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Origine : http://members.fortunecity.com/xphilo/cours_2000_2001/pouvoir.htm
COURS Terminale "LE POUVOIR "
INTRODUCTION
I) LES GRANDES FIGURES DU POUVOIR
A) L’ ESSENCE DU POUVOIR
B) LES MOYENS ET LES MEDIATIONS DU POUVOIR
C) LES DIFFERENTES FIGURES DU POUVOIR
II) LES FONDEMENTS DU POUVOIR
A) LA DOMINATION ET SES RACINES
B) LES RACINES DE LA DOMINATION
C) LE POUVOIR, PRINCIPE VITAL
D) LE POUVOIR ET LE SACRE
CONCLUSION GENERALE SUR LE POUVOIR
SUJETS DE DISSERTATION
LECTURES CONSEILLEES
DEFINITIONS A CONNAITRE
EXERCICE DE CONTROLE DE COMPREHENSION DE LA FICHE
CORRECTION DU CONTROLE DE COMPREHENSION DE LA FICHE
INTRODUCTION
- Dans l'ensemble des expressions qui comprennent le mot pouvoir,
on peut distinguer celles qui emploient la tournure : « avoir
le pouvoir de » de celles qui sont sous la forme : «
avoir du pouvoir sur ». Ces deux tournures renvoient à
deux sens distincts du mot pouvoir.
- Dans la tournure « avoir le pouvoir de », la forme
de pouvoir est celle qui ne s'exerce pas sur des personnes, pas
directement du moins. Elle se présente elle-même sous
deux formes assez différentes l'une de l'autre :
1. « avoir le pouvoir de » comme capacité de
faire, de créer ou de transformer ; il s’agit de la
forme du pouvoir qui porte sur des objets : c’est le pouvoir
de faire, la capacité de faire triompher la volonté
et d’atteindre un but, la possibilité effective de
réaliser quelque chose, la faculté d’action
et d’affirmation de soi d’un individu ou d’un
groupe.
2. « avoir le pouvoir de » comme avoir le droit de
; capacité de faire, mais non pas au sens technique ou physique,
mais au sens juridique : avoir le droit de faire quelque chose,
droit qui s'ajoute à la possibilité ou au désir
de le faire. « Avoir le droit » signifie que l'accomplissement
d'une action est permis par la loi. Avoir le droit, c'est être
autorisé par la loi. Avoir le pouvoir de, c'est donc non
seulement avoir un droit, mais encore la capacité et l'envie
de faire ce que la loi m'autorise à faire.
- Dans la tournure « avoir le pouvoir sur », le pouvoir
a pour objets un ou des individus. On peut observer la présence
du « pouvoir sur » partout où d'un côté
au moins une personne exige, demande, suggère, ordonne et
où de l'autre au moins une personne cède, obéit,
accepte, se soumet, quels que soient les raisons et les moyens.
On a affaire à du pouvoir chaque fois qu’on rencontre
une situation dans laquelle quelqu’un parvient à faire
vouloir faire ou ne pas faire à un autre une action déterminée.
- En ce sens, le pouvoir peut se définir comme la faculté
d’exercer sur un homme une domination telle qu’on obtienne
de lui des actes ou un comportement qu’il n’aurait pas
adoptés spontanément. Il convient ici de distinguer
le pouvoir de la puissance. Alors que la puissance est la possibilité
de faire triompher sa propre volonté, contre les résistances
éventuelles, quels que soient les moyens utilisés,
le pouvoir désigne la capacité de contraindre et d’exiger
permettant d’obtenir du « dominé » un certain
type de comportement et ce de manière à réguler
la société ou le groupe.
- La notion de pouvoir est alors articulée sur celle de
domination qui suppose non seulement la discipline mais, quelles
qu’en soient les motivations, une certaine volonté
d’obéir et non une obéissance mécanique.
- En effet, si le pouvoir, comme capacité de contraindre,
est énigmatique, c’est que la force en elle-même
ne peut l’expliquer. Si la force et la contrainte violente
peuvent être les moyens du pouvoir, elles ne sauraient cependant
pas être tenues pour le fondement ou l’origine du pouvoir,
pour la simple et bonne raison que, comme l’a montré
Rousseau dans Le contrat social, la force ne produit que la force,
tandis que le pouvoir exige l’autorité et l’obligation,
le commandement et l’obéissance.
- Aussi l’essence du pouvoir est-elle à chercher dans
la nécessité, pour les hommes, d’ordonner l’espace
public de la communauté. Le pouvoir est alors l’ensemble
des règles qui aménage et organise la vie en commun
des hommes dans l’espace de la cité. Partout où
existent des groupes humains constitués, le pouvoir existe
puisque le fonctionnement du groupe humain suppose que des décisions
y soient prises. Le pouvoir est donc la puissance autorisée
et efficace par laquelle des décisions légales ou
légitimes sont prises au sein d’un groupe.
- D’où la notion de pouvoir politique qui concerne
le processus de la prise de décision légitime dans
une société (sous la forme, selon Max Weber, d’un
gouvernement ou d’un Etat, de la tradition ou d’un représentant
individuel ou institutionnel). Par politique il faut entendre la
dimension de ce qui est commun, de ce qui est mis en commun, par
opposition au privé ou au particulier (politique vient de
polis, la cité qui, au sens grec du terme, désigne
l’ensemble des citoyens, des hommes libres déterminant
eux-mêmes les modalités de leur vie commune).
- Dans les sociétés occidentales, modernes, le pouvoir
est considéré comme légitime quand il suscite
l’adhésion de la société. Le pouvoir
du gangster est par contre illégitime. Tout pouvoir légitime
constitue une autorité. Cette autorité dans les nations
modernes est confiée à l’Etat et l’adjectif
« politique » s’applique alors aux manières
de concevoir l’Etat (systèmes politiques) et les régimes
qui en résultent. S’interroger sur le pouvoir politique,
c’est donc rechercher le meilleur pouvoir, c’est-à-dire
le pouvoir le plus juste et le plus efficace, le plus conforme à
la raison; cela revient à déterminer la meilleure
façon possible pour les hommes de vivre en communauté.
- Mais le pouvoir n’est pas seulement un objet politique,
même si c’est à travers le domaine politique
que s’exprime l’essence même du pouvoir. Le pouvoir
est une structure dynamique, partout répandue, multiforme
et complexe. Le pouvoir politique, le pouvoir d’Etat, ne sont
qu’une des figures du pouvoir. Comme nous allons le voir,
des formes multipes de domination nous enserrent de toutes parts.
Avec le pouvoir d’Etat, longtemps considéré
comme le pouvoir par excellence, on trouve de multipes pouvoirs
de la vie quotidienne ; le pouvoir est pluriel, se glisse dans toute
la vie sociale, dans l’enseignement, l’exercice de la
médecine, les relations au sein de la famille, etc. On parle
même d’un pouvoir sur soi.
- Comment le Pouvoir s’exerce-t-il ? Par quels moyens obtient-il
une obéissance, qui peut aller parfois jusqu’à
l’acceptation de sa propre mort ? Comment comprendre l’énigme
de la domination par laquelle un homme devient le maître d’un
autre ? D’où vient le désir de s’emparer
du pouvoir et de dominer, si la domination est le noyau et le centre
même du pouvoir ? La question du pouvoir nous renvoie ainsi
à la nature de la domination. Le pouvoir n’est-il pas
finalement un mécanisme de création, d’équilibre,
de vie, en même temps qu’une stratégie de mort
parfois ? Pourquoi, finalement, le pouvoir s’avère-t-il
nécessaire aux groupes et aux sociétés ?
I) LES GRANDES FIGURES DU POUVOIR
- Que requiert tout pouvoir pour s’exercer , qu’il
soit ou non politique ? Quels sont les moyens et les médiations
du pouvoir ? Comment le pouvoir déploie-t-il son activité
et son dynamisme ? Quelle est finalement son essence ?
A) L’ ESSENCE DU POUVOIR
1) POUVOIR COMME GOUVERNEMENT (texte de Foucault, in Deux essais
sur le sujet et le pouvoir)
- Qu’est-ce qui caractérise le pouvoir ? Quelle est
sa signification réelle ? C’est à ces questions
que le texte de Foucault nous propose de répondre.
- Le premier paragraphe du texte propose une définition
du pouvoir comme gouvernement, mais de manière polémique,
c'est-à-dire en l'opposant à deux autres manières
de le définir.
1- Le pouvoir comme "gouvernement".
- Foucault précise qu'il faut entendre le mot gouvernement
en un sens non politique. Il signifie : « conduire des conduites
», « aménager la probabilité »,
« agir sur les possibilités d'action d'autres individus
», « structurer le champ d'action éventuel des
autres ».
- Le terme gouvernement n'a pas, à l'origine, de signification
purement politique. C'est dans la Grèce antique que l'on
retrouve les premières traces de son usage, où le
mot "kubernân", terme de la langue nautique, signifiait
diriger, d'où "kubernêtês", pilote
et "kubernêtikê", art du pilotage. Le mot
fut ensuite emprunté par le latin sous la forme "gubernare",
d'où "gubernaculum", gouvernail. Gouverner, à
l'origine, est donc un terme de navigation qui fait référence
à la maîtrise: maîtrise de l'embarcation, connaissance
de la mer, des vents, des directions, etc.
- Ainsi parle-t-on du gouvernement de soi, au sens d’exercer
son empire sur soi-même, régir et administrer sa vie
en fonction de certaines règles de conduite qu'on s'impose
librement. Le gouvernement désigne alors les procédures
de direction de la conduite des hommes. Essence du pouvoir : la
maîtrise, la domination.
- À l'heure actuelle, lorsqu'on entend parler de gouvernement,
on signifie l’exercice du pouvoir politique dans un Etat,
l’ensemble des organes ou organismes par lequel est exercée,
dans un Etat, l’autorité (pouvoirs législatif,
exécutif, judiciaire). Même dans la définition
politique et restreinte du terme « gouvernement », on
trouve cette idée de maîtrise et de domination : le
gouvernement dirige, en effet, les affaires publiques d'un Etat
au sein duquel il détient et exerce le pouvoir; il lui sert
en quelque sorte de gouvernail, l'oriente, le contrôle, lui
imprime une certaine forme de conduite par ses lois, par son pouvoir
de coercition, par le respect de son autorité.
- C’est ce sens-là que retient Foucault dans le texte.
Gouverner, c'est faire faire quelque chose à quelqu'un, faire
adopter une conduite déterminée à une personne
ou un groupe qui peuvent choisir parmi un ensemble de conduites
possibles. Parler d'aménagement de la probabilité
signifie que parmi l'ensemble des conduites, des actions que pourraient
adopter spontanément celui ou ceux sur lesquels s'exerce
un pouvoir, certaines sont plus probables que d'autres. Gouverner,
c'est aménager, c'est-à-dire modifier, infléchir,
redistribuer cette probabilité, faire en sorte, par des moyens
divers, de rendre plus probable une autre conduite : la conduite
choisie par celui ou ceux qui exercent le pouvoir. Mais, parler
de probabilité implique que cet exercice est toujours plus
ou moins hasardeux. Structurer le champ d'action, c'est précisément
faire adopter telle conduite plutôt que telle autre parmi
l'ensemble des conduites possibles, dans le champ des conduites
possibles.
- Mais, si telle est l'essence du pouvoir, par quels moyens est-il
possible d'aménager la probabilité des conduites ?
2 – Les moyens
- En opposant sa définition de la relation de pouvoir à
deux autres définitions, Foucault indique comment le pouvoir
est une relation de gouvernement. En effet, s'il commence par opposer
la conduite des conduites à la lutte et au contrat, il ne
nie pas que le pouvoir puisse prendre ces deux formes - la forme
violente de l'affrontement et la forme pacifique de l'engagement
réciproque -, mais il les subordonne à la relation
de gouvernement : ces deux formes ne sont que les moyens ou les
modalités de l'exercice même du pouvoir qui par essence
est conduite des conduites. La violence de la lutte ou les engagements
contractuels sont des moyens par lesquels on parvient à conduire
les conduites des autres, c'est-à-dire à exercer un
pouvoir et non le pouvoir même.
- Ce qui signifie que l'aménagement de la probabilité,
la structuration du champ d'action des autres peut s'obtenir ou
bien par la violence ou bien par contrat, mais ce ne sont là
que des moyens, c'est-à-dire aussi les apparences du pouvoir.
- Cette définition du pouvoir comme gouvernement, c’est-à-dire
comme relation qui n’est pas essentiellement violente ou contractuelle,
Foucault dépolitise et désinstitutionnalise le pouvoir.
Qui plus est, au lieu d'être opposé à la liberté,
le pouvoir est impossible sans elle. C'est ce qu'il montre dans
le deuxième paragraphe.
3- Le deuxième paragraphe : pouvoir et liberté
- Le pouvoir ne supprime pas la liberté, mais au contraire
la suppose pour être possible. Mais pourquoi et de quelle
liberté parle-t-il ? La liberté dont il parle est
celle de pouvoir choisir entre plusieurs conduites possibles, d'avoir
un champ d'action, c'est-à-dire toute une palette d'actions
également possibles, adoptables. Etre libre ici ne signifie
rien d'autre donc que pouvoir choisir. Pourquoi est-il nécessaire
que celui ou ceux sur lesquels s'exerce un pouvoir soient libres,
c'est-à-dire qu'ils aient le choix entre plusieurs conduites
pour qu'il soit possible d'exercer sur eux ce pouvoir ? Tout simplement
parce qu'on ne peut rien faire faire à celui qui n'a pas
le choix ; on ne peut pas faire adopter une conduite précise
à celui qui ne peut en choisir lui-même aucune ; on
ne peut pas faire préférer telle conduite - celle
qu'on a choisie - à telle autre - celle qu'il a choisie -
à celui qui ne peut de toute façon rien faire ou qui
ne peut faire qu'une seule chose, nécessairement. Ce serait
aussi absurde que de vouloir faire parler une pierre : puisqu'elle
n'en a pas la possibilité, rien ne pourra faire qu'elle parlera.
Donc, à l'inverse, faire parler quelqu'un suppose non seulement
qu'il puisse parler, mais aussi qu'il puisse se taire, quel qu'en
soit le prix par ailleurs.
- Ce qui signifie que le pouvoir n'est possible que s'il s'appuie
sur la liberté et cela de telle sorte que plus elle est grande,
plus il a à sa disposition de combinaisons, d'aménagements,
mais plus aussi il risque de se perdre, d'être mis en échec,
nié, annulé. Il n'existe donc que par ce qui peut
le nier et ne peut jouer avec la liberté qu'un jeu complexe
par lequel il ne peut accroître le nombre et la finesse de
ses exigences qu'au risque de se perdre. Tout comme le maître
ne peut faire travailler son esclave qu'en prenant le risque qu'il
ne s'échappe.
- L'envers du pouvoir, ce n'est pas la liberté, c'est la
contrainte physique qui annule toute possibilité d'action,
qui détermine totalement l'action et avec elle la violence
en tant qu'elle est coercitive, c'est-à-dire en tant qu'elle
contraint. L'envers du pouvoir, c'est le pur empire des forces mécaniques
et sa nécessité. C'est donc toujours librement qu'on
obéit et, comme nous le verrons, qu’on se soumet (La
Boétie parle d’une servitude volontaire) : celui qui
n'est pas libre n'obéit pas, il plie, se brise. Pour être
possible, le pouvoir suppose toujours que celui que l’on fait
agir puisse et surtout veuille, même très faiblement,
faire ce qu’on veut qu’il fasse.
- Toute la question est alors de savoir comment le pouvoir fait
pour faire vouloir et faire faire. Comment s’y prend-il pour
inscrire, au coeur même du dominé, le désir
de la domination et de la maîtrise C’est précisément
là que réside toute l’énigme du pouvoir.
2) LA DOMINATION ET LA STRATEGIE, EPINES DORSALES DU POUVOIR
- Le pouvoir exige le déploiement d’une domination
et d’une stratégie, de manière à organiser
judicieusement les relations humaines. La domination et la stratégie
forment l’axe de tout pouvoir. Que faut-il entendre par domination
et par stratégie ?
- La domination nourrit le pouvoir. Cette notion est déjà
présente dans celle de gouvernement. En effet, pour assujettir,
il faut prendre en charge un contrôle social, une discipline
pénétrant au coeur du dominé et le façonnant.
Elle est la situation du maître par rapport à ceux
qui obéissent. Elle est l’exercice par excellence de
la maîtrise (maître vient de dominus, le chef, le souverain).,
c’est-à-dire d’une volonté établissant,
au plus près du dominé, un régime de sourde
contrainte fondée paradoxalement sur la liberté du
sujet : il s’agit de faire vouloir et de faire.
- La figure du dominant (le maître) et du dominé (celui
qui obéit) est donc la forme et la catégorie centrale
de la domination. La domination suppose que le dominé ait
intériorisé les ordres et les normes du dominant.
