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Origine http://www.sosfemmes.com/infos/infos_archive30_humanisme_pedocriminalite.htm
http://sisyphe.org/article.php3?id_article=1364
Le jeudi 21 octobre 2004, en parallèle au débat «
Les résistances des hommes au changement » organisé
par Les Cahiers du Genre à l’IRESCO, avait lieu une séance
de formation à la résistance au changement. En effet,
ce même jour, Le Journal du Droit des Jeunes - Revue d’action
juridique et sociale organisait de nouveau à Paris, à
l’Espace Reuilly, une journée de formation avec M. Hubert
Van Gijseghem, psychologue belgo-canadien, promoteur en France, en
Belgique, en Suisse, au Luxembourg… de thèses dénoncées
par de nombreuses personnes et associations luttant contre la violence
faite aux enfants et aux femmes par les hommes.
Ainsi, l’Association pour la Formation à la Protection
de l’Enfance, dans un texte intitulé « Contre
l’abus de silence », s’inquiétait en 1998
:
« Nous nous étonnons de l’audience que Monsieur
Hubert Van Gijseghem rencontre depuis quelques années, et
nous nous étonnons particulièrement de la place quasi-promotionnelle
que le Journal du Droit des Jeunes lui consacre. Nous pensons que
l’esprit du Journal du Droit des Jeunes et la thèse
de Monsieur Van Gijseghem ne sont pas compatibles. Autrement dit,
nous pensons que le droit de se taire quand on vous détruit
n’est pas un droit, mais le triomphe ironique et cruel du
système agresseur. »
L’AFPE poursuivait :
« Apparemment, Monsieur Van Gijseghem consacre quelques phrases
dans ses textes et quelques minutes dans ses conférences
pour reconnaître que des agressions sexuelles intrafamiliales
sur mineurs existent et qu’elles constituent bien un fléau
social. Mais aussitôt après, sa pensée se développe
dans un tout autre sens et ne va plus se préoccuper désormais
que de pourfendre ce qu’il considère comme des excès
et des dérives en matière de protection de l’enfance.
Il n’hésite pas à dire que c’est la mise
en mots qui constitue l’abus, autrement dit que c’est
la parole qui est le lieu constitutif de la violence. […]
Apparemment, Monsieur Van Gijseghem met en garde contre ce qu’il
appelle les fausses allégations, notamment dans un contexte
de séparation des parents. Au nom de ce qu’il définit
comme un “syndrome d’aliénation parentale”,
il finit par discréditer systématiquement la parole
de l’enfant dès l’instant que ses parents sont
séparés. Ce qui se présentait comme une règle
de prudence est devenue un dogme au service de la surdité.
Apparemment, Monsieur Van Gijseghem dit qu’il faut considérer
la mémoire avec prudence. En fait, il joint sa voix aux tenants
de la théorie dite des “faux souvenirs”. Avec
eux il insiste sur les risques qu’il y a de prendre au pied
de la lettre certaines réminiscences ou certaines images
de l’inconscient, et avec eux il en profite pour nier l’éventualité
d’un retour de mémoire traumatique après un
temps d’occultation. Ici encore, la prudence nécessaire
est priée de laisser la place au déni systématique.
Apparemment, Monsieur Van Gijseghem met en garde contre les effets
pervers possibles des actions de prévention auprès
des enfants. Mais en fait, il ne s'occupe pas de les professionnaliser
d’avantage pour les rendre encore plus rigoureuses, il estime
qu’elles n’ont pas lieu d’être et qu’il
faut les rayer purement et simplement de la carte des écoles
élémentaire et maternelle. Il ne concède qu’une
action préventive en direction d’adolescents “à
risques”, comme si seul l’agresseur potentiel pouvait
bénéficier de ses attentions.
