Origine : http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article70
(« À la recherche de la signification de l'animal
dans l'éthique »), soutenu auprès de l'université
de Hambourg en 1991.
Les Cahiers antispécistes
Réflexion et action pour l'égalité animale
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CA n°9 (janvier 1994)
À quel point le fait de tuer des animaux est-il véritablement
inévitable ? Quelle rationalité ont les fondements
rationnels qui justifient le fait de tuer ? Ces questions contiennent
déjà un postulat, qui demande à être
examiné : la présupposition, premièrement,
que la raison humaine, dès lors qu'elle se considère
comme rationnelle, le soit toujours réellement et, deuxièmement,
qu'un argument rationnel élaboré par des humains soit
en soi suffisant pour justifier la mort d'un animal. En bref : que
le droit d'un animal à vivre soit subordonné à
la raison humaine.
Tandis que Peter Singer et Tom Regan sont relativement proches
l'un de l'autre dans leur jugement sur l'acte de tuer un être
possédant la conscience de soi, leurs différences
deviennent plus significatives quand il s'agit d'êtres qui
sont seulement conscients. C'est surtout dans les raisons pour lesquelles
le fait de tuer un individu est un tort direct, quand c'en est un,
qu'il existe de grandes divergences. Je vais tout d'abord présenter
de façon séparée les points de vue de Singer
et de Regan, pour ensuite m'occuper des différences fondamentales
entre l'un et l'autre.
1. Les personnes et les non-personnes
L'évaluation morale par Singer de l'acte de tuer un individu
demande un examen plus précis de deux versions différentes
de la conception utilitariste de la morale. Avant de passer au jugement
que porte Singer sur ces deux positions, je vais expliquer en quelques
mots en quoi elles se distinguent l'une de l'autre.
L'utilitarisme donne sa préférence à l'acte
qui produit les meilleures conséquences pour tous ceux concernés
par cet acte : donc l'acte qui, ou bien augmente le bonheur (ou
le plaisir) des concernés, ou bien diminue le malheur (ou
la souffrance) des concernés. Le but des actes moraux doit
être d'augmenter la somme de bonheur au monde. Cependant la
prior existence view - point de vue prenant en compte l'existence
préalable - et la total view - point de vue prenant en compte
la totalité - jugent de façon divergente les moyens
de réalisation de la fin utilitariste, c'est à dire
l'augmentation du bonheur, et de ce fait aussi l'admissibilité
de tuer des êtres vivants.
Selon la total view, il est insignifiant de savoir si la somme
de plaisir ou de bonheur au monde augmente parce que le nombre d'individus
heureux augmente ou parce que le bonheur des individus déjà
en vie est augmenté. Cela a pour conséquence que l'on
peut compenser la perte de bonheur causée par l'acte de tuer
un être vivant par la création d'un autre individu
aussi heureux. Ce point de vue hédoniste, qui considère
exclusivement les expériences qu'un individu éprouve
durant sa vie, ne voit dans sa mort rien de plus que la cessation
de ses expériences de bonheur. L'acte de tuer et la diminution
de la somme de bonheur au monde qui lui est liée ne sont
pas moralement condamnables quand la perte est remplacée
ailleurs et l'acte de tuer sans douleur.
Bien que l'acte de tuer ne soit pas considéré comme
un préjudice envers celui qui est tué, il peut néanmoins
être moralement injuste à cause d'autres conséquences
négatives. On inclut ainsi dans l'évaluation morale
de l'acte de tuer, en dehors de la réduction de plaisir,
tous les autres effets secondaires : la souffrance qu'on inflige
aux parents ou amis ; la crainte de sa propre mort prématurée
qui peut être suscitée chez ceux qui apprennent la
mise à mort de quelqu'un d'autre. Ces effets sont des raisons
possibles pour rejeter moralement l'acte de tuer un être vivant.
La total view ne peut néanmoins pas expliquer pourquoi le
fait de tuer un individu peut être moralement condamnable
quand sa mort n'est pas découverte, qu'on n'a causé
de peine ni à lui-même ni à quelqu'un d'autre,
et qu'on a remplacé la perte de son bonheur par un nouvel
individu aussi heureux.
La prior existence view, par contre, ne considère que les
individus qui existent déjà. Elle ne reconnaît
pas de valeur dans l'augmentation de la somme de bonheur au monde
par l'addition au monde d'individus supplémentaires, mais
uniquement dans l'accroissement du bonheur des êtres déjà
vivants. Il est donc moralement condamnable de tuer un individu
dont la vie contient plus de plaisir que de douleur et on ne peut
pas compenser par la naissance d'un nouvel être heureux la
perte causée par sa mort. Selon la prior existence view les
êtres vivants ou leurs expériences de bonheur ne sont
donc pas remplaçables.
Mais venons en à Singer. Celui-ci juge l'acte de tuer un
individu en fonction de la complexité de ses expériences
de conscience2 :
Il a été suggéré que le développement
de la conscience, ou capacité de ressentir, est le critère
essentiel, mais alors que la possession de la conscience rend moralement
condamnable de faire souffrir un être conscient ou de rendre
ses états conscients moins agréables qu'ils ne seraient
autrement, il n'est néanmoins pas clair pourquoi la simple
conscience devrait être déterminante pour rendre condamnable
l'acte de tuer.
Il part du point de vue selon lequel un être conscient mais
non conscient de lui a certes un intérêt à éviter
la souffrance (et doit donc, comme tous les individus conscients
d'eux-mêmes, bénéficier pour cet intérêt
d'une considération égale) ; par contre, il ne peut
pas avoir d'intérêt à la poursuite de sa vie.
