« Lexique » bourdieusien —Parcours erratique de morceaux
choisis
VIOLENCE SYMBOLIQUE
« La violence symbolique, c'est cette violence qui extorque des
soumissions qui ne sont même pas perçues comme telles en
s'appuyant sur des « attentes collectives », des croyances
socialement inculquées. Comme la théorie de la magie,
la théorie de la violence symbolique repose sur une théorie
de la croyance ou, mieux, sur une théorie de la production de
la croyance, du travail de socialisation nécessaire pour produire
des agents dotés des schèmes de perception et d'appréciation
qui leur permettront de percevoir les injonctions inscrites dans une
situation ou dans un discours et de leur obéir. »
(Raisons pratiques, 1994, p.188)
« Le pouvoir symbolique, pouvoir de constituer le donné
en l'énonçant, d'agir sur le monde en agissant sur la
représentation du monde, ne réside pas dans les «
systèmes symboliques » sous la forme d'une « force
illocutionnaire ». Il s'accomplit dans et par une relation définie
qui crée la croyance dans la légitimité des mots
et des personnes qui les prononcent et il n'opère que dans la
mesure où ceux qui le subissent reconnaissent ceux qui l'exercent.
»
(Réponses, Seuil, 1992, p.123)
« Autrement dit, la violence symbolique peut faire beaucoup mieux
que la violence politico-policière, sous certaines conditions
et à un certain prix (c'est une des grandes faiblesses de la
tradition marxiste de ne pas avoir fait de place à ces violences
douces qui sont agissantes, même dans le domaine économique).
»
(Réponses, Seuil, 1992, p.141)
« Je voudrais faire remarquer toute la différence qui sépare
la théorie de la violence symbolique comme méconnaissance
fondée sur l'ajustement inconscient des structures subjectives
aux structures objectives, de la théorie foucaldienne de la domination
comme discipline ou dressage, ou encore, dans un autre ordre, les métaphores
du réseau ouvert et capillaire d'un concept comme celui de champ.
»
(Réponses, Seuil, 1992, p.142)
http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/v/violencesymbolique.html
CAPITAL SYMBOLIQUE
(reproduction de la domination, violence symbolique, reconnaissance-méconnaissance)
« Du fait que le capital symbolique n'est pas autre chose que
le capital économique ou culturel lorsqu'il est connu et reconnu,
lorsqu'il est connu selon les catégories de perception qu'il
impose, les rapports de force symbolique tendent à reproduire
et à renforcer les rapports de force qui constituent la structure
de l'espace social. »
(Choses dites, Minuit, 1987, p.160)
« J'appelle capital symbolique n'importe quelle espèce
de capital (économique, culturel, scolaire ou social) lorsqu'elle
est perçue selon des catégories de perception, des principes
de vision et de division, des systèmes de classement, des schèmes
classificatoires, des schèmes cognitifs, qui sont, au moins pour
une part, le produit de l'incorporation des structures objectives du
champ considéré, c-à-d de la structure de la distribution
du capital dans le champ considéré. »
(Raisons pratiques, Seuil, 1994, p.161) http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/c/capitalsymbolique.html
" Le capital symbolique n'existe que dans, par l'estime, la reconnaissance,
la croyance, le crédit, la confiance des autres, et il ne peut
se perpétuer qu'aussi longtemps qu'il parvient à obtenir
la croyance en son existence."
(Méditations pascaliennes)
POUVOIR SYMBOLIQUE
« Le pouvoir symbolique est un pouvoir qui est en mesure de se
faire reconnaître, d’obtenir la reconnaissance ; c’est-à-dire
un pouvoir (économique, politique, culturel ou autre) qui a le
pouvoir de se faire méconnaître dans sa vérité
de pouvoir, de violence et d’arbitraire. L’efficacité
propre de ce pouvoir s’exerce non dans l’ordre de la force
physique, mais dans l’ordre du sens de la connaissance. Par exemple,
le noble, le latin le dit, est un nobilis , un homme « connu »,
« reconnu ». »
(« Dévoiler les ressorts du pouvoir », in Interventions
— Science sociale et action politique, Agone, 2002, pp.173-176)
http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/p/pouvoirsymbolique.html
CROYANCE
(foi pratique, pre-réflexivité, investissement, champs,
reconnaissance-méconnaissance)
« La foi pratique est le droit d'entrée qu'imposent tacitement
tous les champs, non seulement en sanctionnant et en excluant ceux qui
détruisent le jeu, mais en faisant en sorte, pratiquement, que
les opérations de sélections et de formation des nouveaux
entrants (rites de passage, examens, etc.) soient de nature à
obtenir qu'ils accordent aux présupposés fondamentaux
du champ l'adhésion indiscutée, pré-réflexive,
naïve, native, qui définit la doxa comme croyance originaire.
