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Origine : Sisyphe.orgh
Transmis par Hélène Palma suite au décès
de Léo
Deux rapports préoccupants
En novembre 2002, M. Juan Miguel Petit, rapporteur auprès
de la commission des droits humains de l’ONU visite (1) la
France dans un contexte pénible : depuis plusieurs mois des
mères françaises fuient leur pays afin d’offrir
à leurs enfants la protection que la justice ne leur a pas
assurée (2). Deux rapports ont fait suite à cette
visite, l’un, préliminaire (3) rendu public à
la fin de l’année 2002, suivi d’un rapport complémentaire
(4) en octobre 2003. Le rapporteur y dresse un triste constat :
« Les personnes qui soupçonnent et dénoncent
des cas d’agressions sexuelles sur enfants encourent le risque
d’être accusées de mentir ou de manipuler les
enfants concernés, et sont menacées de poursuites
judiciaires ou de sanctions administratives pour diffamation, si
leurs accusations ne conduisent pas à la condamnation de
l’agresseur présumé » (5). M. Petit poursuit
: « Dans un nombre croissant de cas, des parents séparés
(...) choisissent d’emmener leur enfant hors de France, plutôt
que de se plier à une décision de justice qui (...)
exposerait la victime à de nouvelles atteintes sexuelles
» (6).
C’est pourtant depuis longtemps que des associations (7)
dénoncent les dysfonctionnements du système judiciaire
français. En 1999, Le Collectif Féministe Contre le
Viol publie un rapport, Agressions Sexuelles Incestueuses dans un
Contexte de Séparation des Parents : Dénis de Justice
?(8) qui fait état d’une quantité inquiétante
de plaintes, non prises en considération par la justice,
d’enfants victimes d’agressions (voir encadré
ci-dessous).
Ces dernières années le Collectif Féministe
Contre le Viol a constaté une hausse du nombre d’appels
mentionnant des dysfonctionnements judiciaires concernant des agressions
sexuelles sur mineurs dans un contexte de séparation parentale.
En 1998, sur 1865 agressions sexuelles signalées au numéro
vert, 639 étaient intra-familiales. L’enquête
menée par le CFCV entre 1996 et 2000, à partir de
190 situations d’agressions de mineurs dans un contexte de
séparation parentale, permet de dresser le constat suivant
: 142 filles et 48 garçons, dont 31 bébés de
moins de 3 ans, ont été agressés, après
la séparation dans 57 cas, pendant les droits de visite dans
55 cas. Sur 151 agresseurs, 145 sont des hommes (dont 125 pères).
Sur 190 situations, 130 plaintes pour viol/agression sexuelle ont
été déposées : 1 a été
disqualifiée, 17 enquêtes préliminaires et 10
instructions ont été menées, 57 ont été
classées sans suite, 18 non-lieux ont été prononcés,
4 mis en examen ont été relaxés et 1 seul agresseur
a été condamné. En réponse, 30 plaintes
ont été déposées par les mis en cause
: 23 pour non-représentation d’enfants (qui ont abouti
à 9 condamnations), 5 pour dénonciation calomnieuse,
et 2 devant l’Ordre des Médecins pour attestation de
complaisance. (Source : Collectif Féministe Contre le Viol,
numéro vert Viols Femmes Informations : 0 800 05 95 95).
A lire le rapport du CFCV, il semble qu’aucune preuve ne
soit suffisante aux yeux des magistrats instructeurs. Le cas d’Olivier
(9), 3 ans, est édifiant. A l’examen médical,
cet enfant présente une béance anale et une sérologie
positive au Chlamydiae Trachomatis (M.S.T.), des professionnels
formulent neuf signalements de maltraitance, trois expertises psychologiques
confirment le viol. Olivier ne sera pourtant jamais cru.
Ce dossier n’est pas une exception : il rappelle ceux examinés
par M. Petit, qui constate que les accusations d’inceste,
même sérieuses et étayées de preuves,
ne sont pas traitées avec précaution. Ainsi, les droits
de visite et d’hébergement sont fréquemment
maintenus pour le parent présumé agresseur alors que
celui-ci est en examen, violant la règle selon laquelle le
pénal tient le civil en l’état. M. Petit s’en
étonne : « Lorsque des poursuites pénales sont
engagées contre un agresseur présumé, les décisions
civiles relatives à l’attribution de la garde des enfants
et des droits de visite sont censées être suspendues
tant que la procédure pénale est en cours. Cependant,
il apparaît que cela n’est pas le cas dans la pratique
» (10). Il en est allé ainsi du petit Olivier, exposé
à de nouvelles agressions avant d’être placé
en institution avec le risque d’être ensuite confié
à son père : « Au terme de ce placement, l’enfant
risque d’aller habiter chez M. si la justice pénale,
comme la justice civile, se refuse à reconnaître les
sévices sexuels que l’enfant a subi de son père
et de ses proches ».
De la théorie des " fausses allégations "
au " Syndrome d’aliénation parentale" ou
comment étouffer la parole des victimes
L’origine de ces dénis de justice est vraisemblablement
à chercher du côté de théories d’origine
nord-américaine qui font la part belle au soupçon.