Selon Max Weber, il y a trois types de domination : la domination
rationnelle (croyance en la légalité des ordonnances),
la domination traditionnelle (croyance au caractère sacré
des traditions), la domination charismatique (confiance en la personne
d’un homme, à la force héroïque d’une
personne).
- La stratégie est également l’épine
dorsale du pouvoir. La stratégie est, à l’origine,
l’art de conduire une guerre (parenté entre la guerre
et le pouvoir), de commander une armée jusqu’à
la rencontre avec l’ennemi. Elle désigne ensuite un
ensemble de calculs pour vaincre, une organisation de moyens autour
d’un objectif. La stratégie suppose une évaluation
des rapports de forces, une détermination des moyens offensifs
et défensifs, un art de la coercition, ainsi que la prise
en compte de la ruse et de la tromperie. En somme, la stratégie
est un art de faire, un calcul de risques, et c’est en quoi
nul pouvoir n’est concevable sans stratégie.
- Conclusion :
- Le pouvoir, comme mode de gouvernement qui s’appuie sur
la liberté, consiste donc à faire faire quelque chose
à quelqu’un. A ce titre, il est corrélatif de
l’action. Si la domination et la stratégie sont l’axe
du pouvoir, la figure du dominant et du dominé constitue
la catégorie centrale de la domination et du pouvoir. Cette
figure n’épuise pas pour autant l’essence du
pouvoir. Quels sont alors les moyens et les médiations du
pouvoir par lesquels stratégie et domination peuvent se déployer
?
B) LES MOYENS ET LES MEDIATIONS DU POUVOIR
- Comment est-il possible de faire vouloir faire quelque chose
à quelqu’un, c’est-à-dire de lui faire
vouloir ce qu’un autre que lui veut qu’il fasse ? Comment
peut-on déterminer la volonté d’un autre ? Ou,
ce qui revient au même, comment les autres font-ils pour nous
déterminer à vouloir faire quelque chose, alors que
le plus souvent, sans cette intervention, nous n’aurions pas
pris la décision de faire ce que nous allons tout de même
faire ? Le pouvoir s’exerce à la fois par des modes
agressifs et des modes doux excluant la contrainte.
1) LES MODES AGRESSIFS DU POUVOIR
- Parmi les modes agressifs du pouvoir, comptons la menace, la
violence, la force, la contrainte, mais aussi le commandement, la
sanction, la soumission et l’obéissance.
1.1 – La menace et la violence
- La menace est la forme la plus connue du pouvoir, parce qu’elle
est la plus visible et la plus « violente », en apparence
au moins. Qu’est la menace ? La manifestation par laquelle
on marque à quelqu’un sa colère, avec l’intention
de lui faire craindre le mal qu’on lui prépare. Avertissement,
intimidation.
- La menace ne contredit pas la notion de liberté que nous
avions considérée comme étant au fondement
du pouvoir. Menacer quelqu’un pour qu'il fasse quelque chose,
ce n'est pas le forcer à le faire, si par " forcer "
on entend faire faire par la force, c'est-à-dire en employant
sa force pour faire céder ou plier une autre force. Forcer
ou contraindre, c'est non pas faire vouloir faire, mais c’est
un pur faire-faire au sens de faire accomplir un acte en l'accompagnant,
de force. C'est de l’ordre de la nécessité mécanique
et pas de l'ordre du pouvoir parce que le pouvoir suppose volonté
et liberté.
- Cette forme de pouvoir qu'est la menace ne suppose précisément
presque jamais l’usage de la force de la part de celui qui
menace puisque pour obtenir que l’autre fasse quelque chose,
il suffit de le menacer de faire usage de sa force. Menacer d'en
user et non user de la violence. L’essence de ce type de pouvoir,
c’est le chantage : on fait faire grâce à un
chantage dans lequel on met en jeu la vie, l’intégrité
physique ou psychologique, la liberté, la réputation,
la fortune, l’affection des autres ou pour les autres de celui
qu’on veut faire agir. Ce sur quoi s’appuie cette forme
de pouvoir, ce sont les peurs, les terreurs et l’imagination.
- La violence (cf.cours sur la violence) : elle est inhérente
au pouvoir et à sa genèse. Il faut distinguer la violence
de la force : la force est un principe d’action, le déploiement
de la volonté souveraine, alors que la violence est cette
contrainte physique ou morale tendant à faire réaliser
par un individu ou un groupe ce qui est contraire à leur
volonté. La violence est un principe de puissance corrompue,
une impatience dans la relation à autrui et se manifeste
sous la forme de la brutalité, de la menace, de l’agressivité,
de la guerre, de l’extermination, du terrorisme, etc. Pour
beaucoup d’auteurs, il y a une proximité entre le pouvoir
et la violence : pour Machiavel, tous les régimes naissent
de la violence et utilisent la contrainte, la violence, la ruse;
pour Hobbes, l’ordre de la nature incarne la violence et la
barbarie (“ l’homme est un loup pour l’homme “),
le pouvoir politique et l’Etat sont des instruments destinés
à mettre fin à cette violence naturelle; pour Max
Weber, enfin, l’Etat est l’instrument détenant
le monopole de la violence légitime. Mais, comme nous le
verrons, le pouvoir politique, légitime, se caractérise
en principe par une transmutation de la violence en force.
1.2 - Le commandement, la sanction, la soumission, l’obéissance
- Le commandement est un acte signifiant et exprimant l’ordre,
de manière à faire exécuter une action; il
implique l’intériorisation de l’injonction chez
le dominé, mais aussi, dans le champ politique, tout une
administration et une organisation structurée. Tout commandement
implique, dès lors, une sanction, c’est-à-dire
une récompense accordée en raison de la conformité
des actes du sujet aux normes et règles du pouvoir, ou une
peine imposée à ceux qui transgressent les règles
ou refusent d’obéir. Les divers modes de la sanction
sont : le blâme, l’exclusion, l’amende, la condamnation
(pour la peine), la félicitation, la décoration, l’avantage
économique, etc.
- La soumission, l’obéissance : ces modes agressifs
du pouvoir aboutissent fréquemment à la soumission
(disposition à accepter la dépendance qui pose l’énigme
de la servitude volontaire) et à l’obéissance
(acte par lequel les dominés se plient à la loi ou
l’ordre).
- Au total, la violence, le commandement, la sanction, etc., s’inscrivent
dans une analyse « dure » des rapports de force ou de
pouvoir. D’où la recherche, par le pouvoir, de stratégies
produisant des effets sans contrainte, de tactiques plus douces,
faisant l’économie de la sanction (la punition, l’obéissance
sont loin d’être toujours efficaces puisque des contre-offensives,
des critiques, voire des rebellions sont toujours possibles). D’où
l’autorité, la persuasion qui ne font plus approuver
la discipline par la contrainte, mais qui s’appuient sur le
rayonnement et la grâce.
2) LES MODES DOUX DU POUVOIR
- Parmi ces modes doux du pouvoir, mentionnons l’autorité,
la persuasion, la séduction et la manipulation.
2.1 – L’autorité
- L’autorité : idée d’un pouvoir d’imposer
une obéissance acceptée, supériorité
de mérite ou de séduction qui impose l’obéissance
sans contrainte, la confiance et le respect. Il s’agit d’une
relation excluant la violence directe. L’autorité «
fait autorité », comme on le dit, en ce sens qu’elle
s’impose d’elle-même, spontanément, elle
soumet sans aucune médiation, comme par enchantement.
- Détenir l’autorité, en effet, c’est
pouvoir obtenir, par grâce ou compétence, le consentement
d’un sujet. Devant l’autorité, l’on s’incline,
car elle se fonde sur le prestige. Elle renvoie à l’ascendant,
et non point à l’usage de moyens externes de coercition.Elle
ne peut se maintenir qu’à travers le respect. L’autorité
donne du pouvoir sur les autres, que cette autorité soit
naturelle (charisme, charme) ou fondée sur la reconnaissance
d’une compétence, d’une expérience, d’une
sagesse supérieures qui justifie qu’on s’y réfère
et qu’on s’y soumette. Cette forme de pouvoir n’existe
que là où il existe une hiérarchie spontanée
et forte entre les individus.
- Cette forme de pouvoir est sans aucun doute la plus puissante
de toutes les formes de pouvoirs, puisqu’elle soumet totalement
la volonté de ceux qui la reconnaissent de telle sorte qu’ils
veulent intimement ce qu’elle veut. De telle sorte que ceux
y sont soumis, et qui ne peuvent pas ne pas s’y soumettre,
peuvent aller jusqu’à accepter de mourir. Exemples
: le professeur, l’homme providentiel, le prophète,
le tribun, etc. On peut toutefois se demander si cette forme de
pouvoir n’est pas fragile : elle ne survit pas à la
personne qui détient cette autorité ; il est toujours
possible que cette personne fasse une erreur ou commette une faute
qui remette en cause son autorité.
2.2 – La persuasion, la séduction, la manipulation
- Le pouvoir agit aussi par persuasion, tout autant que par autorité
pour susciter l’émotion, l’adhésion.
- La persuasion est une action du sujet destinée à
provoquer l’adhésion, en touchant la sensibilité.
Il s’agit d’imposer en douceur sa volonté, de
faire vouloir faire aux autres ce qu’ils n’avaient pas
nécessairement et spontanément l’intention de
faire, en les persuadant, en parvenant à les convaincre de
l’intérêt, de la valeur, du bien-fondé
de l’action exigée.
- Mais persuader n’est pas convaincre. Un discours fort peut
faire vouloir faire des actions qui n’ont ni le sens, ni la
valeur que celui qui a réussi à persuader leur prête.
Il faut observer que les caractéristiques fondamentales de
cette forme de pouvoir, qui la différencie des deux autres,
c’est qu’elle ne se rencontre qu’entre égaux
et qu’elle ne s’adresse chez les autres qu’à
leur raison, leur faculté de concevoir, de comprendre et
de raisonner. C'est cette forme de l'exercice du pouvoir qui est
au fondement de l'exercice contractuel du pouvoir dont parle Foucault.
Pour s'engager, il est nécessaire que les deux parties qui
contractent se soient convaincues du bien fondé de ce à
quoi elles s'engagent.
- La séduction a pour fin d’entraîner le consentement
sans contrainte en employant tous les moyens de plaire. La persuasion
et la séduction ont en commun d’orienter les individus
à leur insu et font partie des pouvoirs d’influence.
- La manipulation constitue une variante de la persuasion : lorsque
A influence B à son insu et l’oriente sans qu’il
le sache vers le comportement souhaité (la campagne de rumeurs,
par exemple, faite pour manipuler l’opinion publique).
- Conclusion :
- Si le pouvoir s’exerce toujours par des modes à
la fois agressifs et doux, il désigne alors une action organisée,
conséquence de la stratégie qu’il a établie.
Par action, il faut entendre une introduction de changements dans
le monde extérieur, de manière à modifier ce
dernier. Agir, c’est introduire, dans le cours du temps et
des choses, l’innovation par laquelle nous nous insérons
vraiment dans le monde humain, échappant à la dure
loi de mortalité. Mais nulle action n’est possible
sans organisation, c’est-à-dire sans un agencement
de relations produisant une unité complexe. Autrement dit,
l’action humaine organisée s’avère indissociable
de l’exercice du pouvoir, qui vise à inscrire le groupe
dans le temps et la durée. Le pouvoir a donc pour essence
d’organiser l’action, hors du champ restreint de la
contrainte et de la domination.
C) LES DIFFERENTES FIGURES DU POUVOIR
- Chargé de maintenir l’ordre, mais aussi la vie,
au sein des groupes sociaux, le pouvoir déploie son activité
sur de multiples scènes, s’exprime en de multiples
figures. Le pouvoir se dissémine partout, là où
précisément nous ne l’attendons pas, y compris
dans les mécanismes les plus fins de l’échange
social, comme si le pouvoir était coextensif à la
vie humaine. C’est au sein de l’Etat, le pouvoir par
excellence, que nous saisissons le mieux cette dynamique du pouvoir.
Mais l’Etat n’incarne pas le seul pouvoir à l’oeuvre
dans la société. On trouve aussi le pouvoir des clans,
des groupes, des élites, des catégories dirigeantes
diverses, sans oublier les pouvoirs d’influence (ceux des
intellectuels, des médias, des idéologies, etc.) qui
travaillent la société par séduction, manipulation,
douceur. Nous ferons un tour d’horizon rapide de ces multiples
scènes où le pouvoir déploie son activité.
1) LE POUVOIR DE L’ETAT (voir cours, avec les TES, sur l’Etat)
- Il n’incarne pas l’unique modèle d’organisation
du pouvoir, mais il en représente le mode le plus perfectionné
et le plus complexe. L’Etat est la forme institutionnalisée
du pouvoir, forme moderne et politique, qui existe dans les sociétés
modernes, par opposition aux sociétés à pouvoirs
diffus (les sociétés traditionnelles ou archaïques
), sociétés sans Etat, qui ne connaissent pas de fonctionnaires
d’autorité, de gouvernants, de juges, de policiers,
qui sont dépourvues d’appareil centralisé, de
mécanisme administratif et d’institutions judiciaires
constituées.
- L’Etat est donc un pouvoir centralisé qui dispose
d’une administration exerçant son contrôle sur
un territoire donné, prélevant des impôts, instruisant
la justice et imposant une loi commune.
- Structuré par les règles du Droit, le pouvoir de
l’Etat permet au groupe et à la collectivité
de survivre, il permet, selon certains, de promouvoir l’intérêt
commun, alors que pour d’autres (les anarchistes, les marxistes),
il désigne un faux universel, la force de la classe sociale
la plus puissante (les marxistes), une entité parasitaire,
une communauté illusoire (les anarchistes) qu’il convient
de détruire ex abrupto.
- En tout cas, quelle que soit l’évaluation que l’on
fait de la fonction et de la valeur de l’Etat, le pouvoir
est irréductible à la puissance de l’Etat.
2) POUVOIRS DES CLASSES ET DES ELITES (Pierre Bourdieu, questionnaire
à partir d’un document audivisuel sur Bourdieu)
- Avec l’Etat, le pouvoir est globalisant, centralisé.
Mais il y a aussi à l’oeuvre dans la société
des puissances de domination plus partielles : pouvoir des chefs
de file, des clans dirigeants, des technocrates, des élites
formées dans les grandes écoles. Bourdieu s’attache
aux tactiques très complexes de pouvoir, par lesquelles les
groupes dominants manifestent leurs préférences diverses,
aux procédures de distinction destinées à exprimer
un rapport de hiérachie et de subordination. Il s’agit
de pouvoirs éclatés, diffus, mais bien réels,
se situant dans ce que Bourdieu appelle « le champ social
». Que désigne cette notion ?
2.1 - Le champ social
- Espace spécifique où s’organisent des rapports
de domination. La société est traversée par
des sous-ensembles dynamiques, inventant des normes, des règles,
des lois, des savoirs, et qui sont marqués par des appropriations
de profits, matériels, mais aussi culturels, symboliques.
Espaces donc où se dévoilent l’exercice du commandement,
de la domination, ainsi que des positions inégalitaires.
- Cette notion de champ social marque une rupture avec les représentations
traditionnelles de la hérarchie sociale, fondées sur
une vision pyramidale de la socété qui attribue à
chaque classe une position dans l’échelle sociale en
fonction de ses conditions matérielles d’existence
(analyse marxiste). Or, une classe sociale ne peut se définir
isolément mais seulement en relation avec d’autres
classes.
- Une classe sociale suppose des stratégies, des normes
et des valeurs, de sorte que le pouvoir d’une classe s’opère
subtilement par symbole et prestige. « Prendre le pouvoir
», ce n’est pas seulement détenir une position
économique mais dominer grâce à une puissance
frappant l’imagination. D’où le symboles, les
apparats divers qui assurent respect et admiration. C’est
le degré plus ou moins grand d’honneur ou de force
symbolique qui régit la domination au sein des classes et
des groupes.
- Pierre Bourdieu définit, en effet, une classe sociale
par la détention d’un capital économique, mais
aussi culturel et social, et cette détention est principe
de domination, origine d’un clivage entre dominants et dominés.
Comme le capital économique, l’ensemble de ce capital
se transmet par le biais de l’héritage :
1. le capital économique est un ensemble de ressources diverses
constituées par les différents facteurs de production
(terres, usines, travail), ainsi que par l’ensemble des biens
économiques (biens financiers, revenu, patrimoine, etc.);
2. le capital social est formé des relations sociales, des
réseaux d’influence dont dispose un individu ou un
groupe; la détention de ce capital implique un travail d’instauraton
et d’entretien des relations, c’està-dire tout
un travail de sociabilité (invitations réciproques,
loisirs en communs, etc.) ;
3. le capital culturel comprend les diplômes, le niveau linguistique,
les goûts, les ambitions, produits soit par le système
scolaire, soit transmis par la famille. Les inégalités,
les luttes de pouvoir ne se mesurent pas uniquement à l’aune
des différences objectives de situation, mais possèdent
une forte dimension symbolique qui passent par des codes culturels
précis : façons de s’exprimer, de se vêtir,
de consommer. Ce capital peut exister sous trois formes : à
l’état incorporé comme disposition durable du
corps (aisance d’expression en public, par exemple) ; à
l’état objectif comme bien culturel (possession de
tableaux, d’ouvrages) ; à l’état institutionnalisé
(les titres scolaires) ;
4. le capital symbolique correspond à l’ensemble des
rituels (l’étiquette, le protocole) liés à
l’honneur et à la reconnaissance. Crédit, autorité
que confèrent à un agent la reconnaissance et la possession
des trois autres formes de capital.
