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Origine : http://www-durs.u-strasbg.fr/Gazel37.htm
Le harcèlement sexuel : une forme, parmi d'autres, d'abus de pouvoir.
Il est nécessaire que tous les acteurs de l'enseignement supérieur
s'approprient cette question pour que des mesures concrètes soient
mises en œuvre.
La pétition lancée par notre collectif d'étudiant
- e - s, CLASCHES (Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement
dans l'enseignement supérieur), a recueilli à ce jour plus
de onze cents signatures d'étudiant-e-s, d'enseignant-e-s, de chercheur-e-s,
de personnels administratifs issu-e-s de diverses disciplines et de multiples
institutions de l'enseignement supérieur. Un tel écho révèle
qu'un débat sur le harcèlement sexuel dans l'enseignement
supérieur est aujourd'hui possible. Nous nous réjouissons
que ce débat public soit, depuis quelques semaines, enfin ouvert.
Toutefois, la chronologie médiatique, qui fait coïncider notre
pétition et la seule plainte pour harcèlement sexuel déposée
à ce jour par une étudiante (Le Monde du 2 février),
instaure un climat de confusion entre notre mobilisation collective et
cette plainte.
Nous déplorons que, dans plusieurs articles récents, les
revendications générales du CLASCHES soient déformées
et réduites, plus ou moins explicitement, à une mobilisation
autour d'un cas particulier. Le caractère nouveau et exceptionnel
de cette plainte ne doit pas faire oublier la récurrence du phénomène,
autant que les cas dont nous avions connaissance avant de lancer notre
mouvement, et ceux qui nous ont été communiqués depuis.
Il nous semble opportun de rappeler que les enjeux d'une action collective
contre le harcèlement sexuel sont académiques, et non personnels.
Cette confusion dans le traitement des informations traduit les résistances
qui contribuent à occulter le caractère social du harcèlement
sexuel et en dénient l'importance.
Notre objectif est de mettre en évidence le tabou qui pèse
sur le harcèlement sexuel, le manque d'information et l'absence
de dispositifs institutionnels qui permettraient d'identifier, de prévenir
et de sanctionner les cas de harcèlement sexuel dans les universités
et les écoles supérieures françaises. En tant qu'étudiant-e-s,
il est de notre responsabilité de mettre au jour l'existence de
telles pratiques, trop souvent assourdies ou étouffées par
l'institution elle-même. Aujourd'hui, il est nécessaire que
tous les acteurs de l'enseignement supérieur s'approprient cette
question pour que des mesures concrètes soient mises en œuvre.
Nous réaffirmons ici notre volonté de permettre au débat
de s'engager dans des voies constructives.
L'université n'est ni plus ni moins propice qu'un autre lieu au
harcèlement sexuel. Comme dans l'ensemble de la société,
les lois de 1992 (art. 222-33 du code pénal) et de 2002 (loi 2002-73
du 17 janvier "de modernisation sociale") doivent pouvoir y
être appliquées.
Le harcèlement sexuel est une forme, parmi d'autres, d'abus de
pouvoir. Lorsqu'un-e enseignant-e, afin d'obtenir des contreparties de
nature sexuelle de la part de son-sa subordonné-e, lui promet une
situation plus avantageuse, lui inflige une sanction en cas de refus,
il-elle ne se situe pas nécessairement dans une logique de séduction,
mais abuse de toute évidence de sa position d'autorité.
Même si, le plus souvent, cette relation ne s'inscrit pas dans un
rapport salarial, nul ne peut ignorer la relation de dépendance
des étudiant-e-s vis-à-vis des enseignant-e-s (bourses ou
allocations, lettres de recommandation, renouvellement d'un contrat d'enseignement,
intégration dans des équipes de recherche, etc.). Or divers
éléments favorisent l'utilisation abusive du pouvoir conféré
par la position hiérarchique.
La proximité intellectuelle dans la relation pédagogique
est un élément qui brouille les cartes de la subordination.
Les étudiant-e-s peuvent être tenté-e-s de l'oublier
pour mieux s'intégrer au milieu universitaire. C'est particulièrement
vrai des doctorant-e-s, qui sont, potentiellement, les futur-e-s collègues
de leurs professeur-e-s.
En outre, l'absence d'instances disciplinaires statuant sur les cas de
harcèlement sexuel induit un véritable déni de justice.
Tous les acteurs de l'université ne sont pas sur un pied d'égalité.
