Origine : http://blogs.bl0rg.net/finis_africae/2007/11/15/kro-du-bord-dun-toit/
De “L’Ennemi Principal” aux principaux ennemis
: Position vécue, subjectivité et conscience masculines
de domination,
Soutenance de thèse de léo thiers-vidal le 26 octobre
à l’ENS-LSH de Lyon, sous la direction de Christine
Delphy
Le but de cette thèse est d’explorer la conscience
masculine de domination en utilisant comme cadre théorique
le féminisme matérialiste. léo thiers-vidal
part de l’hypothèse que les hommes, parce qu’ils
ont une expérience sociale de dominants, sont non seulement
conscients de leur position de dominants, mais qu’en plus,
ils font sciemment usage de leur position de dominant pour en tirer
des profits personnels.
Bien sûr, tous n’en font pas usage de la même
manière ni aux mêmes fins, mais même les plus
engagés (ou les plus honnêtes) en profitent sans l’avoir
recherché.
Lors de la soutenance, Patricia Roux a rappelé une étude
de psycho-sociale (qu’elle avait conduite si je ne m’abuse)
où on interrogeait les hommes sur la domination des femmes.
On aurait pu résumer l’étude par “Toutes
les femmes sont discriminées, sauf la mienne” : si
une écrasante majorité des hommes pensent que les
femmes sont discriminées, 2/3 d’entre eux sont convaincus
que ça ne les concerne pas.
Le cheminement empirique de léo thier-vidal s’effectue
à travers trois types d’entretien - non-directif, semi-directif
et groupes focaux - avec huit hommes, engagés ou non à
partir du féminisme matérialiste. Ils lui permettent
de “documenter et inventorier les contours empiriques d’une
telle conscience masculine de domination: une conscience politique
positionnelle, interactionnelle et réflexive”.
Le travail empirique très poussé et détaillé
de léo montre que sous une apparente inconscience, il existe
en fait des stratégies de domination active de la part de
ces mêmes hommes. En outre, il demeure un point aveugle, sur
lequel ils se montrent particulièrement peu inspirés
et qui concerne le mépris des femmes, alors qu’ils
sont bien plus bavards par exemple sur la violence. (lire à
ce sujet : De la masculinité à l’anti-masculinisme
: Penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une
position sociale oppressive)
léo thiers-vidal se livre également à une
analyse critique très précise et définitive
des études masculines (en particulier Bourdieu et Weltzer-Lang)
cherchant à mettre en avant la souffrance des dominants,
ou encore la prison du genre dans lesquelles les hommes seraient
enfermés (lire sur ce sujet : Le masculinisme de «
La domination masculine » de Bourdieu)
Si cette souffrance existe, il convient pourtant de ne pas tenter
de l’exporter hors du cadre où elle a un sens et en
particulier, de ne pas venir l’articuler à celle des
femmes prises dans le système de domination masculine (j’espère
ici ne pas trahir sa pensée).
A titre de comparaison, la souffrance des hommes n’est pas
plus pertinente pour analyser la domination masculine que le stress
des patrons n’est pertinent pour analyser la domination de
classe. A mon objection sur le fait que l’étude du
stress des patrons pouvait permettre de mieux comprendre les raisons
de leur comportement oppressif, il répondait : “Bien
sûr qu’on peut tenir compte du stress des patrons, mais
cela n’aura pas grand impact - à mon avis - sur l’exploitation
structurelle de la force de travail, sur le rapport détenteur
de capital - détenteur de force de travail…“
Pour Anne-Marie Devereux, le travail de léo, remarquablement
documenté et construit, marque un point zéro sur la
question des études masculines, solde des questions sur lesquelles
il ne sera plus nécessaire de revenir (en particulier dans
sa critique de Bourdieu ou de Weltzer-Lang) et ouvre un champ nouveau,
extrêmement prometteur et intéressant pour la sociologie
du genre et les rapports sociaux de sexe (même si pour léo,
ces deux termes n’étaient que des étiquettes
différentes d’un même concept).
Dans la nuit du 11 au 12 novembre 2007, léo nous a définitivement
laissé-e-s nous débrouiller avec toutes ces questions.
Le monde des hommes et des femmes est bien plus beau quand des individus
tels que lui en font partie : on va faire de notre mieux pour continuer.
(je n’ai pas mis de majuscule à léo thiers-vidal
pour respecter sa volonté quant à la manière
d’écrire son nom.)
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