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Article dans "Libération"
HARCÈLEMENT SEXUEL, LA FAC SE REBELLE
Une pétition circule dans les universités contre l'omerta.
Par Blandine GROSJEAN - Libération du lundi 28 janvier 2002

Origine : http://www-durs.u-strasbg.fr/Gazel35.htm

S'il y a un milieu professionnel épargné par le harcèlement sexuel, c'est bien l'université. La preuve: aucun procès, et jusqu'à présent aucune plainte répertoriée par les associations de soutien aux victimes. Contrairement aux Etats-Unis ou au Canada, dont les principales universités sont dotées d'un «bureau d'intervention en harcèlement sexuel», et de règlements régissant les relations entre professeurs et étudiants, il y aurait en France «une harmonie entre les sexes» qui protégerait et du puritanisme, et des abus de pouvoir.

La pétition «contre le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur» que vient de lancer un groupe de doctorants (étudiants en thèse) fait donc l'effet d'un pavé dans une mer de silences (1). En quelques jours, elle a recueilli plusieurs centaines de signatures. «Connaissant l'ampleur du problème mais aussi l'ampleur du déni, nous avons été surpris du large soutien de la communauté des professeurs et des chercheurs, parmi les plus éminents», disent les instigateurs de la pétition.

Se taire. Tous et toutes s'inclinent devant la témérité de ces jeunes gens, filles mais aussi garçons, qui prennent le risque de se voir fermer les portes d'institutions où l'on entre par cooptation ou recommandation. «Je les trouve très courageux de rompre l'omerta, les soutient Janine Mossuz Lavau, sociologue, directrice de recherche (CNRS-Sciences-Po), signataire. J'ai eu à connaître trois cas précis, et on ne sait pas quoi faire. Soit se taire, soit un procès au pénal, on manque de recours internes. Et à force de se taire, on finit par cautionner.» Une autre signataire rapporte son impuissance face aux
déboires d'une de ses anciennes étudiantes, poursuivie par son directeur de thèse: «Elle n'osait plus le rencontrer et était en train d'abandonner sa thèse. Je lui ai déconseillé de parler, elle est très mignonne, ça lui serait retombé dessus. Je l'ai encouragée à partir pour les Etats-Unis.»

Constitué en collectif sous le nom de «Clasches» (Collectif de lutte antisexiste et contre le harcèlement dans l'enseignement supérieur), ces doctorants comptent parmi leurs proches des gens qui ont connu ce genre de problèmes. «Souvent, ils n'avaient même pas conscience d'être des victimes. Quand ils
parlaient, ils se retrouvaient au coeur de rumeurs assassines, et systématiquement on leur conseillait d'aller chez le psychologue.» Selon eux, le tabou est si fort que la plupart des victimes ignorent jusqu'à l'existence de la loi de 1992 punissant les actes de harcèlement sexuel. Pour Eric Fassin, sociologue (Ecole normale supérieure), ce mouvement inattendu est à inscrire dans une lente évolution française, qui va du vote de cette loi jusqu'à celle sur la parité en passant par la conscience des inégalités sur le marché du travail. «L'université n'est pas un monde enchanté: les rapports de pouvoir se mêlent aux relations intellectuelles ce qui les rend d'autant plus difficiles à penser», dit-il. Les doctorants, en voie de professionnalisation, sont souvent tributaires de leurs professeurs pour le financement de leurs travaux mais surtout pour tous les coups de pouce indispensables: publication d'un article, intégration dans une équipe de recherche, recrutement à la fac ou au CNRS. «La pire illustration de cette dépendance, expliquent les membres de Clasches, c'est qu'il est presque impossible de changer de directeur de thèse. Si ça se passe mal avec lui, ce n'est pas la peine d'aller en chercher un autre, il ne voudra pas se fâcher avec son collègue.»

Porte ouverte. Aux Etats-Unis, le débat a fait rage et il a abouti, selon Eric Fassin, «à une discussion salutaire autour des règles du jeu». Un professeur qui reçoit une étudiante évitera souvent de fermer la porte. «Cette prudence sur la forme, parfois excessive, reflète une vigilance qui, sur le fond, n'a rien de
superflu.» Certaines universités ont voulu interdire toute relation sexuelle entre étudiants et professeurs, estimant que la relation de pouvoir ne garantissait jamais un consentement libre. «Cette solution radicale a été très critiquée aux Etats-Unis mêmes. Les universités lui préfèrent une règle moins contraignante,
qui oblige l'enseignant(e) en cas de liaison, à renoncer à la tutelle exercée sur l'étudiant(e).»

Clasches n'entend pas dénoncer les professeurs qui proposent à leurs étudiant(e)s de discuter autour d'un verre d'une lettre de recommandation. Le collectif demande que l'enseignement supérieur mette en place des règlements et des commissions disciplinaires incluant une représentation étudiante. La
pétition, qui sera déposée au ministère de la Recherche, a pour première ambition de «sensibiliser».