Mourir n'est pas une perte pour un être qui ne se ressent
pas comme ayant un avenir. Il n'a aucune préférence
concernant l'avenir qui pourrait rester non satisfaite du fait de
sa mort précoce. La diminution de la quantité de plaisir
au monde causée par sa mort peut être compensée
par la création d'une nouvelle vie également pleine
de plaisir.
Par contre, la mort représente une perte pour un être
qui se perçoit comme une entité distincte existant
à travers un laps de temps et possédant un passé
et un avenir, car cet être possède des préférences
pour l'avenir dont la non-satisfaction ne peut pas être compensée
par les préférences satisfaites d'un nouvel individu.
L'intérêt à survivre d'un être conscient
de lui-même, pour autant qu'il possède cet intérêt,
doit être pris en compte.
Chez Singer, la démarcation entre les individus conscients
d'eux-mêmes et les individus seulement conscients est étroitement
reliée au concept de personne. Ce concept, en s'appuyant
sur Locke et de nombreux autres « irréprochables représentants
de l'histoire de la philosophie », définit une personne
comme « un être pensant et intelligent, qui possède
la raison et la réflexion et qui sait se voir comme lui-même,
comme le même être réfléchissant dans
différents temps et lieux3 ».
Le fait que de nombreux animaux possèdent ces capacités
est prouvé, selon Singer, non seulement par les connaissances
issues des expériences concernant l'usage par les chimpanzés
du langage gestuel ; les descriptions faites par Jane Goodall du
comportement de ceux-ci dans un environnement naturel démontrent
elles-aussi clairement qu'ils peuvent agir intentionnellement et
possèdent un concept d'avenir4.
La différence entre la vie d'une personne et d'une non-personne
ne joue aucun rôle dans l'utilitarisme hédoniste classique
puisque celui-ci ne reconnaît comme moralement pertinentes
que l'augmentation du plaisir et la diminution de la souffrance,
états de conscience qui n'ont plus de poids après
la mort. Par contre, elle est très importante dans la variante
de Singer de l'utilitarisme des préférences, qui part
de la maximisation de la satisfaction des intérêts5
:
(...) puisqu'un être qui ne peut se concevoir comme une
entité avec un avenir ne peut pas avoir de préférences
concernant sa propre existence future.
Peter Singer reprend dans Practical Ethics les deux concepts, la
total view et la prior existence view, en fonction de la complexité
de la conscience des individus. Il considérait jusqu'ici
la total view, selon laquelle les individus sont remplaçables,
comme une théorie applicable à tous les êtres
vivants non conscients d'eux-mêmes (les non-personnes), tandis
qu'il appliquait la prior existence view à l'évaluation
de l'acte de tuer les êtres conscients d'eux-mêmes (les
personnes). Mais entre-temps, il a apporté quelques modifications
à sa théorie sur ce sujet qui n'ont pas encore été
rendues publiques6. Il s'ensuit de mon échange de lettres
avec lui7 qu'il considère actuellement la prior existence
view comme non convaincante et qu'il applique donc la total view
aussi bien aux êtres seulement conscients qu'aux êtres
conscients d'eux-mêmes. Cela mènerait trop loin d'exposer
les raisons du rejet de la prior existence view, mais elles correspondent
sans doute essentiellement aux objections que Derek Parfit exprime
dans Reasons and Persons8. Il existe néanmoins indépendamment
de la prior existence view un argument contre le remplacement des
individus conscients d'eux-mêmes. Singer est un défenseur
de l'utilitarisme des préférences et non d'un utilitarisme
hédoniste. L'utilitarisme des préférences rejette
l'acte de tuer un individu qui préfère continuer à
vivre, car la mort frustrerait un désir important. Un individu
tué et sa préférence à continuer de
vivre ne peuvent être remplacés par un nouvel individu
et son propre désir de continuer de vivre car il n'y a pas
de désir préalable d'exister (prior desire), seulement
une préférence qui devrait d'abord être créée,
puis seulement alors satisfaite.
Je ne pense pas que la total view rende les êtres conscients
d'eux-mêmes remplaçables, car ils possèdent
une préférence existante qui restera non-satisfaite
s'ils sont tués. Créer un nouvel être signifie
créer une préférence d'abord et la satisfaire
seulement ensuite ; c'est à dire, l'acte de créer
un nouvel être n'est pas en soi un acte qui satisfait cette
préférence car il n'y a pas de préférence
pour l'existence au moment de la création. Créer une
préférence et la satisfaire ensuite n'est pas un gain
- si c'en était un, je pourrais faire le bien en torturant
les gens puis, une fois qu'ils auraient une préférence
profonde pour que la douleur cesse, cesser de les torturer9.
Vu le fait que l'évaluation morale de l'acte de tuer un
individu dépend de sa capacité à désirer
sa propre survie, l'appartenance d'espèce est aussi peu pertinente
pour la question de tuer qu'elle l'est pour la question de faire
souffrir. Ainsi est-il possible que tuer un chimpanzé adulte,
capable d'agir intentionnellement et de se lier socialement et qui
possède la conscience de soi ainsi que des désirs
concernant son avenir, soit un plus grand mal que tuer un individu
humain, incapable de tout cela10. Car tout comme il existe des humains
qui ne sont pas des personnes, il existe des personnes qui ne sont
pas des humains.