- La position des agents dans l’espace des classes sociales
dépend du volume et de la structure de leur capital (= part
respective du capitalé conomique et du capital culturel).
Bourdieu découpe ainsi l’espace social en trois classes
:
1. Les classes dominantes : importance du capital dont disposent
leurs membres. Dotation élevée en capital (les différents
types de capitaux évoqués précédemment
sont cumulés). Cette classe définit la culture légitime.
Selon la structure du capital possédé, on peut distinguer
deux fractions opposées :
• La fraction dominante de la classe dominante (prédominance
du capital économique) qui se divise elle-même en deux
groupes selon l’ancienneté de l’appartenance
à la classe dominante : la bourgeoisie ancienne (patrons
des grandes entreprises du commerce et de l’industrie) ; la
bourgeoisie nouvelle (les cadres supérieurs du secteur privé,
issus majoritairement des grandes écoles de gestion économique
et commerciale).
• La fraction dominée de la classe dominante : davantage
pourvue en capital culturel qu’en capital économique
(ingénieurs, professeurs, professions intellectuelles).
2. La petite bourgeoisie : volonté d’ascension sociale.
Les pratiques, les représentations des individus qui la composent
situent cette catégorie du côté de la bourgeoisie.
Respect de l’ordre établi, rigorisme moral, imitation
de la culture de la classe dominante. Cette catégorie sociale
est traversée par des clivages, des fractions (3 exactement)
:
• La petite bourgeoisie en déclin (artisans, commerçants,
lesquels ne cessent de diminuer), petite bourgeosie traditionnelle
composée de métiers anciens.
• La petite bourgeosie d’exécution (les employés,
les cadres moyens des entreprises privées, les techniciens,
les instituteurs).
• La petite bourgeoisie nouvelle : petits bourgeois à
fort capital culturel mais manquant du capital social pour tirer
parti de l’hériatge culturel ou bien agents issus de
bourgeoisie n’yant pas acquis les titres scolaires leur permettant
de se maintenir dans la classe dominante (métiers artistiques,
intellectuels, de conseil, professions de présentations et
de représentations – animateurs de radio et de télévision
à faible notoriété, hôtesses, guides
touristiques, atachés de presse, etc.).
3. Les classes populaires : elles se caractérisent par leur
dépossession, la quasi-absence de capital et sont condamnées
au « choix du nécessaire ». La valeur centrale
est la virilité. Acceptation de la domination. Une distinction
secondaire peut être établie entre les ouvriers et
les petits agriculteurs d’une part, les petits salariés
d’autre part (personnel de service, salariés agricoles).
- Originalité de l’analyse de Bourdieu : les classes
sociales ne sont pas définies exclusivement à partir
d’un critère économique ; rôle essentiel
joué par les luttes symboliques par lesquelles chaque groupe
social essaie d’imposer sa représentation du monde
social.
2.2– L’habitus
- Bourdieu montre aussi que les agents qui occupent une même
position sociale partagent un même habitus de classe, c’est-à-dire
un système de dispositions qui homogénéisent
leurs pratiques et leur vision du monde. L’habitus est un
système de dispositions intériorisées qui orientent
nos pratiques sociales et nos stratégies individuelles et
qui constituent autant de variantes de nos “habitus de classes”.
Par exemple, nos choix et nos goûts esthétiques révèlent,
tout en les masquant notre statut social, mais également
nos aspirations et nos prétentions.
- L’habitus est acquis par l’individu au cours du processus
de socialisation. Les dispositions sont des attitudes, de inclinations
à percevoir, sentir, faire et penser, intériorisées
par les individus du fait de leus conditions objectives d’existence.
Ces dispositions fonctionnent comme des principes inconscients d’action,
de perception, de réflexion. L’intériorisation
est un mécanisme essentiel de la socialisation : les comportements,
les valeurs appris sont considérés comme allant de
soi, comme étant naturels, quasi instinctifs.
- L’habitus = la grille de lecture à travers laquelle
nous percevons et jugeons la réalité et le producteur
de nos pratiques. Fondement de ce qui définit la personnalité
d’un individu. Nous avons ainsi l’impression d’être
nés avec ces dispositions, ce type de sensibilité,
cette façon d’agir et de réagir, ce style. Aimer
la bière plutôt que le vin, les films d’action
plutôt que les films politiques, voter à droite plutôt
qu’à gache sont des produits de l’habitus. De
même que marcher le buste droit ou courbé, être
gauche ou manifester de l’aisance dans le srelations interpersonnelles…
Les différences e personnalité individuelle ne sont
qu’une variante d’une personnalité sociale, elle-même
n’téant que le produit d’un habitus de classe.
- L’homogénéité des habitus au sein
d’un même groupe est au fondement des différences
de styles de vie au sein de la société. Un style de
vie est un ensemble de goûts, de croyances, de pratiques caractéristiques
d’une classe ou d’une fraction de classe. Il comprend
: les opinions politiques, les croyances philosophiques, les convictions
morales, les préférences esthétiques, les pratiques
sexuelles, alimentaires, vestimentaires, etc. Bourdieu distingue
trois styles de vie différents dans la société
française contemporaine qui recoupent les distinctions de
classes évoquées précédemment :
1. Le style de vie de la classe dominante : habitus fondé
sur la notionde distinction. Faire distingué, par son aisance
corporelle (hexis) et son langage (langue châtiée),
le choix de l’ameublement intérieur (préférence
pour les meubles anciens), les lieux de villégiature. A l’intérieur
de cette classe, clivage interne, comme on l’a vu, selon la
structure du capital possédé. D’où deux
styles de vie :
• les détenteurs de capital économique : détention
de signes culturels légitimes (voyages, possession des oeuvres
d’art, des voitures de luxe) ;
• les détenteurs de capital culturel : la distinction
se fait par les lectures, le penchant pour la musique classique,
l’intérêt pour le théâtre. Aux goûts
de luxe des premiers s’oppose l’aristicratisme ascétique
des détenteurs de capital culturel.
• A noter également que l’ancienneté
de l’appartenance à la bourgeoisie a des effets sur
l’habitus : l’ancienne bourgeosie se caractérie
par la morale austère de la production et de l’accumulation
(valeurs de l’abstinence, de la sobriété, de
l’épargne, du calcul) ; la nouvelle bourgeosie se définit
par une morale hédoniste de la consommation, reposant sur
le crédit, la dépense, la jouissance.
2. La petite bourgeoisie : volonté d’ascension.
• Petite bourgeoisie ascendante : habitus comparable à
la nouvelle bourgeoisie : devoir de plaisir, écoute du corps
(relaxation, alimentation saine et équilibrée) ;
• Petite bourgeosie en déclin : préférences
plus austères, plus traditionnelles (prédominance
des valeurs du travail, de l’ordre, de la rigueur, de la minutie).
3. Les classes populaires : habitus marqué par le sens de
la nécessité, la soumission à l’urgence
; choix refusant la gratuité des exercices esthétiques.
Les ouvriers, par exemple, préfèrent les intérieurs
« nets et propres », les vêtements « simples
». Valorisation de la force physique comme dimension de la
virilité : choix de fortes nourritures, attrait des exercices
de force… Pratiques à mettre en relation avec leur
situation : ils vendent leur force de travail en tant que salariés.
- L’habitude, en somme, est un puissant facteur de reproduction
sociale : les agents porteurs du même habitus n’on tpas
besoin de se concerter pour agir de la même façon.
Chacun, en obéissant à son goût personnel, s’accorde
spontanément et sans le savoir avec des milliers d’autres
qui pensent, sentent, choisissent comme lui. Analogie avec la pratique
musicale : les agents agissent comme des musiciens qui improvisent
sur un même thème, chacun jouant quelque chose de différent
qui s’accorde pourtant harmonieusement avec ce que joue chacun
des autres ; l’habitus est un principe instaurant une orchestration
des pratiques sans chef d’orchestre visible. L’habitus
est ce qui rend possible la cohérence, l’unité
de la pratique collective. Il rend possible un ensemble de comportements
et d’attitudes conformes aux inculcations et aux régularités
objectives.
- Cf. Document « mini-statégies et classes »
2.3 - Le pouvoir des élites et des grandes écoles
- Dans La reproduction, il montre que l’école (l’ensemble
des institutions scolaires et universitaires) est un enjeu décisif
de la lutte des classes : les enseignants contribuent inconsciemment
le plus souvent à transmettre et à consacrer les valeurs
et les normes des classes dominantes : elle ne fait qu’avaliser
et reproduire les inégalités sociales.
- De même, dans La noblesse d’Etat, il établit
que les élites, en France, aux USA, en Angleterre, gouvernent
par compétence et savoir à travers une magie sociale
et symbolique consacrée par l’institution scolaire
et par des pratiques de distinction. Les Grandes Ecoles, qui fournissent
les plus haut cadres de la nation, sont détentrices de privilèges
et exercent une domination symbolique et réelle. Des élites
se constituent à travers des stratégies multiples
de reproduction sociale et forment une sorte de noblesse d’Etat
dont la logique s’apparente à celle de l’Ancien
régime. Ces élites dirigent non seulement les organisations,
mais le secteur public, l’Etat, etc. Qui gouverne en somme
? L’ENA, l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales, l’Ecole
normale, l’Ecole polytechnique, etc., c’est-à-dire
des groupes, des Ecoles qui se distinguent par leurs positions intellectuelles,
leus styles et modes de vie, leurs valeurs, leurs normes, leurs
croyances, leur capital culturel.
- Dans les années 1960, l’élite intellectuelle
est constituée des normaliens de la Rue d’Ulm, des
professeurs. Dans les décennies 1980-1990, le champ du pouvoir
se modifie profondément en France. La culture classique et
désintéressée régresse fortement au
profit de la puissance technocratique. A cet affaiblissement correpondent
de nouvelles structures de pouvoir : affaiblissement de la Rue d’Ulm,
accroissement de la domination de l’ENA et de tout un ensemble
d’institutions nouvelles : écoles de gestion, de marketing,
de publicité, de journalisme, de communication, etc.
- Le champ des Grandes Ecoles désigne un espace dans lequel
s’opposent plusieurs pouvoirs spécifiques, celui de
la culture désintéressée (Ecole Normale), celui
de la compétition adaptée à notre monde contemporain,
où domine la figure de l’expert responsible (ENA).
Le pouvoir des Grandes Ecoles renvoie à des hiérarchies
symboliques subtiles, à des privilèges, des distinctions
constitutives de toute domonation.
- On a d’abord une dichotomie « grande et petite porte
» : « la grande porte » est celle des Grandes
Ecoles qui dessinent un espace de domination correspondant à
la Noblesse d’Etat ; la « petite porte » du pouvoir
s’incarne dans les Facultés et les petites écoles
supérieures. A cette structure globale se surajoute la dichotomie
« public-privé » : d’un côté,
les patrons d’Etat, issus de l’ENA, qui font carrière
dans le services public et dans les grandes affaires liées
à l’Etat (entreprises nationalisées ou tributaires
des marchés d’Etat, grandes banques…), et de
l’autre, les patrons du privé, issus plutôt de
HEC ou des écoles de commerce.
- La stratégie contemporaine du pouvoir : prendre en charge
la gestion et la communication pour exercer la domination à
travers les symboles les plus puissants : rôle fondamental
de l’image, de l’information dans la mise en place de
contrôles sociaux dominants. La force du pouvoir : capacité
de bien gérer et de bien faire communiquer. Les élites
gouvernent donc par compétence et par savoir, mais aussi
2.4 – Conclusion
- L’originalité de Bourdieu est de nous proposer une
théorie de la domination, décrivant des pouvoirs de
classes, des stratégies individuelles. Les catégories
de pouvoir sont omniprésentes, l’espace social est
traversé de subtils enjeux de pouvoir et de violence implicites,
larvés et dissimulés. L’analyse du sociologue
tente donc d’articuler une thématique des classes sociales
et des conflits sur une étude des microformes de domination,
des stratégies locales du pouvoir.
Qui gouverne ? L’analyse de Bourdieu
DETENTEURS DU POUVOIR OU DE LA DOMINATION
FACTEURS DECISIFS PERMETTANT L’EXERCICE DU POUVOIR
- Un groupe local : un groupe social détenant des capitaux
communs.
- Capital économique, culturel, symbolique, etc.
- Une pluralité de groupes ou de structures : la noblesse
d’Etat : les Grandes Ecoles
- Compétence technique + violence symbolique.
3) LES MICROSTRATEGIES (Michel Foucault)
- Le pouvoir, loin d’être au sommet de l’organisation
sociale, se répand en tous lieux. Le pouvoir est pluriel,
multiforme, éclaté, présent dans le tissu le
plus fin de l’échange social. Notion de microstratégie.
Que désignent les microstatégies ? Des petits pouvoirs
omniprésents, des relations de domination souples.
- Chez Foucault, le pouvoir désigne un jeu de stratégies,
un réseau mobile, un ensemble de rouages et de foyers, d’actes
minuscules, épars, divers. Le pouvoir se déploie en
réseau qui fonctionne dans le savoir, les gestes du corps,
les institutions (la famille, l’école, la prison, la
médecine, l’Etat, etc.), partout. L’Etat lui-même
prend appui sur des rapports de force multiples et singuliers qu’il
intègre, mais qu’il ne crée pas. Il s’agit
de foyers de pouvoir, qui sont autant d’Etats dans l’Etat,
autant de pouvoirs locaux ou régionaux. C’est pourquoi
la lutte contre le pouvoir est sans fin, le pouvoir étant
infini, et ne peut être que locale. Il faut alors substituer
à l’idée de révolution (pouvoir qu’il
s’agirait de conquérir ou de renverser) celle de révolte
ou de résistance.
3.1 – La raison, forme de pouvoir
- Dans L’histoire de la folie, Foucault montre que au XVIIème
siècle commence le grand renfermement de la folie : on commence
à enfermer systématiquement les fous et la belle raison
classique apparaît alors comme un facteur d’exclusion
faisant taire les voix de la folie. Date importante : 1656, décret
de fondation, à Paris, de l’Hôpital général.
- 1793 : Philippe Pinel prend la direction du service des aliénés
de Bicêtre et fonde l’asile, destiné à
la « guérison du fou ». Nouvle exil de la folie
dans l’espace de la maladie mentale. Triomphe de la raison
médicale. Au XIXème siècle, la psychiatrie
est interprétée comme un instrument de capture d’une
folie : depuis le début de son histoire, l’occident
n’aurait affirmé son identité culturelle qu’en
soumettant la folie à une ségrégation marquée.
Le médecin, devenu l’incarnation de la “raison-pouvoir”,
domine dans le champ thérapeutique, il se constitue comme
une figure essentielle de l’asile, non point en tant que savant,
mais en tant que garant de la loi morale et juridique.
- L’ordre thérapeutique désigne un ordre normatif.
Le pouvoir est en relation avec le savoir : l’ordre asilaire
se trouve à l’origine d’analyses médicales
(études sur la démence, la manie, la mélancolie,
etc.). La folie acquiert un statut de culpabilité et de sanction
morale.
3.2 – Surveiller et punir
- De même, dans Surveiller et punir, Foucault réfléchit
sur la prison et dégage l’idée de tactiques
de pouvoir qui se substituent au pouvoir agissant par répression.
La fonction de la prison n’est pas d’empêcher
la délinquance mais de l’entretenir. Il montre comment,
au XIXème siècle, la prison devient une pratique punitive
généralisée à la suite de la mise en
place d'une société disciplinaire.
- Jusqu’à la seconde moitié du XVIIIème
siècle, en effet, on n’emprisonne pas, mais on supplicie,
à travers des rituels soigneusement codifiés. On dépèce,
on ampute, on disloque le corps. Fonction du supplice : produire
une certaine quantité de souffrance pour rendre sensible
à la toute puissance du souverain. Or, à la fin du
XVIIIème siècle, les potences et les bûchers
vont disparaître. Il faut désormais affiner les pratiques
punitives, insérer le pouvoir plus finement et plus profondément
dans le corps social. La prison devient alors la forme essentielle
du châtiment.
- Entre 1780 et 1830, en effet, l’Europe se couvre de pénitenciers
et de forteresses qui remplacent les échafauds. Il s’agit
alors, non plus de vaincre le corps, mais de le surveiller et de
le dresser. Le triomphe de la prison exprime le succès des
techniques disciplinaires qui s’étendent dans d’innombrables
secteurs, l’école, la prison, l’hôpital,
etc. Il s’agit de perfectionner la machine humaine, de la
rendre plus utile et plus productive. Mise en place de toute une
« microphysique du pouvoir » : des micropouvoirs opèrent
sur le corps divisé en unité (bras, mains, jambes,
etc.) que l’on soumet et que l’on dresse, en quadrillant
l’espace de manière précise. On traité
désormais le corps non par masse mais dans le détail,
à travers une micro-analyse, en surveillant les mouvements,
les gestes, la rapidité, etc. Ce micropouvoir fait l’économie
d’un rapport violent et coûteux.