Apparemment, Monsieur Van Gijseghem met en garde contre ce qui
relève à ses yeux de l’acharnement, tant en
matière d’investigation qu’en matière
thérapeutique. Mais en fait, il considère d’une
part qu’il n’est nul besoin d’une thérapie
spécifique pour des enfants victimes d’agressions sexuelles,
d’autre part que leur parole doit rester contenue dans un
espace clos et qu’il n’est nul besoin de la relier à
l’instance judiciaire. »
M. Van Gijseghem n’est pas un psychologue marginal ou isolé.
Professeur à l’université de Montréal,
il est également expert judiciaire (1) et intervient dans
la formation de magistrats, de psychologues, de policiers, de gendarmes
et de travailleurs sociaux dans différents pays. En France,
où il est entre autre conférencier à l’Ecole
Nationale de la Magistrature, un récent rapport du Ministère
de la Justice recommandait qu’une méthodologie introduite
par Van Gijseghem soit utilisée par les policiers accueillant
la parole d’enfants victimes de violences. En Belgique, en
pleine affaire Dutroux, des gendarmes ont été formés
par ce même Van Gijseghem en matière d’écoute
et de recueil de témoignages de victimes de violences. En
Suisse, il est intervenu dans la formation de magistrats et de policiers
du Canton de Tessin et auprès des policiers du Canton de
Neuchâtel.
Malgré les thèses avancées, relativement peu
de critiques ont été entendues et surtout sérieusement
prises en considération. Récemment, le député
socialiste Giuseppe Bill Arigoni a pourtant interpellé –
sans succès - le Conseil d’Etat du Canton de Tessin
concernant l’invitation faite à Van Gijseghem pour
venir former des magistrats suisses : « [c’est] un auteur
controversé, discuté et critiqué pour son ambiguïté,
sa partialité, le manque de fiabilité scientifique
de ses études ». Aux Pays Bas, la journaliste et juriste
féministe Simone Korkus a dénoncé l’idéologie
du syndrome d’aliénation parentale (2) : « Le
plus grand danger lié à l’application du syndrome
d’aliénation parentale est le fait que des cas réels
d’inceste soient maintenus hors de la sphère de l’intervention
de protection des enfants et de l’intervention judiciaire.
La vie de milliers d’enfants risque ainsi d’être
mise en danger ». En Allemagne, le journal féministe
EMMA a signalé le constat fait - lors de la journée
du droit de la famille de 2001 - que « le syndrome d’aliénation
parentale ‘cette soi-disant théorie’ était
non scientifique, car elle ne repose pas sur ‘une observation
systématique’ mais sur ‘un agrégation
de cas où l’imputation de faute était effectuée
de façon monocausale’ ». En France, les journalistes
Laurence Beneux, France Berlioz et Serge Garde ont écrit
: « Plus grave encore, certains ‘experts’ en vogue
- tel le Canadien Hubert Van Gijseghem -, vont même jusqu’à
affirmer qu’en cas d’inceste ‘les effets d’un
dévoilement (basé sur la réalité ou
sur la fiction), d’une investigation et d’une judiciarisation,
sont aussi dommageables que l’abus sexuel lui-même’.
Bref, il serait préférable de ne pas porter plainte.
» Le Collectif Féministe Contre le Viol, dans une interview
publié dans Alternative Santé, a déclaré
: « L’idée de la multiplication des fausses allégations
repose sur la subjectivité des personnes et la parole de
certains magistrats. Un psychothérapeute d’origine
belge, Hubert Van Gijseghem a largement participé à
la propagation de cette idée lors de sessions de formation
organisées en France ces dernières années pour
les professionnels de la maltraitance. » La sociologue féministe
Christine Delphy écrivait - dans le Monde Diplomatique de
mai 2004 - à propos des lobbies masculinistes : « Le
plus souvent, ces groupes de pression agissent de façon souterraine,
en formant des ‘experts’ qui témoigneront devant
les tribunaux, en écrivant des livres de ‘psychologie’
où les avocats des hommes violents et des pères incestueux,
ainsi que les auteures d’ouvrages ‘baquelachiens’,
puisent leurs arguments ». Puis, « Ils argumentent volontiers
sur de ‘fausses allégations’ des enfants ou encore
sur le ‘syndrome des faux souvenirs’. Autant d’expressions
popularisées dans les tribunaux et les écoles de magistrature
par les ‘experts’ Hubert Van Gijseghem et Paul Bensoussan,
notamment ». La pédopsychiatre belge Catherine Marneffe,
quant à elle, s’est inquiétée du fait
que Van Gijseghem s’appuyait sur des écrits de «
pédophiles notoires »…
Outre les thèses avancées, il est en effet particulièrement
inquiétant de constater qu’un tel personnage puisse
former des professionnels de l’enfance et ce malgré
le fait que Van Gijseghem – qui s’appuie sur leurs travaux
- semble considérer les théories pro-pédocriminelles
des psychologues et experts judiciaires américains Richard
Gardner et Ralph Underwager comme exprimant « une approche
humaniste de la pédophilie » - comme il a affirmé
lors d’une conférence à Lyon. Gardner, l’inventeur
du syndrome d’aliénation parentale, considère
par exemple :
« Il est ici pertinent pour ma théorie que la pédophilie
sert des buts procréateurs. Évidemment, la pédophilie
ne sert pas ce but de façon immédiate puisque les
enfants ne peuvent tomber enceinte ni rendre d’autres enceintes.