Dans l'utilitarisme, les raisons indirectes à l'encontre
de l'acte de tuer se rajoutent aux raisons directes. Les effets
secondaires comptent eux aussi dans l'évaluation morale d'un
acte. Il ne faut donc pas seulement prendre en compte le fait qu'il
s'agisse de la mort d'un être conscient de lui-même
ou seulement conscient, mais aussi le fait que la mise à
mort d'un être n'est généralement pas, pour
celui-ci, sans douleur, et que chez de nombreuses espèces
d'animaux il y a des liens émotionnels réciproques
de telle sorte que les individus restants puissent eux aussi ressentir
comme douloureuse la mort d'un membre de leur groupe11.
2. La mort en tant que privation fondamentale
Concernant l'acte de tuer un animal conscient de lui-même,
l'opinion de Regan ne se distingue pas essentiellement de la position
de Singer. Le critère de sujet-d'une-vie du premier concorde
largement avec le concept de personne du second. Regan part du point
de vue selon lequel on inflige un préjudice (harm) à
un-sujet-d'une-vie quand on le tue, même si sa mort est indolore.
Regan distingue deux différentes sortes de préjudices
: il peut s'agir d'une part de l'infliction d'un malheur (infliction)
- par exemple, d'une douleur - et d'autre part d'une privation (deprivation).
Un individu ne souffre pas nécessairement quand il subit
une privation. Ainsi cause-t-on un préjudice à un
être vivant quand on le prive de certaines possibilités
nécessaires à une vie bonne relativement à
ses capacités. Même s'il n'est pas conscient du préjudice
qui lui est infligé, et qu'il n'y a pas de souffrances physiques
ou psychologiques, sa perte de possibilités représente
une infraction à l'encontre du devoir prima facie de non-préjudice.
Parfois, même, le préjudice est précisément
d'autant plus grand que ceux à qui on l'a infligé
en sont inconscients. (...) Qu'il ne sache pas ce qu'il manque fait
partie du préjudice que je lui ai infligé12.
Une privation (deprivation) est généralement un double
préjudice, d'une part par la privation de possibilités
de satisfaction de besoins et d'autre part parce qu'elle conduit
souvent à la souffrance de l'individu et ainsi à un
préjudice dans le sens de l'infliction d'un malheur (infliction).
Maintenir un animal en captivité seul, par exemple, est une
privation de ses possibilités de satisfaire son besoin de
compagnie et de liberté de mouvement (ce qui est donc un
préjudice, même si l'animal n'est pas conscient de
cette perte) et est également, dans ce cas, source de souffrance
psychologique et physique13.
Cette distinction entre inflictions et deprivations démontre
que la souffrance physique ou psychologique n'est pas du tout le
seul préjudice qu'on peut infliger aux animaux. L'objection
fréquente selon laquelle l'acte de tuer un animal est moralement
acceptable pour autant que cela ne lui cause pas de souffrance perd,
selon Regan, sa force car elle omet de prendre en compte le préjudice
que l'animal subit sous la forme d'une privation « fondamentale
» de ses possibilités14 :
[Ce préjudice] est fondamental parce que la mort ôte
toutes les possibilités de trouver satisfaction. (...) La
mort est le préjudice ultime parce qu'elle est la perte ultime
- la perte de la vie elle-même.
3. Divergences
a) Les individus conscients d'eux-mêmes
Tom Regan et Peter Singer s'accordent donc à reconnaître
que la mort, même quand elle est indolore, est une perte au
moins pour tous les animaux qui se perçoivent comme êtres
distincts et possédant un avenir. Tous deux considèrent
que provoquer une mort prématurée est un mal15 direct
prima facie16.
Regan émet néanmoins l'idée dans The Case
for Animal Rights que, bien que Singer considère la préférence
à continuer à vivre comme un critère suffisant
pour qu'infliger une mort précoce soit un mal direct, celui-ci
ne réussit cependant pas à montrer pourquoi l'acte
de tuer un patient moral conscient de lui-même (et donc aussi
un animal conscient de lui-même) est prima facie un mal direct.
Regan considère qu'un individu ne peut posséder le
désir de continuer à vivre que s'il est capable de
préférer cela à la mort. Et ceci n'est à
son tour possible que lorsqu'il possède une représentation
de sa propre mortalité. Selon Regan, ceci est cependant une
capacité mentale que ni les animaux ni de nombreux patients
moraux humains (y compris parmi eux les individus conscients d'eux-mêmes)
ne possèdent. Ainsi, toujours selon Regan, Singer ne peut
pas montrer que l'acte de tuer un animal conscient de lui-même
est moralement condamnable.
Je ne pense pas que cette idée soit convaincante, car elle
s'attaque essentiellement à la formulation par Singer de
sa « préférence pour la continuation de la vie17
»), qui est interprétée par Regan d'une façon
qui n'atteint pas ce que je crois être central dans ce que
Singer veut dire par là. Regan considère lui aussi
clairement que de nombreux animaux, à savoir tous les mammifères
âgés de plus d'un an, se conçoivent comme des
êtres avec un avenir, sans qu'ils soient pour cela, en même
temps, capables de concevoir leur propre mort. Selon sa propre définition,
les sujets-d'une-vie sont capables d'entreprendre des actes avec
la conviction qu'ils pourront satisfaire certains désirs
futurs grâce à eux ; ils possèdent la conscience
de soi et se perçoivent comme des êtres distincts,
vivant dans le temps. Tuer un sujet-d'une-vie est prima facie aussi
moralement condamnable pour Regan que tuer une personne pour Singer
(bien que ce soit sur des bases différentes). Selon la façon
dont Regan interprète la formulation des « préférences
pour la continuation de la vie » de Singer, aucun animal ne
peut cependant avoir de telles préférences. Que Singer
n'ait pourtant réellement à l'esprit quand il parle
de « préférences pour la continuation de la
vie » aucune autre capacité que Regan avec son «
critère de sujet-d'une-vie » devient clair quand on
compare les citations suivantes :
certains animaux (...) possèdent une mémoire et
des espérances concernant l'avenir (et donc, un sens de l'avenir),
et sont capables d'agir intentionnellement en essayant de réaliser
leurs désirs ou buts (...)18.
