Date:16 Oct 2004 1
Subject: [multitudes-infos] "Jours de Repentir" : Gaza
baigne dans une mer de sang
"Jours de Repentir" : Gaza baigne dans une mer de sang
6 octobre au soir
Mohammed Correspondant ISM (International Solidarity Movement)
Ca sent incroyablement mauvais ici. Pour descendre n'importe quelle
rue si vous osez vous contournez, ou parfois inévitablement
vous traversez des mares de sang. Il y a des lambeaux de chair humaine
certains d’entre eux sont méconnaissables en tant que
restes humains, partout, sur les toits, collés aux fenêtres
brisées, sur la rue.
La puanteur du sang en décomposition se mélange à
l'odeur plus acide de la chair brûlée ou carbonisée
par les missiles tirés par l'armée israélienne
des hélicoptères Apache fabriqués aux Etats-Unis.
Le ciel est rempli de fumée noire, certaines proviennent
des explosions de missiles, mais bien plus souvent, elles proviennent
des feux incessants de pneus et d'autres débris que les gens
continuent d’alimenter.
La fumée embarrasse les drones de surveillance, sans pilote
et thermoguidés, ainsi faire des feux sur tout terrain relativement
découvert peut attirer les tirs et faire éclater une
bombe relativement sans danger.
Toute cette fumée mélangée à la poussière
de plâtre et de ciment est une bénédiction et
une malédiction. La puanteur de la chair brûlée
et du sang en décomposition masque dans une certaine mesure
l'odeur des eaux d'égout qui s’échappent des
canalisations cassées et des dizaines de milliers de corps
non lavés pendant plus d'une semaine maintenant.
L'eau potable est ici une denrée rare et précieuse
: les bains et les douches sont devenus des luxes impossibles.
Vos yeux pleurent inévitablement de toute cette fumée
: mais alors, cela vous protège un tout petit peu des vues
les plus poignantes les parties du corps reconnaissables - un bout
de jambe, une partie évidente d'un torse, et des doigts :
des doigts plus effrayants, plus individuels, plus reconnaissables
que vous n’avez jamais vu.
Des équipes de volontaires ramassent ces fragments humains
et les apportent aux deux hôpitaux de Jabalya mais les ambulances
ne peuvent probablement pas suivre avec la pléthore de nouvelles
victimes et de blessés.
Il y a partout des cortèges funèbres, et les "maisons
de deuil », des tentes pour les familles touchées sont
installées afin qu’elles puissent recevoir leurs familles
et amis. En fait, bien que, chaque maison ici, qu’elle soit
relativement intacte et en partie ou complètement détruite
par les tanks et les bulldozers de l’IDF, est une maison du
deuil.
Et rien ne vous protège du bruit : les larmes et les lamentations
des mères et des pères, des maris, des épouses
et des enfants des morts, les cris perçants des blessés,
les hurlements des sirènes des ambulances, les tirs des snipers,
le bruit mat du tir d’un tank et les explosions trop-fréquentes
comme un autre bombardement d’Apache.
Le temps est déformé ici : les heures semblent durer
des jours, les jours comme des semaines ou des mois. C'est le camp
de réfugié de Jabalya au nord de la Bande de Gaza,
un des endroits les plus peuplés au monde où 106.000
hommes, femmes, et enfants, dont la grande majorité d’entre
eux sont des civils non-armés, est soumise à des attaques
globales pendant plus d'une semaine maintenant.
La position officielle d'Israel est que ce carnage est une "réponse"
aux « militants palestiniens » qui tirent des roquettes
Qassam faites maison sur la ville israélienne de Sderot la
semaine dernière, une roquette qui a tué deux enfants.
En fait, les premiers tanks grondaient dans Jabalya quelques heures
avant l'attaque de roquette sur Sderot, et nous observions, tous
alarmés par la multiplication des forces israéliennes
au nord de Gaza depuis plusieurs semaines : 2000 troupes nouvelles,
plus d’une centaine de chars supplémentaires et des
bulldozers.
C’est seulement quand je m'assieds pour préparer mes
notes prises ici au cours de ces derniers jours que la cruauté
du nom de l’IDF pour ces dernières attaques «
Jours de Pénitence » me frappe. Ils ne massacrent pas
seulement des civils non-armés mais le langage lui-même.
"Penitence," tel que je le comprends, est le remord volontaire
pour avoir mal agi. Ce massacre est-il censé provoquer le
remord à ses victimes? Sont-ils censés pleurer les
décès de quatre ou cinq soldats israéliens,
et deux enfants israéliens et accepter la mort de plus de
60 civils palestiniens comme un certain type de justice?
