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Loi Debré : la fabrique de l'immigré
CHARLOTTE LESSANA [1]



Extrait de la revue Cultures & Conflits

Loi Debré : la fabrique de l'immigré (Partie 1)

CHARLOTTE LESSANA [1]


Un " amas de mesures " [2], c'est ainsi que fut définie la loi Debré par ses défenseurs. Cette loi s'inscrit en effet dans la perspective d'une politique publique d'immigration conçue par l'adjonction de divers dispositifs légaux répondant à des problèmes épars. Ainsi, les dispositifs pratiques de la loi sollicitent à la fois l'ordonnance sur l'entrée et le séjour des étrangers [3], une partie du code du travail et du code de procédure pénale sur les contrôles d'identité. De plus, ces agencements, qui impliquent des effets pratiques, sont portés dans le débat parlementaire par une série de discours sur la clandestinité, la jeunesse, l'intégration, la sécurité, la cohésion nationale et la construction européenne. Cette hétérogénéité des pratiques et des discours quant à l'immigration n'est pas nouvelle.


D'après le rapport d'enquête sur l'immigration clandestine, le bénéfice des lois Pasqua est d'avoir " sensiblement étendu les conditions du contrôle d'identité, à la fois dans le but de lutter contre les infractions à la législation sur les étrangers et la délinquance en général et dans celui de s'adapter au nouveau contexte créé par l'entrée en vigueur de la convention de Schengen " [4].

On le voit, la définition du statut des étrangers en France résulte d'un faisceau de pratiques issues d'une problématique très large où, au domaine sécuritaire (délinquance, fraude, contrôle des frontières et des identités) s'adjoignent les questions du travail et de l'intégration. Depuis la fin des années 80, les révisions législatives sur l'immigration engagent très souvent une modification du code du travail. De plus, émerge après le gouvernement de M. Rocard, l'habitude d'évaluer l'urgence du contrôle des " clandestins " à l'aune d'une intégration dite, défaillante [5].

Nous analyserons, sous l'angle sémantique, le discours politique sur le thème de l'immigration à travers les occurrences du rapport Philibert, du projet de loi du ministère de l'Intérieur, des débats parlementaires et de l'adoption de la loi Debré. Il s'agira de décrypter les discours politiques comme " des luttes d'appropriation ou de dépossession symboliques qui se jouent dans le lieu même de l'échange " [6]


Notre interrogation portera sur le rapport entre la volatilité du débat au Parlement et les pratiques sur l'immigration, en analysant la construction symbolique de l'immigration comme problème [7]. Cependant, l'étude des possibilités de production des discours sera circonscrite à la seule arène politique et ne saurait s'attaquer véritablement à l'analyse des pratiques policières, administratives ou militaires [8]

Nous profiterons donc du fait que l'exercice des politiques partisanes au sein du Parlement est, pour partie au moins, un combat de mots par lesquels il convient de s'approprier les usages du langage comme autant de " signes-pouvoirs " [9], pour mener une enquête sur les glissements sémantiques qui, de la clandestinité au civisme, de l'intégration à " l'exclusion ", décrivent une révolution autour du terme immigré [10].


Il s'agira, dans un premier temps, de disséquer les rhétoriques [11] de la loi, afin de comprendre comment, dans le cadre de la représentation nationale, se cristallise autour de l'immigration, une figure capable d'effectuer une jonction entre une multitude de discours désignant des menaces hétérogènes [12]


Nous considérerons le contenu sémantique du débat parlementaire comme rendant compte des rapports de pouvoirs au sein de la " droite " parlementaire et entre partis politiques [13]


Les actes du langage politique

Le discours politique sur l'immigration en 1995-97 s'élabore dans un aller-retour entre proposition de loi, débats et rapport d'enquête. Il s'établit à travers les références à la fraude, la clandestinité, la délinquance et l'intégration, qui forment un réseau sémantique imbriqué [14]

et construit l'immigration comme problème.

L'immigré est désigné par les multiples troubles qu'il provoque. Les dispositions pratiques de la loi Debré concernent à la fois les certificats d'hébergement, la remise du passeport lors d'une interpellation, l'utilisation par le ministère de l'Intérieur du fichier de l'OFPRA (Office de protection des réfugiés et des apatrides), le conditionnement du renouvellement (tous les 10 ans) du titre de séjour, les procédures d'expulsion et de comparution, l'étalement de la zone de contrôle d'identité aux frontières, le contrôle des titres de travail dans les lieux d'activité, les sanctions contre les employeurs étrangers, la prise des empreintes digitales de celui qui sollicite un titre de séjour, etc.

Pratiquement, toutes ces dispositions sont motivées par un ensemble de préoccupations de deux ordres : convaincre du péril d'une vague migratoire portée par des individus clandestins prêts à tout et, légitimer le danger de la différence culturelle qui persiste malgré la vie en commun dans le corps même de la nation. De la délinquance à la laïcité, du chômage à la place de l'islam, les glissements sémantiques s'organisent autour du catchword immigration [15], et profitent du fait que le terme immigré n'a pas de signification juridique propre.

La définition du Haut Conseil à l'Intégration : " En dépit de leur sens très différent, les termes d'étranger et d'immigré sont employés le plus souvent l'un pour l'autre. En réalité, il y a des immigrés qui sont restés étrangers et des immigrés qui sont devenus français ", confirme cette ambiguïté, qui ouvre l'ordre juridique aux frasques de l'imaginaire social [16]


Quant au rapport Philibert, il n'hésite pas, dès l'introduction, à sabrer dans la réalité, elle vraiment multiple de l'immigration ; la définissant, d'après le Trésor de la langue française (1789-1960), comme étant : " l'action de venir s'installer et travailler dans un pays étranger, définitivement ou pour une longue durée " [17].


A partir de là, c'est plutôt parce qu'il est supposé que les étrangers en France ont pour projet de s'installer, qu'il faut tout faire pour les empêcher de venir, ne serait que le temps d'un visa [18]. On comprend alors comment, pour certains, l'intention d'intégration est elle aussi suspecte. Ainsi, les interrogations de M. Bariani, député UDF de Paris, précisent les motivations des députés les plus durs : " Jusqu'où la société française peut-elle aller dans l'assimilation ou l'intégration de ceux qui acceptent les devoirs et les obligations ? " [19]. Dans la même perspective, Mme Sauvaigo n'hésite pas à dire " nous sommes un peuple européen, de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne ", auquel les immigrés ne peuvent s'intégrer.


Il est rare cependant de dire ouvertement que l'inassimilabilité est telle que même la volonté d'intégration ne suffit pas. Le discours dominant qui se traduit en loi préfère aborder la question à travers les références à la fraude ou à la délinquance.


Criminalité et étranger


La délinquance des étrangers

Comme en 1993, avec les lois Pasqua, la lutte contre la délinquance est l'un des objectifs clés de la loi Debré. " Lutter efficacement contre l'immigration clandestine, c'est œuvrer pour une amélioration de la sécurité dans les villes et les banlieues, non que les étrangers et tout particulièrement les clandestins soient des populations en elles-mêmes spécialement portées à la délinquance, mais parce que la précarité de leur situation les y porte nécessairement ", dit M. Debré, alors qu'à aucun moment les recherches n'ont montré un tel lien de causalité entre chômage et délinquance [20]


Mais, une fois cette correspondance donnée pour établie, il sera facile de faire de la délinquance l'opérateur sémantique [21] principal du changement de registre : de la clandestinité à la violence des jeunes.

Si l'on se réfère à J. Langshaw Austin, il s'agit de faire passer un énoncé perlocutoire, destiné à emporter la croyance du récepteur, donc donnant lieu à une action, pour un simple énoncé constatif (soit une affirmation). Car, le terme délinquance, dans ce contexte précis, désigne de façon indistincte l'irrégularité en elle-même, les délits des " clandestins " et l'attitude des délinquants en général. Ce transfert symbolique, créateur d'une nouvelle matrice de sens, porte dans le débat public une charge émotionnelle intense, car il " tire son impact des associations qu'il refoule " [22]. Dans le contexte d'un projet de loi sur l'immigration " clandestine ", l'ambivalence du stigmate de la délinquance est de se rapporter sporadiquement à une jeunesse pour laquelle la clandestinité ne joue pas [23].


C'est en premier lieu " le caractère fortement criminogène du séjour irrégulier " [24] que la loi et le rapport Philibert entendent " confirmer ". Aux Baumettes, explique ce dernier, " les étrangers en situation irrégulière représentent 49,62% de la population pénale étrangère, et 18,94% de la population pénale totale, ce qui dénote une très forte " sur-représentation " par rapport à leur proportion dans la population totale " [25]. En fait, s'il insiste sur l'importance des " infractions sur la législation des stupéfiants ", c'est pour mettre entre parenthèses le fait que 33% des détenus le sont, précisément, en raison de l'irrégularité de leur séjour [26].


L'adjonction des menaces, de la précarité des clandestins à la délinquance des jeunes issus de l'immigration, se traduit dans le régime migratoire par le système de la " double peine " qui permet d'expulser les étrangers délinquants et l'inscription du thème de la " menace à l'ordre public " au cœur du système de résidence, touchant à la fois les immigrés et leurs enfants [27]. En effet, le conditionnement de l'attribution de la carte de résident (1993), qui ruine la notion de plein droit (1984) cible la " seconde génération ", puisqu'il intervient pour les seuls attributaires jusque là exemptés de conditions et habilités de plein droit à avoir une carte de résident : les jeunes, nés en France de parents étrangers qui, n'étant pas devenus Français automatiquement à 18 ans et n'ayant (peut être) pas souscrit à une déclaration de volonté pour devenir Français entre 16 et 21 ans, obtiennent une carte de résident [28]. La volonté de conditionner le renouvellement de cette carte redouble simplement cette stratégie [29].


Suivant cette même logique : la loi régularise une partie des sans-papiers, mais elle laisse à l'administration le soin de régler le sort des parents d'enfants nés en France qui ne seront Français qu'après 16 ans (en application du code de la nationalité) et des mineurs entrés hors regroupement familial après l'âge de 10 ans [30].


A partir du moment où le séjour des résidents de plein droit est conditionné par la " menace à l'ordre public ", le dispositif discursif de l'immigration se greffe sur le continuum de l'ordre public dans une allusion floue à la " seconde génération ". Liant guerre civile, attaques terroristes, morale civique et incivilités, l'ordre public est un autre opérateur sémantique, comme son alter ego, la sécurité intérieure. Sous l'ordre de son signifié, le sens désigné, selon le contexte, bascule d'une chose à une autre. Et dans la mesure où le discours politique et " légal " porte en lui une action, l'immigration devient un enjeu de sécurité, impliquant, plus ou moins implicitement, une connexion entre ennemi et immigré [31]. D'ailleurs l'importance de cette résonance symbolique n'est elle pas liée au fait que cette codification vient prolonger des pratiques judiciaires, administratives et policières ?


La cible de la " seconde génération " s'établit à travers la connexion latente entre extranéité culturelle et " menace à l'ordre public ". Ainsi, pour M. Philibert, président de la Commission d'enquête, l'intégration ne prend tout son sens que jouxtée à " son contraire ", la " désintégration ", mettant en valeur le risque d'éclatement de la société française. Or, pour le député UDF, l'intégration concerne les étrangers, mais aussi les " quartiers " : " A l'autre bout de l'échelle, il n'y a guère de différence visible, selon leur origine, entre les jeunes des quartiers difficiles, perdus dans l'impasse du refus de l'ordre social (...) et dans une infra-culture qui mêle les formes dégradées de toutes les autres " [32]. L'intégration, concept mou, lui permet de glisser des immigrés, au thème brouillé des banlieues.


Cette mise en réseau des répertoires discursifs illustre les modes de glissement d'un problème constitué à un autre. Elle approfondit l'hypothèse d'une construction de la figure d'un adversaire évanescent, sans trop préciser le rejet de l'autre. Pour rhétorique que ce soit, c'est aussi une prise de pouvoir sur le réel, tel qu'il est représenté [33].