Regan postule cette capacité chez tous les êtres conscients
d'eux-mêmes. Singer formule la même idée de façon
toute semblable :
Un être ainsi conscient de lui-même sera capable de
posséder des désirs concernant son propre avenir.
(...) [Lui] prendre la vie signifie contrecarrer [ses] désirs
pour l'avenir19.
À mon avis, Singer considère que l'acte de tuer un
être vivant conscient de lui-même laisse ses désirs
au sujet de l'avenir insatisfaits. Sa mort va à l'encontre
de ses préférences et cela suffit, selon la perspective
de l'utilitarisme des préférences, pour justifier
le fait que la mort d'un tel individu soit prima facie un mal direct.En
ce sens, il n'est en rien vrai que le désir de continuer
à vivre ne soit pensable que sous la présupposition
que l'individu en question soit conscient de la possibilité
de sa propre mort, et la critique de Regan, qui dit que Singer ne
peut pas justifier qu'il soit prima facie un mal de tuer un être
vivant conscient de lui-même, est non fondée.
b) Les individus non conscients d'eux-mêmes
J'ai déjà fait remarquer que l'acte de tuer un être
non-conscient de lui-même n'est pas, selon Singer, un mal
direct envers lui. La mort, dit Singer, n'est pas une perte pour
un tel être car il ne possède pas de désirs
concernant son propre avenir. Quoique Regan ne dise pas explicitement
comment il juge l'acte de tuer un être seulement conscient,
qui d'est donc pas un sujet-d'une-vie, on doit, à mon avis,
supposer qu'il voit en cela un mal direct prima facie. En effet,
la mort représente toujours une privation et une perte pour
un animal, non seulement quand elle va à l'encontre de son
intérêt au bien-être (welfare-interest), mais
aussi quand l'animal ne s'intéresse pas (n'a pas d'intérêt
de préférence, preference-interest) pour le fait de
rester en vie ou d'éviter la mort.
La mort est une infortune, un préjudice pour eux, quand
la mort est une privation, une perte ; elle est cela quand leur
mort est contraire à leurs intérêts au bien-être,
même quand on suppose qu'ils ne possèdent pas d'intérêts
de préférence à rester en vie ou à éviter
la mort20.
Il semble logique d'admettre, bien qu'il n'y ait pas d'affirmations
explicites à ce propos, que pour Regan, puisqu'un être
sensible seulement conscient possède un bien-être,
c'est un mal direct prima facie que de le faire mourir prématurément.
La différence de jugement porté sur l'acte de tuer
des animaux par Singer et Regan tient à cette distinction
faite par ce dernier entre intérêts au bien-être
(ce qui est dans l'intérêt d'un individu) et intérêt
de préférence (ce à quoi un individu s'intéresse).
Regan voit en l'acte de tuer un individu, comme en toutes autres
formes de privation, un mal prima facie à l'encontre d'un
individu parce qu'on lui inflige un préjudice (harm) qui
le prive de quelque chose qui est dans son intérêt,
à savoir la poursuite de sa vie ou certains biens21 (benefits)
nécessaires à son bien-être. Et la poursuite
de sa vie ou ces biens sont dans son intérêt même
s'il ne s'intéresse pas consciemment à eux. Le fait
qu'un individu ne s'intéresse pas consciemment à sa
survie ou à certaines conditions de vie profitables à
son bien-être ne signifie pas qu'il s'agit d'un être
non conscient, mais seulement qu'il ne ressent pas ce préjudice
précis parce qu'il n'a par exemple jamais vécu dans
d'autres conditions plus profitables à son bien-être
dans lesquelles il n'était pas obligé de renoncé
à ces biens. (Les énoncés de Regan et de Singer
sur l'évaluation morale de l'infliction de la souffrance
et de la mort ne concernent pas les êtres sans conscience.
On caractérise un être vivant comme conscient quand
il peut éprouver des sensations, comme la souffrance ou le
plaisir. Tous deux considèrent qu'on ne doit pas moralement
prendre en compte les êtres qui ne sont pas sensibles (sentient),
et qui n'ont donc pas de conscience, car ils sont incapables de
connaître un bien-être. Il n'y a rien qui puisse être
dans leur intérêt, ni qui puisse les intéresser.)
Je considère comme très importante la remarque de
Regan selon laquelle un individu peut avoir deux sortes d'intérêts,
car elle rend compréhensible le fait qu'un acte puisse être
un mal direct à son encontre, même s'il n'est pas conscient
du préjudice infligé. Ainsi, malgré le fait
que, selon Regan, ni les animaux conscients ni ceux qui sont conscients
d'eux-mêmes ne possèdent d'intérêt de
préférence à survivre (puisqu'ils ne possèdent
pas de représentation de la mort) et que, dans certaines
conditions, de nombreux animaux ne possèdent pas d'intérêt
de préférence pour certains biens (benefits) nécessaires
à leur bien-être, ils possèdent néanmoins
pour cela un intérêt au bien-être. Leur bien-être
est dans leur intérêt et par conséquent, toute
forme de privation est un préjudice qui leur est infligé
et donc un mal prima facie22. L'absence de cette distinction chez
Singer n'implique pas seulement que celui-ci considère comme
moralement acceptable de tuer des individus qui ne possèdent
pas de préférences concernant l'avenir, mais également
qu'il doit, il me semble, considérer comme moralement acceptable
d'élever des animaux qui vivraient sans douleur et sans intérêts.
