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Origine http://infokiosques.net/spip.php?article=330
"Ce que je sens, c’est que sous couvert de propagation
de la liberté, et de préservation de ce monde-ci tel
qu’on nous le vend, les portes s’ouvrent à la fabrication
de conditions idéales pour l’instauration de nouveaux
fascismes. Non seulement les micro-fascismes se développent
au niveau de l’appauvrissement des expressions affectives, loin
des luttes racistes et nationalistes, mais aussi des macro-fascismes,
structurels et systématiques sont en train de s’armer."
De La Liberté comme Ressort Oppressif
Par Berenice Kalo, membre en fuite du CUL, Décembre 2004.
« Qu’est ce que ça veut dire, devenir raisonnable
? Qu’est-ce que ça veut dire, devenir libre, une fois
dit qu’on ne l’est pas ? On ne naît pas libre,
on ne naît pas raisonnable. On est complètement à
la merci des rencontres, c’est-à-dire : on est complètement
à la merci des décompositions. Et vous devez comprendre
que c’est normal chez Spinoza ; les auteurs qui pensent que
nous sommes libres par nature, c’est ceux qui se font de la
nature une certaine idée. Je ne crois pas qu’on puisse
dire : nous sommes libres par nature si l’on ne se conçoit
pas comme une substance, c’est-à-dire comme une chose
relativement indépendante. Si vous vous concevez comme un
ensemble de rapports, et pas du tout comme une substance, la proposition
“je suis libre” est strictement dénuée
de sens. Ce n’est même pas que je sois le contraire
: ça n’a aucun sens, liberté ou pas liberté.
En revanche, peut-être a un sens la question : “Comment
devenir libre ?” » G. Deleuze
Le problème de la liberté renvoie traditionnellement
à celui du prisonnier, de l’esclave. Ma réflexion
actuelle me porte vers cette question comme une série d’ennuis
théoriques et pratiques que je ne parviens pas à résoudre
seul. J’aimerais mettre à plat ce qui tournoie en moi
à ce sujet, histoire de lancer quelques discussions avec
mes amis... Selon moi, la question de la liberté dépasse
les bornes de la détention et de l’esclavage sur deux
points, en gros :
1°) Le mot de liberté semble aussi et presque surtout
servir pour des discours propagandistes, autrement dit s’insère
dans des logiques de pouvoir précises et oppressives pour
les sujets-groupes ; et aujourd’hui on fait tout et n’importe
quoi au nom de la liberté.
2°) La liberté se sépare nettement entre : d’une
part un concept de liberté, d’autre part un sentiment
de liberté. Je me demande jusqu’où nous désirons
sentir l’esclavage plutôt que la liberté, et
j’aimerais distinguer les uns des autres les concepts de liberté,
libération, autonomie, indépendance, etc. de manière
à voir quel nom mettre sur le mouvement politique que poursuit
mon corps dans ses pratiques, ne me sentant pas du tout convaincu
de me battre « pour la liberté ».
A partir de ma faible culture historique et avec un effort de naïveté,
il me semble que nous vivons une époque particulièrement
libre, les conditions de la liberté en pays dits démocratiques
semblent l’aboutissement d’un certain progrès
politique. On sent réellement une marge d’action, on
sent des sphères sociales décloisonnées, du
moins en décloisonnement.
Acceptez les règles du jeu, et le reste suivra. Pack liberté
comprise. « Liberté, égalité, télé
», annonce la publicité pour PinkTV, programmes ciblés
pour homosexuels. On vote, on danse, on s’associe, on manifeste,
on informe, on pousse des coups de gueule, on pamphlète...
Pour prouver notre liberté, il suffit d’invoquer l’histoire,
le Moyen Age, l’Occupation, la Monarchie absolue... ou la
géographie, l’Afghanistan, la Chine, la Birmanie...
envoyer loin les yeux, construire les sentiments ailleurs, comparer
le pire pour s’autoglorifier. Le monde n’a jamais été
aussi libre.
Pendant que j’entends répéter que nous sommes
les plus libres, qu’il faut veiller sur notre liberté,
l’assurer, je sens monter toutes sortes de logiques de pouvoir
qui resserrent silencieusement nos fers, jusqu’à les
rendre transparents...
J’ignore si cela vient d’une paranoïa géopolitique,
mais je ne peux m’empêcher de me dire que pendant que
certaines formes de libertés se renversent pour être
mieux distribuées, les logiques de pouvoir transfèrent
leurs prises sur d’autres lignes. Ainsi de la liberté
d’expression ; le droit à la parole et les contenus
de discours ont été peu à peu élargis,
à doses mesurées, jusqu’à l’océan
d’expression libre que nous connaissons aujourd’hui.
Le dernier bastion du langage étant la forme du discours,
sévèrement protégée par les mœurs,
c’est-à-dire l’acceptation des affects par l’opinion
commune et l’orientation médiatique des codes de l’humeur.
« D’où ça parle ? » : de partout,
sans arrêt. Ma boulangère commente la guerre en Irak
au journal de 20heures et Bernard-Henri Levy me ré-explique
la paix pour la 86ème fois en tribune du Monde... Il suffit
de l’ouvrir pour se faire entendre. Ou d’avoir un truc
à vendre, de la camelote ou son corps, une opinion ou son
talent, c’est égal. Démocratisation de l’expression
opinée, resserrement des prises de décision. La parole
croule sous la communication et la libre expression, plus aucune
sélection, plus aucune valeur des conjugaisons sur les mondes...
pendant qu’on brame les valeurs de la République. La
parole politique se trouve neutralisée et l’expression
devient organe de pouvoir, loin de constituer une forme d’épanouissement
de nos puissances. Au §96 de son Manifeste sur la société
industrielle et son avenir, Unabomber écrit : « Pour
que notre message ait quelque chance d’avoir un effet durable,
nous avons été obligés de tuer des gens ».