- Exemple de l’école. Au XVIIIe siècle, les
individus commencent à etre répartis dans l’ordre
scolaire : rangées d’élèves dans la classe,
les couloirs, les cours ; organisation d’un espace sériel
qui a rendu possible le contrôle de chacun et le travail simultané
de tous. L’espace scolaire fonctionne comme une « machine
à apprendre, mais aussi à surveiller, à hiérarchiser,
à récompenser » (Foucault, Surveiller et punir).
- Mise en place de micropouvoirs dispersés qui font intervenir
trois facteurs : la surveillance, l’action normalisatrice,
l’examen pemettant l’emprise du pouvoir sur le corps
:
1. La surveillance
- But : contraindre par le jeu du regard, observer, modeler. On
rêve d’une architecture permettant un contrôle
intégral de l’homme : hôpitaux,asiles, prisons.
Dans les grands ateliers, la surveillance s’intègre
dans le processus de production ; dans l’enseignement, les
meilleurs élèves jouent le rôle d’observateurs.
L’espace doit rendre possible la surveillance sur une très
grande échelle.
- Le modèle panoptique devient, vers 1830-1840, le programme
architectural de la plupart des projets de prison. Cf. Panopticon
de Jeremy Bentham (1748-1832) : bâtiment sphérique
divisé en cellules ; au centre, une tour d’où
l’on peut voir sans être vu ; dans chaque cellule, un
seul prisonnier parfaitement visible et ne pouvant lui-même
voir. Le dessein est celui d’un pouvoir omniprésent,
d’une surveillance généralisée des conduites.
Dissociation du couple « voir/être vu ».
2. Le pouvoir de la norme
- La norme joue également un rôle décisif,
à côté de la surveillance, dans la consolidation
du pouvoir moderne. La norme et le normal fonctionnent comme de
grands instruments du pouvoir.
- Par opposition à la loi, écrité et codifiée,
le pouvoir de la norme introduit un large dégradé
de différences,d‘écarts et de niveaux. La normalisation
permet de mieux quadriller le corps social. La norme : règle
et modèle de ce qui doit être d’autant plus puissants
qu’ils exercent un pouvoir diffus et subtil.
3. L’examen
- L’examen assure l’emprise du pouvoir sur le corps
et les esprits. Exemple de la médecine. Jusqu’au XVIIe
siècle, le médecin reste étranger au fonctionnement
de l’hôpital, entièrement contrôlé
par des organisations religieuses. A partir du XVIIe siècle,
il examine règulièrement les malades, étend
ses procédures d’examen, lequel devient un processus
de « pouvoir-savoir », formateur de sciences cliniques
de l’individu ; par le contrôle, l’indivud est
transformé en objet de savoir. De même, pour la prison,
l’infracteur de la loi – le délinquant –
et la criminologie se rejoignent ; le détenu devient objet
de surveillance sur lequel s’édifie la criminologie.
- Le pouvoir, loin d’être uniquement ce qui refoule
et censure (un phénomène simplement négatif),
désigne aussi ce qui produit et crée des rituels de
vérité, des sciences humaines (psychologie, psychiatrie,
criminologie, etc.) ; pouvoir et savoir, montre Foucault, varient
en fonction l’un de l’autre, de sorte que les machineries
de pouvoir sont des stratégies de vie créatrices,
des dispositifs inventifs, des réseaux producteurs.
3.3 – Importance et limites de la conception foucaldienne
du pouvoir
- En définitive, le pouvoir, selon Foucault, n’est
pas la domination, la dialectique commandement / obéissance,
l’oppression, la répression, la violence, la servitude
volontaire. Le pouvoir ne se définit point à proprement
parler comme « emprise » de l’homme sur l’homme.
Qu’est alors le pouvoir selon Foucault ?
- Une grande machinerie, aux rouages complexes, qui circule dans
toute la société, dans les écoles, les hôpitaux,
les prisons, etc. Au schéma classique loi-contrainte-répression,
Foucault substitue celui d‘un rapport de force mobile, d’un
mode d’action ouvert, ramifié, dispersé à
travers tout le corps social. Le pouvoir circule, entre techniques
de gestion et de quadrillage, arts de faire subtils, stratégies
complexes. Le pouvoir doit être rapproché du gouvernement
(cf. Surpa, texte de Foucault), c’est-à-dire du mode
d’action sur autrui. Le pouvoir est finalement ce qui produit
des normes, des modèles organisant des microstratégies.
De même, les savoirs se donnent comme le résultat des
pouvoirs.
- Le pouvoir a donc avant tout : il fait surgir des techniques
et des dispositifs d’action, mais aussi des savoirs (une psychiatrie,
une criminologie, une statistique, etc). Il construit, en somme,
une subjectivité, un savoir. Le philosophe met l’accent
sur l’autonomie des acteurs et la liberté de manoeuvre
surgissant dans les relations de pouvoir.
- On peut se demander toutefois si Foucault occulte cependant l’essence
de la domination dans sa conception du pouvoir. Ce que néglige
peut-être le philosophe, c’est la domination, cette
condition somme toute nécessaire du pouvoir. Foucault n’étudie
pas la raison interne du sujet dominé, l’énigme
finalement du pouvoir.
Conclusion :
- Que nous enseignent ces analyses sur les microstratégies
? Que personne n’est propriétaires des pouvoirs, qu’ils
désignent des réseaux de relations mettant en jeu
des logiques mobiles. Ces micropouvoirs disséminés
dans l’ensemble du corps social déploient des tratégies
complexes qui circulent entre techniques de gestion et de quadrillage.
4) LES POUVOIRS D’INFLUENCE
- Les pouvoirs d’influence désignent des pratiques
sociales agissant par persuasion et séduction. Leur pression
diffuse est tout aussi décisive que celle du pouvoir politique
ou économique. Ils permettent de modeler les esprits et les
coeurs. Ils emportent en douceur les décisions. Pouvoir des
médias, des intellectuels, de la religion, des idéologies,
des mots et du langage, etc. Nous évoquerons le pouvoir des
médias et celui du langage.
4.1 – Le pouvoir des médias
- Par médias, il faut entendre les supports de diffusion
massive de l’information : presse, radio, télévision,
etc. Depuis 1950, le phénomène médiatique s’est
imposé comme un système de pouvoir d’influence
exceptionnel, en particulier à la suite du développement
de la télévision (on parle aujourd’hui de «
médiacratie »). L’usage de la télévision
a provoqué un bouleversement psychique et social : elle a
touché l’ensemble de notre vie.
- Le pouvoir des médias se comprend d’abord comme
pouvoir de l’imaginaire : ils permettent le fonctionnement
intensif des mécanismes de projection et d’identification;
le téléspectateur vit par procuration tout ce qui
s’offre à lui; la télévision transforme
tout le réel en spectacle, auquel le spectateur s’identifie.
Un voyeurisme magique imprègne les mentalités : «
Les nouvelles techniques créent un type de spectateur pur,
c’est-à-dire détaché physiquement du
spectacle, réduit à l’état passif et
voyeur. Tout se déroule devant ses yeux, mais il ne peut
toucher, adhérer corporellement à ce qu’il contemple
(…) Ainsi nous particpons aux mondes à portée
de la main, mais hors d’atteinte de la main » (Edgar
Morin, L’Eprit du temps).
- De même, c’est dans le champ politique que les puissances
des médias et leur actions sur l’imaginaire apparaissent
en pleine clarté; rôle de la séduction; primauté
de l’image par rapport à la notion, de l’apparence
sensible par rapport aux concepts; le contenu du message devient
moins important que la forme, l’image, le personnage. Désormais,
les médias créent l’événement,
façonnent les hommes politiques et l’histoire immédiate.
- Pouvoirs d’orientation de l’opinion ( pouvoir, par
exemple, de la publicité et des sondages), les médias
contribuent ainsi à effacer, dans nos sociétés,
la mise en question, la contestation : dans L’homme unidimensionnel,
Marcuse montre que les médias sont un pouvoir créateur
d’une société close, qui absorbe les oppositions
et participe à la formation d’un « homme unidimensionnel
», c’est-à-dire entièrement intégré
dans la société globale. Les médias, en somme,
standardisent les goûts et intérêts divers, accentuant
la poussée vers le conformisme et finissant par produire
un « homme moyen ». Les médias uniformisent,
affaiblissent les singularités de chacun. « La médiacratie
» se transforme en « médiocratie ».
- Pour Mac Luhan, enfin, dans Pour comprendre les médias,
la télévision fait naître l’anémie
culturelle en tuant notamment la lecture. La télévision
provoque des transformations majeures chez l’enfant, qui devient
un myope culturel.
- Le pouvoir des médias ne réside pas uniquement
dans leurs mécanismes de séduction. Ils détiennent
aussi un pouvoir considérable de création du réel
: les événements sont filtrés selon une stratégie
de séduction ou à tarvers un projet politique ? Redoutable
pouvoir d’orientation de l’opinion.
- Evoquons enfin le pouvoir de la publicité et des sondages
qui prennent eux aussi en charge, par la douceur et la persuasion,
le conditionnement des esprits.
- La publicité : art d’exercer une action psychologique
sur le public à des fins commerciales en recourant à
des méthodes insidieuses de conditionnement. Les sondages
nous influencent fortement. Les sondages évoquen tle désir
du plus grand nombre et nous suggérent d’aller dans
la même direction, de nous ranger à l’avis de
la majorité. Les sondages prônent insidieusement le
conformisme.
4.2 - Le pouvoir du langage
- Le langage est une fonction d’expression verbale de la
pensée, faculté qu’ont les hommes de s’entendre
au moyen de signaux verbaux. Selon Austin, dire, c’est faire,
capturer l’auditeur dans le filet des mots. Le langage est
un art d’agir sur le monde, un pouvoir : parler, c’est
agir; prendre la parole, c’est s’emparer du pouvoir
(exemples de la propagande et de la démagogie). Pouvoir d’influence
exemplaire qui charme, exerce une puissance magique (cf : les sophistes);
puissance d’envoûtement : parole poétique, parole
magique du sorcier, parole de la thérapie analytique, parole
de la calomnie, de la flatterie (quoi que l’on dise, il en
restera toujours quelque chose !). Art d’agir sur les autres,
le langage crée les choses et les êtres.
Conclusion sur les pouvoirs d’influence :
- Les pouvoirs d’influence ont une fonction sociale bien
précise : agir par séduction, non par contrainte physique,
s’ouvrir aux coeurs et aux esprits, par persuasion, voire
par manipulation, pour administrer et gérer le social. Ils
règlent la communication dans la société, mais
aussi le fonctionnement de l’universel (intellectuels, idéologies…)
ou l’angoisse et le désordre (religion). Ces pouvoirs
d’influence représentent des ensembles souvent informels,
diffus, insaisissables, énigmatiques, qui sont néanmoins
très puissants.
Conclusion générale de la première partie
:
- Au total, le pouvoir traverse toutes les relations sociales :
les groupes, les élites, les familles, les Grandes Ecoles,
les systèmes punitifs, etc. Chaque fois que des êtres
humains entrent en rapport se tissent des phénomènes
de pouvoir. A côté du pouvoir politique dont l’Etat
est la figure par excellence, se dévoilent une extrême
diversification des modèles de domination, une pluralité
de figures de régulation ou de compétition. Omniprésence
donc des phénomènes de domination qui semblent corréaltifs
de l’humanité et des relations intersubjectives.
II) LES FONDEMENTS DU POUVOIR
- Quelles sont les assises du pouvoir ? Quelles sont les racines
de la domination ? Pour répondre à ces questions,
nous ferons un détour par l’éthologie, la psychanalyse
et la philosophie.
A) LA DOMINATION ET SES RACINES
- La domination n’est - elle pas l’essence, le noyau,
le fondement du pouvoir ?
1) Pouvoir et domination
- En premier lieu, le pouvoir se présente toujours comme
une relation instaurée dans un groupe entre des individus.
Cette relation est une dialectique du commandement et de l’obéissance.
Commander, c’est imposer sa volonté; obéir,
c’est reconnaître la volonté d’un autre
et se soumettre à ses exigences. Le pouvoir est un conflit
des volontés; il se perd ou s’acquiert dans le jeu
des volontés qui s’opposent, violemment ou non, en
suivant des règles établies à l’avance
ou en les refusant.
- Mais le commandement est un phénomène de domination
quand l’obéissance doit être analysée
en terme de soumission : l’obéissance est active car
elle effectue réellement ce qu’on lui demande de faire;
le commandement, au contraire, est passif dans la mesure où
il se contente d’astreindre des individus à l’exécution
de ce qu’il désire et qu’il croit être
le meilleur. C’est le général qui déclenche
la bataille, mais c’est le soldat qui se bat; c’est
le maître qui exige, mais c’est l’esclave qui
travaille. La domination implique donc que le commandement soit
accepté, que la sujétion soit reconnue comme légitime.
La domination nourrit le pouvoir. Dominer, c’est manifester
concrètement l’exercice de la puissance, à travers
un contrôle social et des normes et contraintes intériorisées
et acceptées. C’est ce que nous montrent un certain
ombre d’analyses de philosophes.
- C’est ce qu’explique Platon : dominer, c’est
installer le mâitre au-dedans des sujets. Le maître
habite en notre coeur, en nous-mêmes : « Nous croyons…qu’il
n’est rien de plus avantageux à chacun que d’être
gouverné par un être divin et sage, soit que ce maître
habite au-dedans de nous-mêmes, ce qui serait le mieux , soit
au moins qu’il nous gouverne du dehors, afin que, soumis au
même régime, nous devenions tous semblables et amis
dans la mesure du possible…Et la loi ne montre-t-elle pas
précisément cette intention ? » (Platon, LA
République, livre IX, 590 d-e).
2) L’amour du maître (Machiavel)
- Dans Le prince, Machiavel fait émerger cette question
décisive : comment s’emparer du pouvoir et le conserver
? Réponse : à travers une stratégie maîtrisée
et réfléchie de la domination et de la violence, en
enracinant, dans les sujets, l’amour du maître. Il s’agit
de s’interroger sur les véritables mécanismes
de la domination, conçue comme noyau du pouvoir.
- Le prince doit se faire obéir, c’est-à-dire
qu’il doit se faire craindre. Se faire craindre et engendrer
l’amour dans le coeur des sujets (la crainte est très
semblable à de l’amour). La cruauté et la crainte
mesurées désignent de réels instruments de
domination, ainsi que l’art de sa conquête. La politique
est ici définie comme l’exercice du pouvoir qui établit
une relation de domination fondée sur la crainte et l’amour.
- Machiavel innove en émancipant la politique de la tutelle
de la morale qui forment deux univers distincts. Le fait de l’action
politique passe devant la valeur. Le rôle de l’Etat
est de se conserver. Le chef de l’Etat ne peut vouloir d’autre
fin que la conservation de son Etat.
- Dans Le prince, Machiavel expose les moyens propres à
réaliser cette fin. La fin justifie effectivement les moyens
: si je veux diriger un Etat, alors je dois m’en donner les
moyens. Mais Machiavel ne confond pas pour autant le bien et le
mal. Si une cruauté peut être un bien, elle ne le sera
jamais que d’un point de vue politique ou historique ; une
cruauté sera habile, efficace, indispensable peut-être,
non pas bonne ni louable moralement. Machiavel donne l’exemple
d’Agathocle : son courage et son habileté le placent
au premier rang des capitaines ; mais « sa cruauté,
son inhumanité et ses nombreuses scélératesses,
ne permettent pas de le compter au nombre des grands hommes »
(Machiavel, op.cit.). La vertu n’a aucune valeur politique,
pas plus que le vice.
- Dès lors, si la conduite de l’Etat exige quelquefois
du prince une conduite contraire à la vertu, c’est
en tant qu’homme public, au service du bien public, que le
souverain peut se permettre de tels écarts. Le prince ne
saurait légitimement profiter de sa situation dans l’Etat
pour soustraire sa personne privée à la loi morale
: « Aux lois universelles de la morale le prince est tenu
dans sa vie privée, comme le plus humble de ses sujets »
(ibid.). Si, en politique, la fin justifie les moyens, la fin dont
il s’agit n’est pas n’importe quelle fin privée
mais la fin absolue : la liberté. Machiavel distingue, en
effet, les fins purement privées, égoïstes, du
bien de l’Etat.
- En ce sens, l’Etat n’est pas la simple expression
de la force brutale. Il apparaît souvent comme l’instance
capable de réfréner l’affrontement violent des
égoïsmes particuliers. C’est en dehors de l’Etat
que la méchanceté des hommes se donne libre cours.