Il n'y aurait non plus alors d'objection morale au fait de garder
des animaux en permanence drogués. Singer n'aborde pas la
distinction selon laquelle la vie et le bien-être peuvent
être dans l'intérêt d'un individu, même
quand il est manipulé de telle façon qu'il ne s'y
intéresse pas consciemment. Regan, par contre, reconnaît
encore l'existence d'une infraction contre le devoir prima facie
de non-préjudice quand des êtres ne souffrent pas du
tout du préjudice infligé. Non seulement l'acte de
tuer sans douleur mais aussi l'élevage d'animaux drogués
représentent pour Regan un mal direct. À mon avis,
la remarque de Singer23 selon laquelle d'éventuelles préférences
concernant l'avenir seraient influencées par la drogue ne
résout pas la question de façon satisfaisante, car
en fin de compte, il serait possible de manipuler des animaux sous
l'influence de drogues dès le jour de leur naissance de telle
façon qu'ils ne développent jamais de désirs
concernant l'avenir, lesquels ne pourraient donc pas être
frustrés par l'administration de drogues. John Benson remarque24
que la difficulté qu'il y a là pour Singer est liée
au fait qu'il rend la possession d'intérêts dépendante
de la capacité de souffrir. Benson propose, au contraire,
de considérer l'accomplissement de buts indépendants
et d'une vie conforme à l'espèce comme des intérêts,
même si l'intérêt pour cela et donc une souffrance
consciente sont absents par exemple chez un veau calmé avec
des tranquillisants. Concevoir les « intérêts
» dans ce sens amènerait clairement le respect pour
la vie d'un être à exclure que l'on puisse lui imposer
une inconscience stupéfaite ou « un esclavage heureux
».
À ma question si la mort ne pourrait pas également
être une perte pour un être non-conscient de lui-même,
puisqu'elle s'oppose à ce qui est dans l'intérêt
de cet être, Singer répond dans sa lettre que cela
n'a un sens de parler d'une perte de vie future que lorsqu'un individu
possède une sorte de continuité mentale (mental continuity).
Pour cela non seulement un individu doitêtre physiquement
le même demain qu'hier,mais aussi doit-il exister une liaison
mentale entre les deux qui en fasse une entité existant dans
le temps25.
Les jugements de Regan et de Singer sur l'acte de tuer des individus
sont donc complètement différents :
Même si Regan n'explique pas si les animaux seulement conscients,
c'est-à-dire capables de souffrir mais non conscients d'eux-mêmes,
bien qu'ils ne soient pas des sujets-d'une-vie, possèdent
une valeur inhérente qui leur donnerait le droit de ne pas
être tués, la présentation qu'il fait de la
mort en tant que privation et violation des intérêts
au bien-être n'en est pas moins complètement transférable
aux êtres seulement conscients. La mort infligée prématurément
doit donc être considérée comme un préjudice,
une perte et un mal direct pour tous les êtres vivants capables
de posséder un bien-être, donc également chez
les êtres non conscients d'eux-mêmes mais néanmoins
sensibles.
La position de Regan concernant l'acte de tuer un individu aurait
donc une portée plus importante que la conception de Singer,
car celui-ci ne voit dans la mort une perte que pour les êtres
vivants conscients d'eux-mêmes lesquels sont, à son
avis, les seuls à posséder une préférence
pour continuer à vivre. Cela est moins net pour ce qui est
de la souffrance, car Singer exige clairement la considération
de tous les êtres vivants ayant un intérêt à
éviter la souffrance (donc également des êtres
seulement conscients). Regan par contre donne le droit de ne pas
se voir infliger de la souffrance, tout comme le droit de ne pas
être tué, uniquement aux sujets-d'une-vie, donc aux
individus conscients d'eux-mêmes. Bien que ses développements
sur les préjudices infligés donnent ici encore à
entendre qu'il considère celui causé à un individu
par l'infliction de douleur ou de souffrance (infliction) tout autant
que celui causé par l'acte de tuer (deprivation) pour un
mal direct pour tous les êtres possédant un bien-être,
donc également chez les êtres sensibles non conscients
d'eux-mêmes, Regan, pour autant que je le sache, n'a sur ce
sujet rien écrit non plus dont on pourrait déduire
indubitablement qu'il leur donne des droits moraux, car il ne postule
pas clairement pour eux une valeur inhérente. Le critère
de sujet-d'une-vie, qui implique la capacité de conscience
de soi, reste cependant suffisant mais non nécessaire pour
l'attribution de la valeur inhérente et des droits qui en
découlent, puisque Regan remarque à d'autres endroits
que l'on ne peut pas dériver la valeur inhérente à
partir de ce critère.
c) Quand l'acte de tuer est-il moralement justifié ?
Les divergences entre Singer et Regan concernant l'évaluation
morale des actes de tuer et de faire souffrir les animaux ne font
que s'aggraver quand on se tourne vers les circonstances dans lesquelles
ils considèrent ces actes comme moralement justifiés.
Ces divergences proviennent avant tout de leur conception différente
de l'éthique (c'est-à-dire, de ce qui rend un acte
moral) et ne deviennent compréhensibles que lorsqu'on les
met en rapport avec leur conception sous-jacente respective de la
morale, téléologique pour le premier et déontologique
pour le second. La critique que Regan adresse à Singer concerne
par conséquent surtout l'évaluation utilitariste des
conséquences d'un acte.