Je me sens triste quand on me propose de perturber une conférence
ou un sommet à coups de sifflets et de tambours ; il me semble
qu’une action politique n’a aujourd’hui comme
espoir que les murmures de l’intime et le silence de l’action...
fini le temps de celui qui criera le plus fort, « L’important,
ce sera peut-être de créer des vacuoles de non-communication,
des interrupteurs, pour échapper au contrôle. »(1).
Idem pour la liberté de circulation, quand les flux gérés
ne circulent librement que dans des espaces publics humano-immunes
et préformés pour une surveillance et une orientation
rationalisées. Espaces publics de couloirs et de publicités,
espaces panoptiques et polis, où l’on expérimente
le contrôle des sens et des affects.
Espaces publics comme chantiers des pouvoirs sur l’odorat
(diffusion de parfums près des magasins), la vue (publicités
et lignes sèches des architectures), le toucher (les rampes
d’escalators lisses (2) comme une peau Nivea, et les marbres
des halls), l’ouïe (pollution sonore, messages intempestifs
par haut-parleurs, les musiques d’ascenseur) et le goût
(saveurs standardisées et cafés en distributeurs,
mode mondialisée H&M).
Espaces publics où je me sens dressée à éprouver
mes limites affectives : pas trop de cris, de gestes... pas de larmes,
pas d’éclats de rires, pas de rage, pas de fougue :
ma tête risquerait de dépasser du troupeau (3). On
observe ce renversement : pendant que le mot de liberté de
circulation est exalté, le libéralisme privatise les
espaces et les routes, les repos et la psychomotricité. Mais
surtout je désaffecte mes lieux de vie...
N’en déplaise à ceux qui chérissent
la liberté, il s’agit d’une valeur certifiée
conforme par le libéralisme et ses meurtres, le capitalisme
et ses génocides, la République et ses appareils d’Etat...
Rien ne m’étonne dans la libre circulation des marchandises
censée entrer en contradiction avec les frontières
protégées et assassines. Le réseau No Border
voudrait-il une égalisation des déplacements marchandises-personnes
? Mais ça viendra, n’ayons crainte, dès qu’une
personne sera traçable comme l’est une marchandise.
Les biopuces et les contrôles biométriques (4) feront
plus en ce sens que les luttes anticapitalistes. Le but n’est
pas selon moi une libre circulation des personnes, mais une autonomie
de notre rapport à l’espace, dans l’apprentissage
de constructions de lieux de vie. Le lieu n’existe pas a priori.
Il exprime la construction spatiale du sujet, son agencement des
puissances alentour, relativement à son projet. Un lieu exprime
toujours une volonté politique : les espaces vierges n’existent
pas. Ce qui ne fait pas lieu pour moi fait espace pour moi et lieu
pour d’autres puissances. Lorsque le lieu semble venu d’ailleurs,
alors on vit en mode répressif, dans un espace - public ou
privé : on peut parler d’espace a priori : cela signifie
qu’un lieu exprime la volonté d’autres puissances
qui ont organisé un lieu dans lequel nous agissons en vue
de leur projet, selon des technologies de pouvoir. Or c’est
dans cet espace - kantien - a priori que s’élaborent
les luttes contre les frontières. Vouloir détruire
les frontières, cela revient à vouloir niveler l’étranger
sur le soi, ou l’inverse. Le lieu exprime le champ d’action
d’une communauté de puissances.
La signalisation de l’espace : panneaux, feux électriques,
passages piétons, ponts, chemins, exprime la trace d’un
sens déjà donné : cette signalisation continue
les frontières historiques et étatiques. Faire plier
les frontières c’est constituer ma ville au lieu de
vouloir qu’elle soit organisée. Les meurtres des sans
papiers s’appuient d’abord sur des sentiments xénophopbes
locaux, puis, en langage d’élite sur « logiques
géopolitiques à l’échelle inter-étatique
» : autrement dit, ce qui est le plus politique dans le mouvement
No Border, ce ne sont pas les revendications ni les manifestations
mais ce qui se noue ou se construit dans les campements et se qui
s’épaissit ou se dissout quand chacun retourne à
sa vie collective ou séparatiste. La réappropriation
d’un lieu de vie signifie la volonté de rendre convenant
un lieu, autrement dit cela implique une remise en question du sens
de l’espace, et c’est ce que fait un campement. Mais
j’ignore encore comment vivre la permanence de tels campements,
nomades ou sédentaires, plutôt que leur répétition.
L’ici signifie le champ d’action des puissances proches
des miennes, inséré dans l’horizon de mes liens
affectifs directs.. L’ici signifie avant tout ce qui s’exprime
le plus en convenance avec moi : en général, il s’agit
des humains que j’aime. Si mon frère ou mon partenaire
vit à Londres, alors Londres exprime une part de mon ici.
On peut donc parler de lieu de conscience (pour ce qui est loin
mais me constitue) et de lieu de circonstance (pour ce qui m’affecte
directement) : le milieu que je perçois directement constitue
mon lieu comme champ d’action, sur fond du lieu-horizon (l’ensemble
de mes ici) où je m’exprime comme singulier et qui
correspond à l’ensemble des personnes, ou autres, que
j’aime. Vouloir s’impliquer pour sauver des personnes
que j’ignore, au nom de liberté ou du pacifisme, en
Irak, ou ailleurs, cela me semble non seulement dérisoire
mais directement issu de logiques de pouvoir à mon encontre,
parce qu’entièrement constitué d’ailleurs.