Mais, remarquons aussi que les dispositifs légaux s'adressent, dans toute leur complexité, aux populations directement concernées, en venant perpétuellement remettre en question la légitimité de leur présence. En fait, cette suspicion s'incarne dans la conception de pratiques permettant au gouvernement de s'assurer la loyauté des immigrés. Comme autant de signes d'allégeance, l'Etat réclame des preuves d'intégration telles que la volonté de devenir Français à seize ans, le choix de la fidélité française avec la souscription à la " déclaration de départ de l'hébergé " ou la carte temporaire d'un an qui constitue une sorte de période " probatoire " [34]


Les politiques mettent en valeur des zones où se détectent des signes ou des dénis d'une intégration pressentie en terme de loyauté. Or, à leurs yeux, la délinquance est également comptable de l'allégeance républicaine [35].

Ainsi, tout comme la " bonne intégration " se doit d'être couronnée par l'adoption de la nationalité française, le " séjour irrégulier " est déjà la preuve d'un faible respect des lois de la République. Du coup, partant d'une analyse de la " clandestinité ", toute la politique dite d'immigration en découle. Pour M. Colin, député UDF de Toulon, " Lorsque ce délit n'est pas réprimé, il obère toutes les possibilités d'accueil et d'assimilation de l'immigration légale, et grippe les mécanismes intégrateurs, tels que l'école ou le logement, en jetant la suspicion sur l'ensemble des immigrés, et même nos compatriotes issus de l'immigration " [36]


Ainsi, la volatilité du débat permet à chaque agencement pratique d'élargir la signification symbolique de sa portée. L'immigré comme l'immigration deviennent une sorte de mirage que donne à voir le discours politique.


Terroriste :étranger clandestin ou résident ?

Le lien immigré-terroriste qui se cristallise autour de l'islamisme, tire sa pertinence d'une autre manipulation symbolique. De façon symptomatique, la référence suprême à celui qu'il faut pouvoir " éloigner ", aborde à la fois la question de la clandestinité et de façon indirecte, celle de la délinquance.


D'emblée, la référence au terrorisme est constitutive de la politique des visas, car ce sont les attentats de 1986 qui la déclenchent. De plus, les différentes phases du plan Vigipirate ont établi un lien entre délinquance et terrorisme, puisque ses succès publics lui viennent de la baisse de la délinquance. Et lors des débats, certains orateurs n'hésitent pas à sauter le pas, utilisant la menace terroriste à des fins du contrôle de l'immigration.

Ainsi, quand la Commission des lois de l'Assemblée nationale analyse la loi modifiée par le Sénat et que son rapporteur, M. Mazeaud, approuve le rétablissement de la carte de séjour provisoire pour " l'étranger résident depuis plus de quinze ans ", Mme Sauvaigo suggère que cette disposition constitue une " prime aux étrangers condamnés à de lourdes peines ". Et M. Marsaud, député RPR de la Haute Vienne, soutenant cette mise en garde, ajoute que " si le texte est adopté en l'état un auteur d'attentat commis en 1986 pourrait recevoir une carte de séjour à sa sortie de prison en 2001 " [37], oubliant l'existence du dispositif dit de la " double peine ". La jonction de la politique antiterroriste avec la lutte contre la délinquance et la clandestinité fait naître l'hypothèse de la construction d'un ennemi, qui est plus qu'un problème, car il a une volonté hostile. On s'aperçoit ici que la construction de la menace est rendue sensible par l'idée d'intrusion ; comme si l'immigré devenait un ennemi " intérieur ", se définissant en correspondance avec des ennemis extérieurs, les pays islamistes radicaux.


Cette articulation extérieur-intérieur est renforcée par l'instrumentalisation du terrorisme transnational islamiste au sein de la lutte antiterroriste. Après les attentats de l'automne 1995, dont la piste est retrouvée dans la banlieue lyonnaise, M. Toubon présente une loi sur " la répression du terrorisme " permettant, notamment, d'inculper pour terrorisme la personne qui héberge des terroristes, en connaissance de leurs activités [38]. Quand le garde des sceaux est auditionné par la Commission d'enquête sur l'immigration (rapport Philibert), les députés manifestent un grand intérêt pour cet article, médiatisé, pour faire pièce au terrorisme islamiste. Mais, M. Toubon décourage leurs ardeurs, signalant que cette disposition vise en fait les Bretons hébergeant des Basques (que l'on ne peut inculper pour aide au séjour irrégulier puisque les Espagnols n'ont pas besoins de visa). Cependant, la légitimité symbolique de la mesure tient à la menace islamiste. La presse de droite associera en permanence ETA et les islamistes pour justifier la mesure malgré la difficulté de regrouper des faits aussi divers sous le vocable terrorisme.

Terrorisme et délinquance montrent l'ambiguïté de la référence à l'intégration dans la politique d'immigration, ainsi que le chevauchement des missions et des procédures de contrôle concernant délinquance, terrorisme et clandestinité.


L'hostilité que Murray Edelman définit comme une narration du passé et du futur rationalisant sous forme d'intrigue les mesures répressives, se retrouve autour de l'utilisation du concept d'intégration qui met en scène différence culturelle, islam et République. Le lien entre intégration des immigrés et répression de la " clandestinité " des " irréguliers " permet toutes sortes de glissements.


Ainsi, il semble que le discours sur l'intégration s'adresse plus à la " seconde génération " qu'aux migrants, tandis que celui sur la clandestinité a pour vocation de masquer cette cible, car si on prend le problème à l'envers, M. Philibert dit tout simplement : " le discours sur l'immigration clandestine, c'est le cache-sexe du discours sur l'immigration " [39]. Les hommes politiques restreignent le champ du débat par peur d'être débordés. Cet ennemi, si volatile, a donc des inconvénients : il porte le risque d'un basculement vers une position ouvertement raciste.

C'est le sens de l'expression de M. Philibert : " avec les clandestins au moins on sait où on en est " [40]. La légalité cherche donc à établir une discrimination en rupture avec le critère de l'origine. C'est pourquoi la désignation du " clandestin ", comme adversaire, est un moment clé de la construction du problème de l'immigration. L'insistance sur la " clandestinité " pousse d'ailleurs certains résidents à prendre position contre les sans-papiers qui semblent accréditer l'idée que tous les immigrés sont des " clandestins ". On peut, d'ailleurs, se demander si l'effet " intégrateur " recherché dans la lutte contre l'immigration " clandestine " n'est pas justement de forcer les " immigrés légaux " à prendre parti, comme pour relégitimer leur présence.


Altérité et illégalité : le fraudeur, le clandestin

Fraudeur et clandestin à la fois illégaux et illégitimes, relient en leurs noms, les multiples " boutures " du discours sur l'immigration. Mais ils sont aussi porteurs de nouvelles symboliques quant au poids économique et social de l'immigration. Selon la loi, ils portent atteinte à l'intégrité des frontières, aux règles du certificat d'hébergement, de l'asile et du regroupement familial, ainsi qu'à celles qui concernent l'efficacité de l'éloignement du territoire et le travail.


Dans la perspective d'une fraude potentielle, et dans la mesure où déjà " un visa est à l'évidence un atout décisif pour le candidat au séjour clandestin ", le certificat d'hébergement est une " pièce stratégique pour le candidat à l'immigration clandestine " [41]. D'où sa nécessaire sécurisation. Le problème de la fraude en matière de certificat d'hébergement exaspère le sentiment d'incapacité des élus (qui sont souvent députés-maires [42]) . Fascinés et frustrés par l'idée qu'un étranger, suite à une visite, décide de rester contre leur gré, ils approuvent l'idée de renverser la responsabilité sur l'hébergeant, espérant renforcer l'inviolabilité de la loi [43].


Auditionné par la Commission des lois de l'Assemblée Nationale, M. Debré explique cette " politique dissuasive ", en disant qu'il s'agit d'interdire " par la suite " à l'hébergeant " de nier avoir ignoré que l'étranger continuait à résider chez lui " [44]. La suspicion retombe une nouvelle fois sur le résident. C'est d'ailleurs sur la délation comme choix d'allégeance que se fera la mobilisation anti-Debré [45].

Notons que l'hébergeant doit accueillir son hôte dans des " conditions normales ", définies par l'OMI (Office des Migrations Internationales), qui rappelle les conditions économiques fixées au regroupement familial et à l'obtention d'un visa. La politique des visas cherche aussi à anticiper la fraude potentielle en éloignant des " nationalités présentant un risque migratoire particulier ", certes " noyées dans un flux des demandeurs de bonne foi " [46]


Mais, plus que la bonne foi, c'est la " stabilité socio-économique du demandeur " qui fait loi.

De plus, il n'est pas question pour le gouvernement de " désarmer les frontières " sous prétexte de liberté de circulation intra-communautaire. Une stricte politique des visas, disent les députés de la Commission d'enquête, n'affranchit pas d'un contrôle frontalier, d'autant que celui-ci est mis en danger par les accords de Schengen [47]


Aussi, les deux méthodes se développent.

La loi, comme le rapport, considèrent les frontières comme des zones. Elle prolonge la possibilité, donnée depuis 1993 aux officiers de police judiciaire de contrôler les identités dans une bande de 20 km partant des frontières intérieures, par la possibilité de procéder à des visites sommaires des transports de marchandises. Cet article est typique du système de " compensation " des procédures communautaires. Ainsi, tandis qu'une mesure comparable existait dans le code de procédure pénale pour tous les contrôles, le dispositif est renforcé, mais cette fois dans l'objectif du seul contrôle des clandestins et des passeurs. Il s'agit, en effet, de contrôler les transports de marchandises, car selon M. Debré " l'atelier clandestin est très souvent le point d'aboutissement d'une filière clandestine " [48]


Le souci d'unifier les pouvoirs des agents de la DICCILEC (Direction Centrale du Contrôle de l'Immigration et de la Lutte contre l'Emploi des Clandestins) et des douaniers est justifié, comme souvent, par la pratique : " leurs missions se rejoignent ", indique le rapport Philibert.

La manœuvre permet de prétendre résister à l'affaiblissement des contrôles frontaliers intra-européens en continuant de porter le contrôle sur les frontières. Cet impératif de contrôle aux frontières se double d'une logique complémentaire, celle des contrôles internes (inspection des ateliers), initiée justement en compensation des efforts faits pour la libre circulation. Pratiquement et symboliquement, la perspective d'un meilleur contrôle des frontières cible, en fait, l'identification des étrangers.


Le travail, la clandestinité et l'étranger

Tandis que le thème du coût social de l'immigration, revendiqué par le discours des députés du rapport Philibert, reste dans l'ombre, le travail législatif insiste sur l'importance du travail illégal chez les " clandestins ". Depuis le début des années 90, mais partant d'une trajectoire bien plus ancienne, la répression du travail clandestin est systématiquement associée au travail des " clandestins ", alors même que celui-ci ne représente que 10% des infractions sur le travail illégal [49]. Mais l'argument se veut plus logique que statistique (la clandestinité entraînant l'illégalité des moyens d'existence).


Lorsqu'en octobre 1996, M. Debré annonce une possible modification de la loi sur l'entrée et le séjour des étrangers, associée à une discussion sur la répression du travail clandestin, il reprend la tactique de la loi du 31 décembre 1991 (gouvernement Cresson), intitulée loi " renforçant la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre l'organisation de l'entrée et du séjour irréguliers d'étrangers en France " [50]. Et, si M. Léonard, rapporteur de la loi sur le travail illégal remarque lui-même que l'emploi d'étrangers sans titre représente " 10% seulement des salariés illégalement embauchés ", c'est pour affirmer, comme le rapport Philibert et le ministre de l'Intérieur, que " au-delà des chiffres, le travail illégal constitue un puissant moteur de l'immigration irrégulière " [51]


On aura compris que, politiquement, le thème du travail clandestin ouvre sur une rhétorique très malléable, celle de " l'esclavage moderne ". Ainsi, M. Debré évoque au Sénat " des ouvriers d'origines lointaines travaillant dans des conditions sordides ". De même, le rapport Philibert dénonce les conditions des ateliers clandestins, " souvent proches de l'esclavage ", en particulier dans la " communauté asiatique ".