Comme déjà mentionné au début, l'infliction
de souffrance et l'acte de tuer un individu (qu'il possède
ou non la conscience de soi) sont moralement justifiés selon
la conception utilitariste quand les conséquences en sont
positives pour l'utilité totale au point qu'elles compensent
la non-satisfaction des préférences satisfaites de
l'individu lésé. L'individu ne représente donc
pas dans l'utilitarisme une frontière absolue pour les agissements
d'autrui (et en ceci l'utilitarisme des préférences
ne se distingue pas de l'utilitarisme hédoniste). Regan voit
en cela un mépris de la valeur inhérente des individus.
Voici ce qu'il reproche à l'utilitarisme des préférences26
:
Si, après avoir considéré les préférences
de chacun, et les avoir toutes comptées équitablement,
on a conclu que de l'acte de tuer A résulterait le solde
optimal de satisfaction des préférences, alors, selon
l'utilitarisme des préférences, c'est, tout bien pesé,
ce que l'on devrait faire. Selon ce point de vue, A est seulement
un récipient de ce qui a de la valeur (à savoir la
satisfaction des préférences), sans aucune valeur
propre indépendante.
Les droits moraux sont si fondamentaux pour la rights view qu'ils
ne doivent être violés même au nom de l'augmentation
maximale du bien de la communauté. L'acte de tuer un agent
moral ou un patient moral est moralement injuste car il viole son
droit, et ceci est le cas chaque fois qu'il n'est pas respecté
dans sa valeur inhérente, valeur qui existe indépendamment
des considérations concernant l'utilité d'un individu
pour les autres. La citation montre que Regan considère que
nous manquons à notre obligation morale de respecter la valeur
inhérente d'un agent moral ou d'un patient moral en particulier
quand nous lui infligeons un préjudice afin d'augmenter de
façon maximale l'utilité totale pour tous ceux concernés
par cet acte ; car traiter un individu ainsi serait le considérer
comme un pur récipient interchangeable de ce qui a de la
valeur (c'est-à-dire du plaisir et de la douleur), et non
comme quelque chose dont la valeur inhérente n'est pas réductible
(reducible) ou commensurable (commensurable) à la valeur
intrinsèque des expériences intérieures.
En empruntant une partie de phrase à Kant, je dirais que
les individus qui possèdent une valeur inhérente ne
doivent jamais être traités seulement comme des moyens
pour réaliser la meilleure somme de conséquences27.
Singer répond à ces reproches surtout dans son article
« Animal Liberation or Animal Rights ?28 ». Il se sert
effectivement du terme « récipient » (receptacle)
pour les animaux non conscients d'eux-mêmes29, mais admet
que cette analogie peut facilement mener à des malentendus
car elle donne l'impression que les sensations comme le bonheur
ou la douleur seraient représentables de façon séparée
de l'individu qui les ressent. Singer met l'accent sur le fait que
les expériences intérieures, que ce soit la joie,
la souffrance ou la satisfaction de préférences, ne
sont aucunement pensables indépendamment des êtres
sensibles. Même si un utilitariste considère que les
expériences agréables d'un être sont remplaçables,
il considérera non celles-ci mais l'individu lui-même
pendant qu'il les ressent comme ayant une valeur inhérente.
L'utilitarisme des préférences ajoute la restriction
supplémentaire que seuls les êtres sans conscience
de soi (les non-personnes) sont remplaçables. Les individus
que Regan dénomme sujets-d'une-vie ne le sont aucunement.
L'utilitariste des préférences s'efforce de maximiser
la satisfaction de préférences déjà
existantes et non de produire de nouvelles préférences
(en produisant de nouveaux individus) qui pourraient être
satisfaites ensuite. Pour ces raisons, il est mal de tuer un individu
qui possède des préférences concernant la poursuite
de sa vie, et la frustration de ces désirs ne peut pas être
compensée par la création de nouvelles préférences
satisfaites. Le reproche que fait Regan, que l'utilitarisme des
préférences ne respecterait pas la valeur inhérente
des individus, ne serait justifié, selon Singer, même
si l'utilitariste ne considérait comme ayant une valeur que
les expériences d'un individu et non l'individu sentant lui-même,
que lorsqu'il s'agit d'êtres qui ne sont pas des sujets-d'une-vie,
donc seulement pour des êtres pour lesquels Regan ne postule
pas de valeur inhérente dans sa théorie (du moins
laisse-t-il la question ouverte). Les personnes sont donc aussi
peu des récipients interchangeables selon la perspective
de l'utilitarisme des préférences que les sujets-d'une-vie
selon la rights view (point de vue qui attribue des droits) de Regan.
Le reproche principal de Regan reste que lorsque le bien-être
d'un individu est sacrifié pour le bien-être de la
communauté (comme le permet l'utilitarisme des préférences),
cela constitue un manque de respect pour la valeur inhérente
d'un sujet-d'une-vie et l'individu est considéré comme
un simple récipient de ce qui possède de la valeur.
Singer, par contre, considère cette conclusion comme fausse30
:
Il n'est tout simplement pas vrai qu'infliger un préjudice
à un individu afin de réaliser la meilleure somme
de conséquences pour tous « signifie considérer
l'individu lésé uniquement comme récipient
de ce qui possède de la valeur (...) » Après
tout les utilitaristes et autres qui sont prêts à infliger
dans ce but un préjudice à des individus, considéreront
ceux à qui ils infligent ce préjudice et ceux qui
en bénéficient comme possédant une valeur inhérente
égale. Ils diffèrent de Regan uniquement par le fait
qu'ils préfèrent maximiser les biens dont jouissent
les individus, plutôt que limiter ces biens par l'exigence
qu'on ne doit infliger de préjudice à aucun individu.