Vouloir la libre circulation des personnes en général
revient à se sentir perdu dans la complexité DU monde
et conduit par conséquent à vivre en mode répressif,
et en servitude volontaire, par sentiment d’impuissance et
peur des gros méchants super armés.
Tel est un des ressort du libéralisme, perdre dans la boue
du « tout se vaut » et du vouloir tout à la fois,
rengaine du nihilisme égalitaire ou libertaire. La devise
de certaines des Lumières, inscrites depuis sur les pièces
de monnaie : liberté, égalité, fraternité,
décline les concepts oppressifs par leur éclat. En
un mot comme en cent, invoquer la liberté à grands
bruits, c’est opprimer en silence, c’est tuer «
au nom » d’un principe transcendant et fallacieux ;
égaliser en droit c’est justifier l’écrasement
des minorités en acte, c’est donner aux plus riches
les meilleurs avocats ; socialiser par la fraternité c’est
vouloir regrouper les gens selon un schème familial, fraternel,
sanguin, c’est eugéniser les rapports humains. Si la
déclaration des droits de l’homme pose tant de problèmes,
c’est surtout par sa volonté de figer les devenir-révolutionnaires,
de substantialiser les oppressions et les répressions historiques.
Non seulement plus on les clame, moins on respecte les droits de
l’homme, mais surtout il faut toujours attendre l’inscription
dans la constitution, l’amendement aux droits universels pour
qu’une répression devienne réelle. Les recherches
publiques pour fabriquer des robots policiers par la firme Cybernetics,
dans la vallée de Chevreuse, près de Paris, ne constituent
pas légalement d’atteinte aux droits de l’homme
et à notre état libre. Ce n’est qu’une
fois qu’on se fera tabasser par des machines qu’on dira
qu’il y a un petit problème. La Raison en progrès
et la judiciarisation des hommes des Lumières marquent le
mouvement de formes d’oppression sournoises, car il faut toujours
attendre pour lutter : attendre que les brevets soient déposés,
attendre que les magistrats aient reçus l’ordre de
la loi pour empêcher les répressions ... (5)
Dans cette liberté absolue, tout est permis, et c’est
se montrer obscurantiste ou fanatique, réactionnaire ou suspect
que de dire « non », refuser d’ouvrir une porte.
Si le journalisme de détail reste possible, si l’investigation
fouineuse me semble encore à l’abri de l’exécution
sommaire (en omettant les exemples comme l’affaire Kelly en
Grande Bretagne), rien ne sert de courir ni de partir à point,
le travail de compréhension se noie dans l’indifférence
des consciences saturées. Au risque de reprendre la comparaison
de Locke, associant la conscience à un magasin, on pourrait
dire que le stock est plein, il déborde, en quantité
comme en intensités. Aucun temps pour organiser les pensées,
aucun moment pour hiérarchiser les critiques. Entre les bruits
des voitures et les messages du métro, entre les signaux
d’orientation urbains, les 39 codes mémorisés,
et dans tout ça penser à ma mère et rester
originale pour mes amant-e-s... Stiegler parle de crise écologique
de la conscience. Oui, oui... mais plus qu’une crise, puisqu’aucun
repos pour revenir sur la crise. Obligée de gérer
mes affects et mes amis... Cette obligation de rentrer en logique
gestionnaire de l’intime me pousse à croire que nous
vivons sur nos derniers retranchements.
Alors ils peuvent bien fabriquer des nanorobots, des robots policiers,
des armes nucléaires miniaturisées, des biopuces d’identité...
quel temps aurais-je pour questionner ces décisions qui me
contrôleront davantage demain ? et pourquoi les critiquer
si mon enquête tombe dans une case « à classer
plus tard » chez les gens que mon discours atteindra ? Quoique
cela crée parfois de l’intérêt de mettre
le doigt sur les nouveaux dispositifs de pouvoir, sur les nouvelles
technologies de contrôle, mais pour s’entendre dire
que nous vivons en pays libre et qu’on n’a rien à
se reprocher... On a beau ne rien avoir fait de « mal »,
refuser un test ADN lors d’une instruction, qu’on soit
innocent ou non, est passible de prison.
Pour Spinoza, la liberté ne se joue pas au moment de l’action,
car on est pris par l’action, il est trop tard, impossible
d’avoir tout prévu. Tout se joue dans ma mise en disposition,
dans mon entraînement à l’arrivée de l’évènement.
Ce n’est pas une question de jugement, mais d’évaluation.
Evaluation de mes possibilités, de mes désirs et préparation
pour l’effectuation de ces désirs et puissances. En
bref, cela veut dire que ce n’est pas de se savoir libre ni
de vivre libre qui compte, mais c’est la manière dont
les mondes s’agencent en vue de ce qui arrivera. Mon sentiment
est que nous sommes en train d’agencer un gros monde, géopolitiquement
simple dans ses antagonismes et complexe dans la justification,
l’explication de ces antagonismes. Ce que je sens, c’est
que sous couvert de propagation de la liberté, et de préservation
de ce monde-ci tel qu’on nous le vend, les portes s’ouvrent
à la fabrication de conditions idéales pour l’instauration
de nouveaux fascismes. Non seulement les micro-fascismes se développent
au niveau de l’appauvrissement des expressions affectives,
loin des luttes racistes et nationalistes, mais aussi des macro-fascismes,
structurels et systématiques sont en train de s’armer.
Alors on va me traiter de catastrophiste. Sauf que je ne dis pas
que ça va arriver, je ne prophétise pas : je dis qu’en
ce moment c’est en train d’arriver, que nous le construisons,
que c’est ce que nous désirons et ce que nous mettons
en œuvre au jour le jour. Je ne renvoie à aucun futur,
je dis que notre présent, la journée que je suis en
train de vivre devient fasciste.