Ce thème permet de coupler l'idée de répression à celle de préservation des acquis sociaux, récupérant le répertoire " de gauche " sur les droits sociaux et répondant à la vocation humaniste des courants démocrates chrétiens. Il renvoie aussi aux " délocalisations internes " (susceptible de séduire les courants souverainistes du RPR, du FN ou du Mouvement des Citoyens). A l'attention des " libéraux ", le travail clandestin " fausse le jeu de la concurrence " [52]


Enfin, l'insistance sur l'importance des " filières organisées " permet de satisfaire ceux qui sont effrayés par la multiplication des " zones de non-droit ". Il s'agit donc d'une rhétorique de l'acceptabilité sociale, alliée à une pratique de localisation des " clandestins ".

De façon très symbolique, les lois sur le travail illégal et sur l'immigration sont examinées à une semaine d'écart et deux articles voyagent de l'une à l'autre [53]. D'ailleurs, à l'Assemblée nationale, M. Debré n'hésite pas, pour motiver son choix d'une " coordination des deux textes ", à dire : " sur 21 543 salariés employés illégalement, à un titre ou un autre, 43 % sont étrangers ". " A un titre ou un autre ", signifie qu'il mélange, bousculant les chiffres, les étrangers sans titre de séjour et les étrangers réguliers employés illégalement. Au prétexte que l'amendement, qui donne la possibilité aux forces de police d'établir des procès verbaux sur les lieux de travail, modifie le code de procédure pénale, le dispositif sera présenté au titre de la loi sur l'immigration. Ce qui implique que si les officiers de police judiciaire peuvent fouiller les ateliers, c'est pour y trouver des étrangers sans titre [54].


De fait, la loi, élargissant les pouvoirs de la police en matière de travail clandestin, lui offre plus de latitude pour rechercher des étrangers sans titre. Car, tandis qu'en 1994 la police n'a participé qu'à 14 % des verbalisations sur le travail illégal, elle a opéré 38% des procès verbaux concernant l'emploi d'étrangers sans titre de séjour employés clandestinement [55]. En fait, avec la création de la DICCILEC qui remplace la police de l'air et des frontières, le travail clandestin est devenu un volet parmi d'autres de la recherche " d'irréguliers ". Le but est de poursuivre les étrangers sans titre là où ils sont, quitte à cibler la recherche par nationalités et secteurs d'activité. Ajoutons que la problématique est aussi celle de l'identification [56]. Ainsi, le rapport Philibert propose de généraliser les " badges d'identification " portés par les salariés du bâtiment dans les Alpes maritimes.


Pour preuve qu'il s'agit moins de lutter contre le travail illégal que de débusquer les " clandestins ", la volonté de sanctionner les donneurs d'ordres a totalement disparu. Et, tandis que l'amendement socialiste proposé au Sénat, tendant à établir une présomption de complicité du donneur d'ordre (qui aurait renversé la charge de la preuve) est repoussé, la sanction concernant les " employeurs étrangers " est aggravée. On comprendra symboliquement que si les travailleurs au " noir " sont exploités, c'est que leurs patrons sont surtout des " exploiteurs étrangers ". Bref, s'il y a une efficacité de la lutte contre le travail illégal, elle concernera les étrangers.


D'ailleurs le choix des sanctions rappelle qu'il ne s'agit pas de n'importe quel délit. La loi prévoit de retirer la carte de séjour temporaire ou la carte de résident à " l'employeur étranger " qui emploie un " travailleur étranger " en violation des dispositions du code du travail [57]. Si le travail illégal était auparavant conçu comme un détournement fiscal, il est clairement perçu, depuis la circulaire du 29 novembre 1995, comme aggravant la situation de l'emploi, devenu cause nationale [58]


Tout ce passe comme si, rejetant la thèse frontiste (" 3 millions de chômeurs ce sont 3 millions d'immigrés de trop "), les hommes politiques accréditent malgré tout l'idée que les " clandestins " font disparaître le travail en occupant des postes au " noir ". Au détour d'un problème beaucoup plus général, la figure stigmatisée du " clandestin " permet de faire resurgir la thématique du coût économique de l'immigration, tout en enracinant l'idée d'une lutte active contre le " travail clandestin ".


Dans la dynamique de désignation de l'ennemi, où cohabitent des pratiques hétérogènes et un discours qui tente d'en unifier le sens, le " clandestin " et le fraudeur deviennent, parce qu'ils ont franchi le Rubicon de la loi, les relais de l'assignation qui tend à démontrer que les immigrés doivent être reconduits. L'opprobre univoque sur le fraudeur et le " clandestin " permet d'amalgamer plus avant les liaisons frauduleuses entre immigration, terrorisme, délinquance et chômage à travers des actes symboliques et des pratiques qui visent surtout à l'identification et à " l'éloignement ".


La rhétorique de " l'éloignement effectif " cherche, elle aussi, à " unifier " le criminel, l'illégal, le débouté, le fraudeur, le délinquant sous la catégorie " d'éloignable ". En effet, c'est surtout par les pratiques " d'éloignement ", voire d'emprisonnement que les différentes nuisances de l'immigration doivent être résolues.


[1] Je remercie Didier Bigo, Amélie Blom et Laurent Bonelli pour leur relecture attentive de cet article qui reprend des hypothèses développées dans un mémoire de DEA effectué sous la direction de M. Guy Hermet à l'IEP de Paris, septembre 1997.

[2] Selon le mot même de M. Michel, attaché parlementaire de M. Debré.

[3] L'ordonnance de 1945, " relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France " est intégrée au code pénal.

[4] Rapport de la commission d'enquête sur " l'immigration clandestine et le séjour irrégulier d'étrangers en France ", Documents d'information de l'assemblée nationale, rapport n° 2699, avril 1996, 2 tomes. Constituée en octobre 1995 à la demande du groupe RPR de l'Assemblée, cette commission remit un rapport qui prit rapidement le nom de son président, le député UDF de la Loire, Jean-Pierre Philibert. Précisons que son contenu fut fortement influencé par le rapporteur, Suzanne Sauvaigo, alors député RPR des Alpes Maritimes.

[5] En décembre 1989, suite à l'échec du PS aux élections législatives partielles attribué à la " souplesse " de la politique menée vis-à-vis des étrangers, le porte-parole du gouvernement Rocard déclare à la sortie du conseil des ministres : " La France ne peut plus être une terre d'immigration " et préconise " l'intégration des résidents étrangers installés durablement ". Le Quotidien de Paris, 7 décembre 1989. Autre exemple, en 1996, M. Debré déclare à la Commission des lois de l'Assemblée : " Sans préjugé ni volonté polémique, l'objectif du Gouvernement se résume dans une formule " immigration irrégulière zéro ", gage de cohésion sociale et d'insertion dans la communauté nationale des étrangers en situation régulière ". Rapport fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur le projet de loi (n° 3103) portant diverses dispositions relatives à l'immigration, par Pierre Mazeaud, 5 décembre 1996, p. 13.

[6] Simone Bonnafous, " Analyse du discours, lexicométrie, communication et politique ", in Langages, n° 119, 1995, p. 69.

[7] Pour Murray Edelman les problèmes sociaux sont des constructions idéologiques qui " désignent qui est vertueux ou utile et qui est dangereux ou inadapté (... et) construisent des aires d'immunité où rien n'est cause de souci parce que rien n'est perçu comme problème ". Il décrit la récurrence en politique " des situations pernicieuses qui persistent ", c'est à dire le moment où des situations jusqu'alors conçues comme inévitables, deviennent des problèmes. Les solutions proposées deviennent rationnelles en fonction de ces constructions de sens. Murray Edelman, Pièces et règles du jeu politique, Paris, Seuil, 1991, p. 37.

[8] Pour l'analyse des pratiques de contrôle des différents institutions étatiques de l'Etat et la réinvention des menaces voir le livre de Didier Bigo, Polices en réseaux : l'expérience européenne, Presses de Science-po, Paris 1996, et son article : " L'immigration à la croisée des chemins sécuritaires ", in Revue européenne des migration internationales, n° 14, 1998.

[9] Cf. Simone Bonnafous, op. cit., p. 68.

[10] L'enjeu aura parti lié à la force symbolique du langage dans le contexte de la représentation nationale. Cependant, il ne s'agira pas, non plus, d'évaluer l'effet de ces textes et discours sur le public.

[11] " Est rhétorique ce par quoi le discours est persuasif ". Les figures de sens qui comportent toutes un argument condensé, constituent une " prise de pouvoir " sur la chose dont on parle. Profitant du consensus vers lequel s'oriente les alternatives, c'est le domaine du vraisemblable. Olivier Reboul, " Rhétorique ", in Dictionnaire de Philosophie, PUF, Paris 1990.

[12] La notion de représentation nationale est ici utilisée dans le sens que lui donne Pierre Bourdieu, " La représentation politique ", in Actes de la recherche en sciences sociales, février 1981.

[13] Les termes " droite ", " gauche " sont des étiquettes politiques, qui, dans le jeu de concurrence politique, décrivent une certaine obligation de contradiction. Nous utiliserons les catégories politiques instituées comme catégories analytiques pertinentes, tout en sachant que nous laissons dans l'ombre l'étude des socialisations, des réseaux, des responsabilités locales ou des jeux d'intérêt personnels qui permettraient de reconstruire ces catégories.

[14] Par discours politique, nous entendons, discours des hommes politiques, ministres ou élus.

[15] Terme utilisé par Didier Bigo dans " L'immigration à la croisée des chemins sécuritaires ", op cit., 1998, p. 27.

[16] Haut Conseil à l'Intégration, " L'intégration à la française ", 1993, introduction.

[17] Rapport Philibert, op cit., 1996, p. 15.

[18] Retenons aussi la remarque de Sandrine Bertaux in " Le concept démographique d'assimilation : un label scientifique pour le discours sur l'intégration ? ", Revue française des Affaires sociales, n°2, avril-juin 1997. On ne parle pas d'immigrant, ce qui soulignerait la temporalité de cette situation, mais d'immigré. On pourrait ainsi imaginer que le discours sur l'immigration se structure selon d'autres catégories, par exemple : immigrant et résident.

[19] Prenons au court des débats en première lecture à l'Assemblée nationale un autre exemple significatif. M. Badinter rétablit au vol une citation de Fernand Braudel, faussée par l'ancien ministre de l'Intérieur, M. Bonnet. Ce dernier avait dit : " Déjà très diverse, ce qui fait sa richesse, la France peut-elle courir le risque de le devenir plus encore ? ", tandis que la citation originale était : " Déjà très diverse, ce qui fait sa richesse, la France ne peut-elle courir le risque de le devenir plus encore ? ". Compte rendu analytique officiel, session ordinaire de 1996-1997, mardi 17 décembre 1996.

[20] Assemblée nationale, débats, op cit., 17 décembre 1996.

[21] Ce concept désigne les termes dont le signifiant rassemble, sous son signe, plusieurs figures mouvantes de l'ordre du signifié, donc plusieurs " choses ".

[22] Murray Edelman, op cit., p. 143.

[23] Par exemple le rapport Philibert explique la délinquance à l'école, à la fois par la scolarisation des enfants de parents irréguliers et par celle des enfants de parents résidents, qui seront pour la plupart Français. Rapport Philibert, op cit., 1996, (p 103).

[24] Rapport Philibert, op cit., 1996, p. 117.

[25] Ibid.. p. 116.

[26] Notons d'ailleurs que le rapport ne précise pas le taux de ceux qui sont condamnés par adjonction d'un délit mineur avec le séjour irrégulier. De toute façon, selon le rapport, irréguliers ou réguliers, les étrangers sont largement responsables des délits repérés dans les domaines de la prostitution, du proxénétisme et des stupéfiants.