Quand l'utilitariste des préférences est par exemple
prêt à infliger un préjudice à un individu
afin d'en préserver dix autres, il se base sur un calcul
d'utilité dont il ressort que l'utilité totale pour
tous les concernés sera la plus grande si on n'inflige de
préjudice qu'à cet individu. « Infliger un préjudice
à une personne afin de réaliser la meilleure somme
de conséquences » n'est pas du tout selon Singer manquer
de respect pour la valeur inhérente des individus lésés.
L'utilitariste des préférences confronte seulement,
pour ainsi dire, la valeur inhérente d'un individu et la
valeur inhérente des autres, et conclut qu'un préjudice
causé à un seul est moins grave qu'un préjudice
causé à dix. Cet exemple rend clair que l'utilitarisme
des préférences prend bien en compte de façon
égale les intérêts des concernés, mais
que cela ne mène pas forcément à un traitement
égal. Cela ne signifie toutefois pas que seule une éthique
basée sur les droits moraux respecte la valeur inhérente
des personnes ou des sujets-d'une-vie. Le principe de considération
égale des intérêts reconnaît lui aussi
la valeur inhérente des personnes (et d'autres êtres
sensibles). De plus ce principe est, à mon avis, essentiellement
plus clair car il ne dépend pas de la supposition théorique
normative concernant la valeur inhérente des individus. En
effet, il exige la considération égale des intérêts
de même type de tous les individus qui les possèdent.
Il en découle que nous devons prendre en compte l'intérêt
à éviter la souffrance chez tous les êtres possédant
cet intérêt, qu'ils soient conscients d'eux-mêmes
ou non. La question de savoir s'ils possèdent une valeur
inhérente n'est pas importante ici. Du fait que ce principe
soit lié au principe d'utilité découle néanmoins,
ce qui est problématique à mon avis, que l'on soit
disposé à, voire obligé de, sacrifier le bien-être
d'une personne possédant une valeur inhérente au bien-être
d'autres personnes possédant également une valeur
inhérente suite à des considérations concernant
l'augmentation maximale de l'utilité31.
J'ai déjà mentionné que Regan, lui non plus,
ne considère pas le droit au non-préjudice comme un
droit absolu, qui n'admettrait aucune objection moralement justifiée.
Les circonstances et les conséquences peuvent tout à
fait être prises en considération par le point de vue
déontologique. Si l'on ne peut, par exemple, garantir que
par la transgression des droits de quelques individus les droits
de nombreux autres, alors la décision de transgresser les
droits de quelques-uns est une réflexion qui prend en considération
les conséquences mais non une réflexion conséquentialiste
au sens théorique normatif strict. En effet, elle ne rend
pas les droits de quelques individus dépendants des conséquences
de la reconnaissance de ces droits. Les individus (les sujets-d'une-vie)
possèdent selon la rights view dans tous les cas des droits
moraux ; la décision concernant ce qu'il faut préférer
dans une certaine situation selon les perspectives de l'éthique
est prise en se demandant si et comment ces droits peuvent être
respectés de façon optimale. C'est le respect de la
valeur inhérente des individus qui, éventuellement,
exige de léser le droit de quelques individus, et non la
volonté d'optimiser le solde de plaisir et de déplaisir
ou des préférences satisfaites et non satisfaites.
Les considérations concernant les conséquences sont
certes prises en compte dans cette position déontologique
plutôt modérée, mais elles n'influencent pas
la reconnaissance des droits. Les droits moraux existent selon la
rights view pour tous les sujets-d'une-vie, quelles que soient les
conséquences qui puissent en découler.
Du fait que l'utilitarisme n'évalue moralement que le résultat
d'un acte, il ne peut pas prendre en compte lors du « sacrifice
» d'un ou plusieurs individus pour une plus grande utilité
totale le fait qu'il s'agisse ou non d'individus non impliqués
et innocents. Regan, par contre, ne considère la violation
du droit d'un individu innocent à la non-infliction d'un
préjudice32 comme moralement justifiée que dans des
cas très limités ; par exemple lorsque l'individu
innocent représente lui-même un danger pour les autres
(innocent threat), ou quand quelqu'un qui représente un danger
pour les autres se sert de lui comme pare-balles (innocent shield)
- donc uniquement quand le respect vis-à-vis de la valeur
inhérente d'un autre l'exige33. Les distinctions entre les
inflictions d'un préjudice à des individus admises
par la position de Singer, et celles admises par la rights view
(qui comparées aux précédentes sont des exceptions
très limitées) deviennent claires surtout quand on
examine de plus près leurs jugements respectifs concernant
l'admissibilité ou l'inadmissibilité des expérimentations
sur animaux.
Notes :
1. « Handgemenge auf einem dünnen Seil. Ein Zwischenruf
zur Tierschutzfrage », dans Scheidewege Jg. 14 (1984/85),
pp. 214 à 221.
2. Peter Singer, « Killing Humans and Killing Animals »,
dans Inquiry v. 22 (1979), pp. 150 et 151.
3. Cette définition du concept de la personne vient du Essay
concerning Human Understanding (tome 2, ch. 9, §29) de John
Locke, et est citée par P. Singer dans Practical Ethics,
éd. Cambridge Univ. Press, Cambridge, 1979, p. 76.
