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La croyance économique : les économistes entre science et politique
de Frédéric Lebaron, Seuil 2000, collection Liber

Origine : http://www.ac-versailles.fr/PEDAGOGI/ses/traveleves/fichlect/lebaron1e.htm

L'objectif de l'auteur est d'analyser de façon critique une catégorie disposant d'un fort prestige aujourd'hui : les économistes. La thèse défendue est que malgré une grande hétérogénéité de positions et de parcours l'ensemble des économistes partage et fait partager une même croyance.

L'économie se donne à voir comme scientifiquement fondée et largement autonomisée. Or ces deux points font l'objet de la critique de F. Lebaron.

D'une part, en référence implicite aux sciences dites dures, il insiste sur le fait qu'il n'existe pas d'accord sur les savoirs et propositions de "base" de cette science; ce qui rend les contours de la catégorie des économistes extrêmement flous. L'auteur parle alors de "mythe de l'économiste" par le simple constat que cette catégorie regroupe des individus présentant des caractéristiques, notamment professionnelles, hétérogènes.

D'autre part, l'auteur souligne la forte corrélation qui existe entre les positions institutionnelles et les choix scientifiques des économistes.

On pourrait penser que ces remarques peuvent avoir quelque validité pour d'autres disciplines universitaires. Mais il apparaît que le propos est plus radical et insiste sur une spécificité du champ de l'économie. C'est, en effet, la combinaison des deux critiques qui semble permettre à l'auteur de dénier tout sens véritablement scientifique aux controverses entre les économistes : "La diversité des croyances économiques qui ont cours dans le champ des économistes semble ne pas renvoyer en premier lieu à des controverses théoriques ou empiriques, mais la dépendance de ce champ par rapport au champ du pouvoir." (p.82)

C'est à partir de ces remarques que F. Lebaron tente d'expliquer l'hégémonie du modèle néo-classique et, dans la même perspective, l'utilisation sans cesse croissante des mathématiques; ces deux éléments étant présentés comme la simple résultante des liens de subordination avec le champ politique : " Une des forces du modèle néoclassique réside, plus précisément, dans la correspondance étroite qu'il entretient avec une croyance politique et bureaucratique où la définition d'objectifs quantifiables commande la recherche de moyens cohérents et "économiques" pour les réaliser, la programmation informatique réalisant ce projet de "contrôle optimal", particulièrement dans le domaine stratégique (économique, y compris avec la planification, ou militaire)." (p.132)

Or c'est par ce recours forcé aux mathématiques que, pour l'auteur, les économistes sont amenés à partager et faire partager une même croyance économique : "La souplesse mathématique de ce point de départ [il s'agit du choix des hypothèses de travail] ne rencontre donc pour seule contrainte absolue qu'un axiome anthropologique : le comportement d'un agent économique peut être formalisé comme étant régi par la recherche de la satisfaction d'un objectif quantifiable, quel qu'il soit, sous des contraintes également quantifiables. […] Ce socle ne fait guère l'objet de discussions et ramène régulièrement la défense des modèles sur le terrain des principes. Le principe de maximisation fonctionne comme l'expression formalisée de la croyance des hommes d'action et des décideurs (financiers, ingénieurs, etc.) selon laquelle le calcul est l'horizon de l'action sur le monde." (p.134) C'est là l'essentiel du propos.

A partir de cette proposition F. Lebaron nie toute possibilité et efficacité d'une quelconque critique interne, c'est à dire venant des économistes eux-mêmes ; ce faisant il réduit l'économie à l'économie néoclassique aujourd'hui dominante : "En réalité, les croyances [notons qu'il s'agit toujours de croyances!] hérétiques ne cessent d'exercer un effet sur la croyance dominante, ne serait-ce qu'en la forçant toujours plus à l'explicitation, voire à l'autodépassement, et en participant ainsi de la dynamique interne de la sophistication des controverses, même les plus apparemment "orthodoxes"." (p.144)

L'auteur présente donc un monde "clos", condamné à la redite sans cesse plus sophistiquée d'une même croyance originelle, et dont on ne peut rien attendre si ce n'est des actions de prosélytisme de la "raison économique" : "…même si les producteurs de croyance économique sont séparés par ce que l'on réduit parfois à des "idéologies" opposées (néolibéralisme, keynésianisme, socialisme, marxisme, etc.), ils participent tous à un même univers et tentent d'y imposer leurs propres croyances économiques : pris dans une lutte pour l'imposition de croyances économiques particulières, ils contribuent tous inconsciemment à faire reconnaître la légitimité de la croyance économique." (p.154) Cette dernière affirmation, qui fait peu de cas de nombreux débats (voir, dans ce même numéro, notre débat sur l'actualité de Keynes), nous semble problématique.

Guy Dreux

contact ses at ac-versailles.fr