[27] La notion de plein droit qui caractérise la carte de résident de 10 ans (adoptée à l'unanimité au Parlement en juillet 1984) est limitée depuis 1993 par le conditionnement par " la menace à l'ordre public " et par l'entrée et le séjour régulier. De façon significative, la notion de " menace à l'ordre public " a pris une place de plus en plus importante dans le corpus législatif régissant les règles de l'immigration. Elle influence, d'abord à partir de 1986, le dispositif des visas ; puis en 1993, elle conditionne le regroupement familial. En 1997, la loi Debré tente d'y soumettre le renouvellement des cartes de résident, dites de plein droit.

[28] D'où le lien tactique entre la réforme du code de la nationalité et celle de l'ordonnance sur le séjour et l'entrée des étrangers en France. Nous nous appuyons ici sur la conférence de Maître Liger, " De la réforme du droit des étrangers ", Ordre des avocats, Barreau du Val de Marne en mars 1993.

[29] Mais au nom du respect de la vie familiale, elle est censurée par la décision du 22 avril 1997 du Conseil constitutionnel. Notons que si les membres de la Commission d'enquête considèrent souvent que le droit à la vie familiale normale est imposé par le Conseil constitutionnel en vertu de la Convention de Genève, le Conseil vérifie en fait la constitutionnalité d'un texte par rapport au bloc de constitutionnalité ainsi composé : texte de 1958 + préambule de la Constitution de 1946 visé par celle de 1958 + Déclaration des droits de l'homme de 1789. Mais c'est effectivement la norme internationale qui a poussé le Conseil à " découvrir " cette règle.

[30] L'article 12 de l'ordonnance devient : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire est délivrée de plein droit : à l'étranger mineur dont l'un des parents au moins est titulaire de la carte de séjour temporaire, s'il a été autorisé à séjourner en France au titre du regroupement familial ; à l'étranger mineur, ou dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qui justifie par tout moyen avoir sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de 10 ans ; à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de quinze ans ; (...ou) marié depuis au moins un an (...) à condition que la communauté de vie n'est pas cessée, que son entrée sur le territoire ait été régulière (...) ; (...ou) qui est père ou mère d'un enfant français de moins de 16 ans, résidant en France à la condition qu'il subvienne effectivement à ses besoins " (loi Debré, 26 mars 1997). Selon le rapport fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur le projet de loi, modifié par le Sénat, portant diverses dispositions relatives à l'immigration, par Pierre Mazeaud, daté du 20 février 1997, cet article a pour " vocation de régler environ les trois-quarts de ces " cas de non droit ", le reliquat pouvant néanmoins trouver une issue favorable par le biais de décisions préfectorales individuelles " (p. 23). On évite ainsi d'utiliser le mot " régularisation ".

[31] Nous rejoignons la perspective des travaux critiques qui abordent l'analyse de l'immigration et de l'identité dans leur référence à la sécurité. Citons, entre autres, Didier Bigo (op. cit., 1996) et Ayse Ceyhan, " Migrants as a threat : a comparative analysis of securitarian rhétoric : the European Union and the United States , ESCA, 5th biennal international Conference, Seattle, May 29- June 1, 1997.

[32] M. Philibert, (souligné par l'auteur), Quelle politique d'immigration pour la France, Comité national de l'UDF, hiver 1996-97.

[33] John R. Searle, The Construction of Social Reality, The Free Press, 1995.

[34] M. Mazeaud se félicitant de la décision du Sénat de rétablir la carte de séjour temporaire à l'étranger résidant en France depuis plus de 15 ans, dit : " il s'agit de conférer un titre d'une durée maximum d'un an à une personne intégrée de fait dans notre société, titre susceptible d'être retiré rapidement dans le cas où, à l'issue de ce " stage probatoire " la personne représenterait une menace pour l'ordre public ". Rapport au nom de la Commission des lois constitutionnelles, op cit., 20 février 1997, p. 25.

[35] Un " intégré légal " peut être " dé-intégré " et renvoyé s'il commet des actes de délinquance. Le gouvernement détient le monopole de la qualification de " l'intégré ", qui ne saurait être que légal.

[36] Assemblée nationale, débats, op cit., décembre 1996.

[37] Rapport au nom de la Commission des lois constitutionnelles, op cit., 20 février 1997, p. 26.

[38] En même temps, la deuxième phase du plan Vigipirate est lancée et les contrôles aux frontières intérieures renforcés, limitant la libre circulation dans l'espace Schengen.

[39] M. Philibert lors d'un entretien en juillet 1997, sur la base de prise de notes.

[40] M. Philibert, ibid.

[41] Rapport Philibert, op cit., 1996, p. 20.

[42] Il faut un certificat d'hébergement pour obtenir un visa (si on ne compte pas aller à l'hôtel). De fait ce sont les pays à visa qui sont concernés par les certificats d'hébergement.

[43] Considérant que le certificat d'hébergement n'est pas assez " sécurisé ", le rapport Philibert propose de contrôler les ressources de l'hébergeant, de refuser le certificat aux détenteurs d'une carte de séjour de trois ans, de procéder à des visites inopinées de l'OMI, de " responsabiliser l'hébergeant ", celui-ci devant se porter caution pour " les dépenses publiques que l'hébergé pourrait engendrer ". Rapport Philibert, op cit., 1996, (p. 41). Le présupposé induit est qu'une fois entrés les gens restent ; le sous-entendu, qu'ils fraudent. Selon la loi adoptée, si " les demandes antérieures font apparaître un détournement de procédure ", le " fraudeur " ne pourra obtenir un nouveau certificat durant deux ans. Ajoutons que ce n'est plus le maire, mais le préfet qui signe le document. Loi Debré, 26 mars 1997.

[44] Rapport fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, par Pierre Mazeaud. 5 décembre 1996, p. 74.

[45] La mobilisation pour les sans-papiers, arrimée au caractère délatoire de cette déclaration de départ, conduit le Parlement à adopter " l'amendement Mazeaud ", selon lequel : " L'étranger hébergé remet le certificat d'hébergement dont il a bénéficié aux services de police, lors de sa sortie du territoire ". Cette formulation induit la constitution d'un fichier informatisé, alors qu'une partie de la controverse, des craintes des centristes et de la gauche parlementaire, portait sur le risque de constitution de fichiers. La logique déclarée, est inversée, masquant l'intention : celle de créer un fichier national. Loi Debré, 26 mars 1997.

[46] Le rapporteur s'en remet à la " sagacité consulaire " face à " l'habileté des fraudeurs ", Rapport Philibert, op. cit., 1996, p. 21.

[47] Par exemple, selon les députés, la question de la reconduite n'étant pas résolue, " la non admission équivaut à une remise en liberté d'un récidiviste en puissance ", Rapport Philibert, op cit., 1996, p. 54.

[48] M. Debré, Assemblée nationale, débats, op cit., 17 décembre 1996.

[49] Philippe Henriot, chef de la mission interministérielle de lutte contre le travail clandestin, l'emploi non déclaré et les trafics de main d'œuvre, déclare lors de l'audition de la Commission d'enquête : " La notion de travail illégal n'a pas de définition juridique propre. Elle recouvre de fait un ensemble d'infractions (...) : le travail clandestin, le marchandage, le prêt illicite de main-d'œuvre, l'emploi d'étrangers sans titre de travail, l'infraction à la réglementation sur le travail temporaire, le placement payant, l'emploi non déclaré, le cumul d'emploi. (...) Juridiquement le travail clandestin est (soit) la dissimulation d'activités, (soit) la dissimulation de salariés.(..) Il y a néanmoins une zone de jonctions entre le champ d'application du code du travail et celui de l'entrée et du séjour : c'est l'infraction d'emploi d'étrangers sans titre. En 1993 l'emploi d'étrangers sans titre pèse pour 8 % du travail illégal ". Rapport Philibert, op cit., auditions, 1996, p. 107.

[50] Nous nous appuyons sur le travail de Pierre Best, " Les enjeux de la politique de lutte contre le travail clandestin dans la lutte contre l'immigration clandestine ", mémoire dans le cadre du séminaire de Didier Bigo à l'IEP de Paris en 1996-1997, p. 12.

[51] Avis présenté au nom de la Commission des lois constitutionnelles (...) sur le projet (n°3046) relatif au renforcement de la lutte contre le travail clandestin, par Gérard Léonard, 5 décembre 1996, p. 8.

[52] Rapport Philibert, op cit., 1996, p. 106.

[53] M. Juppé opte au départ pour un texte mêlant " lutte contre le travail clandestin " et maîtrise des flux migratoires. Lors des débats sur le travail illégal en janvier 1996 les dispositions visant à autoriser la " perquisition " dans les locaux professionnels visant à contrôler les identités et l'inscription des salariés sur le registre du personnel et celles qui visent à sanctionner les " employeurs étrangers " qui contreviennent à la législation sur le travail sont proposées par amendements (Rudy Salles, UDF - PR) et rejetées. M. Debré fait alors savoir qu'il s'engage à ce que ces mesures s'intègrent dans son projet dont l'examen est prévu une semaine plus tard.

[54] Jadis les OPJ étaient autorisés, sur avis du tribunal de grande instance, à entrer dans les lieux de travail pour enquête préliminaire. La loi Debré permet à tous les corps de contrôle d'établir des procès verbaux ayant une force probante. L'article 19 (art. 78-2 du code de procédure pénale) de la loi autorise les Officiers de Police Judiciaire, sur " réquisition du procureur de la République à entrer dans des lieux à usage professionnel en vue de vérifier " les déclarations aux organismes de protection sociale, le registre du personnel, les déclarations préalables à l'embauche et de contrôler l'identité de salariés dans le but de contrôler ces registres. Légalement le contrôle s'adresse aux salariés en général, cependant l'article 78-2 du code de procédure pénale permet de vérifier les titres de séjour des étrangers. Si le nouvel article 78-2-1 du code de procédure pénale s'adresse à tous, pourquoi l'insérer dans un loi sur l'immigration ?

[55] Cf. Pierre Best, op cit., 1997, p. 17.

[56] D'ailleurs, la mission de lutte contre les trafics de main-d'œuvre est créée en 1976, soit dix ans avant celle de la MUTILO (Mission interministérielle de lutte contre le travail clandestin, l'emploi non déclaré et les trafics de main-d'œuvre). Il s'agit visiblement d'une priorité ancienne. Cf. Pierre Best, op cit., 1997, p. 11.

[57] Le rapport Philibert préconisait cette mesure et ajoutait, entre autre, que les employeurs " ayant acquis la qualité de Français " soient déchus de leur nationalité et que les " employeurs français " soient privés de leurs droits civiques pendant 5 ans. Rapport Philibert, op cit., 1996, p. 114.

[58] Pierre Best note : " chômage, déficits, précarité ou exclusion sont ainsi évoqués comme des avatars partiels du travail clandestin ", 1997, op cit., p. 9.

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Date de publication : automne 2001
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Loi Debré : la fabrique de l'immigré (Partie 2)

Charlotte Lessana



L'identification et " l'éloignement effectif "

De façon éclairante, le Parlement comme le gouvernement refusent de s'ajuster aux conditions de non-expulsion de l'article 25, maintenant une zone de non-droit dans laquelle la lutte est ouverte entre " éloignement " et procédures de recours. Et, quand le Sénat rétablit la mesure rejetée par l'Assemblée nationale en première lecture, permettant de régulariser, pour l'étranger résident depuis 15 ans, M. Philibert réagit en refusant l'idée d'une carte temporaire de plein droit : " Je ne veux pas laisser dire qu'on revient à une niche de ni-ni. Il n'y a pas de ni-ni dans ce domaine là. Il y a des gens qui n'auront pas de plein droit une carte de séjour temporaire ". La contrainte du droit à la vie familiale normale tiraille déjà les députés et le gouvernement. Mais le défaut d'identité qui, sans laissez-passer consulaire, oblitère les possibilités " d'éloignement ", les obnubile.