Les actes de reconnaissance innombrables qui sont la monnaie de l'adhésion
constitutive de l'appartenance et où s'engendre continûment
la méconnaissance collective sont à la fois la condition
et le produit du fonctionnement du champ et représentent donc
autant d'investissements dans l'entreprise collective de création
du capital symbolique qui ne peut s'accomplir que moyennant que la logique
du fonctionnement du champ comme tel reste méconnue. »
(Le sens pratique, Minuit,1980, p.113-114)
http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/c/croyance.html
ILLUSIO (illusion)
« L'illusion comme adhésion immédiate à
la nécessité d'un champ a d'autant moins de chances d'apparaître
à la conscience qu'elle est mise en quelque sorte à l'abri
de la discussion : au titre de croyance fondamentale dans la valeur
des enjeux de la discussion et dans les présupposés inscrits
dans le fait même de discuter, elle est la condition indiscutée
de la discussion...
L'illusio n'est pas de l'ordre des principes explicites, des thèses
que l'on pose et que l'on défend, mais de l'action, de la routine,
des choses que l'on fait, et que l'on fait parce qu'elles se font et
que l'on a toujours fait ainsi. Tous ceux qui sont engagés dans
le champ, tenants de l'orthodoxie ou de l'hétérodoxie,
ont en commun l'adhésion tacite à la même doxa qui
rend possible leur concurrence et lui assigne sa limite : elle interdit
de fait la mise en question des principes de la croyance, qui menacerait
l'existence même du champ. Aux questions sur les raisons de l'appartenance,
de l'engagement viscéral dans le jeu, les participants n'ont
rien à répondre en définitive, et les principes
qui peuvent être invoqués en pareil cas ne sont que des
rationalisations post festum destinées à justifier, pour
soi-même autant que pour les autres, un investissement injustifiable.
»
(Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, pp.122-123)
« Pour qu'un champ marche, il faut qu'il y ait des enjeux et
des gens prêts à jouer le jeu, dotés de l'habitus
impliquant la connaissance et la reconnaissance des lois immanentes
du jeu, des enjeux, etc.
On oublie que la lutte présuppose un accord entre les antagonistes
sur ce qui mérite qu'on lutte et qui est refoulé dans
le cela va de soi, laissé à l'état de doxa, c'est-à-dire
tout ce qui fait le champ lui-même, le jeu, les enjeux, tous les
présupposés qu'on accepte tacitement, sans même
le savoir, par le fait de jouer, d'entrer dans le jeu.
Et de fait, les révolutions partielles dont les champs sont continûment
le lieu ne mettent pas en question les fondements mêmes du jeu,
son axiomatique fondamentale, le socle de croyances ultimes sur lesquelles
repose tout le jeu. Au contraire, elles contribuent à rendre
impensable pratiquement la destruction pure et simple du jeu. »
(Exposé « Quelques propriétés des champs
» fait à l'École normale supérieure en novembre
1976 à l'intention d'un groupe de philologues et d'historiens
de la littérature, in Questions de sociologie, Minuit, 1984,
pp.114-116)
« L'espace des possibles caractéristique de chaque champ,
religieux, politique ou scientifique, etc., fonctionne, en vertu du
principe de division (nomos) spécifique qui le caractérise,
comme un ensemble structuré de licitations et de sollicitations,
et aussi d'interdits [...]. Et l'on pourrait montrer de la même
façon comment le désir se spécifie et se sublime,
en chacun des univers proposés à son expression, pour
revêtir des formes socialement approuvées et reconnues,
celles de la libido dominandi ici ou celles de la libido sciendi sciendi
ailleurs. »
(La misère du monde, Seuil, 1993, pp.1101-1102)
http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/i/illusio.html
DOMINATION
« Bourdieu rejette l'alternative de la soumission et de la résistance
qui a traditionnellement défini la question des cultures dominées
et qui, à ses yeux, nous empêche de penser adéquatement
des pratiques et des situations qui se définissent bien souvent
par leur nature intrinsèquement double et trouble...
