un jour, l’organisation présenta à la télévision
des scènes où une main de femme peinturait, en plein
jour, les pénis d’un groupe d’hommes complètement
nus face à l’obélisque de La Paz. Au cours du
tournage, la police arrêta la directrice du programme, un
technicien et une des protagonistes en les accusant d’actes
obscènes et d’immoralité. “Si ça
avait été un homme qui peinturait des corps de femmes,
ils auraient dit qu’il faisait de l’art corporel. Cela
révèle la double morale qui existe.”
Le côté le plus provocateur du mouvement de Mujeres
Creando est probablement qu’elles aient révolutionné
le mode de militantisme, et de genre et de classe. Les initiatrices
du mouvement provenaient du milieu militant de gauche mais en constatant
que ce milieu recréait les mêmes modes d’oppression
que la société, elles décidèrent de
créer une organisation qui ne soit pas intégrée
à un parti politique et qui ne travaille pas à partir
d’une vision institutionnelle.
Elles posèrent le problème qu’en tant que militantes
de gauche et femmes, les seules tâches auxquelles elles étaient
assignées étaient celles de secrétaires, de
faire des affiches ou de servir de butin sexuel, indique Ojeda,
et qu’il n’y avait aucune place pour une revendication
en tant que femmes.
Elles cherchèrent aussi à se séparer de ce
qu’elles baptisent les “ technocrates de genre ”,
des femmes d’ong qui ont une vision maternaliste et un rôle
réformateur, et qui créent une relation verticale
entre bénéficiaire et bienfaiteur; elles s’occupent
de trois ou quatre thèmes spécifiquement féminins
–l’avortement, les droits reproducteurs et la maternité-
imposés par des organisations internationales, et elles dénoncent
rarement. Elles ne peuvent même pas assurer la transparence
de leurs organisations et ne rendent pas de comptes publics.
“Nous croyons que la lutte est intégrale et c’est
pour cela que notre groupe est hétérogène,
cela nous aide à approfondir l’analyse que nous pouvons
avoir sur le féminisme et la réalité bolivienne,
ajoute la sociologue aymara de 30 ans. Le féminisme, pour
nous, doit questionner le système patriarcal d’oppression
et ce système est à la fois social, politique, culturel,…
Nous ne pouvons pas réduire cette analyse à la seule
dichotomie homme-femme. Lorsqu’il est question de terre ou
de territoire nous sommes présentes, parce qu’il y
a des compagnes qui sont autochtones. C’est la même
chose lorsqu’on parle de prostitution ou de lesbianisme ou
de lutte de classes; parce que nous savons très bien qu’il
y a des femmes qui ont des privilèges de classe et qui en
jouissent sans les questionner, comme ce que fait la technocratie
de genre.”
Ojeda est convaincue que les femmes doivent former leurs propres
organisations, séparées de celles des hommes, parce
que c’est la seule manière de dialoguer dans des conditions
égales. “L’organisation mixte est un problème
et s’il n’y a pas de possibilités de respect
et de réciprocité alors ce qu’il reste à
faire est de parvenir à une autonomie propre aux femmes.”
Pendant qu’elle répond aux questions dans un hangar
de Roca Negra, la militante regarde avec insistance la porte de
sortie. Elle est attentive au groupe de personnes qui commence à
se rassembler dans l’attente de la conférence qu’elle
doit donner en ce samedi pluvieux. Rapidement elle se prépare
à sortir. Le sac qu’elle tient a été
confectionné dans l’atelier du café de la Carcajada,
le Centre culturel féministe que Mujeres Creando a ouvert
à La Paz. “Je ne suis pas la femme de ta vie,
disent les lettres étampées sur la toile blanche,
parce que je suis la femme de ma vie. ”
Tiré du journal Alterta! Le cri de la wawa
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