L'identification des personnes est un thème majeur du projet de loi. Selon M. Marquès, sénateur du groupe centriste des Pyrénées orientales, " l'anonymat est devenu une véritable filière d'immigration irrégulière, etc. (car) près de 90% des clandestins maghrébins interpellés sont dépourvus de documents, etc., il suffit de paraître sourd et muet pour être remis en liberté " [1]. L'identification est reliée à toutes sortes de dispositifs de contrôle. On l'a vu sur le travail des " clandestins ", les filières, le fichier des hébergeants ou la délinquance, mais la loi Debré propose aussi la retenue du passeport lors du contrôle d'un étranger irrégulier, la prise des empreintes digitales au moment du dépôt d'une demande de séjour et son utilisation par la police, la connexion de cette dernière au fichier de l'OFPRA et enfin la transformation des procédures de reconduite aux frontières. C'est donc aussi dans cette course à " l'éloignement effectif ", que les différentes formes d'irrégularité se confondent.


Ainsi, depuis 1993, les règles du droit d'asile se fondent dans le cadre et la logique de l'ordonnance de 1945. La rhétorique de la fraude, continûment utilisée contre les demandeurs d'asile, cherche à entraver les formes de recours possibles. Ainsi, quand le dépôt de demandes d'asile multiples constituait déjà une " fraude délibérée ", la loi Debré entend caractériser le dépôt des candidatures sous des " identités multiples ", par l'étiquette : " recours abusif " [2]


Les " déboutés " sont devenus la préoccupation privilégiée du ministre de l'Intérieur qui, suite aux conséquences de la politique européenne d'asile, est confronté à plus de 200 000 déboutés du droit d'asile [3]


Au cours des débats, les députés reprennent une disposition de l'avant-projet de loi, permettant, aux fins d'une identification, aux forces de police d'accéder au fichier de l'OFPRA. Adopté, l'article est censuré par le Conseil constitutionnel, car il ne respecte pas la confidentialité des informations détenues par l'OFPRA. Les logiques liées à la fraude conduisent à subordonner la légitimité des actions entreprises à leur nécessaire efficacité, quitte à escamoter les règles de l'asile ou à restreindre l'exercice du juge, garant des libertés individuelles. En fait, les modifications législatives tendent à contourner la confrontation avec le juge, soit dans le cadre de la rétention administrative [4], soit en créant une rétention judiciaire qui se sert de sa caution.


" L'amélioration " de la rétention administrative [5], cœur répressif de la loi, s'inscrit dans l'ordre d'un conflit qui oppose le ministère de l'Intérieur aux juges qui s'estiment compétents, pour statuer sur la légalité du contrôle d'identité [6]. Au terme de la loi Debré, le procureur de la République peut, s'il lui apparaît que " l'intéressé ne dispose pas de garanties de représentation effectives " (il suppose que la personne ne se présentera pas devant le tribunal administratif), demander au premier Président de la cour d'appel, contre les ordonnances prises par le président du tribunal de grande instance (refusant la prolongation du maintien), de décider le recours suspensif. L'intéressé sera, alors, maintenu à la disposition de la justice jusqu'à ce que l'appel soit jugé sur le fond (décision du juge administratif) . [7]. D'une certaine façon, le juge n'est plus garant de la privation de liberté. De plus, la loi Debré autorise l'administration à attendre 48 heures contre 24, avant de saisir le juge, si elle souhaite prolonger la rétention administrative [8]


Comme le juge administratif doit statuer dans les 48 heures sur la validité de l'arrêt préfectoral de reconduite, cela devrait permettre d'éviter de saisir le juge.


Enfin, créée en 1993, pour remédier aux exigences du Conseil constitutionnel en matière de rétention administrative, la rétention judiciaire permet une incarcération de trois mois aux seules fins de l'identification [9]. Jusqu'à la circulaire de 1995, elle était peu appliquée [10]. Selon Maître Liger, cette disposition, inscrite dans le chapitre du code de procédure pénale qui prévoit que le reclassement du prévenu est en voie d'être acquis, " n'a rien a voir avec la réinsertion du condamné étranger, elle est concernée par le bannissement et constitue un véritable chantage judiciaire " [11]. Le rapport Philibert l'interprète, en effet, comme une punition républicaine [12]


Cela n'empêche pas M. Debré de vouloir en renforcer le " contenu " : " une méthode simple consiste à étendre son champ d'application à l'ensemble des délits de séjour irrégulier, ou de refus d'embarquement " [13]


C'est à dire que l'étranger passible d'une mesure " d'éloignement ", dépourvu de documents d'identité, volontairement ou non, peut être maintenu en rétention. Si cette mesure est en partie symbolique (la majorité des juges ayant refusé d'appliquer cette rétention), elle s'inscrit dans une logique perverse qui confond punition et reclassement [14]


L'obsession de la fraude, interprétée comme déloyauté, et celle de la différence, comme allusion à une malignité intrinsèque, caractérisent la figure de l'immigré [15]


A travers la succession des agencements pratiques proposés par la loi, le discours politique travaille pour désigner un adversaire sous l'éponyme immigré. Cependant, émergeant de pratiques hétérogènes, le discours qui en ressort, construit l'immigration en un danger tous azimuts. Ainsi, le ministre de l'Intérieur n'hésite pas à lister des menaces éparses, comme pour les souder [16]

Cristallisant un continuum de menaces, l'immigré plus ou moins " clandestin " développe, dès lors, des capacités d'expression multiformes, devenant au travers d'un réseau de significations successivement délinquant, terroriste, clandestin, fraudeur, travailleur au noir, etc. De sorte que chacun pourra reconnaître cet " Autre infiltré ". L'hétérogénéité des pratiques de contrôle s'inscrit donc dans un processus politique qui cherche à en unifier le sens à travers la construction d'un discours qui dit répondre à un problème, l'immigration. L'immigration, construite par l'adjonction de discours sécuritaires variés, comme objet naturel et menaçant, devient du fait de sa représentation comme telle (sa désignation ayant un effet performatif) le trait saillant liant ces " insécurités " éparses. Mais comment dans la concurrence démocratique, émerge ce discours ?


Les structures du jeu politique

Le discours politique étant l'objet même de la pratique politique, l'assiduité des hommes politiques et la centralité du thème de l'immigration s'estime à l'aune de ce qui est espéré en terme de coalition, consensus, lutte. La constitution d'une figure de l'ennemi est aussi le signe d'un dispositif de pouvoir précis [17]


Quel est ce dispositif de pouvoir au sein de la " droite " et à quelle dynamique correspond-il entre majorité et opposition ?

Le jeu politique, constitué selon Pierre Bourdieu par un " système d'écarts distinctifs ", détermine l'espace des prises de position : " (...) une prise de position, le mot le dit à merveille, est un acte qui ne prend son sens que relationnellement, dans et par la différence, l'écart distinctif " [18]. Si la " problématique légitime en politique " [19] est ce dont la classe politique estime convenable de débattre dans l'arène politique, le domaine du vraisemblable et les conditions de possibilité d'un discours sont inhérents à la structure du jeu politique. Or depuis le début des années 80, l'opposition catégorielle droite/gauche (fondée sur le distinguo : opposition/majorité) sur le thème de l'immigration, s'est surtout traduite par la mise en œuvre d'une pratique politique commune fondée sur des formules similaires [20]


Quels sont alors les enjeux et les règles rhétoriques sur lesquels le jeu des écarts distinctifs entre " droite " et " gauche " se déploie ?

Après les lois Pasqua, la loi Debré est l'exemple même d'une construction de l'immigration comme problème institué [21]

Elle impose l'idée qu'il faut trouver une solution d'urgence, mais déjà touchée par un mouvement social de protestation, elle y allie des régularisations, permettant, face à une Assemblée très à droite et à la mobilisation pour les sans-papiers, d'observer les qualités syncrétiques du discours gouvernemental [22]


D'ailleurs, les députés de la Commission d'enquête ne s'y trompent pas et rappellent à plusieurs reprises que " c'est au Parlement, incarnation de la volonté populaire, qu'il revient de faire la loi " [23], s'adressant directement au gouvernement de leur majorité.

Jeu de pouvoir au sein de la " droite "


Considérant la " droite " en tant que catégorie, non pas ontologique mais issue de la représentation politique, quel est l'impact de la " question de l'immigration " en son sein ?


Les rapports parlementaires Philibert, Léonard (travail clandestin) et Cuq (foyers de travailleurs immigrés [24]) ont agrégé sur les questions de la fraude généralisée et du coût social de l'immigration, les colères et les réactions d'une partie des députés de droite qui siègent depuis 1993. De l'UDF comme du RPR ou de formations parlementaires indépendantes, ils forment durant l'examen de la loi Debré le groupe informel que les médias ont appelé les " ultras " [25].


Le rapport Philibert entame son étude en disant " la fraude s'est répandue à tous les niveaux " [26]. Désignant autant le fraudeur que le " fraudeur potentiel ", c'est en fait l'idée de fraude qui est visée. Tandis que la loi ne retient que le visiteur et son complice, l'hébergeant, le demandeur d'asile menteur, l'anonyme " sourd et muet " et le travailleur " au noir ", le rapport Philibert propose tout simplement de restreindre " l'intérêt d'un séjour irrégulier en France " [27], dénonçant le coût social de l'immigration dans la lignée des thèses du Club de l'Horloge ou de l'extrême droite sur le chômage. Ainsi, l'aide médicale ouverte à tous, n'étant " pas restreinte aux seules urgences ", ne permet en rien de " réduire les avantages indûment espérés ". C'est dans cette course à la fraude potentielle que se détecte le mieux la perception de l'autre. Le rapport s'agace de ce que les détenus soient automatiquement affiliés à la sécurité sociale, quand il demande en la matière un contrôle plus strict. Par ailleurs, s'il ne servirait à rien de subordonner la scolarisation à la régularité du séjour des parents, puisque cela affecterait la délinquance et que rien ne dit que cela serait dissuasif : " il faut prendre garde à ce que la présence d'enfants au foyer d'étrangers en situation irrégulière (ne constitue pas) une incitation au séjour familial irrégulier ".


Ainsi, Mme Sauvaigo, toujours dans une logique d'anticipation, se sert de l'exemple guyanais pour demander le conditionnement de l'acquisition de la nationalité française à la situation de régularité des deux parents : " En Guyane, les Haïtiennes viennent accoucher et font reconnaître l'enfant par un Français qui est payé. L'enfant devient Français et la mère est inexpulsable. C'est pourquoi j'ai proposé que la nationalité de l'enfant dépende de la régularité de la mère sur cinq ans. Et maintenant qu'on retourne au droit du sol pur, toutes les femmes du monde vont venir accoucher en France. On en fait des malheureux, il y a tellement de chômeurs déjà [28] ". De plus, de multiples amendements, rejetés, cherchent à priver de titre de séjour ceux qui se seront endettés auprès de l'Etat, ou encore ceux qui auront profité trop longuement des minima sociaux. On comprend la perversité de cette pensée qui, percevant le déséquilibre Nord-Sud dans une perspective catastrophiste, remet en question la légitimité républicaine [29].


Cependant, l'objectif du rapport est d'abord de faire pression sur le gouvernement pour obtenir une modification législative sur l'immigration. Certains membres de la Commission se tiennent à cette logique. Si M. Philibert, ancien rapporteur des lois Pasqua, voit son amendement sanctionnant, au nom des principes de " laïcité, égalité des sexes, unicité de la loi ", la " présomption de regroupement polygamique " retiré, c'est moins par désaccord du ministre de l'Intérieur, qu'en raison de son caractère discriminatoire qui serait sanctionné par le Conseil constitutionnel [30]. D'autres, comme Mme Sauvaigo, ne se soumettent aux limites imposées par le jeu politique qu'en deuxième lecture, sous la pression des groupes parlementaires et du gouvernement [31]. Car, le désaccord politique est frappant, en ce qui concerne l'Europe, par exemple.

