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Origine : http://triangle.ens-lsh.fr/spip.php?article297
http://www.liens-socio.org/article.php3?id_article=3179
Léo Thiers-Vidal, qui venait de soutenir sa thèse
à l’Ens-Lsh, s’est donné la mort dans
la nuit du dimanche 12 novembre 2007. Il allait avoir 37 ans le
15 décembre 2007.
Léo était un chercheur engagé de longue date
dans la cause féministe ; il laisse de nombreux travaux sur
le mouvement masculiniste et une thèse importante sur la
conscience de domination des hommes, effectuée sous la direction
de Christine Delphy.
Ses premiers écrits, qui datent des années 1990,
sont des traductions : ils montrent que Léo s’est d’abord
pensé comme un être humain soucieux de ne pas tirer
profit de la faiblesse des animaux pour se nourrir de leur chair.
Il a toujours mis en oeuvre, depuis, ce végétarisme
politique, ou « antispécisme », construit sur
la volonté de respecter le monde animal dans sa vitalité.
C’est quelques années plus tard, au milieu des années
1990, que Léo s’investit dans le mouvement féministe.
Ses premières traductions portent sur la violence paternelle,
et en particulier sur le promoteur du Syndrome d’aliénation
parentale, Richard Gardner, dont il ne cessera, par la suite, de
mettre à jour les motivations pédophiles. Récemment
encore, il publiait la traduction d’un article de Paula Caplan
sur ce SAP, dont la rapidité de diffusion et de banalisation
le préoccupait considérablement.
En 2001, en DEA d’Etudes Femmes/Etudes Genre, à l’université
de Lausanne Genève, il prend conscience de sa « position
sociopolitique, spécifique et structurelle d’homme
hétérosexuel et de ses implications psychologiques,
épistémologiques, sociologiques incontournables »
[1] ; c’est par les outils d’analyse du féminisme
matérialiste qu’il réalise, dit-il, combien
son « éducation participative à la domination
masculine (lui) permet d’avoir une perception et action misogynes,
des outils de dominant, et une place matérielle privilégiée.
» [2] C’est d’ailleurs dans cette exploration
qu’il va, dès lors, s’engager intellectuellement
avec le plus de constance : celle de la difficulté pour les
chercheurs hommes engagés dans la lutte contre l’oppression
des femmes : non seulement il leur faut comprendre des analyses
qui les désignent eux comme source d’oppression des
femmes ; mais il leur faut également gérer les conflits
intérieurs qui émanent de cette posture compréhensive.
Cette description de la position sociale oppressive, de la conscience
de domination, qu’il commence à développer dans
son mémoire de DEA, et dont il fait un article pour la revue
Nouvelles Questions féministes, publié en 2002, sera
au centre de son travail de thèse.
Léo Thiers-Vidal est l’exemple même d’un
chercheur engagé personnellement, socialement, politiquement
et intellectuellement par son objet de recherche. Sa vie était
la recherche même d’une pratique masculine non oppressive,
qu’il définissait ainsi : « ... mon travail consiste
avant tout à aménager avec les femmes les relations
intimes, concrètes de telle façon que l’asymétrie
de pouvoir soit amoindrie, par exemple à travers la non-cohabitation
(renforçant la prise en charge symétrique du travail
domestique, le non-envahissement de l’espace personnel des
femmes, le choix explicite des rencontres), mais également
la non-monogamie (coupant court à l’appropriation exclusive,
renforçant l’indépendance affective et les alternatives
relationnelles pour les femmes). »
Cet engagement avait un coût énorme, et principalement
en termes psychiques. Epuisé moralement par les émotions
que drainait ce combat contre lui-même, contre cette part
de masculinité qu’il portait tout en l’abhorrant,
il avait l’année dernière à la même
époque annoncé qu’il se retirait du militantisme
pratique ; renonçant à pister les réseaux pédophiles,
à porter la contradiction aux médecins et autres experts
promoteurs du SAP, à défendre les mères dans
les divorces avec accusation d’inceste paternel, il s’était
depuis consacré exclusivement à la rédaction
de sa thèse. Léo allait de mieux en mieux ; nous le
voyions aller et venir avec une allégresse dans laquelle
il a, sans doute, puisé en partie l’énergie
pour mener à terme son travail intellectuel majeur. Et c’est
au point culminant de ce mieux être, tant moral qu’intellectuel,
deux semaines après avoir soutenu, qu’il est parti.
Il nous laisse la conscience éclaircie et revigorée
pour continuer ce qu’il a entamé : la recherche d’autres
« rapports sociaux abolissant progressivement le genre et
créant de nouveaux ingrédients relationnels humains
».
Bibliographie sélective
2007, De ’L’Ennemi Principal’ aux principaux
ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience
masculines de domination, thèse de sociologie sous la direction
de Christine Delphy, Ens-Lsh, 26 octobre 2007.
2006, « Ca se passe près de chez vous : des filles
incestueuses aux mères célibataires », sur
http://sisyphe.org/article.php3
?id_article=2265
2004, « Culpabilité personnelle et responsabilité
collective : Le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat
comme aboutissement d’un processus collectif », sur
http://1libertaire.free.fr/LeoThiersVidal05.html
2004, « Humanisme, pédocriminalité et résistance
masculiniste », publié sur http://sisyphe.org/article.php3
?id_article=1364
« Le masculinisme de La Domination masculine de Bourdieu
», ENS-LSH, 4 mai 2004, Séminaire interdisciplinaire
en sciences sociales. Diponible en ligne : http://chiennesdegarde.org/article.php3
?id_article=310
2003, adaptation française, avec M. Dufresne et Hélène
Palma, de Stephanie Dallam, « Une théorie inventée
utile au lobby des pères », syndrome d’aliénation
parentale, sur http://sisyphe.org/article.php3
?id_article=296
2003, « Des mères se battent contre la « justice
» pour protéger leurs enfants », sur http://1libertaire.free.fr/LeoThiersVidal09.html
2002, « De la masculinité à l’anti-masculinisme
: penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une
position sociale oppressive », Nouvelles Questions Féministes,
Vol. 21 n° 3, pp. 71-83. Disponible sur
http://1libertaire.free.fr/PenserleGenreViaHommeLTVidal.html
2002, avec S. Masson, « Pour un regard féministe matérialiste
sur le queer : échanges entre une féministe radicale
et un homme anti-masculiniste », Mouvements, n° 20, pp.
44-49. Disponible en ligne :
http://www.cairn.info/article.php
?ID_REVUE=MOUV&ID_NUMPUBLIE=MOUV_020&ID_ARTICLE=MOUV_020_0044
1999, « Au-delà du personnel », sur http://ateliber.lautre.net/article.php3
?id_article=199
s.d., « De l’indignation sélective des mecs anars... en
général », sur http://1libertaire.free.fr/leovidal.htm
[1] . Sabine Masson et Léo Thiers-Vidal, « Pour un
regard féministe matérialiste sur le queer. Echanges
entre une féministe radicale et un homme anti-masculiniste
», in Mouvements, 2002, n°20.
[2] . ibid
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