Ce monde libre justifie a priori et prépare les pires totalitarismes
; les sociétés post-totalitaires sont celles qui ont
intégré le totalitarisme comme système, et
qui, après l’avoir refoulé, le rejouent plus
discrètement, incarné cette fois-ci (6). On sait que
le règlement des années sombres ne fut que spectaculaire
: procès des têtes pensantes, exécution des
fortes gueules et des moins malins ; mais que le gros de la police
vichyste est restée en place, pour ne citer que cet exemple.
Les mentalités et les sentiments fascistes sont restés,
ont compris que l’expression directe ne payait pas, et ont
patienté. Ce que nous vivons aujourd’hui, avec l’UMP
qui fait un congrès pour sacrer Sarkozy à 6 ou 7 millions
d’euros par exemple (7), c’est le fait que les pulsions
fascistes sentent un peu de marge, elles sentent que leur long travail
d’habituation en chacun de nous, leurs lentes constructions
xénophobes et surveillantes se sont cimentées dans
la société et dans les intimités. Elles peuvent
dorénavant se permettre quelques coups d’éclat,
quelque faste, quelques bavures : la machine discrète est
en marche. A toute attaque contre la techno-science, les directions
eugénistes du Téléthon, les champs d’O.G.M.,
la bureaucratie, on les entendra brailler « Fascistes ! Intégristes
! » comme pour nous retourner le compliment...
« Jeune fille, à ce stade je vous stoppe : si les
affects fascistes ont survécu aux jugements post-totalitaires,
les affects libertaires des résistants sont aussi bien présents,
et seront toujours là pour lutter contre la bête immonde
». A cela je répondrai par une question : les résistants
français se battaient-ils pour la « liberté
» ou pour des questions nationalistes et militaires - pour
la France, pour le Général ? et comment se fait-il
que si peu de résistance existe alors que de nouveaux fascismes
de contrôle surgissent, qui n’ont rien à voir
avec ce que l’on a connu ?
Pendant qu’en Amérique, pays de l’esclavage,
des capteurs de mouvement parsèment le sol, au pied du mur
qui sépare le Mexique des victimes du 11 septembre, en Europe
on continue de bâtir des villes forteresses, urbanisant une
lutte qui dépasse des classes mais oppose les désirs
organise la gestion des pulsions plutôt que d’en permettre
la maîtrise.
Hier, je me suis amusée à compter les caméras
rencontrées sur un de mes trajets courants : 34 caméras
pour un trajet de 40min, depuis celle de mon hall d’immeuble
jusqu’à celle qui orne l’entrée de ma
fac, en passant par celle de ma rue et celles du métro. Nous
vivons l’époque de l’1caméra/minute.
L’époque des propositions de service de sécurité,
nouvelle politique accroissant la nouvelle économie et les
nouvelles technologies (8). Pour chaque sphère de ma vie
des emplois plus précaires apparaissent en même temps
que des techniques matérielles de contrôle, certes,
mais aussi des emplois liés à la sécurité.
En plus des dispositifs purement techniques, je vois au jour le
jour s’amonceler des milices privées ou publiques autour
de mes gestes. Je vis cette époque où je peux voir
la différence, j’ai aujourd’hui 25ans, et quand
j’en avais 15 je ne voyais que des flics en uniforme. Ces
milices privées dont le modèle vient directement des
Etats-Unis (9) sont censées œuvrer au bien public. Mais
elles sont composées de personnes qui ont peur de perdre
leur emploi, et qui sont gavées de séries et de films
policiers ou d’action US. S’instaurant en cow-boys agressifs,
flics bad boys, justiciers mercenaires qui protègent ceux
qui les paient.
Nous vivons les années qui additionnent les micro-fascismes.
Ce qui ne signifie pas qu’on entend poindre les bottes noires,
mais plutôt que l’on travaille à l’acceptation
(10), à la résignation, ou qu’on dresse à
l’espoir.
Si les affects jouent dans les relations de pouvoir, d’une
part c’est par l’existence au sein des appareils d’Etat
d’une « machine abstraite qui organise les énoncés
dominants et l’ordre établi d’une société,
les langues et savoirs dominants, les actions et les sentiments
conformes, les segments qui l’emportent sur les autres »
(11). D’autre part, c’est par l’orientation des
affects selon des schèmes reconnus par les logiques de pouvoir,
codés pour nous faciliter la vie. Le pouvoir ne fonctionnant
pas du haut vers le bas mais de partout, je vois que les logiques
affectives de pouvoir ne peuvent se passer de notre bienveillance,
de notre désir de simplifier nos relations avec les autres
en usant de techniques de pouvoir : humiliations, voix fortes, moqueries,
rétention, etc. Enfin, nos relations sont traversées
de logiques de contrôle qui peuvent, pour l’instant,
permettre de caractériser les sociétés post-totalitaires
comme des micro-fascismes de contrôle. Contrôles dans
tous les sens : de l’Etat sur les citoyens, des entreprises
sur leurs employés, des écoles et des universités
sur leurs bambins, des magasins sur leurs clients, des couples entre
eux (dernier appel composé...), des amis sur leurs mœurs,
des groupes politiques sur leurs opinions, de soi sur soi (régimes,
calme-toi, ne crie pas trop fort en jouissant)... Qu’il soit
équipé de nouvelles technologies ou qu’il perpétue
d’anciennes surveillances, le contrôle rétrécit
le bocal de la liberté. Bocal dans lequel le poisson se sent
toujours libre, tant qu’il peut respirer et se déplacer
dans l’intégralité du volume d’eau qui
lui est imparti. Nos poissons occidentaux sont libres : de choisir
des nike ou des adidas, la gauche ou la droite, le cinéma
de quartier ou le multiplexe, la glace bio ou le Mr Freeze... Mais
si tu questionnes le bocal, si tu remarques son rétrécissement,
tu es un marginal ou un terroriste. La loi sur le terrorisme actuelle
est plus large que nos libertés : en tant que cela porte
atteinte au bon fonctionnement économique de la France, ne
pas consommer d’électricité, ou mettre trop
de temps à payer ses courses dans la queue d’une caisse
de supermarché pourrait légalement être soumis
à des poursuites pour terrorisme. Les terroristes sont partout,
dans les lois, dans les peurs des chefs d’Etat, dans les facs,
les gares, les centres commerciaux, les rues, partout... le plan
vigipirate s’étend sur l’ensemble du territoire.