Poussant jusqu'au bout sa logique, le rapport Philibert demande une action volontariste contre le " mythe de l'ouverture des frontières " - comme si cette perméabilité était nouvelle et comme si on pouvait décréter de les fermer -, mettant directement en cause la construction européenne [32]. Si ces dissensions, largement dynamisées par des enjeux électoraux locaux, préfigurent l'explosion de la droite suite à son échec électoral, comment sont-elles gérées lors du débat sur la loi Debré ?


Les revendications des ultras outrepassant les aspirations du gouvernement, M. Debré adopte un discours répétiteur qui légitime leurs affects idéologiques, tout en préparant un repli stratégique, qui interviendra au moment de la deuxième lecture. Ainsi, le discours sur la consommation d'allocations rejoint le thème néolibéral de la paresse naturelle des masses. Il se résume dans l'idée du dénuement des immigrés, que l'on retrouve en filigrane dans le système des visas, des certificats d'hébergement, comme dans la lutte contre le franchissement clandestin des frontières qui alimente des " filières d'esclaves ". Autant d'approches légitimes qui permettent à M. Debré de satisfaire, rhétoriquement, les ultras [33]


Ainsi, quand il dénonce une " nouvelle immigration d'ayant-droits " [34], manquant de " volonté d'intégration ", il évoque le thème des privilèges sociaux, central pour le débat politique et social [35]. De plus, lors des débats, les ultras s'appuient sur une interprétation et un répertoire commun avec le ministre de l'Intérieur sur les menaces liées à l'immigration [36], pour présenter de multiples amendements, dont certains, issus de l'avant-projet de loi, sont adoptés. Il s'agit de l'informatisation des empreintes des demandeurs de séjour, de la connexion du fichier de l'OFPRA à celui des forces de l'ordre et du conditionnement du renouvellement de plein droit des titres. Mais, les deux dernières mesures seront censurées par le Conseil constitutionnel [37]. Ainsi, on peut supposer que la gestion des ultras se traduit par une certaine autonomisation du ministre de l'Intérieur : une alliance ponctuelle qui constitue une tentative de forcer les appréhensions du Conseil constitutionnel et les réticences du Premier ministre. Rappelons, d'ailleurs, que le projet de loi est présenté au Parlement dans des circonstances finalement équivoques. Car, il semble bien que M. Juppé ne l'ait autorisé que suite à la libération de la plupart des sans-papiers de l'église Saint-Bernard par les juges qui, au vu d'une interpellation " illégale ", ont refusé de prolonger la détention administrative. L'intervention à la hache aurait donc eu pour objectif de démontrer les " difficultés " que l'administration rencontre pour " éloigner " et forcer le Premier ministre à accepter favorablement une nouvelle proposition de loi.


Le gouvernement ayant ouvert l'espace public à la pétition des ultras et établi avec eux, par la médiation de M. Debré, un répertoire linguistique commun, il finira par se servir de leur animosité pour démontrer aux centristes, comme aux électeurs, la pondération de son jugement (qui est en fait un équilibre des positions) [38]. Englobant une multiplicité de contradictions, la rhétorique gouvernementale apparaît comme une stratégie de vraisemblance non-polémique, centrée sur une cible floue qui permet de maintenir la cohérence du mouvement et d'espérer un consensus avec la " gauche ". Ainsi, conscient des dissensions à " droite ", M. Philibert fait, lors des débats, l'apologie de l'approche pragmatique chère au ministre de l'Intérieur : " tout renforcement de cette législation entretient peur et polémiques (...) tout allégement rendrait effectivement impossible cette intégration. Posons-nous la seule question qui vaille : ce texte est-il efficace ou non ? " Cette rhétorique permet de traiter indistinctement toutes les questions sous l'angle de l'efficacité [39]


Le problème de l'immigration n'a pu être un moteur pour souder l'alliance hétéroclite de la " droite " que banalisé par l'amalgame de problèmes divers. Cependant, la question du FN presque sous-jacente à celle de l'immigration fera éclater cette " coalition ", passée dans l'opposition en mars 1997. L'idée maîtresse d'un nécessaire consensus national (donc entre le " gauche " et la " droite ") sur l'immigration doit aussi être pensée comme indispensable au maintien de la cohésion interne des formations partisanes [40].

La construction de l'immigration comme " problème naturel " au sein du personnel politique


Depuis le milieu des années 80, la politique d'immigration se concentre sur l'idée de lutte contre l'immigration clandestine, légitimée par le concept d'intégration, tout en constituant un droit des étrangers conditionné par la notion de " menace à l'ordre public ". En effet, habitée par l'idée d'un consensus national, la " gauche " gouvernementale s'est orientée vers une politique sensiblement identique à celle de la " droite " . Par ailleurs, de plus en plus sensible à l'influence des sondages d'opinion et au travail des experts, qui apparaissent comme de nouvelles instances de production de vérité, le débat politique se concentre autour d'une rhétorique de l'acceptabilité sociale, largement établie en fonction du jeu politique lui-même. La problématique légitime construite dans la concurrence droite/gauche fait de l'immigration un problème relevant d'abord de la morale républicaine, puis d'une équation technique [41]


Ces déplacements, qui fondent le consensus, masquent en dernier ressort l'impact des rhétoriques du Front national sur le discours et les représentations politiques.


Le débat sur l'immigration se légitime par une référence continue aux principes républicains. D'abord avec la Commission Long sur le sentiment national [42], chargée d'une audit sur le sentiment national (dans la jeunesse), émerge le concept de " volonté d'intégration ". Puis en 1988, l'exigence républicaine est une nouvelle fois sollicitée pour légitimer la politique de désignation des " immigrés ", avec l'idée d'une intégration dépendante du contrôle de l'immigration. Les partis politiques parlementaires s'unissent autour d'une formule consensuelle : " la réussite de la répression de l'immigration clandestine conditionne la réussite de l'intégration des étrangers réguliers ", qui permet, entre autre artifice, d'estimer l'intégration en fonction de l'effectivité du " contrôle des flux " [43]


Pour absconse que soit cette formule, elle est tant répétée, qu'elle finit par s'imposer comme une évidence au public. Ainsi, une étude de la SOFRES datée du 20 février 1997 rapporte que 68% des Français estiment que la lutte contre l'immigration " clandestine " est un moyen efficace pour favoriser l'intégration.


De plus, le consensus est chaque fois reconduit dès lors qu'il est possible d'oblitérer toute perspective politique en arguant d'une problématique pragmatique ou technique. Cette approche technicienne est légitimée, au moment de la loi Debré, par une problématique politique soi-disant résolue par les lois Pasqua, alors que ces dernières prétendaient n'être, elles-mêmes, qu'une normalisation des pratiques instaurées par la " gauche ". Car l'argument de la technicité met en scène une solution inespérée : la restauration de l'efficacité de l'Etat, utilisée autant à " gauche " qu'à " droite ". Ainsi, l'idée d'une nécessaire amélioration de " l'éloignement effectif " en regard d'un taux d'à peine plus de est en partie issue d'une manipulation statistique. Depuis 1991, au terme de toute carte de séjour (que la personne ait été interpellée ou pas, qu'elle soit partie ou restée), un arrêté de reconduite est envoyé, changeant drastiquement le nombre de reconduites prononcées. Ainsi, tandis qu'entre 1986 et 1989, 60 à 70% des décisions étaient exécutées, en 1992 il n'en reste que . Le problème ainsi construit justifie la nécessité (fondée en science) d'un dispositif juridique plus répressif. Le discours politique imprime un ordre logique qui met en scène la naturalité des dispositifs légaux adoptés.

En fait, la construction d'un problème naturel s'appuie sur toutes sortes de ressorts [44]


Le rapport Philibert, pièce maîtresse d'une compréhension des rhétoriques politiques, est bâti sur l'idée d'une progression de la clandestinité sur le territoire [45]. Quant au ministre de l'Intérieur, c'est en arguant d'une prétendue " exposition naturelle du territoire national aux flux migratoires " qu'il entame l'énoncé des motifs de la loi [46]


Si bien que la caractéristique de la politique migratoire est alors de s'attacher à l'ordonnance de 1945, " symbole " d'une immigration éternellement problématique, comme s'il s'agissait d'un texte sacré [47]


Cette technicité des approches espère aussi prendre de court les thèses dites " politiques " du FN. Mais plus que cela, la concurrence du FN biaise le discours sur l'immigration. Ainsi, pour M. Debré, quand en 1996 moins de 25% des " irréguliers sont reconduits à la frontière ", cette déficience de l'Etat a pour conséquence directe le développement de la xénophobie : " un effet désastreux sur l'opinion ". De même, si M. Juppé se croit, suite à la non-reconduite immédiate des sans-papiers de Saint-Bernard, obligé de présenter une nouvelle modification de la loi, c'est en fonction de l'idée admise qu'une telle libération ne peut que favoriser le FN. Dans le champ de l'immigration, c'est donc souvent en référence aux positions du FN que les acteurs politiques étalonnent leurs discours [48]


Car, suite des élections municipales de mars 1983, le consensus sur les enjeux de la politique de l'immigration entre " gauche " et " droite " se fonde aussi sur le rapport au FN.

Or, cette posture de " responsabilité " vis-à-vis du FN, liée au contexte institutionnel, qui a ses règles de langage et ses rituels, procure l'avantage d'un ancrage républicain [49]


Ainsi, c'est seulement quand la " rue " a dramatisé l'enjeu sur la question de la délation, (la manifestation du 22 février 1997 ayant montré la sensibilité du public à la " référence vichyste ") que la gauche monte au créneau [50]. Et, lors des débats parlementaires sur la loi Debré, le thème de la " gestion " du FN à travers une politique gouvernementale, " pragmatique et équilibrée ", devient rapidement l'axe central de la polémique [51]. Aussi, le coup tactique des sénateurs de la " gauche plurielle " est d'occuper le terrain de la lutte contre le FN [52]. Mais, si la constance avec laquelle la controverse sur l'immigration se rapporte à celle de la République peut être un facteur d'assouplissement, c'est surtout un facteur d'évitement et de reconduction perpétuel du débat sur l'immigration, l'histoire même de la République étant ambivalente. La question de la gestion du FN à travers la politique migratoire renforce l'assise des rhétoriques républicaines au sein des groupes parlementaires et offre un terrain renouvelé au jeu des écarts distinctifs nécessaire à la concurrence politique [53]


Ainsi, le " consensus " n'empêche pas les partis de s'affronter à travers les " rhétoriques réactionnaire et progressiste " qui maintiennent l'habillage identitaire des partis. Homothétiques, les discours de la " droite " et de la " gauche " se répondent : le PS favorise l'immigration " clandestine " qui compromet l'intégration des " étrangers réguliers ", menace l'harmonie de la nation et suscite des réactions xénophobes ; la " droite " déstabilise par des lois suspicieuses l'intégration des étrangers en France, affecte les libertés individuelles et légitime les rhétoriques du FN.


Dans l'objectif de la préservation du jeu politique, la dynamique de concurrence partisane entraîne ainsi la constitution d'un consensus de contournement des positions du FN. Mais, la rhétorique du FN devient la rhétorique de référence. Quand la politique d'immigration s'oriente en fonction d'un risque de " montée de la xénophobie " et de l'existence d'un " problème " de l'immigration, elle participe à la réalisation de sa propre prédiction (l'immigration fait monter le FN). L'idée d'une intégration républicaine " difficile ", critère de légitimé par excellence, permet alors de distinguer entre " clandestins " et " réguliers ". Mais, la solution comme " di-vision " entre bons et mauvais, confirme la menace et perpétue le problème [54]. Par exemple, bien que la doctrine républicaine ne conçoive, par principe, que des individus, le changement d'origine des immigrés justifie pourtant le durcissement de la législation, comme si ces personnes devaient brutalement être considérées en fonction d'une aire culturelle déterminée. Il est ainsi inscrit au titre des motifs de la réforme du code de la nationalité d'août 1993 que " L'origine géographique de l'immigration (s'étant) modifiée, il est un fait que l'intégration de cette nouvelle population étrangère s'est révélée plus difficile " [55]. La visibilité des sans-papiers africains de l'église Saint-Bernard suscitera la même tentation d'en assigner l'inassimilabilité.