À ceux qui parmi nous sommes piégés à
Jabalya, cela ressemble à « Jours de Vengeance. C’est
incontestablement une punition collective et illégale selon
les conventions de Genève.
Peut-être, ne devrions-nous pas être étonnés.
Le premier ministre israélien Ariel Sharon a annoncé
que cette attaque durerait "aussi longtemps que nécessaire,"
c'est-à-dire, jusqu'à ce qu'il n'y ait "plus
de danger" de la part des roquettes faites maison par la résistance
palestinienne.
Sharon, naturellement, a organisé les massacres de Sabra
et de Shatila il y a plus de vingt ans. Maintenant, il fait plus
ou moins la même chose, mais avec des armements énormément
améliorés.
Bien sûr, les factions militantes existent, et ont frappé
ici et là au cours de cette dernière semaine mais
elles sont énormément dépassées en nombre,
sans mentionner l’armement, par les Israéliens. Le
Hamas, de son côté, a distribué des tracts dans
la ville de Gaza promettant de continuer les attaques de roquettes
sur les colonies israéliennes illégales à Gaza
et sur toutes les villes et cités israéliennes que
leur « artillerie » faite maison peut atteindre aussi
longtemps que les incursions israéliennes continueront.
Les protestations internationales ont été assourdies,
et bloquées par le soutien des Etats-Unis à Israel.
La seule, faible voix du département d'Etat des USA a invité
Israel à garder sa "réponse" "proportionnelle",
après, naturellement, le mantra obligatoire,"Israel
a le droit de se défendre.." Une résolution avec
des mots forts condamnant l'attaque a été présentée
devant l'ONU en début de semaine et a été mise
en échec par le veto des USA.
C’est difficile de tenir des données précises
sur le nombre de victimes : le chiffre le plus récent semble
être 80 Palestiniens tués (20 d'entre eux étant
des militants revendiqués par le Hamas) et plus de 200 blessés.
Incontestablement, avant que cela soit imprimé, les chiffres
seront plus élevés.
Il n’y a aucun abri ici à Jabalia. Les hôpitaux
sont chaotiques, les approvisionnements sont insuffisants et tout
le personnel médical travaillent vingt-quatre heures sur
vingt-quatre depuis des jours maintenant.
J’ai vu Abu Nedal, le père de Nedal Al Madhown, un
garcon de 14 ans, qui lutte pour garder son calme pendant qu'il
demande aux médecins épuisés et aux conducteurs
d'ambulance : "Est-ce que mon fils a été tué?
Il a été tué?" (en fait, le garçon
était mort à son arrivée.) La majorité
des morts et des blessés sont des adolescents et des enfants,
des non-combattants évidents.
J'ai interviewé le Dr. Mahmoud Al Asali, directeur d'hôpital
de Kamal Adwan, qui m'a dit il a été forcé
de supposer que l'armée israélienne visait délibérément
des civils. Il a dit que la plupart des blessés par arme
à feu étaient blessés dans les parties supérieures
de leurs corps, indiquant que les tireurs d'élite israéliens
doivent avoir des ordres de tirer pour tuer.
Les médecins palestiniens ont retiré beaucoup de
fléchettes des morts et des blessés, indiquant que
l’IDF utilise des bombes à fragmentation illégales.
Celles-ci libèrent des fléchettes acérées
comme un rasoir lorsqu’elles éclatent.
Le Dr. Al Asali dit que ces dispositifs à fragmentation illégaux
augmentent considérablement le nombre de décès
et le nombre et la gravité des blessures. L’IDF a refusé
de donner ses commentaires à ce sujet.
Le personnel de l'hôpital et les équipes d'ambulance
sont ainsi étendues à l’utilisation de volontaires
pour la tâche horrible de rassembler, de trier, et de recomposer
les restes humains dispersés pour les rendre autant que possibles
aux familles.
Un de ces employés médicaux, Ahmed Abu Saall, 26
ans, de l'hôpital de Kamal Aswan, m'a indiqué que,
"la difficulté énorme que nous devons affronter
est que ces bombes puissantes peuvent disperser les parties d'une
simple victime sur un secteur large. Il est presque tout à
fait possible de retrouver des parties d'une personne à l'hôpital
Al Awda, à l'est du camp, alors que d'autres parties de la
même personne sont ici du côté ouest." Parfois
les morceaux de vêtements peuvent aider à recomposer
le corps.
L'armée israélienne a fréquemment tiré
sur les équipes médicales et les journalistes. Jusqu'ici,
deux conducteurs d'ambulance ont été blessés,
et un cameraman de l'agence Ramatan a été blessé.