Nécessité, selon Machiavel, d’un Etat fort,
capable de s’imposer contre les menées égoïstes.
Toute la question que pose l’analyse de Machiavel, et qui
est récurrente en philosophie politique, consiste à
savoir comment un tel Etat fort peut s’articuler avec la liberté
des sujets.
3) La dialectique du maître et de l’esclave (Hegel)
- Dans une autre perspective, Hegel, dans La phénoménologie
de l’esprit, montre que le pouvoir est perçu comme
« maîtrise-servitude », « maîtrise-obéissance
», relation inégalitaire entre deux consciences. C’est
la fameuse dialectique du maître et de l’esclave.
- Deux consciences s’affrontent en une lutte à mort.
La reconnaissance par l’autre s’effectue sous la forme
du défi ou du combat (exemple : dans les bandes d’adolescent,
il existe des défis servant à désigner celui
qui deviendra le chef. Deviendra maître celui qui se fait
reconnaître capable d’aller plus loin que les autres
dans un risque ou un exploit : voir le film La fureur de vivre).
Or, l’un des individus (l’esclave), glacé et
pénétré par l’angoisse de la mort, refuse
de s’élever au-dessus de la vie naturelle en risquant
sa vie et ne peut que reconnaître la supériorité
de l’autre conscience (le maître), qui risque tout et
mesure ainsi sa grandeur.
- Le pouvoir s’engendre par la lutte à mort des consciences
de soi opposées. Les hommes, en effet, sont mus par l’impérieux
désir de se faire reconnaître dans leur valeur souveraine.
- Où l’on voit que la genèse du pouvoir sur
l’autre se manifeste à travers un pouvoir sur soi-même
: l’intériorisation, par un sujet, de sa mort, acceptée,
assumée, dépassée. Le pouvoir sur autrui s’avère
alors inséparable de la domination spirituelle, conçue
comme renoncement à la vie naturelle. La mort méprisée
et domptée, dominée et vaincue, peut fonder le pouvoir
social. La peur et l’angoisse de la mort expliquent la soumission
d’un homme à un autre.
4) Les trois formes de domination selon Max Weber
- Avec Max Weber, enfin, le problème essentiel du pouvoir
se rattache au thème de la domination: qui domine, qui est
dominé et par quelle médiation ? Comment le maître
commande-t-il souverainement, fait-il prévaloir sa volonté
? Il examine les trois fondements du pouvoir, les trois types de
domination. La domination légale implique la règle
du droit; la domination traditionnelle se réfère aux
règles coutumières; la domination charismatique suppose
l’autorité personnelle du chef.
DOMINATION ET POUVOIR CHEZ MAX WEBER
Les trois types de domination
Fondements de la légitimité
Types et exemples de pouvoir
Régime politique
Les dominés
Principe
Domination légale
Légalité, règle du droit
Pouvoir bureaucra-tique avec organisation impersonnelle
Etat bureaucrati-que moderne
Démocratie représentative
Citoyens
de domination
avec commandement,
Domination traditionnelle
Tradition ancienne Règles coutumières
Pouvoir politique du seigneur, du prince
Monarchie
Sujets soumis à la tradition sacrée
obéissance,
autorité
Domination charismati-que
Autorité personnelle du chef. Force héroïque
d’une personne, charisme, grâce, etc.
Pouvoir politique du tribun, du chef plébiscité (Hitler,
etc.)
Pouvoir absolu avec consultation populaire
Communauté émotionnelle
Conclusion : le pouvoir et la domination
- Le pouvoir apparaît donc, dans son essence, comme un rapport
de domination de l’homme sur l’homme : cruauté
et crainte mesurées comme instruments de domination chez
Machiavel, la domination désignant alors la technique du
pouvoir et l’art de sa conquête ; domination spirituelle,
quand la mort, domptée et assumée, se fait chemin
de la reconnaissance (Hegel) ; dominations légale, charismatique
et traditionnelle, c’est-à-dire rapports de domination
de l’homme sur l’homme, par lesquels se construit le
pouvoir politique (Max Weber), domination de classe, habitus (système
de dispositions par lequel s’intériorisent les normes
et valeurs - Bourdieu), etc. En somme, la domination constitue le
fondement même du pouvoir. Quelles sont alors les racines
de cette domination qui semble si omniprésente et universelle
?
B) LES RACINES DE LA DOMINATION
- Quelle est la force intime qui pousse certains individus vers
le pouvoir ? Quelle dynamique interne contribue à la «
prise du pouvoir » ? Pour connaître la nature du pouvoir,
ne faut-il pas comprendre les causes de l’obéissance
? Comment l’amour de la domination peut-il s’installer
en nous ? Et pourquoi le dominant a - t - il souvent droit à
l’amour ? Il nous faut, pour répondre à ces
questions, interroger quelques disciplines ou recherches - de l’éthologie
à la philosophie en passant par la psychanalyse, la sociologie
et l’ethnologie.
1) Les données de l’éthologie
- L’éthologie est l’étude du comportement
animal dans le milieu naturel, la science des comportements des
espèces animales.
- Les animaux n’ignorent nullement les phénomènes
de « domination-soumission ». Le pouvoir structure les
relations de tous les êtres qui vivent en communauté.
Les fourmis (cf. Les fourmis de Marc Weber), les singes, par exemple,
offrent un exemple saisissant.
- La vie, en effet, exige l’ordre. Tiraillés comme
le sont les êtres vivants entre l’invincible souci de
leur propre préservation et les intérêts du
groupe qu’ils forment, ils disparaîtraient rapidement
si une instance de décision ne coordonnait pas leurs actions.
La société, qu’elle soit animale ou humaine,
n’est jamais sans pouvoir. On observe chez les animaux des
conduites de soumission, de complaisance, des jeux de respect, de
serviabilité. Ces relations de domination ou de subordination
varient selon les espèces et le cadre écologique.
- Konrad Lorenz décrit, par exemple, chez les poules un
pecking order, ordre hiérarchique résultant d’une
séquence de coups de bec destinée à déterminer
les poules les plus fortes. De même, le fameux phénomène
de la territorialité (chaque sujet protégeant son
territoire) signale des comportements de domination.
- Edgar Morin, dans Le paradigme perdu : la nature humaine (chapitre
3, “nos frères inférieurs”), décrit
le groupe des babouins, des macaques, des chimpanzés comme
une « organisation sociale avec différenciation interne,
intercommunications, règles, normes, prohibitions ».
Au sein de ces diverses sociétés de singes, se dessinent
des clivages « très nets entre mâles adultes,
femelles et jeunes, allant jusqu’à la constitution
de castes (mâles adultes), de cliques ou bandes (jeunes),
de gynécées. Il s’agit non seulement d’une
différence hiérarchique, mais aussi d’une différence
de statut, de rôle, d’activités, qui nous indique
que nous sommes en présence d’un embryon de classes
bio-sociales ». Les sociétés de macaques ou
de chimpanzés connaissent donc, à des degrés
divers, domination, soumission, subordination, et même des
frustrations accompagnant la subordination. Des affrontements se
produisent, des commandements s’exercent.
- La domination-soumission procèderait alors de nos racines
biologiques et animales. Nous portons, en effet, l’héritage
de notre passé animal, de nos « rères inférieurs
», comme le suggère Edgar Morin. Selon cet auteur,
toute forme sociale, même embryonnaire, vise à conjurer
les risques de désordre et d’entropie. D’où
la nécessité de contrôler les individus au moyen
de structures complexes. Pour durer, s’installer dans la pérennité,
les sociétés de chimpanzés ou de macaques exigent
des rôles hiérarchiques ainsi qu’une domination.
Idée que l’ordre social vivant requiert des statuts
de domination-soumission, de manière à mettre en échec
les forces de désordre à l’oeuvre dans toute
société. Voir les exemples donnés par Edgar
Morin dans Le paradigme perdu, la nature humaine et par serge Moscovici
dans La société contre nature.
2) Les données ethnologiques
- Les ethnologues montrent que le pouvoir et la politique doivent
être distingués de l’Etat : absence d’Etat
ne signifie pas absence de politique. Les sociétés
traditionnelles connaissent divers types de formations politiques
: les bandes sans pouvoir séparé, les chefferies,
les sociétés sans Etat à pouvoir diffus. Il
y a souvent, dans une même région, coexistence de plusieurs
formes politiques (en Afrique, par exemple, un Etat qui peut recouvrir
différentes formes de pouvoir différents au niveau
du village).
1. Les bandes
- Ce sont des groupes de chasseurs-cueilleurs, pêcheurs,
nomades, qui vivent en petites communautés de 20 à
150 personnes, regroupant quelques familles (Esquimaux du Groenland,
aborigènes australiens, Indiens d’Amazonie comme les
Nambikwaras ou les Guayakis). Pas de fonction politique séparée.
S’il existe un chef de village, son rôle se limite à
certaines décisions : gestion des conflits, rapports avec
les voisins, etc. Il n’a pas de privilèges particuliers
ou de richesses. Le contrôle des déviances est collectif.
La sanction des fautes se fait par la moquerie, voire l’exclusion
du groupe.
2. Les sociétés à pouvoir diffus
- Dans les regroupements de taille plus importante, existence de
formes de pouvoir plus complexes (« pouvoirs diffus »).
Coexistence sur un même territoire de familles dirigées
par un chef de famille qui est souvent l’aîné.
Les chefs de famille choisissent parmi eux un sage qui assumera
la fonction de chef.
- Dans les sociétés dites « segmentaires »
(les Nuers du Soudan étudiés par Evans-Pritchard),
la gestion des conflits se fait sans pouvoir central. Il y a regroupement
et fusion temporaire d’un groupe sur des bases de proximité
familiale pour constituer une unité par rapport à
un autre groupe. L’organisation segmentaire permet de mobiliser
des milliers de personnes sans pouvoir central.
- Il y a aussi les systèmes lignagers : organisations réunissant
plusieurs familles apparentées par un ancêtre commun
; se nouent entre elles des relations de solidarité et de
dépendance réciproque ; autorité exercée
par les chefs de lignage ou aînés, entourés
des conseils d’anciens.
3. Les chefferies ( Afrique, Amérique du Sud, Asie)
- Les chefferies existent là où la société
devient hiérarchisée, inégalitaire et d’une
taille conséquente. Existence de lignages avec des statuts,
des professions différents (guérisseurs, notables,
esclaves…). Il y a un chef suprême. Ce qui différencie
la chefferie de l’Etat, c’est que la chefferie ne peut
s’opposer par la force au groupe dont elle est issue. La chefferie
est, en définitive, une forme de congrégation semi-politique,
semi-religieuse, organisée autour d’un roi-prêtre
qui ne peut pas imposer sa volonté contre ses sujets.
3) Les données pyschologiques et psychanalytiques
- Pour les psychanalystes, la constitution des premières
figures du couple dominant-dominé renvoie à l’état
de détresse du nourrisson qui, « dépendant entièrement
d’autrui pour la satisfaction de ses besoins (soif, faim)
s’avère impuissant à accomplir l’action
spécifique propre à mettre fin à la tension
interne » (Laplanche et Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse).
Naissant inachevé, l’animal humain est voué
à une relation intersubjective de dépendance initiale
par rapport à une mère omnipotente. Quand le sujet
se voit refuser la satisfaction de certains besoins, quand il se
trouve en situation de frustration, surgissent les relations initiales
de type domination-soumission, qui donnent à voir un conflit
de demandes et de pouvoirs.
3.1 – L’analyse de Freud
- Dans Moïse et le monothéisme, où Freud s’interroge
sur le noyau de la religion, fruit du complexe d’Oedipe, les
assises psychologiques de la dépendance et de la sujétion
sont dévoilées. Fasciné par le personnage de
Moïse, Freud pose la question suivante : à quelles conditions
le titre honorifique de “grand homme” se trouve-t-il
conféré à un sujet ? Qualités objectives,
beauté, réussite ne jouant qu’un rôle
secondaire.
- Le complexe d’Oedipe désigne cette disposition affective
par laquelle un sujet s’attache au parent de l’autre
sexe, tandis qu’il expérimente une haine jalouse à
l’égard du parent du même sexe. Cet ensemble
de désirs simultanément amoureux et hostiles, vécu,
selon Freud, entre trois et cinq ans, décline progressivement
et laisse place au surmoi, cet héritier du complexe d’Oedipe,
qui nous permet de mieux pénétrer certaines racines
de la domination. Avec le Surmoi, cette instance de la personnalité
constituée par l’intériorisation des interdits
parentaux et le renoncement aux désirs oedipiens, nous voyons
surgir des formes de domination très actives : le vestige
d’une autorité tout autant haïe qu’aimée
laisse, en l’âme humaine, une puissance et une force
liées à la figure du père.
- Selon Freud, c’est à travers la forme du père
que s’intériorise une relation de pouvoir, acceptée,
redoutée et, en même temps, contestée : “…la
plupart des humains éprouvent le besoin impérieux
d’une autorité à admirer, devant qui se plier,
et par qui être dominés et parfois malmenés…ce
besoin collectif d’une autorité…naît de
l’attirance vers le père, sentiment qui est, dès
l’enfance, inclus en nous…Et nous entrevoyons que tous
les traits de caractères dont nous voulons parer le grand
homme sont des traits propres au personnage paternel…”
(Freud, op.cit.).
- Freud forge le concept d’ « Idéal du moi »
pour rendre compte de la soumission et de la fascination exercée
par le leader. L’Idéal du moi représente une
formation psychique relativement distincte du surmoi et désigne
un modèle auquel le sujet aspire à se conformer, une
instance de la personnalité issue de la convergence du narcissisme
et des identifications parentales.
- Dès lors, le leader incarne une personnalité toute
puissante, à l’égard de laquelle on ne saurait
se comporter que d’une manière passive et devant laquelle
on doit renoncer à sa volonté propre : « le
meneur de la foule incarne toujours le père primitif tant
redouté, la foule veut toujours être dominée
par une puissance illimitée, elle est au plus haut degré
avide d’autorité…elle a soif de soumission »
(Freud, Essais de psychanalyse). En somme, “Surmoi”
et “Idéal du moi” paraissent constitutifs des
positions de soumissions. Le surmoi peut conduire au fantasme du
maître tout-puissant, l’idéal du moi éclaire
la fascination pour le leader. Les idéaux narcissiques, centrés
sur l’amour de soi-même, contribuent à la genèse
des rapports de domination.
3.2 – L’analyse de Reich
- D’autres psychanalystes dissidents ont apporté des
analyses intéressantes pour comprendre les assises psychologiques
de la domination. Wilhelm Reich, par exemple, dans La psychologie
de masse du fascisme (1933), comprend les figures de la domination
en termes de désir : le sujet adapté à une
puissance autoritaire est docile parce que sa sexualité a
été domptée durant son enfance et parce qu’il
désire fondamentalement l’oppression. Les peuples n’ont
pas été trompé, ils ont voulu leur oppression
et l’ont entrtenue.
- Alors que Freud voit dans l’Oedipe une donnée éternelle
et immuable, une structure psychique universelle, aux yeux de Reich
l’Oedipe se borne à réitérer, dans notre
société, une forme d’autroité exorbitante
dévolue au père dans nos structures. L’Oedipe
n’est pas tant une structure universelle que le reflet d’un
rapport de domination contingent et historique qui se trouve appelé
à disparaître.
- Aux sources de la domination, nous avons certaines formes socio-économiques
(Reich est marxiste), une structuration autoritaire de l’homme,
la présence du père tout-puissant, le refoulement
sexuel, des phénomènes d’identification et la
peur de la liberté au sein des masses humaines. La figure
du père autoritaire, matrice de l’Oedipe, qu’incarne,
par exemple, le führer. Le besoin d’identification, qui
permet aux individus de se découvrir en assimilant les attributs
du leader et ainsi de se transformer sur le modèle de ce
dernier, en participant à son essence. Besoin de trouver
un appui, de gommer le sentiment d’inexistence ou de contingence,
de s’enraciner dans la race des “seigneurs”, de
donner satisfaction au narcissisme. La peur de la liberté
: les masses humaines ont voulu leur oppression en ayant peur de
devenir libres, adultes, majeurs; les maîtres cultivent ainsi
cette angoisse d’expérimenter la liberté. Aux
sources de la relation dominant-dominé, le refus d’être
libre, adulte, majeur (analyse qu’on trouve déjà
chez La Boétie et Kant). Il est plus simple, plus confortable,
plus aisé de se laisser guider par un maître tout-puissant.
Notion de servitude volontaire.
3.3 – Pierre Legendre et la croyance d’amour
- Dans Jouir du pouvoir (1978), Pierre Legendre se demande comment
le pouvoir s’y prend pour nous fabriquer. Il montre que c’est
dans la croyance d’amour que s’enracine les dispositifs
de la domination : « obéis-moi, dit le maître,
et je t’aimerai ! ». Cède sur ton désir,
obéis à la Loi et tu recevras, en récompense,
un flot d’amour. La désobéissance implique alors
le risque suprême, celui de se voir retirer l’amour.