(1) http://clasches.multimania.com


Texte de la pétition

PETITION CONTRE LE HARCELEMENT SEXUEL DANS L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

L’égalité des sexes gagne du terrain dans la société française et l’Enseignement supérieur joue un rôle positif dans cette évolution. Malgré des inégalités selon les filières et les niveaux, la parité numérique entre les sexes semble globalement acquise pour les étudiants, et les filles ont en moyenne, aujourd’hui, rattrapé le niveau de diplôme des garçons.

Cependant, la réelle dynamique d’égalisation qui traverse le système ne saurait masquer les obstacles et résistances qui perdurent, et démentent l’illusion d’une marche inéluctable vers l’égalité. En effet, une douloureuse réalité pèse sur les promesses égalitaires dans l’enseignement supérieur. Les nombreux faits de harcèlement sexuel qui existent au sein des institutions d’enseignement et de recherche, à l’instar des autres lieux de travail, restent aujourd’hui largement occultés et étouffés. Les victimes sont généralement isolées et démunies alors que les agresseurs restent impunis, protégés par leur statut et par la loi du silence. Cette situation aboutit à un véritable déni de justice des victimes et à un cautionnement tacite de ces pratiques par les institutions.

C’est pourquoi nous, doctorantes et doctorants, avons souhaité nous constituer en collectif pour dénoncer les pratiques de harcèlement sexuel au sein de l’Enseignement Supérieur et la recherche.

Il existe depuis 1992 une loi définissant les actes de harcèlement sexuel sur les lieux de travail comme passibles de sanctions pénales (art. 222-33 du Code Pénal). Ce recours judiciaire est indispensable mais il demeure, dans le cadre spécifique de l’Enseignement Supérieur, largement insuffisant. Un tabou pèse encore aujourd’hui sur les actes d’abus d’autorité en matière sexuelle dans l’Enseignement supérieur, comme le montre la méconnaissance de cette loi dans nos institutions ainsi que l’absence de recours disciplinaires pour les étudiant-e-s qui en sont victimes. Il est vrai que les relations entre étudiant-e-s et enseignant-e-s sont difficiles à penser en tant que relations de pouvoir, dès lors qu’elles sont aussi des relations intellectuelles.

Aussi, il semble plus qu’urgent aujourd’hui d’en finir avec les déclarations d’intentions : il est impératif d’aider et de soutenir publiquement les victimes de harcèlement sexuel. Pour que les voix qui s’élèvent ne restent pas sans portée, il faut également réfléchir ensemble et agir concrètement pour que les institutions de l’Enseignement supérieur se dotent de moyens de lutte contre le harcèlement sexuel.

Nous, doctorantes et doctorants, demandons à nos institutions :

1. D’une part, de clarifier et diffuser sans attendre les informations relatives au harcèlement sexuel, et notamment la loi qui le punit

2. D’autre part, de mettre en place des règlements et des commissions disciplinaires qualifiées incluant une représentation étudiante

L’Enseignement Supérieur doit agir au plus vite, faute de quoi il s’exonérerait de contribuer au progrès de la justice et de l’égalité en son sein.

Aujourd’hui, nous invitons les étudiant-e-s, les enseignant-e-s et chercheur-e-s de l’enseignement supérieur qui, comme nous, considèrent que le harcèlement sexuel constitue un grave problème, à signer ce texte dont nous prenons l’initiative.

Cette pétition sera remise au Ministère de l'Education, au Premier Ministre, au Service des droits des femmes et à la Cnesser.

CLASCHES
(Collectif de Lutte Anti-Sexiste Contre le Harcèlement dans l’Enseignement Supérieur)


Présentation du CLASCHES

Qui sommes-nous?

CLASCHES est un collectif d'étudiant-e-s créé à l'initiative de doctorant-e-s en sciences sociales.
Notre objectif est triple:
- ouvrir le débat sur le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur en faisant connaître la loi qui le condamne
- dénoncer activement les pratiques trop répandues d'abus d'autorité en matière sexuelle
- proposer des recours efficaces pour les victimes, notamment disciplinaires en mobilisant les commissions existantes (internes et ministérielles) qui méconnaissent souvent le problème spécifique du harcèlement sexuel
Aujourd'hui notre action principale est de diffuser la pétition contre le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur, auprès des étudiant-e-s, des enseignant-e-s, des chercheur-e-s.

Il est extrêmement important de lever le tabou sur le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur afin que les victimes ne soient plus isolées et que les responsables n'agissent plus dans l'impunité.
Il ne s'agit pas de porter un jugement moral, mais d'appliquer la loi existante en révélant la complexité de la relation entre professeur-e-s et étudiant-e-s et dans laquelle peut s'opérer une confusion entre domination et séduction.
Aussi, nous vous invitons à signer la pétition, à la diffuser largement et à nous rejoindre au sein du collectif si vous êtes étudiant-e.

Comment signer la pétition

" Pour soutenir cette pétition merci d'envoyer un mail à petition_clasches (at) yahoo.fr avec pour objet "OUI à la pétition CLASCHES" et comme texte simplement votre nom, prénom, statut et votre institution de rattachement. "