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Le monde merveilleux de l'Université (suite)
La fin d'un tabou à l'université, par le collectif CLASCHES
Mercredi 6 mars 2002
(LE MONDE)

Origine : http://www-durs.u-strasbg.fr/Gazel37.htm

Le harcèlement sexuel : une forme, parmi d'autres, d'abus de pouvoir. Il est nécessaire que tous les acteurs de l'enseignement supérieur s'approprient cette question pour que des mesures concrètes soient mises en œuvre.

La pétition lancée par notre collectif d'étudiant - e - s, CLASCHES (Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement dans l'enseignement supérieur), a recueilli à ce jour plus de onze cents signatures d'étudiant-e-s, d'enseignant-e-s, de chercheur-e-s, de personnels administratifs issu-e-s de diverses disciplines et de multiples institutions de l'enseignement supérieur. Un tel écho révèle qu'un débat sur le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur est aujourd'hui possible. Nous nous réjouissons que ce débat public soit, depuis quelques semaines, enfin ouvert. Toutefois, la chronologie médiatique, qui fait coïncider notre pétition et la seule plainte pour harcèlement sexuel déposée à ce jour par une étudiante (Le Monde du 2 février), instaure un climat de confusion entre notre mobilisation collective et cette plainte.

Nous déplorons que, dans plusieurs articles récents, les revendications générales du CLASCHES soient déformées et réduites, plus ou moins explicitement, à une mobilisation autour d'un cas particulier. Le caractère nouveau et exceptionnel de cette plainte ne doit pas faire oublier la récurrence du phénomène, autant que les cas dont nous avions connaissance avant de lancer notre mouvement, et ceux qui nous ont été communiqués depuis. Il nous semble opportun de rappeler que les enjeux d'une action collective contre le harcèlement sexuel sont académiques, et non personnels. Cette confusion dans le traitement des informations traduit les résistances qui contribuent à occulter le caractère social du harcèlement sexuel et en dénient l'importance.

Notre objectif est de mettre en évidence le tabou qui pèse sur le harcèlement sexuel, le manque d'information et l'absence de dispositifs institutionnels qui permettraient d'identifier, de prévenir et de sanctionner les cas de harcèlement sexuel dans les universités et les écoles supérieures françaises. En tant qu'étudiant-e-s, il est de notre responsabilité de mettre au jour l'existence de telles pratiques, trop souvent assourdies ou étouffées par l'institution elle-même. Aujourd'hui, il est nécessaire que tous les acteurs de l'enseignement supérieur s'approprient cette question pour que des mesures concrètes soient mises en œuvre. Nous réaffirmons ici notre volonté de permettre au débat de s'engager dans des voies constructives.

L'université n'est ni plus ni moins propice qu'un autre lieu au harcèlement sexuel. Comme dans l'ensemble de la société, les lois de 1992 (art. 222-33 du code pénal) et de 2002 (loi 2002-73 du 17 janvier "de modernisation sociale") doivent pouvoir y être appliquées.

Le harcèlement sexuel est une forme, parmi d'autres, d'abus de pouvoir. Lorsqu'un-e enseignant-e, afin d'obtenir des contreparties de nature sexuelle de la part de son-sa subordonné-e, lui promet une situation plus avantageuse, lui inflige une sanction en cas de refus, il-elle ne se situe pas nécessairement dans une logique de séduction, mais abuse de toute évidence de sa position d'autorité. Même si, le plus souvent, cette relation ne s'inscrit pas dans un rapport salarial, nul ne peut ignorer la relation de dépendance des étudiant-e-s vis-à-vis des enseignant-e-s (bourses ou allocations, lettres de recommandation, renouvellement d'un contrat d'enseignement, intégration dans des équipes de recherche, etc.). Or divers éléments favorisent l'utilisation abusive du pouvoir conféré par la position hiérarchique.

La proximité intellectuelle dans la relation pédagogique est un élément qui brouille les cartes de la subordination. Les étudiant-e-s peuvent être tenté-e-s de l'oublier pour mieux s'intégrer au milieu universitaire. C'est particulièrement vrai des doctorant-e-s, qui sont, potentiellement, les futur-e-s collègues de leurs professeur-e-s.

