|
Origine : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20010521.html
Le sport commercialisé, olympisme inclus évidemment,
obtient sous nos yeux et chaque jour le meilleur de tous les mondes
possibles. Il se permet tout sans jamais rendre de compte. Il impose
ses modèles de réussite et refile aux sociétés
les retombées de ses caprices. Il modifie dans le sens le
plus inquiétant la fierté que des parents peuvent
et doivent éprouver devant les efforts de leur progéniture.
Il utilise par pans entiers l'espace et le temps des médias,
mais sans jamais respecter les critères minimaux de l'information.
Dès lors, on se demande ce que peut espérer la commission
parlementaire de l'Assemblée nationale du Québec quand
elle s'interroge pensivement sur le problème de la violence
dans le hockey mineur. L'État voudrait-il contredire le sport?
Commençons par l'information. Même dans des boîtes
aussi frileuses que Radio-Canada, on encourage le secteur dit sportif
à la prolifération des propos éditoriaux, tout
en exigeant grisaille et objectivité (sic) dans le reste
de l'information. Le sport commercialisé peut, là
presque autant qu'ailleurs, imposer ses normes au monde du loisir
et de l'éducation sans que sursautent les journalistes qu'il
dorlote. Il ne sera d'ailleurs question du sport commercialisé
dans les émissions ou les textes d'affaires publiques qu'à
l'occasion de demandes exorbitantes de la part de clubs professionnels.
Que, le reste du temps, le sport commercialisé banalise la
tricherie, la brutalité, la démesure, le renversement
des valeurs, la récupération politique et les instincts
cocardiers, voilà des détails négligeables
qu'on abandonne aux pages et aux émissions de sports et qu'on
réserve aux scribes qui s'y improvisent sociologues, gestionnaires,
éducateurs et publicitaires.
Enchaînons avec la prétention du sport commercialisé
à échapper aussi aux normes applicables à l'ensemble
de la société. Dans ce monde qui se gargarise de déclarations
sur la saine concurrence, on contourne les lois anticartels avec
une désinvolture qui vaut bien celle des grandes pétrolières.
Quand les millionnaires du sport commercialisé commettent
des agressions criminelles devant des millions de légumineux
téléspectateurs, on trouve normal que la Ligue nationale
de hockey condamme un Tie Domi à quelques dollars d'amende
et le dispense du procès public qui devrait intervenir. Quand
le Comité olympique international (CIO) suggère à
des mégalopoles comme Beijing, Paris, Toronto ou Istanbul
des cures de dépollution ou de nouvelles collaborations entre
le gouvernement et le secteur privé, la confrérie
des thuriféraires du sport s'incline servilement sans s'apercevoir
que la « bande à Samaranch » met les États
à genoux plus qu'un Sommet des Amériques. De même,
personne ne semble s'apercevoir que le CIO réalise déjà
le rêve exorbitant qu'entretenait l'AMI (Accord multilatéral
sur l'investissement) : les États ne constituent des candidatures
acceptables que si, d'avance, ils s'engagent à supporter
seuls les éventuels déficits causés par les
jeux olympiques. Quand on a reproché au projet de la ZLEA
(Zone de libre-échange des Amériques) de vouloir asservir
les États à l'appétit des prédateurs
transnationaux, on a oublié, Jacques Parizeau compris, que
le CIO applique déjà l'AMI. Et quand le gouvernement
canadien soutient la candidature de Toronto pour les jeux de 2008,
il accepte l'AMI tout en s'y disant opposé. Autrement dit,
le sport bafoue le code criminel applicable au reste de l'humanité,
les distinctions usuelles en matière de journalisme et d'information
et estime normal de soumettre les États aux caprices du club
privé qu'est le CIO.
Soulignons dans cette veine l'incohérence des législateurs
québécois. Ils s'inquiètent de la violence
dans le hockey mineur, mais ils n'ont jamais défendu convenablement
l'ancienne Régie de la sécurité dans les sports.
Ils regrettent que le hockey professionnel serve de modèle
aux jeunes, mais ils appellent de leurs voeux des jeux olympiques
qui choisissent leurs disciplines sportives à la place des
États et des éducateurs physiques. La violence au
hockey mineur est un fléau, mais quelle logique y a-t-il
à la regretter quand on permet à un club de cooptés
peu fiables de nous imposer comme modèles la boxe, la descente
de ski, la luge et autres biathlons?
Il y a sévérité de ma part à parler
d'un club de cooptés peu fiables? Allons donc. C'est le banquier
Samaranch lui-même qui promettait un million à chaque
athlète espagnol récipiendaire d'une médaille
d'or et qui accroissait ainsi la pression mercantile sur les athlètes.
C'est de l'extérieur du CIO, de la presse américaine
plus précisément, que sont venues les premières
enquêtes sur le choix des villes hôtesses des jeux.
C'est le CIO qui se mêle de choisir où s'installera
l'Agence mondiale antidopage, alors que le CIO a toujours veillé
à limiter le dépistage. C'est par une nébuleuse
enquête interne que le CIO a prétendu se débarrasser
de ses membres corrompus. L'enquête n'a pas dû aller
très loin puisque l'Indonésien Mahamed Hasan, membre
du CIO et symbole du népotisme de l'ancien président
Suharto, n'a pas encore (à ce jour) été exclu
du CIO même s'il a été condamné le 2
février à deux ans de prison pour corruption.
En somme, le sport commercialisé mange à tous les
râteliers et ses dévôts avec lui. Le chroniqueur
sportif typique - d'heureuses exceptions survivent - profite de
ce que les directions des médias accorde à ce secteur
un statut avantageux de « zone hors contrôle ».
Le chroniqueur sportif peut dire n'importe quoi à propos
du sport puisqu'un éditorialiste ne s'abaissera pas à
parler de cette activité marginale. Il pourra pleurer sur
la pénurie de médailles olympiques canadiennes, déchaîner
la hargne populaire contre le maire qui refuse de payer un deuxième
colisée ou un troisième stade à un club professionnel,
transformer le hâbleur Denis Coderre en phare de la culture,
agiter l'encensoir devant un comité chargé de refaire
ce que la commission Dubin a déjà accompli et qu'on
n'a pas lu, féliciter le CIO du maquillage à saveur
éthique qu'il vient de s'appliquer... On mettrait les freins
au journaliste qui, à Radio-Canada ou ailleurs, distribuerait
avec une suffisance comparable les bonnes notes et les constats
d'échec dans les domaines du budget, des affaires sociales
ou de l'éducation, mais de telles contraintes n'ont pas cours
dans le glorieux monde du sport. Dans cette bulle hors du réel,
les règles usuelles disparaissent et la démagogie
peut déferler sans contrainte.
Le problème, c'est que le sport n'est plus une activité
marginale, s'il l'a jamais été.
|