Le ressort de l’obéissance est donc l’angoisse
de la perte d’amour. En acceptant le maître auquel il
se soumet, l’homme manifeste la persistance de sa détresse
infantile devan tla privation possible de l’objet d’amour.
- Ce qui nous fait obéir, d’après Legendre,
c’est donc la croyance d’amour, l’illusion que
l’on nous aime, que le Maître nous chérit.
3.4 – La soumission à l’autorité : l’analyse
de Stanley Milgram
- Article de Jacques Lecomte extrait du n° 72 de Sciences humaines,
à propos du livre de Stanley Milgram, Soumission à
l’autorité.
Conclusion sur l’apport psychanlytique :
- Au total, la psychanalyse démasque les fantasmes sous-jacents
au pouvoir de l’homme sur l’homme et met à jour
les multiples figures de la domination / soumission : l’identification
au leader et à l’agresseur, la figure du père,
la peur de la liberté, la demande d’amour, l’illusion
d’être aimé, etc. Autant de structures sous-jacentes
aux rapports maître/esclave, bourreau/victime, etc. La psychanalyse
nous montre que l’agresseur fantasmatique peut s’installer
dans le coeur même du sujet, que le pouvoir renvoie à
des structures psychologiques profondes, de sorte que le “maître”
et “l’esclave”, avant de constituer des rapports
sociaux, figurent d’abord en nous-mêmes. Qu’en
pense maintenant la philosophie ?
4) Les données philosophiques
- La philosophie nous enseigne également que le «
maître » et l’ »esclave » sont, à
l’origine, en nos âmes. La domination ne tient que par
angoisse, fascination, consentement de ceux qui se trouvent écrasés.
Le ressort de la servitude : la peur primordiale, mariée
à l’amour du maître.
4.1 L’énigme de la servitude volontaire (La Boétie)
- Sujet de dissertation : « y a-t-il une servitude volontaire
? »
- Problématique : Eiste-til un esclavage, un état
de dépendance forcé et de soumission qui soit volontaire,
c’est-à-dire qui trouve son origine dans une forme
réfléchie, pleinment consentie et délibérée,
de l’activité ? Comment les hommes peuvent-ils rechercher
la servitude, comme si elle constituait une sorte de salut possible
? Pourquoi la servitude est-elle si souvent recherchée ?
Autrement dit, et c’est le sens du sujet, existe-t-il une
soumission, à la fois totale et délibérée,
choisie de façon réfléchie et consciente, fruit
de l’allégeance d’une personne à une autre
? Comment une soumission peut-elle s’effectuer à partir
d’un choix ? Le problème est le suivant : le pouvoir
n’est - il pas une énigme que la force elle-même
ne saurait expliquer tout à fait ? S’il est une servitude
volontaire, ne va-t-on pas la préparer, la créer et
l’engendrer ? La servitude ne serait pas uned onnée
mais un produit : on naît pas serf ou esclave, on le devient.
1. La servitude volontaire, une impossibilité
- Tout d’abord, parler d‘une servitude volontaire semble
tout à fait paradoxal : dans l’idée de servitude,
il y a, en effet, la notion d’une obéissance et d’une
dépendance forcée. Or, la volonté n’est
point forcée par essence, mais issue d’un choix rationnel
(cf. Epictète : la volonté est ce qui dépend
de nous). Comment, dès lors, pourrait-on faire le choix réfléchi
de la soumission ? Rousseau montre que la servitude est en contradiction
avec l’idée même de nature humaine puisque, selon
lui, le sujet humain se définit par l’idée même
de liberté. Renoncer à sa liberté, c’est
renoncer à sa qualité d’homme, affirme Rousseau
dans Du contrat social.
- Toutefois, l’expérience dément cette remarque
: il y a manifestement chez l’homme de nombreux exemples qui
tendent à souligner son impossibilité partielle de
se conduire raisonnablement et librement dans l’existence.
N’est- il pas souvent plus commode d’être guidé,
dépendant, voire esclave, plutôt que d’être
libre et autonome ? Ne tendons-nous pas à rechercher en permanence
un tuteur ou un guide ? La liberté n’est - elle pas
dès lors un fardeau ? Comme l’a établi Sartre,
ne sommes – nous pas condamnés à être
libres et à rejeter, de ce fait, cette lourde charge ?
2. L’énigme de la servitude volontaire
- Dans Le discours de la servitude volontaire, Etienne de La Boite
formule une question aussi simple qu’énigmatique :
« Comm'il se peut faire que tant d'hommes, tant de bourgs,
tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul,
qui n’a puissance que celle qu"ils luy donnent ; qui
n’a pouvoir de leur nuire sinon tant qu’ils ont vouloir
de l'endurer ; qui ne saurait leur faire mal aucun, sinon lors qu’ils
aiment mieux le souffrir que lui contredire ? » Comment se
fait-il que tant d’hommes et tant de nations acceptent la
tyrannie d’un seul, sans y être toujours contraints
par une force réelle ? La boétie s’interroge
donc sur la source même de la domination et montre que la
force, la couardise, la peur de la mort, l’accord réfléchi
des volontés, un pacte d’association ne sont pas à
l’origine de la domination. Mais si la servitude est désirée,
est-ce bien pour elle-même ?
- La servitude ne paraît pas être un fardeau pour le
peuple mais au contraire le plus grand bien qui le délivre
de la liberté perçue comme le plus grand mal. Le tyran
nous séduit et nous capte par une identification majeure
: chacun, en se soumettant, s’identifie au maître et
participe à sa puissance par une projection d’abord
imaginaire. Le dernier des esclaves est envoûté, en
ce qu’il se saisit, par identification, comme maître
et dieu. La domination fonctionne en nous, par nous, en ce fond
de nos âmes si avides de se faire identiques à celle
du tyran. La servitude de tous est donc liée, selon La Boétie,
au désir de chacun de porter le nom d’Un devant l’autre.
Si les peuples se coupent la gorge, c’est parce qu’ils
portent, en eux, le tyran et se courbent eux-mêmes sous le
joug d’une puissance imaginaire.
- La servitude volontaire désigne donc, non pas tant le
désir d’être dominé que d’acquérir
une identité imaginaire en se précipitant dans un
corps indécomposable où chacun se fond avec chacun.
L’amour du peuple pour le tyran n’est autre que son
propre amour de soi : Narcisse est l’autre nom du peuple.
Dans le désir de servitude, la Boétie repère
à l’oeuvre un fantasme de narcissisme absolu. Le peuple
se donne hors de lui un Autre qu’il voit et par lequel il
est vu. La servitude serait alors une tentative de résoudre
l’énigme de l’homme dans son unité et
son écart de soi à soi et de soi aux autres, le mystère
aussi de l’institution du social, désir donc d e délivrance
de la division et de la tension qu’impliquent ces deux énigmes.
- Analyse reprise en quelque sorte par Spinoza dans la préface
du Traité théologico-politique: le goût de la
servitude s’enracine dans le cortège des passions tristes
et dans la haine de la vie. Tristesse, envie, humilité, regret,
autant de sentiments ou passions, autant de formes d’impuissance
où les effets de l’imaginaire se combinent à
la tristesse pour engendrer obéissance et dépendance.
Les hommes combattent pour leur servitude, comme s’il s’agissait
de leur salut.
- Le contrôle social utilise adroitement le goût humain
de la servitude volontaire. Par contrôle social, il faut entendre
un ensemble de ressources, souvent symboliques, dont dispose une
société pour s’assurer la conformité
du comportement de ses membres aux règles et principes prescrits
et sanctionnés. Contrôle de la société
et existence d’une servitude volontaire sont en relation étroite.
4.2 - L’amour de la servitude(texte de Kant)
- De même, dans Qu’est-ce que les Lumières ?,
Kant décrypte cet amour de la servitude qui consiste à
remettre, en autrui, la charge de diriger nos pensées, à
refuser d’assumer soi-même ses propres opinions et jugements
: « Les Lumières sont la sortie de l’homme de
la minorité où il est par sa propre faute. La minorité
est l'incapacité de se servir de son entendement sans la
direction d'autrui. Cette minorité, nous la devons à
notre propre faute lorsqu'elle n’a pas pour cause un manque
d'entendement, mais un manque de décision et de courage pour
se servir de son entendement sans la direction d'autrui. Sapere
aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle
est donc la devise des Lumières. »
- Kant définit les Lumières comme la sortie hors
de la minorité volontaire, c’est-à-dire comme
un processus d’élévation, d’arrachement
progressif à un état de dépendance (minorité
= subordination de l’usage de l’entendement à
la direction d’autrui). La maxime des Lumières est
de penser par soi-même en toutes circonstances, de chercher
en soi-même, dans sa propre raison, la pierre de touche de
la vérité. Il s’agit donc de ne pas se conduire
passivement avec son entendement en le soumettant à la direction
d’autrui. La vertu du courage est donc la condition de l’usage
de l’entendement, de sorte que la raison, le savoir sont visent
avant tout la formation de la personne, comme sujet responsable.
- La cause de cette minorité volontaire est la paresse et
la lâcheté, le confort de l’aliénation.
La paresse est la propension au repos sans travail préalable
; la lâcheté est la pusillanimité sans honneur.
La minorité exprime la manière dont le sujet se considère
lui-même : elle a son fondement dans une déconsidération
de soi, une mésestime de soi. Les tuteurs, les tyrans, les
gourous multiples cultivent cette mésestime de soi, infantilisent
les sujets et entretiennent, par conséquent, l’état
pathologique dans lequel ils se trouvent.
- Kant souligne donc la difficulté d’une émancipation
individuelle, la minorité finissant par devenir une seconde
nature, sous l’inertie des préceptes, des préjugés,
de sorte que rares sont les hommes libres. D'où la nécessité,
et la possibilité selon Kant, d’une émancipation
publique. Kant accorde un rôle salutaire à l’existence
de certains éducateurs du peuple par eux-mêmes affranchis
des préjugés. Les Lumières sont une affaire
de longue haleine, eu égard à la résistance
que leur oppose le peuple attaché à sa propre aliénation.
- En effet, le peuple ne situe pas généralement son
salut dans la liberté, mais dans ses fins naturelles : le
bonheur après la mort, la jouissance physique de la vie.
Il s’en remet naturellement aux prêtres et aux médecins
comme à autant de tuteurs susceptibles de les lui garantir.
Il demande alors des miracles. Dès lors, seule une évolution,
et une lente réforme de la manière de penser conduite
par des savants éduquant progressivement le peuple, pourra
servir l’accès aux Lumières.
- Au total, que nous enseigne Kant sur le pouvoir et les racines
de la domination ?
- Que l’amour de la servitude renvoie au farouche refus d’être
libre. Les sujets ont peur de devenir libres car il est réellement
confortable de se laisser guider par un maître. L’expérience
de la liberté est pénible et difficile, dans la mesure
où il est malaisé de construire seul son destin :
il est plus commode de suivre la direction du conseiller, du prêtre,
du médecin, du maître, du gourou. La paresse, la lâcheté,
l’indolence, le goût des habitudes, les préjugés,
autant de causes rendant compte de l’opposition aux Lumières.
Nous aimons cette servitude, apaisante, réconfortante. Quand
il faudrait, avec effort, travail, dure lutte, nous installer dans
la raison, nous préférons vivre sous la tutelle de
l’autre pour qu’il pense à notre place. Les hommes,
par manque de courage, préfèrent la dépendance.
- Où l’on voit que la liberté, en réalité,
angoisse l’homme. Nous sommes donc responsables de notre minorité,
nous engendrons nous-mêmes notre manque de courage et la domination
du chef, les dominants n’ayant plus qu’à cultiver
fermement cette peur. La maîtrise apparaît alors comme
indispensable : parce que l’homme se manifeste d’abord
comme enfant et ne se détermine pas selon la loi de raison
et de liberté, il lui faut un maître, qui le forme
et l’éduque. Le maître désigne, chez Kant,
le sujet exerçant la domination spirituelle et faisant accéder
les hommes à la liberté, brisant l’arbitraire
des volontés individuelles (Idée d’une histoire
universelle…, 6ème proposition). En somme, l’enracinement
dans la dépendance nous renvoie à notre nature la
plus intime.
4.3 – Servitude et regard
- Dans une perspective voisine, Sartre lit dans le regard et la
mauvaise foi, la genèse de la dépendance aliénante.
Dans L’être et le néant, Sartre montre qu’autrui,
ce médiateur entre moi et moi-même, me fait accéder
à l’être. C’est le regard de l’autre
qui me fait expérimenter mon esclavage face à une
liberté qui me constitue en objet, me dépouille de
moi-même. C’est dans le poids du regard que ma dépendance
à l’égard de l’autre trouve son origine.
D’où le fameux enfer de Huis clos, le duel à
mort de consciences où chacun, par son regard, engendre esclavage
et maîtrise. D’où le sadisme et le masochisme,
ces perversions inhérentes au regard lui-même. L’enfer,
c’est les autres, dit Sartre : par le regard s’engendrent
dépendance, soumission, maîtrise, esclavage.
- Mais la mauvaise foi joue un rôle important dans la genèse
de la dépendance : Sartre entend par mauvaise foi, ce mensonge
à moi-même par lequel je tente de feindre que je ne
suis pas libre, par lequel je m’efforce d’oublier que
je suis une conscience ne subissant pas la loi des choses. Fuite
de la liberté ou de la responsabilité, acceptation
de se faire objet pour autrui, autant de conduites naissant de la
peur de la liberté où s’enracine tant de modes
de la dépendance. Le désir d’obéissance
ou de soumission s’enracine alors dans ma mauvaise foi, autre
nom, à la suite de Kant et de Freud, de notre originelle
détresse où se masque notre liberté.
Conclusion : les enseignements de la philosophie sur les racines
de la domination
- La philosophie nous explique donc, elle aussi, que le maître
et l’esclave sont, à l’origine, en nos âmes.
Les sources de nos chaînes sont purement internes, nées
de nos imaginations : peur de la mort, fuite de notre liberté,
volonté de retrouver, à travers l’amour du maître,
l’apaisement d’une conscience réconciliée
avec elle-même. Il ne faut toutefois pas minimiser l’importance
du contrôle social, qui utilise adroitement le goût
humain de la servitude volontaire. Le contrôle social désigne
un ensemble de ressources, souvent symboliques, dont dispose une
société pour s’assurer de la conformité
du comportement de ses membres aux règles et principes prescrits.
Le contrôle social permet de conditionner les esprits de manière
insidieuse et subtile. Ainsi contrôle de la société
et existence d’une servitude volontaire sont-ils en relation
étroite.
Conclusion sur les racines de la domination
- Il apparaît donc que le pouvoir se bâtit sur une
assise double : le désir de dominer et le besoin de dépendance.
- L’éthologie nous montre le caractère universel
des relations de domination-soumission qui sont nécessaires
au fonctionnement même de l’ordre social vivant. La
théorie psychanalytique rattache la relation dominant / dominé
à l’état de détresse originaire : obéis-moi
ou je te retirerai mon amour. La philosophie nous donne à
voir une volonté de servir (La Boétie), une peur de
devenir libre (Kant), un choix de la dépendance symétrique
de la maîtrise (Hegel). A la maîtrise fait donc écho
la volonté de servir et d’obéir. Songeons aux
formes anciennes de la domesticité, où le paternalisme
du maître, sa tendance à imposer un contrôle,
une domination, sous couvert de protection, s’alliaient à
la dépendance du dominé. Pensons également
au colonialisme et au système esclavagiste. Se complètent
alors le comportement protecteur, emprunt de condescendance, et
le besoin de dépendance. Ainsi le pouvoir se construit-il
à travers l’énigmatique et parfois monstrueuse
relation dépendance/volonté de dominer.
Nos racines biologiques (K.Lorenz, E. Morin)
Volonté de servir (La Boétie)
Peur de la liberté (Kant)
DOMINATION
Composantes psycho-affectives; thématique de l’inconscient
(Freud)
Regard; mauvaise foi (Sartre)
C) LE POUVOIR, PRINCIPE VITAL
- Le pouvoir se présente également comme exigence
quasi vitale au sein de toute société. Le pouvoir,
en effet, est chargé d’inscrire dans la durée
sujets, groupes et individus isolés. Le pouvoir permet la
pérennité de la cité, que tout expose aux risques
de désintégration et d’entropie : risques internes,
dus au temps, ainsi qu’externes, provoqués par les
luttes et les conflits. Mais le sujet se rassemble également
et s’unifie grâce au pouvoir sur soi. Le pouvoir gouverne
les sujets, réalités et groupes éphémères
et les inscrit dans la permanence.
1) Le pouvoir sur soi
- Analyse d’un sujet de dissertation : qu’est-ce qu’être
maître de soi ?
- Comment se conserver soi-même et maintenir sa propre existence,
comment trouver une règle de conduite, une et harmonieuse
? Cette tâche vitale ne s’avère possible que
si le sujet, maître de lui-même, dispose d’un
pouvoir sur soi : il s’agit de constituer, en raison même
des urgences de la vie, un sujet autonome, un gouvernement de soi-même,
d’édifier une durée psychique résistant
aux troubles passionnels comme à l’angoisse de la mort.