Ainsi le belgo-canadien Hubert Van Gijseghem, professeur de psychologie,
intervenant à l’Ecole Nationale de la Magistrature
et expert près des tribunaux, affirme : « On assiste
depuis plusieurs années à une augmentation notable
d’allégations là où d’ex-époux,
parents de jeunes enfants (de moins de cinq ans), sont impliqués
dans des litiges relatifs à la garde ou aux droits d’accès.
Diverses études suggèrent qu’environ la moitié
de telles allégations ne sont pas fondées sur des
faits réels ... » (12).
Le principal outil des tenants de la « fausse allégation
» est le " Syndrome d’aliénation parentale
". Inventée par Richard Gardner, médecin aux
écrits douteux (13), cette notion conforte la représentation
de la mère prête à tout pour éloigner
le père, notamment le faire accuser par l’enfant d’abus
sexuels. Des mères sont alors accusées d’«
aliéner » leurs enfants des pères : la garde
de l’enfant peut leur être retirée et transférée
à l’agresseur présumé.
En France, Paul Bensussan, psychiatre expert près la Cour
d’Appel de Versailles, se fait le relais des thèses
de Van Gijseghem : « Comme beaucoup de mes confrères,
en France et à l’étranger, j’ai pu constater
la multiplication des affaires d’abus sexuels "fantasmés",
mettant en cause des parents, principalement des pères »
(14).
Des statistiques circulent à l’appui de ces théories,
il se dit que la moitié des plaintes pour agressions seraient
mensongères, et l’idée fait ainsi son chemin
jusque dans les tribunaux et les média (15). Peu soupçonnable
de manipulation, le ministère canadien de la Justice dispose
pourtant de statistiques très différentes : 1,3% de
fausses allégations, selon l’enquête «
Allégations de violence envers les enfants lorsque les parents
sont séparés », menée en 2001. Un résultat
corroboré par d’autres études internationales
(16).
La théorie des fausses allégations, inquiétante
et nocive, est d’autant plus sujette à caution qu’elle
s’inscrit plus largement dans un tissu d’écrits
très complaisants à l’égard de la pédophilie.
Van Gijseghem, promu par Le Journal du Droit des Jeunes (17), qui
organise pour lui conférences et formations à destination
des professionnels de l’enfance, n’hésite pas
à utiliser les travaux de Ralph Underwager et Hollida Wakefield,
"pédophiles notoires" (18), ainsi que ceux de Richard
Gardner, pédopsychiatre américain, expert auprès
des tribunaux, inventeur du S.A.P. et auteur de ces lignes : «
L’enfant attiré dans des interactions sexuelles dès
l’enfance est susceptible de devenir hautement sexualisé
et de rechercher activement des expériences sexuelles durant
les années précédant la puberté. Un
tel enfant "chargé à bloc" est susceptible
de devenir plus actif au plan sexuel après la puberté
et donc susceptible de transmettre rapidement ses gènes à
sa progéniture. [...] L’idéal est donc, du point
de vue de l’ADN, que l’enfant soit sexuellement actif
très tôt, qu’il ait une enfance hautement sexualisée
avant d’entamer sa puberté » (19).
La parole de l’enfant est ainsi discréditée.
Mais elle est au surplus bâillonnée : Hubert Van Gijseghem
met en effet en garde contre la parole. Toute parole de prévention
vis-à-vis des jeunes enfants lui paraît dangereuse
car elle ne préserverait pas leur innocence : « La
petite fille qui entend un beau matin que "même des papas"
ont de vilaines intentions, se blottira-t-elle tout innocemment
contre son père le soir venu ? Bref, la fonction paternelle
n’est-elle pas sérieusement égratignée
aux yeux des enfants désormais "informés"
? » (20). L’expert soutient aussi que la parole de dévoilement,
tenue par la majorité des spécialistes pour essentielle
dans la reconstruction de l’enfant agressé, est plus
nocive que le maintien du silence : « La réparation
passe davantage par la couverture (action de couvrir) de l’inceste
que par l’exposition de la blessure » (21). Van Gijseghem
met enfin en garde contre la parole dite "mensongère"
et convainc même le ministère de la Justice (22) d’utiliser
les procédures qu’il a créées pour évaluer
les témoignages d’enfants agressés.
Dans un tel contexte rien d’étonnant à ce que
les médecins qui signalent des agressions sur mineurs soient
poursuivis (23). Au point que le Rapporteur rappelle qu’il
« est de la plus grande urgence que le Conseil de l’Ordre
modifie ses pratiques afin de soutenir plutôt que de condamner
les médecins qui relèvent des cas d’agressions
sur mineurs » (24).
Bilan
En octobre 2003, le rapport complémentaire de M. Petit portait
à la connaissance du public les réponses données
par la France à ses demandes d’éclaircissements.