Négliger l'importance de tels recours revient donc à priver
les étudiant-e-s du droit de dire non. Il ne s'agit pas de réprimer
des désirs ou d'orchestrer une quelconque chasse aux sorcières,
mais de permettre à chacun-e un consentement ou un refus sans équivoque.
Nous avons adressé une lettre ouverte au ministre de l'éducation
nationale, consultable sur notre site. En réponse, M. Lang nous
a adressé une lettre de soutien. Il y inscrit la lutte contre le
harcèlement sexuel dans une volonté affirmée de rompre
avec les abus de pouvoir et le sexisme dans l'enseignement supérieur.
Nous avons également sollicité la Conférence des
présidents d'université (CPU), la présidence du CNRS,
le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche
(Cneser) et les syndicats d'étudiants et d'enseignants. Une journée
d'étude impliquant tous les acteurs de l'enseignement supérieur
est prévue.
Nos propositions suivent trois orientations principales :
- Pour remédier à la loi du silence, nous insistons sur
l'importance d'une politique de prévention du harcèlement
sexuel par le biais de brochures et d'affichage.
- Les instances de régulation des litiges déjà existantes
à l'intérieur de l'enseignement supérieur (section
disciplinaire des conseils d'administration et le CNESER) doivent prendre
en compte sans ambages la question du harcèlement sexuel, en devenant
des lieux d'écoute et de conseil qui accordent de la considération
à la parole des victimes, en permettant un traitement préventif
des cas avant l'exacerbation des conflits, et, le cas échéant,
en appliquant les sanctions disciplinaires actuellement en vigueur (art.
29-1 et 29-2 ajoutés à la loi n° 84-52 du 26 janvier
1984). Afin que ces instances de recours soient fiables, transparentes
et efficaces, il faut en aménager le fonctionnement et la composition
(intégrer une véritable représentation étudiante
ainsi qu'une représentation paritaire hommes-femmes et nommer des
mandataires compétents sur la question et indépendants des
deux parties).
- Puisque le harcèlement sexuel est une forme d'abus de pouvoir
dans la relation entre étudiant-e-s et enseignant-e-s, il est aujourd'hui
plus que nécessaire de soumettre au débat le statut des
étudiant-e-s. Afin de préserver la qualité de la
relation pédagogique, il importe de clarifier les attentes, les
droits et les devoirs de chacun-e au sein du système universitaire.
En effet, le harcèlement sexuel risque d'autant plus de sévir
que la situation des étudiant-e-s sera plus floue et plus précaire.
La réflexion que nous appelons de nos vœux ne saurait donc
isoler la question spécifique du harcèlement sexuel du cadre
plus général de dépendance dans lequel elle s'inscrit.
Notre action vise à en finir avec le déni de justice que
la loi du silence impose depuis trop longtemps aux victimes de harcèlement
sexuel, et à favoriser l'émergence de leur parole. Notre
fonction n'est toutefois pas de parler en leur nom. Le harcèlement
sexuel est un problème social auquel nous souhaitons !
apporter des réponses collectives : trop souvent les victimes de
harcèlement sexuel se voient renvoyées à leur propre
psychologie, par une inversion de l'ordre des causes et des conséquences.
CLASCHES ne propose ni une plaidoirie ni une thérapie, mais une
réflexion politique sur le monde universitaire auquel nous appartenons.
Pour préserver des relations pédagogiques de confiance,
il est impératif de résoudre collectivement le problème
du harcèlement sexuel en tant qu'abus de pouvoir.
Nous espérons, par ce texte, mettre un terme à la confusion
entre les revendications de CLASCHES et un cas particulier qui focalise
l'attention des médias. Cette confusion nous expose au soupçon
d'être manipulé-e-s, instrumentalisé-e-s par les un-e-s
ou les autres, niant ainsi notre autonomie de pensée, voire notre
existence même. Or dénier aux étudiant-e-s le droit
de penser et d'agir publiquement procède de la même logique
que celle qui ignore la parole des étudiant-e-s victimes de harcèlement.
Refuser notre indépendance de pensée et éluder notre
autonomie d'action, c'est vouloir nous garder dans un état de sujétion,
ce même état qui favorise le silence autour du harcèlement
sexuel. Les réactions qui se font entendre aujourd'hui montrent
assez la nécessité de rompre le silence.
Laure Bereni, Coline Cardi, Marylène Lieber,Céline Peyraud,
Léo Thiers-Vidal sont doctorant-e-s ; ils s'expriment au nom du
collectif CLASCHES (http://clasches.multimania.com).
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