On peut aussi se poser la question en terme de représentation. Car, des " odeurs " [56] aux importuns qui se servent dans le " frigidaire des Français " [57], les politiques livrent des images de l'immigré décalquées sur celles du FN. Aussi, comme l'écrit Murray Edelman on peut dire que : " La trace de ce qui est nié demeure dans l'action, la signification de ce qui est affirmé étant construite par ce en quoi cette trace diffère de l'affirmation " [58]


De ce point de vue, la déclaration M. Juppé durant l'examen législatif du projet de loi est explicite : " L'idéologie du FN est de dire que l'étranger, quel qu'il soit, est un danger. C'est ce qu'on appelle la xénophobie et je me bats de toutes mes forces contre (...) Je veux faire le partage entre immigration régulière, qui est la bien venue en France, et l'immigration irrégulière ". L'évitement du FN stigmatise cette trace et détermine le fonctionnement du dispositif d'ensemble quant à " l'immigré " [59]


Légale ou illégale, l'immigration apparaît toujours comme un mal économique, social ou culturel, car tout dans le corps des textes législatifs et des débats est fait pour amarrer à ce mot vidé de son sens une kyrielle de problèmes. En particulier, les discours identitaires, issus des acteurs politiques, dirigent le sentiment de perte vers des repères culturels. Identifiée et nommée, problèmes sociaux, politiques, nationaux et internationaux peuvent se greffer sur la figure de l'immigré. Quand l'ennemi " politique ", le communisme, décline, l'islam devient la nouvelle menace transnationale. Par exemple, au début des années 90, une campagne médiatique dénonce le péril des " bandes ethniques " en banlieue [60]


Quant au plan Vigipirate, il étend encore la signification du lien entre ordre public, différence culturelle et immigration [61]

Si cette projection des menaces extérieures sur l'intérieur peut sembler, somme toute, logique, on peut se demander si ce n'est pas justement la dénonciation de ce processus qui est elle-même paradoxale [62]


Car l'idée d'une aide extérieure se traduit par la peur de l'invasion ou de l'infiltration, fondant l'altérité de l'ennemi intérieur. Et si l'Autre n'était que fantasmé à l'échelle mondiale, l'ennemi intérieur permet d'en disséquer les différences, dans une intimité quotidienne. L'ennemi proche, hétérogène et atomisé, que sont les immigrés, fait du débat social un débat identitaire qui, jouant sur les représentations, transforme les rapports sociaux en rapports raciaux. Le modèle républicain d'intégration fait alors figure de machine à passer d'un registre à l'autre.

A partir de là, il faut admettre que le discours politique, comme toute forme de langage, ne transmet pas une représentation objective du monde. Cherchant à convaincre et à instituer un sens, il agit sur l'équation de l'interlocution. Le langage apparaît comme " un foyer d'incertitudes, un vecteur d'arbitraire où cohabitent de multiples niveaux et sites de significations qui se contredisent parfois mutuellement, souvent en masquant leur incompatibilité ; l'usage du langage est un mode de construction et de modification de notre expérience bien plus qu'un outil servant à représenter une réalité objective " [63]. En ce sens, la politique est un spectacle mettant en scène des " menaces et des réassurances ", qui se construit en désignant une situation comme problème politique, dont la résolution passe par l'identification d'un ennemi public. En cette qualité, l'immigré aura la troublante particularité d'être, à la fois, étranger et infiltré.


[1] Le thème de la " culture de l'anonymat " transforme le fait que certains se débarrassent de leurs papiers pour échapper à la reconduite en une pratique culturelle substantielle, par nature invérifiable. Lutter contre la " culture de l'anonymat ", signifie accélérer la connexion des fichiers et obtenir une garantie de représentation devant le tribunal administratif.

La précision peut sembler redondante, mais elle vient simplement répondre à deux arrêts du Conseil d'Etat (décembre 1986 et février 1994) qui n'ont pas reconnu l'utilisation de multiples identités parmi les motifs de refus de la demande.

[2] La précision peut sembler redondante, mais elle vient simplement répondre à deux arrêts du Conseil d'Etat (décembre 1986 et février 1994) qui n'ont pas reconnu l'utilisation de multiples identités parmi les motifs de refus de la demande.

[3] L'avant-projet de loi (daté du 6 février 1996) est marqué par la préoccupation de la fraude du demandeur d'asile.

[4] Le GISTI (Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés) pose depuis 1981 la question : " le juge délégué peut-il apprécier la légalité de l'arrêté d'expulsion ou de reconduite, dès lors qu'on demande de prolonger la rétention fondée sur un acte administratif qui est illégal ? ". " La Cour de cassation a fait application de l'article 136 en le rattachant aux prérogatives de l'article 66 " et c'est sur ce fondement que " la chambre criminelle s'est réservée de vérifier la régularité d'un contrôle d'identité permettant de constater l'irrégularité de la situation administrative d'un étranger (Cass. Crim. 25.4.85 D. 1985. 329) " indique Maître Leclerc, " et la deuxième chambre civile a donné compétence au juge judiciaire, dans le cadre de la procédure de rétention prévue par l'article 35 bis, pour contrôler la régularité de l'interpellation " (Cass. Civ. II 1995, BC n° 211, JCP, 95 22 504).

[5] Cette rétention administrative peut être appliquée aussi bien pour le reconduite à la frontière que pour l'expulsion ou l'interdiction du territoire. Que l'" éloignement " soit administratif ou judiciaire, ce " maintien " permet à l'administration de mettre à exécution la mesure. Avant la loi d'août 1981 cette rétention privative de liberté se faisait en l'absence de toute base légale.

[6] Les " mesures d'éloignement " relèvent soit d'une procédure administrative, soit d'une procédure judiciaire (interdiction du territoire). Mais la procédure administrative de la " reconduite à la frontière " comporte un éventuel passage devant le juge pour la question de la prolongation de la rétention administrative (avant que le juge administratif statue sur le fond, s'il y a eu recours). L'article 66 désigne le juge comme seul garant des libertés individuelles.

[7] " Je crois nécessaire de faire échec à des décisions mettant fin sans recours utile à une rétention administrative ", dit M. Debré, compte rendu analytique officiel du Sénat, première lecture, 4 février 1997.

[8] La durée de la rétention administrative est restreinte par le Conseil constitutionnel à un maximum de 10 jours. Déjà en 1993 il avait censuré l'article des lois Pasqua qui permettait une rétention de quinze jours.

[9] Selon M. Debré, " cette rétention judiciaire de trois mois serait un atout maître pour engager la procédure d'identification ", Assemblé nationale, débats, op cit., 17 décembre 1996.

[10] La circulaire du ministre de la Justice, du 26 septembre 1995, vise à " lutter par la voie pénale contre la dissimulation d'identité par " disparition " de papiers et contre le refus d'embarquement, et à favoriser une plus grande utilisation de la rétention judiciaire ". L'idée est de palier à la rétention administrative jugée trop courte, tout en utilisant la caution du juge.

[11] " Lorsqu'un étranger est condamné pour infraction à une mesure d'éloignement (l'article 27 de l'ordonnance prévoit une peine de trois ans de prison) et qu'il ne présente pas des documents de voyage, le tribunal peut ajourner le prononcer de la peine ". Maître Liger, op cit., 1993.

[12] " Elle est conçue comme une " mise à l'épreuve " destinée à inciter l'intéressé à fournir à l'administration ces documents ou ces renseignements ". Rapport Philibert, op cit.., 1996, p. 177.

[13] M. Debré, Assemblée nationale, débats, 17 décembre 1996.

[14] Notons, qu'il faudrait étudier plus avant, réadmission, reconduites, " double peine ", autant de procédés qui tendent à la réalisation d'un objectif irréaliste, " l'éloignement " des " irréguliers ", quitte à les léser de leurs droits.

[15] Celle-ci, issue d'une construction rhétorique, se décompose au fil des suspicions : résident légal, ouvrier clandestin, faiseur de mariage blanc, détenteur de faux papiers, demandeur d'asile menteur ou anonyme.

[16] " Crainte du rejet de l'étranger, qu'il soit irrégulier ou régulier, crainte... de la délinquance associée..., crainte pour les valeurs auxquelles nous croyons tous. C'est même notre tradition d'accueil qui est mise en danger par une immigration mal maîtrisée ", dit M. Debré, Sénat, débats, op cit., 4 février 1997.

[17] Sa désignation dépend d'une rationalisation consciente ou inconsciente des bénéfices attendus. L'obsession de la fraude et de " l'immigration clandestine " est prosaïquement, liée à la peur de perdre une partie de l'électorat au profit du Front national et ceci sur la base de sondages qui, comme le montrent Nona Mayer et Pascal Perrineau (dir.), Le Front National à découvert, Paris, Presses FNSP, 1996, suggèrent qu'un nombre de gens bien plus important que l'électorat du FN se disent, d'une façon ou d'une autre, préoccupés par le problème de l'immigration.

[18] " Le politicien averti est celui qui parvient à maîtriser pratiquement le sens objectif et l'effet social de ses prises de position grâce à la maîtrise qu'il possède de l'espace des prises de position (...) : ce " sens pratique " des prises de position possibles et impossibles, probables et improbables (...) est ce qui lui permet de " choisir " les prises de position convenables, et convenues, et d'éviter les prises de positions " compromettantes " (...) De plus, " Il n'est rien qui soit plus absolument exigé par le jeu politique que cette adhésion fondamental au jeu lui-même (...) investissement dans le jeu qui est le produit du jeu en même temps qu'il est la condition du fonctionnement du jeu ". Pierre Bourdieu, " La représentation politique ", in Actes de la recherche en sciences sociales, février 1981.

[19] Ou encore le champ du " pensable politiquement ". Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979, p. 465.

[20] Notamment l'idée que l'intégration, en fonction d'un " seuil de tolérance ", dépend, dans tous les sens du terme, de la lutte contre les " clandestins ". En décembre 1989, François Mitterrand déclarait : " Le Pen, c'est les clandestins ", Libération, 11 décembre 1989.

[21] Selon l'étude d'impact du ministère de l'Intérieur, des " instruments juridiques nouveaux " doivent être créés pour " lutter contre les fraudes " qui se sont développées : " mariages de complaisance, " faux " étudiants, fraudes en matière de filiation et d'autorité parentale, demandes d'asiles abusives ". Le problème tel qu'il apparaît dans les expertises ou les motifs de la loi est donné.

[22] D'ailleurs, le contexte de forte mobilisation dans lequel elle est discutée contribue à en faire un enjeu électoral de choix.

[23] Il s'agit ici de différencier les " pouvoirs jurisprudentiels " du Conseil constitutionnel, des " pouvoirs constitutionnels " des députés. Rapport Philibert, op cit., 1996, p. 182.

[24] Le rapport Cuq (député RPR des Yvelines) sur la situation des foyers de travailleurs immigrés (Situation et Devenir foyers de travailleurs immigrés) qui déclare avoir une approche " pragmatique et non pas idéologique ", propose une " traitement radical " (destruction de 20 foyers) et évoque " des zones de non-droit où se reconstruisent, par ethnies, les villages communautaires africains, mais dans des conditions ahurissantes ".

[25] Parmi les trente membres de la Commission d'enquête, cette frange des " ultras " est bien représentée : Serge Lepeltier (Cher, RPR), Suzanne Sauvaigo (Alpes Maritimes, RPR), Jean-Marie André (UDF, Gard), Didier Bariani (UDF Paris), Pierre Bertrand (Seine Saint-Denis, RL), Raoult Béteille (Seine Saint-Denis, RPR), Gérard Hamel (Eure et Loire, RPR), Gérard Léonard (Meurthe et Moselle RPR), Alain Marsaud (Haute Vienne, RPR), Jean Marsaudon (Essonne, RPR), George Mothron (Val d'Oise, RPR), Rudy Salles (Alpes Maritimes UDF).

