Origine :http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=6858
Discussion ces derniers jours sur un sujet qui revient souvent
quand on analyse les difficultés pour mener un projet de
changement : "Je n’arrive pas à faire avancer
les choses comme il faudrait, car je n’ai pas l’autorité
hiérarchique pour imposer le changement".
Il est vrai que souvent, quand on montre en exemple les qualités
des leaders qui réussissent, on met en avant des figures
de chefs, qui ont précisément cette autorité
qui semble un atout incontestable pour exercer les talents adéquats.
Pourtant, les dirigeants eux-mêmes constatent combien cette
apparente évidence que l’autorité permet de
mener facilement le changement est une illusion totale : on demande
au dirigeant - voir par exemple en politique, et les débats
en ce moment sur le CPE - de mener le changement, à condition
qu’il ne perturbe pas mes intérêts, mais plutôt
ceux des autres. En fait, les parties prenantes ne partagent jamais
en même temps les mêmes visions du changement.
C’est souvent, au contraire, un déviant, un original,
sans autorité, qui, en apportant d’autres points de
vue, contribue à la transformation du système. On
pense à Martin Luther King, à Gandhi, ou à
d’autres figures moins connues autour de nous, qui, en disant
que "le roi est nu", en montrant les réalités
autrement, bousculent ce qui semblait immuable.
Ce phénomène, appliqué au leadership dans
les entreprises, a été particulièrement bien
analysé par Ronald A. Heifetz dans son ouvrage "Leadership
without easy answers".
Quelle est sa thèse ?
En fait, sans chercher les déviants extrêmes, on connaît
tous ces personnes qui sans entrer dans l’illégalité,
agissent chaque jour aux frontières de leur description de
poste ; elles exploitent ces zones de liberté qui permettent
d’agir au-delà des limites apparemment assignées.
C’est la personne qui, dans un groupe, prend soudain la parole
de manière impressionnante, exposant la situation et les
idées de façon claire et convaincante, et à
laquelle on prête immédiatement attention.
C’est, dans les situations de crise, ou de désastre,
ces personnes qui vont sortir du lot et mobiliser les autres pour
s’en sortir. Regardons autour de nous, rappelons-nous ces
formidables manifestations de solidarité lors des tsunamis
ou catastrophes à La Nouvelle-Orléans.
Elles n’ont pas d’autorité, et leur leadership
va sauver la situation.
En fait, dans les entreprises, ces personnes, en sortant elles-mêmes
des frontières qu’on leur a assignées, vont
aider leur organisation à aussi sortir du cadre, à
se dépasser ; elles sont l’exemple qui déclenche,
en cascade, la transformation de toute l’organisation.
C’est ce phénomène qu’on peut suivre
en observant la vie et les actions de Gandhi, qui a fait changer
profondément les habitudes et attitudes de la communauté
en Inde.
Ronald A. Heifetz en déduit quelques règles pour
réussir ce leadership sans autorité, qu’il considère,
lui, plutôt comme un avantage qu’un handicap.
- Il permet d’opérer sans utiliser sa propre autorité,
et donc de se sentir libre
- Il permet d’être le centre de l’attention sans
danger : pour un détenteur de l’autorité, chacun
de ses actes et attitudes attire aussitôt l’attention
de tous ; pour le leader sans autorité, les actes et attitudes,
même s’ils sont remarqués, ne le mettent pas
immédiatement en danger ; il peut continuer à avancer,
jouer de sa position pour convaincre
- Il permet de mobiliser et d’écouter l’ensemble
des parties prenantes : plus ses arguments sont de qualité,
plus il va perturber les clans et communautés en opposition
ou en conflit, pour modifier les alliances et la donne
- Il permet d’utiliser de manière efficace et libre
toutes les techniques de communication, de se positionner comme
celui qui apprend, explique, fait progresser, dans un but commun
qui se dessine avec tous
En fait, le simple fait de prendre conscience de la force du leadership
sans autorité est le premier pas vers cette confiance en
soi de celui qui veut "changer le monde" sans disposer
de l’autorité. C’est aussi une bonne énergie
pour le consultant, l’expert, le médiateur, qui tente
de faire changer une situation sans autorité sur aucune des
parties prenantes.
Tout est affaire de psychologie, de vision et de conviction.
Intéressante thèse, pour dynamiser et pousser à
l’action cet interlocuteur qui se plaignait au début
de cette note.
De nombreux exemples et analyses sont proposés par Ronald
A. Heifetz, dont l’ouvrage, paru en 1994, a déjà
été réédité plus de trente fois.
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