Naturellement, les équipages d'ambulance et la presse portent
des vêtements pour les identifier.
Israel a fermé toutes les frontières dans Gaza et
a sévèrement limité tout mouvement dans la
Bande de Gaza.
Il y a trois "zones" principales séparées
par des check points militaires fermés, mais depuis ces derniers
jours, on voit de nombreux nouveaux points de contrôle et
des routes fermées par des blocs de béton et des obstacles
de sable.
Les gens ne peuvent pas se déplacer entre les villes, ni
même les ambulances qui emmènent des patients vers
les hôpitaux. D'ailleurs, la principale frontière entre
Israel-Gaza est fermée, même aux ONG internationales,
aux groupes d’aide humanitaire et aux journalistes étrangers.
Tout intense que l'attaque militaire ait été, et
continue d’être, ce n'est certainement pas le seul danger
pour la population d’ici. De nombreuses familles sont maintenant
sans nourriture et sans eau depuis des jours. A Tal Al Zattar, la
partie orientale de Jabalya, j'ai interviewé Umm Ramzi, une
vieille dame qui m'a parlé à travers le trou béant
que un obus de tank a laissé dans sa maison. "Nous avons
fait appel à la Croix Rouge, pour sauver nos vies et les
vies de nos enfants, mais personne n'a répondu."
La plupart des employés des ONG et des organisations humanitaires
qui ont logiquement assez, admettent qu’elles ne peuvent pas
les obtenir en traversant les lignes militaires israéliennes
qui entourent complètement Jabalya, bien qu'elles se rendent
bien compte que les civils aient besoin d'aide. Je suis parvenu
à joindre au téléphone le porte-parole du Comité
International de la Croix Rouge (CICR), Simon Schorno qui m'a dit:
"Je suis maintenant en route pour Gaza. Nous avions parlé
à l’IDF pour obtenir l’autorisation d'apporter
de la nourriture et de l'eau, mais nous ne pouvions pas obtenir
un accord pour une distribution complète de produits alimentaires.".
En ce qui concerne l'absence de la Croix Rouge au cours de ces
derniers jours quand beaucoup de familles étaient dans le
besoin pressant, M. Schorno a dit : "C’est terrible.
Nous essayons de faire de notre mieux pour obtenir de la nourriture
et de l'eau à l'intérieur, mais les rues endommagées
nous retarde également pour atteindre la population."
Un certain nombre de témoins oculaires parmi les résidants
du camp m'ont dit que l'armée israélienne contrôlaient
plusieurs hauts bâtiments et que les snipers tiraient automatiquement
sur tout ce qui bouge. Une des victimes les plus récentes
est Islam Dweidar, 14 ans, qui a tenté sa chance lors d’une
accalmie apparente des tirs pour aller acheter du pain pour sa mère.
Elle a été abattue d’une balle dans la tête
par un tireur isolé israélien.
Dans la partie méridionale de la bande de Gaza, l'armée
israélienne a augmenté le nombre de tanks et de bulldozers
dans tous les quartiers de Khan Younis et Rafah. Ils ont bombardé
chaque nuit, faisant de nombreux blessés et tués.
Ce matin, j'ai parlé par téléphone au Dr. Ali
Mussa, directeur de l'hôpital Abu Yousif Al Najjar à
Rafah qui m’a annoncé qu' Eman al Hums, 13 ans, avait
été tuée par les tirs d’un sniper israélien.
Il a dit : "l'enfant est arrivé à l'hôpital
après avoir été criblé de 20 balles
dans différentes parties du corps, dont 5 dans la tête."
Les témoins oculaires palestiniens ont indiqué que
Al Hums avait été tuée alors qu’elle
allait à l’école avec deux autres écolières.
Au début, dans les communiqués aux médias,
l’IDF a indiqué qu'elle installait une bombe; plus
tard, ils ont été forcés d’admettre que
l'accusation était fausse.
Ces attaques en cours sont maintenant bien pires que la soi-disant
opération "Arc-en-Ciel " en mai dernier, qui avait
tué 40 personnes à Rafah et provoqué un tollé
international. Maintenant, le silence de l'Amérique, en particulier,
semble pardonner et transformer la Bande de Gaza en un champ de
massacre. Sharon a bien choisi son moment, quand l'Amérique
est préoccupée par sa campagne présidentielle
et son invasion de l'Irak, pour décimer les enfants de Gaza.
Combien d’autres doivent mourir avant que le monde dise quelque
chose ?
Traduction : MG pour ISM-France
m u l t i t u d e s - i n f o s
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Site Web de la revue multitudes : http://multitudes.samizdat.net
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