- Fonction thérapeutique de la capacité de se maîtriser,
comme nous le signale la doctrine épicurienne : puisque notre
équilibre se trouve à la merci de tant d’ennemis
intérieurs (angoisse, insécurité, peur des
dieux et de la mort), il faut triompher de ces derniers et acquérir
la paix spirituelle : l’ataraxie. Le pouvoir sur soi se confond
avec une maîtrise des forces obscures qui nous menacent. C’est
donc par le pouvoir sur soi , c’est-à-dire cette puissance
d’accéder à des règles de pensée
et d’action créant un sujet autonome, que l’on
peut vivre humainement et heureux, que l’on peut dépasser
le stade de l’animalité et de la servitude et se réaliser
en tant qu’homme.
2) Le pouvoir sur les choses et la nature (cf. Cours sur la technique)
- Le pouvoir exprime la possibilité de mettre en oeuvre
des moyens physiques destinés à l’action, de
disposer des forces naturelles, afin de survivre. Rôle de
la technique (et du travail) : ici, le pouvoir désigne une
capacité instrumentale, un organe de survie de l’humanité
qui manipule, transforme le monde pour maîtriser l’inconnu,
constituer l’univers humain. La technique comme comme savoir-faire
incarne un comportement efficace au service des hommes et de la
vie tendant à affranchir l'homme des contraintes naturelles.
- Ce qui fonde donc le pouvoir, c’est une exigence vitale.
Le pouvoir sur les choses et la nature, fondement vital de l’existence.
3) Le pouvoir d’Etat
- Autre pouvoir important qui renvoie à la même exigence
vitale : l’Etat, pouvoir politique par excellence, forme institutionnalisée
du pouvoir. Le pouvoir d’Etat comme accès à
la pérennité de la cité. Sans le pouvoir de
l’Etat, la cité glisserait vers la ruine, les individus,
privés de permanence, dépourvus de culture, connaîtraient
uniquement la loi de la guerre.
- Chez Hobbes, par exemple, l’état de nature désigne
une forme de violence et de mort, la guerre de chacun contre tous.
D’où une vie brève, une existence quasi animale,
sans civilisation. D’où l’Etat, issu d’un
contrat entre les individus, qui garantit la paix et la sûreté
publique : les hommes délèguent le pouvoir de les
défendre à un Souverain, protégeant les individus.
Le contrat transforme l’animal en un sujet inscrit dans la
durée, au sein d’une civilisation pacificatrice.
- De même, selon Eric Weil, l’Etat est l’organisation
d’une communauté historique, il est la continuité,
la solidité, qu’il inscrit dans le groupe. Il incarne
la volonté de survie des individus, assure le salut de la
communauté, la préservant de la mort et de la dispersion.
Exemple de l’Etat-Providence assurant des systèmes
de protection constants. Théorie contestée, nous le
verrons dans le cours sur l’Etat, par les marxistes et les
anarchistes.
- Comme le souligne le mythe de Protagoras (Platon, Protagoras),
la politique et le pouvoir font échapper les hommes à
la mort et aux puissances de destruction. La politique a pour fin
de libérer l’homme de la solitude, de la faiblesse,
de la mort. Le pouvoir fait vivre civilisation et cultures. Zeus
charge Prométhée et Epiméthée de distribuer
aux espèces vivantes un ensemble de qualités ; il
veille à équilibrer les dons, de sorte qu'aucune espèce
ne soit menacée d'extinction: les oiseaux ont des ailes pour
fuir dans les airs, les rongeurs savent creuser des galeries où
trouver refuge, etc. Aux uns il donne la force sans la vitesse,
aux autres la vitesse sans la force. Quand il eut dépensé
pour les animaux toutes les facultés dont il disposait, Epiméthée
constata qu'il avait oublié l'espèce humaine. Or Epiméthée
dépensa toutes les facultés en faveur des animaux
- Prométhée offrit alors aux hommes la maîtrise
du feu et des techniques qui vont leur permettre de travailler et
ainsi de compenser leurs faiblesses. Mais les hommes ne connaissent
pas l'art de vivre ensemble, de s'organiser, de se respecter mutuellement.
Zeus, craignant alors la disparition du genre humain, fit don aux
hommes de deux vertus permettant justement de vivre ensemble, de
pratiquer l'art politique : la pudeur et la justice.
- Pudeur et justice permettent, en effet, l'amitié et donc
le lien communautaire, la reconnaissance de l'humanité des
semblables, êtres de dialogue. Par l'art politique, l'homme
établit définitivement sa supériorité
sur l'animal. Dès lors, la vie dans la ville n'est plus la
vie dans la nature. La cité définit le territoire
humain entre celui des dieux et celui de la sauvagerie animale.
Contrairement à l'animal voué à l'état
de nature dans toute sa violence, l'homme doté de la raison
et du langage peut renoncer à l'état de guerre, entrer
dans l'état politique et y construire le souverain qui agit
au nom du peuple. La bestialité de l'homme stigmatise son
échec à se tenir dans l'enclos du genre humain; l'animalité
est la hantise de l'humanité, une des faces de l'inhumain
qui guette l'homme.
D) LE POUVOIR ET LE SACRE
1) Le fondement divin du pouvoir
- Aux côtés de la volonté de dominer et de
l’exigence vitale d’organisation, le pouvoir, en ses
origines, se fonde dans le Sacré. Si ce lien apparaît
aujourd’hui distendu, certaines cultures laissent subsister
cette liaison. Le pouvoir se fonde sur la transcendance à
la fois dans les sociétés archaïques et dans
les formes sociales traditionnelles. Le Sacré, insufflant
dans le pouvoir la permanence de la vie de l’Esprit, la pérennité
d’une Essence éternelle, s’efforce d’enraciner
le pouvoir dans la continuité et la durée.
- Dans les sociétés archaïques, le pouvoir se
trouve sacralisé en profondeur. Chez les Mossi de la Haute-Volta,
par exemple, le souverain symbolise tout l’univers et seule
la force reçue de Dieu permet l’exercice de la domination.
C’est une puissance sacrée qui confère la capacité
de gouverner. De même, les Tiv, peuple du Nigeria, opèrent
une liaison entre le swèm et le pouvoir : “tout pouvoir
légitime requiert la possession du swèm, capacité
d’être en accord avec l’essence de la création
et d’en maintenir l’ordre; ce terme connote plus largement
les notions de vérité, de bien, d’harmonie”
(G. Balandier, Anthropologie politique).
- De même, l’Islam, à la fois religion et ordre
social, propose une théorie du pouvoir et de l’autorité.
L’Islam, nom de la religion prêchée par Mahomet,
se fonde sur le Coran, le Livre Saint, la Parole de Dieu, le message
révélé à Mahomet (570-632). Il s’agit,
dans la pensée coranique, de rattacher le pouvoir à
Dieu : “obéissez à Dieu, obéissez à
l’envoyé”. D’où une problématique
centrale, tout particulièrement dans le monde contemporain
: en terre d’Islam, l’autorité doit-elle se relier
au principe religieux ou se fonder laïquement ? Les réponses
sont diverses : certains affirment le pouvoir dans une perception
laïque , démontrent que l’Islam désigne
un message purement religieux et ne doit surtout pas se mêler
des affaires de la cité (le théologien égyptien
Ali Abderraziq); d’autres, les intégristes contemporains,
voient dans l’Islam l’unique source de l’autorité
: s’impose l’idée de la souveraineté de
Dieu sur terre; le clergé exercera une sorte de vice-royauté
dans le monde (selon la tradition chiite, après la disparition
du dernier imam - guide - , en 874, le monde est entré dans
une période durant laquelle le pouvoir politique doit être
dévolu aux théologiens).
- Dans les sociétés historiques occidentales (la
société française de l’Ancien régime,
par exemple), le pouvoir procède de Dieu et s’enracine
dans le Sacré. Le roi est, dans la monarchie de droit divin,
le représentant de Dieu sur terre. Le fondement divin fournit
au pouvoir une référence absolue et stable, face au
devenir des choses. Dieu, immuable, se reflète dans le pouvoir
et lui apporte une assise éternelle, comme nous le signale
Bossuet : “La puissance de Dieu se fait sentir en un instant
de l’extrémité du monde à l’autre
: la puissance royale agit de même dans tout le royaume. Elle
tient tout le royaume en état, comme Dieu y tient tout le
monde. Que Dieu retire sa main, le monde retombera dans le néant
: que l’autorité cesse dans le royaume, tout sera en
confusion…”
- L’Epître de Paul aux Romains, dans le Nouveau Testament,
exprime également, à l’origine, cette référence
sacrée, cette vue faisant du Prince un ministre de Dieu :
l’homme-roi est envoyé de Dieu, pour le bien de l’Etat,
et toute autorité, transcendant les hommes, devient, dès
lors, sacrée et absolue.
- La dimension religieuse a toutefois régressé. La
laïcisation du pouvoir a, depuis la fin du XVIIIe siècle,
contribué, en Occident, à faire se distendre la liaison
entre le pouvoir et le Sacré. Dans nos sociétés
contemporaines, de nouveaux fondements se substituent au Sacré.
Le pouvoir va se légitimer et se fonder autrement. La démocratie,
par exemple, fonde son pouvoir politique sur la volonté des
citoyens. Quels sont alors les nouveaux fondements du pouvoir ?
2) Les fondements du pouvoir contemporain
- Selon certains auteurs (Lyotard notamment et le thème
du post-modernisme), l’homme post-moderne, à la différence
de l’homme moderne, ne croit plus en l’idée d’un
Sens de l’histoire, d’une émancipation du genre
humain, d’une construction de la société sans
classes (nombreux sont ceux qui parlent aujourd’hui de la
mort des idéologies). Ce qui désormais légitime
le pouvoir, c’est la possibilité de transmettre un
message, de maîtriser information et communication. Le paradigme
communicationnel cède alors la place aux modèles de
l’Histoire et du Sacré. Les vrais acteurs sociaux appartiennent
à l’empire de la communication.
- Michel Foucault nous signale que le pouvoir contemporain se fonde
sur la norme, alors qu’il était autrefois référé
à la loi. Il recherche aujourd’hui une assise plus
subtile, plus adaptée à un ordre moins autoritaire.
Aux côtés de la loi figure la norme qui apporte son
fondement au pouvoir contemporain : discours quotidiens, par exemple,
du psychiatre, du psychologue à l’école, à
l’hôpital, dans les tribunaux, etc.
- Des normes, des systèmes d’information, des pouvoirs
multiples et diffus : le pouvoir contemporain dessine ses multiples
figures sur fond de société ouverte. Selon Karl Popper,
la société ouverte fournit une des assises du pouvoir
contemporain. Alors que la société close est réglée
par le sacré et l’interdit, la société
ouverte est laïque et s’ouvre aux créations humaines.
Elle évolue et apparaît marquée par l’esprit
critique, par l’interrogation, le mouvement.
- Mais il ne s’ensuit pas que les dominations régressent,
que la maîtrise-obéissance cesse de former une des
bases du pouvoir. De nos jours la domination, les inégalités
de position, les élites, les rapports de force s’avancent
plus en souplesse, souvent masqués, revêtus d’une
violence symbolique. Le pouvoir demeure ancré dans des structures
d’obéissance. Dans nos sociétés plus
ouvertes, aux hiérarchies sociales apparemment assouplies,
la relation de domination ne se manifeste pas toujours dans son
évidence, comme le signale Pierre Bourdieu. Intériorisée,
occultée, parfois inconsciente, subie souvent en toute méconnaissance,
la domination subsiste comme noyau fondamental et assise des pouvoirs.
La domination, travestie et déguisée, dissimule aux
dominés ses mécanismes. Au sein de la société
ouverte, la parole autorisée et dominante affirme toujours
sa présence.
- En somme, si la laïcisation du monde contemporain tend à
faire s’évanouir le fondement sacré du pouvoir,
le pouvoir contemporain tente de gérer le désordre
qu’il occasionne à l’aide des systèmes
de communication, des normes, des dominations masquées et
déguisées. Les sociétés “post-modernes”
s’efforcent de convertir en souplesse le désordre,
c’est-à-dire les déviances, les irrégularités,
les chaos divers.
CONCLUSION GENERALE SUR LE POUVOIR
- Il semble donc que le pouvoir soit nécessaire aux groupes
et aux sociétés. Il convertit en dynamisme vital les
forces de mort et de désintégration. Il tend parfois
à revitaliser la société (exemple des élections
ou du nouveau leader charismatique qui revigore les microcollectivités).
Il se révèle également indispensable parce
qu’il réintroduit du symbolique et de l’imaginaire
dans des formations sociales incapables de fonctionner à
froid.
- Le jeu de l’imagination semble alors accompagner tout pouvoir
: l’image, la fiction, la théatralisation contribuent
à désamorcer les angoisses. Sans eux, le pouvoir,
fonctionnant seul et nu, sans imaginaire, se dissocierait radicalement
du sacré. Or nul pouvoir sans quelque retour (conscient ou
inconscient) aux puissances du sacré.
- Qu’est, en somme, le pouvoir ? Un ensemble de phénomènes
de domination omniprésent dans tout rapport humain et traversant
toutes les relations sociales : les groupes, les élites,
les familles, etc. Pouvoir aux multiples figures, modèles
de domination extrêmement diversifiés et ramifiés,
qui se fondent à la fois sur un désir de dominer et
sur un besoin de dépendance. Pouvoir qui tente de maîtriser
la mort et la finitude humaine, et qui fait vivre civilisation et
cultures.
- Le pouvoir est donc une gestion de la société qui
nous conduit aux frontières de la mort et du sacré.
Il exprime en quelque sorte la volonté d’éternité
de l’homme.
SUJETS DE DISSERTATION
- Le pouvoir repose-t-il sur la contrainte ou sur le consentement
?
- Bien gouverner, est-ce donner satisfaction à l’opinion
publique ?
- Faut-il reconnaître quelqu’un comme son maître
?
- Y a-t-il un plaisir à gouverner ?
- L’exercice du pouvoir entraîne-t-il nécessairement
l’abus de pouvoir ?
- Faut-il défendre l’ordre à tout prix ?
- Le pouvoir politique peut-il échapper à l’arbitraire
?
- Y a-t-il une servitude volontaire ?
- Qu’est-ce qu’être maître de soi ?
LECTURES CONSEILLEES
- Machiavel, Le prince
- Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?
- La boétie, Le discours de la servitude volontaire
- Michel Foucault, Surveiller et punir et Histoire de la folie
à l’âge classique
DEFINITIONS A CONNAITRE
- Le verbe pouvoir désigne à la fois la possibilité
réelle ou physique de faire quelque chose, mais aussi le
droit, la permission de faire quelque chose.
- Le nom pouvoir :
¨ Sens général : capacité effective de
faire triompher la volonté et d’atteindre un but, faculté
d’action et d’affirmation de soi d’un individu
ou d’un groupe.
¨ Sens politique et sociologique : droit d’exiger quelque
chose, capacité effective d’exercer sur un homme une
autorité telle qu’on obtienne de lui des actes ou un
comportement qu’il n’aurait pas adoptés spontanément.
Dans ce cas, le pouvoir est la puissance autorisée et légitime.
- Autorité : pouvoir d’imposer l’obéissance,
de commander à autrui. Il s’agit ici d’une obéissance
acceptée excluant la violence directe.
- L’obéissance : acte par lequel les dominés
se plient à la loi ou à l’ordre.
- Soumission : disposition à accepter la dépendance.
- Le commandement : acte signifiant et exprimant l’ordre,
de manière à faire exécuter une action.
- La sanction : peine ou récompense accordée en raison
de la non-observation ou du respect des normes et des règles
du pouvoir.
EXERCICE DE CONTROLE DE COMPREHENSION DE LA FICHE
1. Qu’est-ce que le pouvoir ?
2. Que désigne le pouvoir politique ?
3. En quoi le pouvoir est-il une forme de gouvernement ?
4. Le pouvoir se fonde-t-il sur la contrainte physique ?
5. Qu’est-ce qui distingue la violence de la force ?
6. Quelles sont les grandes figures du pouvoir ?
7. Quels sont les modes agressifs du pouvoir ?
8. Quels sont les modes doux du pouvoir ?
9. Quel est le fondement de l’autorité ?
10. Qu’incarne le pouvoir de l’Etat ?
11. Qu’est, selon Pierre Bourdieu : le champ social, le capital
culturel, le capital symbolique, l’habitus, la violence symbolique
?
12. Qui gouverne selon Bourdieu ?
13. Que faut-il entendre par « microstratégies »
?
14. Que désigne le pouvoir selon Michel Foucault ?
15. Foucault pense que le pouvoir est une emprise de l’homme
sur l’homme, un exercice de domination V F
16. Que faut-il entendre par « pouvoirs d'influence »
?
17. Qu’est-ce que la domination ?
18. Que nous enseigne Machiavel sur le pouvoir ?
19. Quelles sont, selon Max Weber, les différentes formes
de domination ?