Nous sommes tous des vigipirates. Rassurés par les contrôles
de sac dans les musées, les universités, les aéroports...
mais je me fais à chaque fois la même réflexion
: j’aurais une grenade dans mon sac, je serais passé
sans ennui ! Il nous faut ce spectacle du contrôle, cette
théâtralisation du fichage et du « laisse-moi
jeter un coup d’œil dans ton sac », sans cela on
resterait chez nous morts de trouille. Quel délice de voir
des mitraillettes dans la gare de Perpignan, 100 000 habitants...
Le mot de « sécurité » est déjà
incorporé par tous, repris dans le concept de lutte «
anti-sécuritaire ». Mais je ne vois personne combattre
la sécurité ; ce sont des luttes qui refusent le contrôle
et la répression politique, mais qui se laissent enfermer
dans un vocabulaire de pouvoir. Les mouvements contestataires, même
les plus radicaux en restent donc à un plan d’organisation
transcendantale. J’ai vraiment mal lortsque la réaction
- lutte directe contre des vigiles ou des murs - si nécessaire
et pertonente en tant que résistance, s’installe parfois
dans un régime de priorité, reléguant au secondaire
la construction de vies communes - c’est-à-dire singulières.
Je me déplace sur les soutiens aux expulsions sur simple
appel, je participe à des actions directes avec ou sans connaissance
de cause, je rencontre à Belgrade ou à Grignoble,
mais c’est à chaque fois avec ce goût amer, cette
sensation triste de remettre au lendemain l’action constituante
de l’université otonome ou la prise d’un squatt
pour habiter avec mes proches, constituer un champ de vie.
La pleine liberté des affects et des puissances, la décharge
à tout va, pour plus de plaisir, un meilleur bien-être,
un confort optimisé, une prise de risque débridée
: autant de modes du libéralisme existentiel qui donnent
prise au pouvoir, lui ouvrant les portes de l’intimité
et des corps. Si le contrôle vient d’ailleurs, tout
comme la mort, en revanche la maîtrise et le mourir, comme
styles de vie ne peuvent que se construire en groupes restreints
et affinitaires.
On se veut et se croit libre... demandez à n’importe
quelle personne qui n’a pas de menottes au poignets, elle
se sent libre. Le milieu libertaire et autonome est-il libre ? oui.
A condition de répéter que cette question et cette
réponse n’ont que peu de sens. La question de la liberté
relève de la métaphysique et des commentateurs sorbonnards
de Suarez ou de Descartes. L’essence de la liberté,
de même que définir l’homme selon la liberté
ne veut rien dire. La question ne se pose pas entre fatalité,
hasard et nécessité, mais entre ce qui arrive et ce
qu’on accepte. Je suis sans cesse prise dans des jeux qui
infirment ma liberté : jeux de séduction, jeux pulsionnels,
jeux langagiers, jeux d’imagination, etc. tout dépend
de ma manière d’accepter ces jeux qui ne sont pas des
jeux de pouvoir a priori, mais le deviennent par la force des choses,
c’est-à-dire tant que je ne les évalue pas.
Mais après questionnement, je peux très bien accepter
une autorité, une hiérarchie de compétences
ou de talents... Dans une réunion politique, toute libre
que je puisse me sentir, il existe des autorités et des hiérarchies,
en termes d’intelligences pratiques ou théoriques,
en termes de charismes et d’expérience, etc. ; vouloir
aplanir ces différences relève d’une illusion
qui voudrait que tout soit contrôlable dans une relation de
groupe... Il suffit peut-être de voir certains jeux et de
les accepter en tant que je ne suis pas toute puissante et que j’ai
des limites comme les autres en ont. Un groupe refuse les déséquilibres
de puissances ou les fige dans un code pouvoir (hiérarchie)
quand il refuse que chacun crée - et non trouve - sa place
au sein du groupe.
Tandis que la liberté ne vaut que comme abstraction, machine
abstraite, servant allègrement à des prises de pouvoir,
il me semble que le concept d’autonomie, non seulement prenne
davantage de sens dans mes pratiques, mais se passe volontiers du
concept comme du sentiment de liberté - qui n’ont de
sens que lors d’une mise aux fers effective. L’autonomie
signifie la mise en disposition de pratiques qui entravent la transcendance
du pouvoir, l’intrusion extérieure et non désirée
de modes de vie. Comme entraînement quotidien à des
pratiques de critique intellectuelle ou de talent manuel. Non pas
savoir mais savoir faire comme dit Beaumarchais, voici pour moi
la clé d’une libération toujours possible. Et
c’est bien le processus de libération qui prime sur
l’état de liberté.