S'il est bon de rappeler que les dominés contribuent toujours
à leur propre domination, il est nécessaire de rappeler
dans le même mouvement que les dispositions qui les inclinent
à cette complicité sont aussi un effet incorporé
de la domination. Ainsi la soumission des travailleurs, des femmes et
des minorités raciales n'est-elle point, dans la majeure partie
des cas, une concession délibérée et consciente
à la force brute des cadres, des hommes et des Blancs. Elle trouve
sa genèse dans la correspondance inconsciente entre leur habitus
et le champ dans lequel ils opèrent. Elle se loge au plus profond
du corps socialisé ; elle est, pour tout dire, l'expression de
la somatisation des rapports sociaux de domination. »
(Loïc Wacquant : Introduction in Réponses, Seuil, 1992,
pp.28-29)
« Nous sommes à travers cet habitus, à travers
cette histoire incorporée, toujours exposés à être
complices des contraintes qui s'exercent sur nous, à collaborer
à notre propre domination. Je pense que le centre de mon travail,
c'est d'analyser les fondements des formes symboliques de domination...
Ce sont des pouvoirs qui sont dans les structures objectives..., et
qui sont en même temps dans les têtes des agents. Ces structures
ne peuvent fonctionner qu'avec la complicité d'agents qui ont
intériorisé les structures selon lesquelles le monde est
organisé. Toutes les luttes symboliques commencent toujours par
une dénonciation que j'appelle objectiviste, dénonciation
des formes objectivées de la domination parce qu'elles se voient,
parce qu'on peut les toucher. On dit : « À bas l'État
! » Or l'État n'agit qu'avec ce qu'il a mis de lui-même
dans notre cerveau, et il y a donc une sorte de psychanalyse de l'esprit
humain qui est la condition d'une lutte organisée. Disons qu'une
lutte politique organisée commence par soi-même. »
(Entretien mené par Antoine Spire assisté de Pascale Casanova
et de Miguel Benassayag (1989-1990), Éditions de l'Aube, 2002,
pp.19-20. Sur le site www.00h00.com)
DOMINATION (effet de)
« Une production idéologique est d'autant plus réussie
qu'elle est plus capable de mettre dans son tort quiconque tente de
la réduire à sa vérité objective : le propre
de l'idéologie dominante est d'être en mesure de faire
tomber la science de l'idéologie sous l'accusation d'idéologie
: l'énonciation de la vérité cachée du discours
fait scandale parce qu'elle dit ce qui était « la dernière
chose à dire ». »
(Langage et pouvoir symbolique, Seuil, 2001, p.368)
http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/d/domination.html
LÉGITIME
« Que veut dire légitime ? Ce mot est un mot technique
du vocabulaire sociologique que j'emploie sciemment, car seuls des mots
techniques permettent de dire, donc de penser, et de manière
rigoureuse, les choses difficiles.
Est légitime une institution, ou une action, ou un usage qui
est dominant et méconnu comme tel, c'est-à-dire tacitement
reconnu. Le langage que les professeurs emploient, celui que vous employez
pour me parler (une voix : « Vous aussi vous l'employez ! ».
Bien sûr. Je l'emploie, mais je passe mon temps à dire
que je le fais !), le langage que nous employons dans cet espace est
un langage dominant méconnu comme tel, c'est-à-dire tacitement
reconnu comme légitime. C'est un langage qui produit l'essentiel
de ses effets en ayant l'air de ne pas être ce qu'il est […]
»
(Intervention au Congrès de l'AFEF, Limoges, 30 octobre 1977,
parue dans Le français aujourd'hui, 41, mars 1978, pp.4-20 et
Supplément au n° 41, pp.51-57. Repris dans Questions de sociologie,
Minuit, 1984, pp.95-112.)
http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/l/legitime.html
Le lien d'origine : « Lexique » bourdieusien —Parcours
erratique de morceaux choisis
Le Magazine de l'Homme Moderne et la liste Champs, 2002.
http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/