L’enfant attiré dans des interactions sexuelles dès
l’enfance est susceptible de devenir hautement sexualisé
et de rechercher activement des expériences sexuelles durant
les années précédant la puberté. Un
tel enfant “ chargé à bloc ” est susceptible
de devenir plus actif au plan sexuel après la puberté
et donc susceptible de transmettre rapidement ses gènes à
sa progéniture. [...] L’idéal est donc, du point
de vue de l’ADN, que l’enfant soit sexuellement actif
très tôt, qu’il ait une enfance hautement sexualisée
avant d’entamer sa puberté ».
Underwager affirme quant à lui :
« Les pédophiles dépensent beaucoup de temps
et d’énergie à défendre leur choix. Je
ne pense pas qu’un pédophile ait à faire cela.
Les pédophiles peuvent affirmer fièrement et courageusement
leur choix. Ils peuvent dire que leur volonté est de trouver
la meilleure façon d’aimer. Je suis également
théologien, et en tant que théologien, je crois que
c’est la volonté de Dieu qu’il existe de la proximité
et de l’intimité, de l’unité de la chair
entre les gens. Un pédophile peut dire :’Cette proximité
est une possibilité pour moi parmi les choix que j’ai
faits.’ Les pédophiles sont trop sur la défensive.
»
Il n’est donc pas surprenant de voir que Van Gijseghem semble
être très apprécié par le MEDEF des rapports
hommes-femmes - ces associations réactionnaires de pères
divorcés qui luttent pour maintenir leur droit de propriété
sur les enfants et les femmes – pour lequel il intervient
et qui le citent souvent dans leurs bibliographies et sur leurs
sites internet. Dans une récente interview en Belgique, Van
Gijseghem a exprimé un peu plus explicitement que d’habitude
ses partis pris idéologiques.
Parti pris de parent, tout d’abord, puisqu’il semble
craindre qu’en écoutant et en respectant les décisions
des enfants qui ne veulent plus voir un parent, on renonce à
son pouvoir sur les enfants : « Un meurtre parental [sic]
veut également dire la destruction de la distance entre les
générations, c’est-à-dire parents et
enfants. L’enfant n’est plus un enfant. Et ce que nous
voyons chez les victimes d’aliénation parentale, c’est
que l’enfant – une fois devenu adolescent – prend
le pouvoir, non seulement sur le parent assassiné [sic] mais
également sur le parent aimé… car on a toujours
respecté son choix, on lui a donné raison, on n’est
pas intervenu… donc l’enfant a, pas seulement de façon
virtuelle mais également de toutes les façons…
pris le pouvoir. Et cela aura des conséquences sur la façon
dont il grandira, dont il deviendra adulte. Il aura probablement
du mal avec l’autorité, et souvent avec la loi ».