Je commence à peine à lire Deleuze et j’aimerais
comprendre ses histoires de plans, car ils me semblent éclairer
la notion d’autonomie. 1°)Plan d’organisation transcendantale,
c’est-à-dire qu’on m’organise d’en
haut, et avant toute expérience que je pourrais faire, et
2°)Plan de consistance immanente, c’est-à-dire
qu’à partir de moi-même, ou de mon groupe-sujet,
j’expérimente, j’essaie de toucher la matière,
de sentir l’épreuve, je fais dans le consistant, dans
ce qui a de la tenue, de la durée intensive. Je me place
donc aujourd’hui avec cet agencement : je vis de manière
dépendante, non libre et en cours d’autonomisation
; j’essaie de parcourir le plan de consistance immanente de
mon groupe-sujet. Mes amis, mes proches, les sentiments et les corps
de ceux que j’aime restant la base friable de mon engagement
politique. Mais il n’y a pas que deux plans, j’ai essayé
de parler ici du plan d’espace disconvenant et du plan de
lieux de convenance ; des plans d’expression libres et des
plans de paroles autonomes ; aujourd’hui, je résume
l’autonomie à la capacité de faire non, sur
fond d’un « grand oui » : pouvoir sélectionner
ce qui m’arrive, ne pas céder à la moindre sollicitation
des puissances extérieures ou de mes puissances pulsionnelles.
Et j’aimerais finir ce texte en disant que je ne me sens
ni responsable ni fier de mon engagement politique. Si la liberté
pose problème, c’est au moins depuis Nietzsche et sa
critique de la responsabilité, comme construction morale.
Selon lui, on a inventé la responsabilité pour pouvoir
juger, pour pouvoir dire à celui qui gène la société
ou le groupe : « tu aurais pu faire autrement, tu étais
libre, mais tu as mal choisi. ». Je préfère
me dire que je fais ce que je fais par rapport aux rencontres que
j’ai connues, et aux directions vers lesquelles m’ont
portée mes affects. Et Amor fati. Je peux assumer mes actes,
mais pour être responsable, je laisse cela aux juges, qu’ils
soient fonctionnaires du ministère de la justice ou badauds.
J’assume mais sans fierté, car je ressens le problème
de la gloire ressentie par le sentiment de supériorité
politique ; gloire de la différence qui ne fait qu’attiser
en soi ce que l’on combat (12). Gloire politique quand on
croit avoir mieux compris le monde et ses relations. Alors qu’on
ne fait que voir par une autre lorgnette, qu’on prend d’autres
lignes de fuite.
Avec toujours cette impression de vouloir accélérer
le temps, d’abréger l’attente révolutionnaire.
Vouloir le grand soir tout de suite maintenant. Vouloir ressentir
la gloire de celui qui aura mené l’action décisive,
qui restera, comme sujet-groupe, dans les livres d’histoire.
Mais la révolution ne se décide pas. Elle se fait,
c’est-à-dire se construit. Ce qui compte, ce n’est
pas l’après révolution, ni le pendant, mais
d’être attentif à comment la sauce a pris - devenir-révolutionnaire
: qui fait quoi quand la tension monte, dans les deux camps... ?
Ce qui compte dans le mouvement d’autonomie, c’est qu’à
aucun moment on ne puisse se dire autonome comme on voudrait se
croire libre. Je vois de belles latitudes dans le sentiment d’autonomie...
« Enfin, l’ennemi majeur, l’adversaire stratégique
(alors que l’opposition de L’Anti-Œdipe à
ses autres adversaires constitue plutôt un engagement tactique)
: le fascisme. Et non seulement le fascisme historique de Hitler
et de Mussolini - qui a su si bien mobiliser et utiliser le désir
des masses - , mais aussi le fascisme qui est en nous tous, qui
hante nos esprits et nos conduites quotidiennes, le fascisme qui
nous fait aimer le pouvoir, désirer cette chose même
qui nous domine et nous exploite. Comment faire pour ne pas devenir
fasciste même quand (surtout quand) on croit être un
militant révolutionnaire ? Comment débarrasser notre
discours et nos actes, nos cœurs et nos plaisirs du fascisme
? Comment débusquer le fascisme qui s’est incrusté
dans notre comportement ? » M. Foucault
Notes :
1 : G. Deleuze : « Vous demandez si les sociétés
de contrôle ou de communication ne susciteront pas des formes
de résistance capables de redonner des chances à un
communisme conçu comme “ organisation transversale
d’individus libres ”. Je ne sais pas, peut-être.
Mais ce ne serait que dans la mesure où les minorités
pourraient reprendre la parole. Peut-être la parole, la communication
sont-elles pourries. Elles sont entièrement pénétrées
par l’argent : non par accident, mais par nature. Il faut
un détournement de la parole. Créer a toujours été
autre chose que communiquer. L’important, ce sera peut-être
de créer des vacuoles de non-communication, des interrupteurs,
pour échapper au contrôle. »
2 : Deleuze prône l’espace lisse contre le strié...
je ne comprends pas encore ; j’aime penser que le rugueux,
le strié, le montagneux échappent au contrôle
et à la normalisation.
3 :Adorno : « (Huxley) prend à la lettre la métaphore
schopenhauérienne de la nature produite en série.
Des troupeaux fourmillants de jumeaux sont fabriqués dans
l’éprouvette, cauchemar de doubles à l’infini,
tel qu’il fait irruption au grand jour dans la vie quotidienne,
dans la période la plus récente du capitalisme, avec
le sourire normalisé, la grâce apprise à la
charm school, jusqu’à la conscience standardisée
d’innombrables individus, adaptée aux industries de
la communication. L’ici et maintenant de l’expérience
spontanée, rongé depuis longtemps, est privé
de tout pouvoir : désormais, les hommes ne sont pas seulement
les consommateurs de produits fabriqués en série et
fournis par les trusts, mais ils semblent eux-mêmes être
produits par la toute-puissance de ces trusts et avoir perdu leur
individualité. »
4 : Le correcteur orthographique d’IBM ne reconnaît
pas ces deux mots : biopuce et biométrique... il me les souligne
de son petit rouge denté et narquois, l’air de dire
: « non, non, j’vois pas de quoi vous parlez ... ce
doit être de la science-fiction... comment ça s’écrit
déjà ? ».