En outre, l'absence d'instances disciplinaires statuant sur les cas de harcèlement sexuel induit un véritable déni de justice. Tous les acteurs de l'université ne sont pas sur un pied d'égalité. Négliger l'importance de tels recours revient donc à priver les étudiant-e-s du droit de dire non. Il ne s'agit pas de réprimer des désirs ou d'orchestrer une quelconque chasse aux sorcières, mais de permettre à chacun-e un consentement ou un refus sans équivoque.

Nous avons adressé une lettre ouverte au ministre de l'éducation nationale, consultable sur notre site. En réponse, M. Lang nous a adressé une lettre de soutien. Il y inscrit la lutte contre le harcèlement sexuel dans une volonté affirmée de rompre avec les abus de pouvoir et le sexisme dans l'enseignement supérieur. Nous avons également sollicité la Conférence des
présidents d'université (CPU), la présidence du CNRS, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) et les syndicats d'étudiants et d'enseignants. Une journée d'étude impliquant tous les acteurs de l'enseignement supérieur est prévue.

Nos propositions suivent trois orientations principales :

- Pour remédier à la loi du silence, nous insistons sur l'importance d'une politique de prévention du harcèlement sexuel par le biais de brochures et d'affichage.

- Les instances de régulation des litiges déjà existantes à l'intérieur de l'enseignement supérieur (section disciplinaire des conseils d'administration et le CNESER) doivent prendre en compte sans ambages la question du harcèlement sexuel, en devenant des lieux d'écoute et de conseil qui accordent de la considération à la parole des victimes, en permettant un traitement préventif des cas avant l'exacerbation des conflits, et, le cas échéant, en appliquant les sanctions disciplinaires actuellement en vigueur (art. 29-1 et 29-2 ajoutés à la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984). Afin que ces instances de recours soient fiables, transparentes et efficaces, il faut en aménager le fonctionnement et la composition (intégrer une véritable représentation étudiante ainsi qu'une représentation paritaire hommes-femmes et nommer des mandataires compétents sur la question et indépendants des deux parties).

- Puisque le harcèlement sexuel est une forme d'abus de pouvoir dans la relation entre étudiant-e-s et enseignant-e-s, il est aujourd'hui plus que nécessaire de soumettre au débat le statut des étudiant-e-s. Afin de préserver la qualité de la relation pédagogique, il importe de clarifier les attentes, les droits et les devoirs de chacun-e au sein du système universitaire. En effet, le harcèlement sexuel risque d'autant plus de sévir que la situation des étudiant-e-s sera plus floue et plus précaire. La réflexion que nous appelons de nos vœux ne saurait donc isoler la question spécifique du harcèlement sexuel du cadre plus général de dépendance dans lequel elle s'inscrit. Notre action vise à en finir avec le déni de justice que la loi du silence impose depuis trop longtemps aux victimes de harcèlement sexuel, et à favoriser l'émergence de leur parole. Notre fonction n'est toutefois pas de parler en leur nom. Le harcèlement sexuel est un problème social auquel nous souhaitons !
apporter des réponses collectives : trop souvent les victimes de harcèlement sexuel se voient renvoyées à leur propre psychologie, par une inversion de l'ordre des causes et des conséquences.

CLASCHES ne propose ni une plaidoirie ni une thérapie, mais une réflexion politique sur le monde universitaire auquel nous appartenons. Pour préserver des relations pédagogiques de confiance, il est impératif de résoudre collectivement le problème du harcèlement sexuel en tant qu'abus de pouvoir.

Nous espérons, par ce texte, mettre un terme à la confusion entre les revendications de CLASCHES et un cas particulier qui focalise l'attention des médias. Cette confusion nous expose au soupçon d'être manipulé-e-s, instrumentalisé-e-s par les un-e-s ou les autres, niant ainsi notre autonomie de pensée, voire notre existence même. Or dénier aux étudiant-e-s le droit de penser et d'agir publiquement procède de la même logique que celle qui ignore la parole des étudiant-e-s victimes de harcèlement. Refuser notre indépendance de pensée et éluder notre autonomie d'action, c'est vouloir nous garder dans un état de sujétion, ce même état qui favorise le silence autour du harcèlement sexuel. Les réactions qui se font entendre aujourd'hui montrent assez la nécessité de rompre le silence.

Laure Bereni, Coline Cardi, Marylène Lieber,Céline Peyraud, Léo Thiers-Vidal sont doctorant-e-s ; ils s'expriment au nom du collectif CLASCHES (http://clasches.multimania.com).