4. Singer donne comme exemple dans Practical Ethics la description
que fait Jane Goodall du chimpanzé Figan dans In the Shadow
of Man, Boston, 1971, p. 107. Il conclut (p. 96) : « Quand
un animal peut inventer un plan méticuleux afin d'obtenir
une banane - pas tout de suite, mais dans un moment à venir
-, et peut prendre des précautions contre sa propre tendance
à laisser paraître ses intentions, alors cet animal
doit être conscient de lui-même en tant qu'entité
distincte et existant dans le temps.
5. Practical Ethics, p. 81.
6. P. Singer a publié depuis une version révisée,
Practical Ethics (Second Edition), éd. Cambridge Univ. Press,
Cambridge, 1993. [NdT]
7. Échange de lettres avec Peter Singer des 16 septembre
et 28 octobre 1991.
8. Derek Parfit, Reasons and Persons, éd. Clarendon Press,
Oxford, 1994, 4e partie.
9. Lettre du 28 octobre 1991.
10. Singer considère qu'il est sous certaines conditions
moralement acceptable de tuer des membres de l'espèce humaine.
Par exemple, quand des parents arrivent à la décision
après la naissance d'un enfant handicapé mental profond
qu'il ne devrait pas continuer à vivre, il ne serait pas
moralement condamnable, selon Singer, de le tuer sans souffrance
s'il ne possède pas de représentation de soi-même
en tant qu'être avec un futur et donc non plus de préférence
pour la poursuite de sa vie, et si la vie qui l'attend sera principalement
faite de souffrance. Voir pour ceci surtout H. Kuhse et P. Singer,
Should the Baby Live, éd. Oxford University Press, Oxford,
1985.
11. social. De nombreux animaux, non seulement chez les mammifères,
vivent des liens de couple qui peuvent être maintenus pendant
des années. De même, les liens émotionnels entre
parents et enfants peuvent être très prononcés.
12. Tom Regan, The Case for Animal Rights, éd. Routledge,
Londres, 1988, pp. 97 et 98.
13. Voir J. Mason et P. Singer, Animal Factories, éd. Crown
Publishers, New York, 1980.
14. The Case for Animal Rights, p. 100.
15. Ruth Cigman, parmi d'autres, formule des objections contre
la conception de Singer et de Regan selon laquelle la mort peut
être une perte pour les animaux.
16. Dans ce contexte, « prima facie » signifie chez
Regan que l'acte de tuer un individu non-humain ou humain peut,
sous certaines conditions, être moralement justifié.
Pour lui ces exceptions sont cependant très limitées.
Elles ne comptent ni pour la mise à mort d'animaux pour la
production d'aliments, ni pour l'utilisation d'animaux dans des
expérimentations quel que soit leur caractère. Par
ailleurs tuer un animal n'est pas une injustice quand la mort représente
le moindre préjudice pour l'animal, par exemple quand la
poursuite de sa vie signifie une souffrance intensive et de longue
durée et qu'il n'existe aucune espérance d'amélioration
(1988, p. 100). Les animaux ne peuvent certes pas posséder
le désir de mourir puisqu'ils n'ont pas de représentation
de leur propre mort mais ils peuvent néanmoins posséder
le désir de ne plus souffrir. L'acte de tuer est moralement
justifié quand ce désir peut seulement être
réalisé par leur mort (voir 1988, ch. 3.6 et 3.7 sur
le « paternalisme » et l'« euthanasie »
chez les animaux.) Peter Singer reconnaît d'autres exceptions
que Regan qui justifient la mise à mort d'un individu, puisque
l'utilitarisme des préférences repose sur l'examen
de l'utilité totale pour tous ceux qui sont concernés
par un acte. Je reviendrai plus loin sur cette question dans la
mesure où je ne l'ai pas abordée dans ma présentation
du point de vue de Singer concernant l'acte de tuer un individu.
17. P. Singer, « Killing Humans and Killing Animals »,
p. 152.
18. The Case for Animal Rights, p. 76.
19. Practical Ethics, p. 78.
20. The Case for Animal Rights, p. 102.
21. Le terme de « biens » (benefits) désigne
dans ce contexte des conditions de vie matérielles, d'espace,
ou sociales, nécessaires au bien-être d'un animal.
22. The Case for Animal Rights, ch. 3.
23. Dans sa lettre du 28 octobre 1991.
24. John Benson, « Duty and the Beast », dans Philosophy
v. 53 (1978), pp. 529 à 549.
25. Lettre du 28 octobre 1991.
26. The Case for Animal Rights, p. 210.
27. Ibidem, p. 249.
28. « Animal Liberation or Animal Rights ? », dans
The Monist, v. 70, n. 1 (janvier 1987), pp. 3 à 14.
29. Practical Ethics, p. 102.
30. « Animal Liberation or Animal Rights ? », p. 11.
31. J'ai déjà parlé des problèmes liés
au franchissement de la frontière interindividuelle dans
le chapitre sur l'utilitarisme classique.
32. Selon la rights view le droit d'un sujet-d'une-vie au non-préjudice
est un droit prima facie, comme déjà mentionné.
Sa transgression n'est moralement justifiée que lorsque peut
être démontrée l'existence d'un ou plusieurs
autres principes moraux valables qui l'emportent dans ce cas précis
sur le droit au non-préjudice.Ce que sont ces principes,
et qu'ils ne peuvent fournir aucune justification pour l'utilisation
des animaux comme objets de recherche, c'est ce que je montre au
chapitre 3.6.4.
33. The Case for Animal Rights, section 8.7
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