5 : Libération sam. 4 déc : « “Quand
une affaire démarre, l’analyse du portable est devenue
un réflexe comme l’enquête de voisinage”,
explique un officier de gendarmerie. “La téléphonie
est impliquée dans 99 % de nos enquêtes de stups et
de braquages”, affirme un commissaire du Nord. Qu’il
s’agisse de déterminer un emploi du temps, un itinéraire
ou un réseau de relations, l’étude des appels
téléphoniques fixes et mobiles est devenue “un
recours quasi systématique”, selon un magistrat. »
(...) « Le réseau GSM est précieux pour les
micros espions. Il suffit d’une puce téléphonique,
la carte SIM et d’un peu de technique pour permettre à
un micro espion de fonctionner sur le réseau du portable.
Les enquêteurs peuvent donc l’écouter en toute
légalité en composant un simple numéro téléphonique
et profiter ainsi d’une meilleure couverture qu’un micro
classique. » (...) « La traçabilité téléphonique
a évidemment un coût : 70 millions d’euros sur
les 400 millions de frais de justice (analyses ADN, frais de fourrière
et de scellés...) engagés l’année dernière
par la chancellerie. “C’est le poste de dépenses
qui augmente le plus, explique un haut fonctionnaire. 70 millions
d’euros en 2003 contre 35 millions d’euros en 2002.”
Les opérateurs en téléphonie mobile sont extrêmement
peu diserts sur les réquisitions judiciaires : ils ne communiquent
ni leurs nombres, ni leurs tarifications. “On applique la
loi du 18 juillet 1991, on a une cellule qui s’occupe des
réquisitions judiciaires”, indique-t-on chez Bouygues
Télécom. (...) ». Et il ne faudrait pas penser
que ce type d’intrusions se résume aux suspects de
terrorisme ou de grand banditisme, puisqu’on peut utiliser
les informations privées pour un simple fait divers : «
Marie Leblanc trahie par son téléphone. Marie Leblanc,
23 ans, avait imaginé un luxe de détails pour décrire
aux policiers son agression imaginaire dans le RER D. Mais elle
n’avait pas prévu que son téléphone sèmerait
le doute parmi les enquêteurs. Le 9 juillet 2004, cette jeune
femme affirmait être montée vers 9 h 30 dans le RER
D en gare de Louvres (Val-d’Oise) avec son bébé
âgé de 13 mois. Selon ses déclarations, six
jeunes gens d’origines maghrébine et africaine, dont
trois armés de poignards, l’avaient bousculée
et lui avaient volé son sac. Elle affirmait que ses agresseurs,
persuadés qu’elle était juive, lui avaient tailladé
les cheveux, lacéré jean et tee-shirt, lui griffant
la peau de leurs lames et dessinant au marqueur noir des croix gammées
sur son ventre. Elle avait indiqué aux policiers avoir quitté
le RER à la gare de Garges-Sarcelles (Val-d’Oise),
où elle avait prévenu son compagnon depuis son téléphone
portable. Dans un premier temps, les enquêteurs épluchèrent
les bandes vidéo du RER sans retrouver la trace d’éventuels
agresseurs. Ils établirent ensuite que la jeune femme n’avait
pas téléphoné de son portable de la gare de
Garges-Sarcelles mais de Louvres, dans le Val-d’Oise. J. D.
»
6 : De même que les sociétés post-disciplinaires
ne sont pas celles qui sont sorties des modes disciplinaires de
dressage mais qui les ont incorporées jusqu’à
ne plus les noter. Les cours aujourd’hui dispensés
sur Foucault n’ont pas besoin de matériel pour illustrer
leur propos : ils se déroulent dans les mêmes salles
de classe, avec le même dispositif panoptique et vertical,
avec les mêmes rapports au savoir que ceux dénoncés
par Foucault. Foucault capitalisé et illustré dans
les modes de restitution de son apport.
7 : Libre UMP, qui fait voter électroniquement... «
J’ai besoin de jeunes libres, pas de jeunes à qui on
explique ce qu’ils doivent penser", a déclaré
Sarkozy, avant de remercier son « armée de militants
».
8 : Libération sam. 4 déc : « Le procureur
de la République de Meaux, René Pech, a ouvert vendredi
une information à l’encontre de trois agents de la
surveillance générale (Suge) de la SNCF pour “violences
volontaires » ayant causé une interruption de travail
de plus de huit jours “par personnes chargées d’une
mission de service public en réunion”. Les trois ont
été mis en examen, et l’un d’eux a été
écroué. Ce sont eux qui, après ce qu’ils
appellent “une neutralisation”, auraient expédié
à l’hôpital [Abdelkadder,] un jeune homme de
21 ans dans le coma, avec une fracture du crâne. »
9 : On nous rabâche notre anti-américanisme, sans
cesse contredit par l’accumulation de pratiques directement
états-uniennes. Cf la mauvaise conscience que voudrait nous
inculquer les juges de l’Intelligentsia, “vous êtes
coupables de racisme envers les américains” ; mais
ces intellectuels médiatisés ne parlent que pour la
poignée de réels anti-américains débiles
de France. En mettant tout le monde dans le même anti-américanisme,
on condamne toute critique véhémente envers la politique
américaine. La seule bravade autorisée étant
: “Ah oui ils assassinent et envahissent, ils bafouent leurs
droits civiques, ils construisent ECHELON et la NSA, et des armes
nucléaires miniatures, mais bon ça va c’est
le pays de la liberté, si les Ricains n’étaient
pas là...” Sans compter qu’en faisant porter
le débat sur les Etats-Unis, on évite de regarder
la politique françafricaine meurtrière, les abus policiers
ou vigiliers français, etc. A noter que les Etats-Unis commencent
à envoyer des robots armés de mitraillettes en Irak,
à la place de soldats. Voir le journal télévisé
d’Euronews, www.euronews.net.