[26] Le rapport Philibert décrit une fraude démultipliée, touchant tous les niveaux de " contrôle " : " Ces détournements (longs séjours) malmènent des principes fondamentaux, tels le droit d'asile, le consentement au mariage, ou plus simplement, le respect des lois ". Rapport Philibert, op cit., 1996, p. 65.

[27] Il comprend donc un chapitre consacré aux " avantages dont bénéficient légalement les étrangers en situation irrégulière " et un paragraphe sur la délinquance et les logements illégaux. " C'est parce qu'ils savent que même en situation irrégulière, ils sont assurés de trouver en France des moyens d'existence et des conditions de vie moins mauvaises que dans leur pays d'origine, que les étrangers continuent d'affluer ". Rapport Philibert, op cit., 1996, p. 91.

[28] Entretien téléphonique avec Suzanne Sauvaigo, sur la base de prises de notes. C'est moi qui souligne, juillet 1997.

[29] Les ultras demandent aussi que soit exigé à " toute autorité constituée " d'avertir le procureur de la République si elle prend connaissance dans l'exercice de ses fonctions d'un délit, ou la possibilité " d'éloigner " certaines catégories de mineurs délinquants. De plus, certains membres de la Commission s'interrogent sur la scolarisation. M. Myard (RPR, Yvelines) dit, lors de l'audition de Serges Lasvignes, directeur des affaires générales internationales et de la coopération au ministère de l'Education nationale : " En ce qui concerne l'obligation de scolariser les enfants, bien évidemment, la loi de 1882 s'applique à des enfants qui sont en situation régulière sur le territoire français et à personne d'autre. Pourquoi ? parce qu'une ordonnance de 1945 précise que tout étranger en situation irrégulière est en position de délit ; vous êtes donc complice d'un délit ! ". Rapport Philibert, auditions, op cit., 16 janvier 1996, p. 206. Cependant, ce rapport qui met en balance la non-scolarisation et les risques de délinquance, conclue qu'il est tout de même préférable que " ces " enfants aillent à l'école.

[30] Son amendement, plusieurs fois adopté et rejeté, interdit, " lorsque le divorce entre un étranger résidant en France et son conjoint entré en France au titre du regroupement familial a été prononcé moins de deux ans après l'admission au séjour de ce conjoint ", à celui-ci de " faire venir auprès de lui un nouveau conjoint " avant deux ans. Pourtant, M. Faugère, directeur des Libertés publiques et des Affaires juridiques au ministère de l'Intérieur, estime que " La polygamie.. est franchement, objectivement, marginale ". Rapport Philibert, op. cit., audition, 14 novembre 1995, p. 38. Notons ici qu'en matière de droit personnel, l'unicité de la loi sur le territoire de la République n'est pas toujours respectée. La répudiation est dans certains cas reconnue. Et jusqu'en 1993, la polygamie n'empêchait pas la résidence. Depuis cette date c'est au nom de l'ordre public qu'elle est pourchassée. Ainsi, les polygames qui ont été précédemment admis au séjour, doivent cesser de l'être pour obtenir la reconduction de leurs titres. Ce qui signifie souvent que ce sont les épouses qui doivent partir au pays.

A l'Assemblée nationale, afin de ne pas se laisser déborder, M. Debré répond aux demandes des ultras en rappelant qu'il s'agit d'établir un équilibre entre le respect des libertés individuelles et de la loi, et l'affermissement des capacités de l'Etat, notamment au niveau des procédures d'éloignement. Il affirme sa volonté d'allier " fermeté et humanité ". Assemblée nationale, débats, op cit., 17 décembre 1996.

[31] Notons ici que le Conseil constitutionnel doit concilier des objectifs à valeur constitutionnelle avec les libertés : sa technique est d'estimer la proportionnalité de la mesure en fonction du but à atteindre, sans trop entraver les libertés. Cet arbitrage est contraignant pour les libertés car il opère sur la base d'une estimation donnée par le gouvernement.

[32] Les députés rationalisent l'exigence d'un contrôle externe et interne renforcée par les " dangers " de la construction européenne, p. 43. Plus loin : " Cette proposition pourra surprendre, tant il parait établi, dans l'esprit de beaucoup, que l'application de la Convention de Schengen implique une sorte de désarmement aux frontières intérieures accompagné d'un renforcement aux seules frontières extérieures (...) cette conception cède au mythe de la disparition des frontières ". Rapport Philibert, op cit., 1996, p. 65.

[33] Si le gouvernement parvient, de façon rhétorique, à lisser ces antagonismes durant l'examen de la loi Debré, la campagne anticipée donne lieu à un éclatement des positions.

[34] Terme emprunté à Michèle Tribalat, De l'immigration à l'assimilation : enquête sur les populations d'origine étrangère en France, Paris, La Découverte, 1996.

[35] Les députés comme le ministre de l'Intérieur peuvent invoquer la plate-forme électorale RPR-UDF de mars 1990 qui affiche son intention de créer un lien juridique entre avantages sociaux et conditions de résidence ou de nationalité.

[36] Les menaces en cas d'échec de cette politique sont : montée du FN, violence sociale, délinquance, non intégration de nos étrangers futurs Français, désagrégation du lien social fondé sur les valeurs républicaines.

[37] Dès novembre 1981, M. Deferre aborde le thème de la sécurité sous la pression de la droite qui condamne l'amnistie en faveur des petits délinquants et les régularisations. En 1983, le débat politique se concentre autour des enjeux de sécurité, suite aux émeutes des Minguettes et à la marche des Beurs. En 1984, M. Fabius établit, dans une volonté consensuelle, que " la lutte contre la délinquance constitue un des grands problèmes actuels de la société française ", Le Quotidien de Paris, 25 juillet 1984. Citons encore M. Joxe : " la gauche a su réaliser un consensus avec la droite sur la sécurité extérieure, mais la sécurité intérieure est toujours au prise avec " la polémique la plus absurde ", Le Monde, 18 août 1988.

[38] Ils ne forment pas un groupe distinct mais rassemblent en gros les membres de Force Démocratique (François Bayrou, Bernard Bosson, Gilles de Robien) et quelques membres du RPR comme M. Mazeaud.

[39] Ainsi, l'objectif de la loi Debré, intitulée " diverses dispositions relatives à l'immigration ", est l'amélioration de l'effectivité des " éloignements " et la lutte contre la fraude.

[40] La question mériterait en fait une étude plus complète.

[41] Cependant, il reste difficile de savoir à quel moment le discours sur la menace intérieure se cristallise sur l'immigration, qui, auparavant, se cristallisait sur les groupes d'extrême gauche ou sur la ville. On peut cependant retracer les moments clés de l'établissement et du renouvellement du consensus.

[42] Commission de la nationalité, " Etre français aujourd'hui et demain ", 1988.

[43] De façon plus abrupte, M. Rufin, sénateur RPR de la Meuse, dit, lors de l'ouverture des débats : " trop d'immigration, tue l'intégration ". Assemblée nationale, débats, op cit., décembre 1996.

[44] Ces ressorts peuvent être d'ordre logique, technique ou moral.

[45] Il traite d'abord la question de l'entrée, légale ou clandestine, puis des détournements des procédures permettant d'accéder à un titre de séjour de plus ou moins longue durée, des avantages " territoriaux " espérés par les clandestins, et se termine par le problème de l'éloignement.

[46] M. Debré décrit un déroulement logique : la pression démographique oblige à une lutte de plus en plus forte contre l'immigration irrégulière qui passe aussi par la volonté de faire " passer un message au candidat ". Assemblée nationale, débats, op cit., décembre 1996.

[47] Bien qu'il ait fallu, afin de créer un droit des étrangers en France, l'amender à de nombreuses reprises.

[48] Au début des années 80, le FN refuse le dénominatif extrême droite, revendiquant son intégration au camp républicain. Il relègue sa dénonciation traditionnelle de l'ennemi soviétique pour un discours qui associe les thèmes de l'Europe et de l'immigration. Cf. M. Souchard, S. Wanich, I. Cuminal, V. Wather, Le Pen. Les mots, Paris, 1998.

[49] Or depuis 1984 ou 1986 - suivant que l'on entérine la fondation du consensus suivant la gauche ou la droite, c'est à dire sur le terrain gagnant de l'un ou l'autre des protagonistes : la carte de 10 ans ou sur la lutte contre l'immigration clandestine et la fraude - cette stratégie n'a pas fait baisser le FN.

[50] On se souvient que lors des premiers débats à l'Assemblée, seuls deux députés de la gauche étaient présents, laissant leurs homologues de droite durcir très sensiblement le projet de loi.

[51] Les adversaires se reconnaissent réciproquement comme étant légitimes en condamnant la politique du FN. Le débat sous-jacent, c'est une accusation mutuelle des protagonistes sous le chef d'inculpation d'une attitude irresponsable envers le Front national. L'échec de l'un alimente la fondation d'un argumentaire concurrent. Un sénateur s'écrie : " le PS, vous êtes le carburant du FN ", tandis que M. Fabius, à la fin de sa motion d'irrecevabilité, dit : " Prenez garde, car à ce jeu là, la pomme mange rarement le ver. Elle est à la fois moralement condamnable et politiquement inefficace la stratégie qui se résume ainsi : " une partie du programme du Front national mais sans le Front national ". Compte rendu analytique officiel, Assemblée nationale, débats deuxième lecture, 27 février 1997.

[52] M. Badinter intervient sur la " lepénisation des esprits ". Le consensus fonctionne : le Sénat assouplit quelques mesures et la Commission des Lois de l'Assemblée adopte un amendement de M. Dray, député de la gauche socialiste, grâce à la complicité de M. Mazeaud, rapporteur RPR de la Commission des Lois, élargissant légèrement les conditions des régularisations.

[53] Ajoutons que les ombres de la politique d'immigration sont utilisées comme un stock d'opacité qui permet à la fois la revendication d'un discours-vrai et la fabrication de propositions.

[54] Le 25 août, depuis Brégançon, M. Chirac annonce la modification des lois Pasqua : " les Français quelle que soit leur appartenance politique, ont une irritation croissante à l'égard des étrangers. C'est une réaction irrationnelle et souvent injuste. Nous avons pris une option de très grande fermeté à l'égard de l'immigration ". C'est exactement l'argument présenté par Mme Sauvaigo lorsque, lors d'une conversation téléphonique en juillet 1997, elle dit : " Vous savez je suis assez vieille pour voir l'évolution de notre pays. On n'était pas un peuple raciste. L'Arabe, le Noir étaient bien traités. Et s'il y a une réaction, c'est qu'il y en a trop ".

[55] Motifs de la loi Méhaignerie, adoptée le 22 juillet 1993, p. 18.

[56] Jacques Chirac en 1988 parle des odeurs qui gênent les Français voisins de palier d'étrangers.

[57] M. Debré " surfant sur la vague de sa loi " au moment de la campagne anticipée fait une analogie entre les immigrés " clandestins " et un visiteur qui se servirait dans le frigidaire.

[58] Murray Edelman, op cit., 1991.

[59] On comprend comment ce contournement rhétorique des positions du FN n'a pas suffi à délégitimer l'alliance avec le FN.

[60] L'Express, " Casseurs : est-ce l'an I de la guerre tribale ? ", novembre 1990.

[61] Un peu plus tard, les actions menées par M. Pasqua, ministre de l'Intérieur, contre les " milieux islamistes " seront accompagnées de déclarations mettant en garde les " imams anti-français " (novembre 1994) ou exhortant les églises chrétiennes à l'évangélisation des banlieues (octobre 1993). Les préceptes du maintien de l'ordre sont en quelque sorte " culturalisés ".

[62] Ce processus correspond à la recherche par les agences de sécurité de nouvelles catégories de menace pour une pratique nouvelle de la " sécurité intérieure ". Voir Didier Bigo, op cit., 1998.

[63] Murray Edelman, op cit., 1991, p. 203.

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Date de publication : hiver 2002


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