Parti pris de père, ensuite. Selon Van Gijseghem, depuis
les années ’70 l’intérêt de l’enfant
primerait en matière de droit de garde. « Les hommes
étaient, en tout cas ils le pensaient, d’aussi bons
fournisseurs de soins que les femmes. La justice les a suivi, car
rapidement dans les années ’70, la justice a dit :
« Oui, nous pouvons entendre cela qu’un homme est aussi
un bon maternant, un bon gardien » et là, les experts
sont intervenus, et les experts devaient répondre aux questions
formulées par la justice « Qui est le parent psychologique
? », « Qui était jusque là le meilleur
gardien ? »… et de plus en plus on est arrivé
au constat que le père était le meilleur gardien [sic],
donc, voilà, le meilleur intérêt de l’enfant
».
Parti pris d’homme, également, car il poursuit :«
Assez étonnamment, même si c’est le féminisme
qui a revendiqué cet égalitarisme, c’est également
le féminisme qui n’a rien voulu en savoir, que cet
égalitarisme soit appliqué au droit de garde [sic].
» Puis, « c’est clairement lié au nombre
de divorces, d’abord, mais également au fort succès
que le féminisme a eu sur d’autres domaines, p.ex.
lorsque le féminisme a commencé à dénoncer
la violence conjugale elles ont rencontré un fort succès
sur le plan judiciaire – et c’est une bonne chose –
et, c’est également vrai que tout le phénomène
d’aliénation parentale est en effet lié à
« le bataille des sexes » [sic]. […] C’est
un paradoxe incompréhensible : lorsque l’homme était
assis dans la taverne et le café et ne s’occupait pas
des enfants, alors les femmes hurlaient et disaient « ces
hommes ne se préoccupent pas de l’éducation
des enfants » et maintenant que les hommes veulent s’en
occuper activement, maintenant les femmes sont blessées,
ne sont pas d’accord et elles trouvent que les hommes ne sont
pas qualifiés, ne sont pas aptes pour tenir ce rôle.
»
Parti pris d’expert, ensuite, puisque Van Gijseghem fournit
régulièrement des expertises judiciaires – entre
autre concernant des hommes accusés de violences sexuelles
– et que de ce point de vue il considère nécessaire
que l’aliénation parentale - telle qu’il l’a
repris de Gardner - soit reconnue comme un syndrome psychiatrique
officiel. « L’aliénation parentale n’a
pas encore d’existence officielle car elle n’a pas encore
été intégrée dans nos classifications
officielles. Elle doit être reconnue, elle doit être
nommée pour que les juges puissent en tenir compte. Car une
fois qu’elle aura une existence scientifique officielle, elle
devient un fait. Les juges, je le répète, ont besoin
de faits. »
Finalement, Van Gijseghem adhère sans surprise – mais
non sans opportunisme - à l’idéologie de la
loi « naturelle ». « La parentalité biologique
reste importante car elle est une des racines de l’identité.
[…] Et bien, oui, si le parent biologique est correct, c’est-à-dire
si c’est un bon parent, alors c’est une loi naturelle
qu’un enfant doit avoir des contacts avec ce parent biologique.
Bien sûr, si le parent biologique ne veut pas, et bien, à
l’impossible personne n’est tenu – comme on dit
quelque fois – si le parent biologique ne veut pas […],
alors c’est peut-être mieux que l’enfant reste
loin ou éloigné du parent biologique ».
Loin de la neutralité idéologique dont Van Gijseghem
se revendiquait récemment dans un journal Suisse –
suite aux questions formulées par le député
socialiste Arigoni – affirmant « je suis un scientifique,
un studioso, lui un politique. Nous vivons simplement dans deux
mondes différents », on constate en effet que nous
avons là affaire à un investissement idéologiquement
situé : complaisance envers des écrits pro-pédocriminelles,
thèses hautement problématiques du point de vue des
enfants victimes de violences sexuelles, agenda scientifique influencé
par des pratiques judiciaires… Les quelques éléments
abordés ci-dessus semblent attester du fait que nous avons
là bien affaire à un exemple paradigmatique de la
résistance masculiniste face à la lutte pour la reconnaissance
juridique et sociétale des violences faites aux enfants et
aux femmes par les hommes.
Notes
(1) Pour se faire un avis. [retour au texte]
(2) Pour voir l’utilisation de la notion d’aliénation
parentale en justice. [retour au texte]
Léo Thiers-Vidal, Lyon, France, 26/10/04
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