10 : Philippe Mallein a créé Ad-Valor, une entreprise
qui propose des services d’acceptabilité : quand un
produit de nouvelle technologie risque de subir une critique, comme
ce fut le cas pour les O.G.M., Mallein et son équipe lancent
un protocole sociologique censé faire accepter plus lentement
mais plus sûrement l’innovation aux destinées
éthiques ambiguës. Ses client sont E.D.F., Danone, Bouygues,
etc. et des anonymes pour qui il fait des « Expertise d’usage
sur un système de bracelet électronique pour la surveillance
d’enfant ». Allez voir son site...
11 : G. Deleuze, « Le vieux fascisme si actuel et si puissant
qu’il soit dans beaucoup de pays, n’est pas le nouveau
problème actuel. On nous prépare d’autres fascismes.
Tout un néo-fascisme s’installe par rapport auquel
l’ancien fascisme fait figure de folklore. (...) Au lieu d’être
une politique et une économie de guerre, le néo-fascisme
est une entente mondiale pour la sécurité, pour la
gestion d’une “paix” non moins terrible, avec
organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes
les petites angoisses qui font de nous autant de micro-fascistes,
chargés d’étouffer chaque chose, chaque visage,
chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle
de cinéma. »
12 : Quand Nietzsche parle de pathos de la distance, il pense aux
pairs, ce n’est pas une question de supériorité
mais de convenance d’organisation pulsionnelle. Le sentiment
de tenir une différence, de tenir une place, d’aimer
la défendre et continuer à la créer, par la
surprise des rencontres convenantes. On n’a pas besoin des
conseils de personnes qui se sentiraient supérieures, pas
de consultants, mais de stratégies élaborées
en commun pour augmenter notre puissance ou du moins élaborer
et faire vivre nos désirs au lieu de les inhiber et de les
entraver trop. Un épaississement intensif de l’affectivité
et non une désorganisation pulsionnelle qui veut tout sans
rien vouloir vraiment. Mais pour cela, il me semble que l’épreuve
consiste à vouloir sentir des affects, non pas contradictoires
et emmêlés, - mais contrariés.
MILANO CENTRALE
Contre-poésie du Chat
Leurs demandes sont floues, prohibées par la clarté
de nos slogans. En certains endroits nouveaux de la grande ville,
il n’est de salut que leur chute.
Nos pupilles pulvérisent leurs yeux glabres. Un matin, le
rajout de couleurs vives fut décidé unanimement.
Que fait le sans-toit ?
Il suinte des bancs publics telle une plante grasse.
La parole ?
Plus saoule que les soldats russes après la guerre.
Le bavardage est pris de grippe. Il dit ce qu’une putain
ne dirait pas. Les danseuses ont un regard de mort.
Une petite pluie à roulettes déferle sur les pavés.
En dedans, nous devenons à peu près des gens de maison.
Le plastique crève le bois. On tousserait bien une centaine
de mygales, pour jouer à les regarder détaler sur
la ferraille.
Pourquoi ne pas rompre le dos d’un vieux, et s’en faire
un siège ?
Les lutins de gare sont plus humides que les corniches moisies de
l’Hôtel Moderne.
Les agents suivent d’ingénieux carrosses emplis de
sucre, qui roulent sur nos pieds.
Le marbre prêté par la municipalité susurre
des boiteries et des ulcères, des lumbagos et des rages de
dents. Les rigoles de pisse, s’il ne gelait, auraient bien
la vulgarité de l’éclat. Ensemble, nous mâchons
des piments lisses, vitaminés, au goût de violette.
Les grands-parents sont plâtrés sur les étagères
de tous les buffets de France, à côté du passe-plat.
C’est pourquoi nous pensons qu’il est dans votre intérêt
de ne pas agir.
Ah les imbus, les propres ! Les enregistrements à court et
à long terme !
Il a été dit que demain à l’aube trente
veuves disputeraient le marathon de la ville.
Dort à mes côtés le dernier voyageur d’Europe.
Nous avons parlé de toi.
Nous nous sommes tenus sur la brèche, où l’aube
et le crépuscule se disputent les contraires.
Tu nous as demandé de compter les habitants de Milano Centrale,
entre le Jour du Seigneur et le premier rendez-vous de la semaine.
Décompte du 17 octobre, 2 : 59.
- Moribonds : 7
- Colleurs d’affiches, préparant l’arrivée
des Acheteurs : 12
- Réfugiés, sains, avec bagages : 19
- Voyageurs et/ou rateurs de train : 6
- Curieux : 1
- Manutentionnaires de caisses métalliques, de chariots,
avec musique : 0
- Policiers et gendarmes : 40
- Chats : 0.
3 : 30. Retour de la voix qui annonce et qui dénonce.
Nous avions à présent la mine roussie et le bras cassé
de l’extincteur.
Nous avons pris note de ta proposition selon laquelle est à
chercher ce qui n’existe pas encore. Nous disons : s’il
faut murmurer quelque belle parole, qu’elle fasse route entre
la marchande de loto et l’homme au costume gris, entre les
Erythréennes endormies et le frère qu’elles
attendent, qu’elle se dissipe entre deux hommes semblables.
Berenice Kalo, Le Chat
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