Dans l’ensemble, les questions du Rapporteur ont été
éludées. Concernant les dossiers d’enfants victimes
dont les mères étaient parties à l’étranger,
il a été rétorqué au Rapporteur que
« la crédibilité des allégations faites
par les mères concernant les abus sexuels commis contre leurs
enfants était contestable du fait qu’elles étaient
invariablement émises au cours de procédures de divorce
». M. Petit a alors opportunément fait remarquer, mais
en pure perte, qu’« un examen approfondi de certaines
des raisons pour lesquelles les parents divorçaient a révélé
l’existence d’abus systématiques au sein de la
famille, y compris des violences contre la mère. En conséquence,
peut-être serait-il plus exact d’envisager la question
des abus sexuels comme étant l’une des raisons, sinon
la principale, du divorce » (25).
Dans ce second rapport, M. Petit confirme l’existence de
carences dans la prise en charge judiciaire des enfants victimes
et de leur parole. Il note à ce propos qu’ «
il semblerait que l’enfant ne soit pas entendu dans la quasi-totalité
des cas » (26).
La visite et les conclusions du rapporteur auront pourtant servi
à briser le silence. Les médecins, qui, depuis la
sanction qui avait frappé la pédopsychiatre Catherine
Bonnet, craignaient d’effectuer des signalements, se sont
mobilisés au printemps 2003 autour d’une pétition
: « En avril 2003, le Rapporteur spécial a reçu
un exemplaire d’une pétition adressée an août
2003 au ministre de la Santé et au ministre de la Justice
par 157 médecins (...), les signataires se plaignent de ne
plus pouvoir faire leur travail de dépistage des enfants
faisant l’objet de sévices sexuels » (27). Cette
pétition a permis l’adoption par le Parlement français,
en décembre 2003, d’une loi qui désormais protège
les médecins lorsqu’ils exercent leur devoir de signalement
de maltraitance (28).
Notes
1. M. Petit a sollicité cette visite après avoir
eu connaissance de dossiers préoccupants en France (ONUG-HCDH
CH-1211 Genève).
2. « Ces mères qui fuient à l’étranger
avec leurs enfants », Marie-Claire, juillet 2002 ; «
Les Fugitives », Zone Interdite, avril 2003.
3. Pré-rapport.
4. Rapport complémentaire : Rapport complémentaire.
5. Pré-rapport.
6. ibid.
7. Collectif Féministe Contre le Viol, (9, Villa d’Este,
75013 Paris), Comité International pour la Dignité
de l’Enfant.
8. CFCV, Rapport Agressions Sexuelles Incestueuses dans un Contexte
de Séparation des Parents : Dénis de Justice, 1999,
récit n°7
9. CFCV, Rapport 1999, récit n°7.
10. Pré-rapport.
11. CFCV, Rapport 1999, p. 35.
12. La recherche de la vérité en matière d’allégation
d’abus sexuel : situations difficiles, in : Revue Canadienne
de Psycho-Education, Vol 25, n° 2, 1996.
13. Voir note 18.
14. « La multiplication des fantasmes », interview
de P. Bensussan, L’Hebdo (Suisse), 30 mars 2000.
15. Le 13 mars 2003, le magazine télévisé
Envoyé Spécial diffusait Divorces : l’arme du
soupçon, dans lequel il était affirmé qu’un
nombre croissant de pères seraient victimes de « fausses
allégations ». Femme actuelle faisait de même
dans son n°958 (du 3 ou 9 février 2003).
16. Rapport du ministère de la Justice du Canada, selon
l’étude d’Everson et Boat (False allegations
of sexual abuse by children and adolescents, in J. Am. Acad. Child
Adolesc. Psychiatry 28 : 230-235, 1989) : les pourcentages de fausses
allégations sont de 1,6% pour les enfants de moins de 3 ans,
1,7% pour les 3-6 ans et 8% pour les adolescents, soit 4,7% en moyenne.
17. Revue dont J.-P. Rosenzweig, Président du Tribunal pour
Enfants de Bobigny est membre du comité de rédaction.
18. Voir C. Marneffe, pédopsychiatre, JDJ, n° 194, avril
2001, p. 33, Underwager déclare par exemple : « Les
pédophiles peuvent affirmer leur choix avec audace et courage
», in : Paidika, the journal of paedophilia, hiver 1993, vol.
3, n° 1, p. 4
19. Gardner, R., True and False Accusations of Child Sex Abuse,
Creative Therapeutics, 24, 1992. R. Gardner avait un équilibre
mental très chancelant qui l’ont conduit à se
suicider dans des conditions atroces : voir le site de Parental
alienation syndrome.
20. « La recherche de la vérité en matière
d’allégation d’abus sexuel : situations difficiles
», in : Revue Canadienne de Psycho-Education, Vol 25, n°
2, automne 1996
21. « De la psychothérapie de l’enfant incestué
: les dangers d’un viol psychique », Santé mentale
au Québec Vol. 17, n° 1, p.19-30, printemps 1992
22. Allégations d’abus sexuels sur mineur dans un
contexte de séparation parentale conflictuelle, Ministère
de la Justice, Octobre 2001
23. « Fausses Allégations ou Vrais Drames ? »,
Viva, février 2000
24. Pré-rapport
25. Rapport final
26. Ibid.
27. Ibid.
28. « Immunité pour les médecins signalant
des cas de maltraitance », Le Monde, 21-22 décembre
2003.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 avril 2005
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