20. Quelles sont les différentes racines de la domination
?
21. Comment le pouvoir s’organise-t-il dans les sociétés
primitives ?
22. Qu’est-ce qui dévoile, selon la Boétie,
l’énigme de la servitude volontaire ?
23. D’où vient, selon Kant, l’amour de la servitude
?
24. Qu’est le pouvoir sur soi ?
25. Que nous enseigne le mythe de Protagoras ?
26. Quels sont les principaux fondements du pouvoir contemporain
?
CORRECTION DU CONTROLE DE COMPREHENSION DE LA FICHE
1. Qu’est-ce que le pouvoir ?
¨ Sens général : capacité effective de
faire triompher la volonté et d’atteindre un but, faculté
d’action et d’affirmation de soi d’un individu
ou d’un groupe.
¨ Sens politique et sociologique : droit d’exiger quelque
chose, capacité effective d’exercer sur un homme une
autorité telle qu’on obtienne de lui des actes ou un
comportement qu’il n’aurait pas adoptés spontanément.
Dans ce cas, le pouvoir est la puissance autorisée et légitime.
2. Que désigne le pouvoir politique ?
- La notion de pouvoir politique qui concerne le processus de la
prise de décision légitime dans une société
(sous la forme, selon Max Weber, d’un gouvernement ou d’un
Etat, de la tradition ou d’un représentant individuel
ou institutionnel). Par politique il faut entendre la dimension
de ce qui est commun, de ce qui est mis en commun, par opposition
au privé ou au particulier (politique vient de polis, la
cité qui, au sens grec du terme, désigne l’ensemble
des citoyens, des hommes libres déterminant eux-mêmes
les modalités de leur vie commune).
3. En quoi le gouvernement est-il une forme de gouvernement ?
- Gouverner, c'est faire faire quelque chose à quelqu'un,
faire adopter une conduite déterminée à une
personne ou un groupe qui peuvent choisir parmi un ensemble de conduites
possibles. C'est précisément faire adopter telle conduite
plutôt que telle autre parmi l'ensemble des conduites possibles,
dans le champ des conduites possibles.
4. Le pouvoir se fonde sur la contrainte physique ?
- Le pouvoir ne supprime pas la liberté, mais au contraire
la suppose pour être possible. Liberté comme pouvoir
de choisir entre plusieurs conduites possibles, d'avoir un champ
d'action, c'est-à-dire toute une palette d'actions également
possibles, adoptables. On ne peut rien faire faire à celui
qui n'a pas le choix ; on ne peut pas faire adopter une conduite
précise à celui qui ne peut en choisir lui-même
aucune. L'envers du pouvoir, ce n'est pas la liberté, c'est
la contrainte physique qui annule toute possibilité d'action,
qui détermine totalement l'action et avec elle la violence
en tant qu'elle est coercitive, c'est-à-dire en tant qu'elle
contraint. L'envers du pouvoir, c'est le pur empire des forces mécaniques
et sa nécessité. C'est donc toujours librement qu'on
obéit et, comme nous le verrons, qu’on se soumet (La
Boétie parle d’une servitude volontaire) : celui qui
n'est pas libre n'obéit pas, il plie, se brise. Pour être
possible, le pouvoir suppose toujours que celui que l’on fait
agir puisse et surtout veuille, même très faiblement,
faire ce qu’on veut qu’il fasse.
5. Qu’est-ce qui distingue la violence de la force ?
- Il faut distinguer la violence de la force : la force est un
principe d’action, le déploiement de la volonté
souveraine, alors que la violence est cette contrainte physique
ou morale tendant à faire réaliser par un individu
ou un groupe ce qui est contraire à leur volonté.
La violence est un principe de puissance corrompue, une impatience
dans la relation à autrui et se manifeste sous la forme de
la brutalité, de la menace, de l’agressivité,
de la guerre, de l’extermination, du terrorisme, etc.
6. Quelles sont les grandes figures du pouvoir ?
- Le pouvoir de l’Etat, celui des classes et des élites,
les microstratégies, les pouvoirs d’influence.
7. Quels sont les modes agressifs du pouvoir ?
- La violence, la force, la contrainte, le commandement, la sanction,
la soumission et l’obéissance.
8. Quels sont les modes doux du pouvoir ?
- L’autorité, la persuasion, la séduction,
la manipulation.
9. Quel est le fondement de l’autorité ?
- L’autorité : idée d’un pouvoir d’imposer
une obéissance acceptée, supériorité
de mérite ou de séduction qui impose l’obéissance
sans contrainte, la confiance et le respect. Il s’agit d’une
relation excluant la violence directe. L’autorité «
fait autorité », comme on le dit, en ce sens qu’elle
s’impose d’elle-même, spontanément, elle
soumet sans aucune médiation, comme par enchantement.
- Détenir l’autorité, en effet, c’est
pouvoir obtenir, par grâce ou compétence, le consentement
d’un sujet. Devant l’autorité, l’on s’incline,
car elle se fonde sur le prestige. Elle renvoie à l’ascendant,
et non point à l’usage de moyens externes de coercition.Elle
ne peut se maintenir qu’à travers le respect. L’autorité
donne du pouvoir sur les autres, que cette autorité soit
naturelle (charisme, charme) ou fondée sur la reconnaissance
d’une compétence, d’une expérience, d’une
sagesse supérieures qui justifie qu’on s’y réfère
et qu’on s’y soumette. Cette forme de pouvoir n’existe
que là où il existe une hiérarchie spontanée
et forte entre les individus.
10. Qu’incarne le pouvoir de l’Etat ?
- Il n’incarne pas l’unique modèle d’organisation
du pouvoir, mais il en représente le mode le plus perfectionné
et le plus complexe. L’Etat est la forme institutionnalisée
du pouvoir, forme moderne et politique, qui existe dans les sociétés
modernes, par opposition aux sociétés à pouvoirs
diffus (les sociétés traditionnelles ou archaïques
), sociétés sans Etat, qui ne connaissent pas de fonctionnaires
d’autorité, de gouvernants, de juges, de policiers,
qui sont dépourvues d’appareil centralisé, de
mécanisme administratif et d’institutions judiciaires
constituées. L’Etat est donc un pouvoir centralisé
qui dispose d’une administration exerçant son contrôle
sur un territoire donné, prélevant des impôts,
instruisant la justice et imposant une loi commune.
11. Qu’est, selon Pierre Bourdieu : le champ social, le capital
culturel, l’habitus, la violence symbolique ?
- Le champ social : espace spécifique où s’organisent
des rapports de domination. La société est traversée
par des sous-ensembles dynamiques, inventant des normes, des règles,
des lois, des savoirs, et qui sont marqués par des appropriations
de profits, matériels, mais aussi culturels, symboliques.
Espaces donc où se dévoilent l’exercice du commandement,
de la domination, ainsi que des positions inégalitaires.
- Le capital culturel : ensemble d’instruments de connaissance
et d’expression, de savoirs-faire, transmis par la famille
et qui contribue fortement à la réussite scolaire
; le capital culturel comprend les diplômes, le niveau linguistique,
les goûts, les ambitions
- L’habitus : système de dispositions intériorisées
qui orientent nos pratiques sociales et nos stratégies individuelles
et qui constituent autant de variantes de nos “habitus de
classes” ; système donc de catégories, de perceptions,
de pensées, d’appréciations et d’actions,
produit de l’incorporation de structures objectives. Par exemple,
nos choix et nos goûts esthétiques révèlent,
tout en les masquant notre statut social, mais également
nos aspirations et nos prétentions. Par exemple, les femmes
se spécialisent dans la charge des intérieurs et dans
la gestion des biens symboliques circulant sur le marché
matrimonial.
- Le capital symbolique correspond à l’ensemble des
rituels (l’étiquette, le protocole) liés à
l’honneur et à la reconnaissance. Crédit, autorité
que confèrent à un agent la reconnaissance et la possession
des trois autres formes de capital.
- La violence symbolique : un des fondements puissants de l’ordre
social caractérisé par le fait que la domination ne
s’exerce non point par la force ou la violence physique, mais
avec la « complicité » souvent inconsciente du
dominé. Dominer, c’est exercer un pouvoir par des symboles
et des prestiges.
12. Qui gouverne selon bourdieu ?
Qui gouverne ? L’analyse de Bourdieu
DETENTEURS DU POUVOIR OU DE LA DOMINATION
FACTEURS DECISIFS PERMETTANT L’EXERCICE DU POUVOIR
- Un groupe local : un groupe social détenant des capitaux
communs.
- Capital économique, culturel, symbolique, etc.
- Une pluralité de groupes ou de structures : la noblesse
d’Etat : les Grandes Ecoles
- Compétence technique + violence symbolique.
13. Que faut-il entendre par « microstratégies »
?
- Expression forgée par Foucault et qui désigne de
petits pouvoirs omniprésents, des relations de domination
souples, des pouvoirs éclatés présents dans
le tissu le plus fin de l’échange social.
14. Que désigne le pouvoir selon Michel Foucault ?
- Le pouvoir, selon Foucault, n’est pas la domination, la
dialectique commandement/obéissance, l’oppression,
la répression. Le pouvoir ne se définit point à
proprement parler comme “emprise” de l’homme sur
l’homme. Il est ce qui produit des normes, des modèles
organisant des microstratégies. Il a avant tout une fonction
créatrice : il fait surgir des techniques et des dispositifs
d’action, mais aussi des savoirs (une psychiatrie, une criminologie,
une statistique, etc). Le philosophe met l’accent sur l’autonomie
des acteurs et la liberté de manoeuvre surgissant dans les
relations de pouvoir. Foucault occulte donc l’essence de la
domination dans sa conception du pouvoir.
15. Foucault pense que le pouvoir est une emprise de l’homme
sur l’homme, un exercice de domination F
- Le pouvoir, selon Foucault, n’est pas la domination, la
dialectique commandement / obéissance, l’oppression,
la répression, la violence, la servitude volontaire. Le pouvoir
ne se définit point à proprement parler comme «
emprise » de l’homme sur l’homme. Qu’est
alors le pouvoir selon Foucault ?
- Une grande machinerie, aux rouages complexes, qui circule dans
toute la société, dans les écoles, les hôpitaux,
les prisons, etc. Au schéma classique loi-contrainte-répression,
Foucault substitue celui d‘un rapport de force mobile, d’un
mode d’action ouvert, ramifié, dispersé à
travers tout le corps social. Le pouvoir circule, entre techniques
de gestion et de quadrillage, arts de faire subtils, stratégies
complexes. Le pouvoir doit être rapproché du gouvernement
(cf. Surpa, texte de Foucault), c’est-à-dire du mode
d’action sur autrui. Le pouvoir est finalement ce qui produit
des normes, des modèles organisant des microstratégies.
De même, les savoirs se donnent comme le résultat des
pouvoirs.
- Le pouvoir a donc avant tout : il fait surgir des techniques
et des dispositifs d’action, mais aussi des savoirs (une psychiatrie,
une criminologie, une statistique, etc). Il construit, en somme,
une subjectivité, un savoir. Le philosophe met l’accent
sur l’autonomie des acteurs et la liberté de manoeuvre
surgissant dans les relations de pouvoir.
16. Que faut-il entendre par « pouvoirs d'influence »
?
- Ils désignent des pratiques sociales agissant par persuasion
et séduction. Leur pression diffuse est tout aussi décisive
que celle du pouvoir politique ou économique. Ils permettent
de modeler les esprits et les coeurs. Ils emportent en douceur les
décisions. Pouvoir des médias, des intellectuels,
de la religion, des idéologies, des mots et du langage, etc.
17. Qu’est-ce que la domination ?
- La domination est une relation entre un dominant et un dominé
fondée sur une dialectique du commandement et de l’obéissance.
La domination implique que le commandement soit accepté,
que la sujétion soit reconnue comme légitime. La domination
nourrit le pouvoir. Dominer, c’est manifester concrètement
l’exercice de la puissance, à travers un contrôle
social et des normes et contraintes intériorisées
et acceptées.
18. Que nous enseigne Machiavel sur le pouvoir ?
- Machiavel se demande comment s’emparer du pouvoir et le
conserver. Réponse : à travers une stratégie
maîtrisée et réfléchie de la domination
etde la violence, en enracinant, dans les sujets, l’amour
du maître. La politique est ici définie comme l’exercice
du pouvoir qui établit une relation de domination fondée
sur la crainte et l’amour.
19. Quelles sont, selon Max Weber, les différentes formes
de domination ?
- La domination légale implique la règle du droit;
la domination traditionnelle se réfère aux règles
coutumières; la domination charismatique suppose l’autorité
personnelle du chef.
20. Quelles sont les différentes racines de la domination
?
- Des racines biologiques et animales, psychologiques, imaginaires
(le narcissisme), métaphysiques ( la peur d’être
libre, la paresse, le regard, la mauvaise foi). Au total, le pouvoir
se fonde sur le désir de dominer et le besoin de dépendance.
21. Comment le pouvoir s’organise-t-il dans les sociétés
primitives ?
- Les sociétés traditionnelles connaissent divers
types de formations politiques : les bandes sans pouvoir séparé,
les chefferies, les sociétés sans Etat à pouvoir
diffus. Il y a souvent, dans une même région, coexistence
de plusieurs formes politiques (en Afrique, par exemple, un Etat
qui peut recouvrir différentes formes de pouvoir différents
au niveau du village).
22. Qu’est-ce qui dévoile, selon la Boétie,
l’énigme de la servitude volontaire ?
- Le tyran nous séduit et nous capte par une identification
majeure : chacun, en se soumettant, s’identifie au maître
et participe à sa puissance par une projection d’abord
imaginaire. Le dernier des esclaves est envoûté, en
ce qu’il se saisit, par identification, comme maître
et dieu. La domination fonctionne en nous, par nous, en ce fond
de nos âmes si avides de se faire identiques à celle
du tyran. Si les peuples se coupent la gorge, c’est parce
qu’ils portent, en eux, le tyran et se courbent eux-mêmes
sous le joug d’une puissance imaginaire. La servitude volontaire
désigne donc, non pas tant le désir d’être
dominé que d’acquérir une identité imaginaire
en se précipitant dans un corps indécomposable où
chacun se fond avec chacun. L’amour du peuple pour le tyran
n’est autre que son propre amour de soi .
23. D’où vient, selon Kant, l’amour de la servitude
?
- L’amour de la servitude renvoie au farouche refus d’être
libre, d’assumer soi-même ses propres opinions et jugements.
De la paresse, de la lâcheté, de l’indolence,
du goût des habitudes, des préjugés.
24. Qu’est le pouvoir sur soi ?
- Le pouvoir sur soi se confond avec une maîtrise des forces
obscures qui nous menacent. Il désigne cette puissance d’accéder
à des règles de pensée et d’action créant
un sujet autonome permettant de vivre humainement et heureux. Le
pouvoir sur soi consiste à constituer, en raison même
des urgences de la vie, un sujet autonome, un gouvernement de soi-même,
d’édifier une durée psychique résistant
aux troubles passionnels comme à l’angoisse de la mort.
25. Que nous enseigne le mythe de Protagoras ?
- Zeus chargea Prométhée et Epiméthée
de distribuer aux espèces vivantes un ensemble de qualités.
Or, Epiméthée dépensa toutes les facultés
en faveur des animaux. Aussi Prométhée, voyant la
faiblesse et la nudité de l’homme, lui fit-il présent
du feu. Mis en possession des arts utiles à la vie, l’homme,
toutefois, vit la politique lui échapper. Pour éviter
que l’espèce humaine fût détruite par
les animaux, “toujours et partout plus forts qu’eux”
(Platon, Protagoras), Zeus “envoie Hermès porter aux
hommes la pudeur et la justice, afin qu’il y eût dans
les villes de l’harmonie et des liens créateurs d’amitié”.
La politique et le pouvoir font échapper les hommes à
la mort et aux puissances de destruction. La politique a pour fin
de libérer l’homme de la solitude, de la faiblesse,
de la mort. Le pouvoir fait vivre civilisation et cultures.
26. Quels sont les principaux fondements du pouvoir contemporain
?
- Le paradigme communicationnel, c’est-à-dire la possibilité
de transmettre un message, de maîtriser information et communication
(Lyotard). Selon Michel Foucault, le pouvoir contemporain se fonde
sur la norme, sur des pouvoirs multiples et diffus, alors qu’il
était autrefois référé à la loi.
Enfin, selon Popper, le pouvoir contemporain dessine ses multiples
figures sur fond de société ouverte. Selon Karl Popper,
la société ouverte fournit une des assises du pouvoir
contemporain. D’après Bourdieu, enfin, la domination,
les inégalités de position, les élites, les
rapports de force s’avancent de nos jours plus en souplesse,
souvent masqués, revêtus d’une violence symbolique.
Le pouvoir demeure ancré dans des structures d’obéissance.
Dans nos sociétés plus ouvertes, aux hiérarchies
sociales apparemment assouplies, la relation de domination est souvent
intériorisée, occultée, parfois inconsciente,
subie souvent en toute méconnaissance.
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