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Date: Tue, 16 Nov 2004 12:49:54 +0100
Subject: [infozone_l] derriere le mot camp
<http://pajol.eu.org/article675.html>
Derrière le mot camp migreurop, 16 novembre 2004
L’usage du terme camp continue de faire débat pour
désigner les formes contemporaines d’enfermement et
d’exclusion des étrangers [1]. Il permet pourtant de
conjuguer rigueur sémantique, analytique et dénonciation
militante.
Avec les déclarations d’Otto Schily et Giuseppe Pisanu,
ministres allemand et italien de l’Intérieur, qui,
le 12 août 2004, ont appelé à la création
de« portails » en Afrique du nord pour les migrants
souhaitant atteindre les rivages de l’Europe, la question
des camps d’étrangers a fait de nouveau irruption dans
les préoccupations de tous ceux qui à titre divers
(fonctionnaires et élus européens, dirigeants nationaux,
associations, ONG, activistes...) s’intéressent à
la politique communautaire d’asile et d’immigration
[3]. Alors que le programme adopté en la matière par
les chefs d’Etat et de gouvernement pour les cinq prochaines
années (dit « programme de La Haye ») est potentiellement
porteur de régressions inquiétantes pour les demandeurs
d’asile et d’une vision sécuritaire et utilitariste
pour l’ensemble des migrants, une querelle sémantique
fondée sur un différend éthique menace l’indispensable
front commun de tous ceux qui défendent les droits des étrangers.
Cette querelle porte sur l’usage, notamment par le réseau
Migreurop, du terme « camp », suspecté de véhiculer
de douteux amalgames.
Pourtant, jamais dans les écrits ni les prises de paroles
des membres du réseau Migreurop qui est à l’origine
de l’Appel européen contre les camps [3], il n’est
fait de parallèle entre les desseins actuels de l’Union
européenne, c’est-à-dire l’enfermement
contemporain des étrangers sur le territoire et aux marges
de l’UE, et les camps d’extermination de la Seconde
guerre mondiale. Cet amalgame empêcherait toute compréhension
de la nature des camps contemporains. Il ne s’agit pas pour
autant de s’interdire le recours aux comparaisons historiques
: les mécanismes à l’oeuvre dans les camps d’aujourd’hui
étaient, par exemple, déjà au principe des
« camps de la plage » que la France réserva en
1936 aux républicains espagnols.
Si, avec d’autres, nous avons choisi, depuis la dénonciation
des dénis de droit (et notamment celui de demander l’asile...)
et des conditions d’existence des réfugiés de
Sangatte d’utiliser le mot camp, c’est pour une double
raison :
1. L’utilisation euphémisée de termes tel
celui de « centre » ne permet pas de rendre compte de
la réalité de rassemblements humains qui ne doivent
rien à la volonté des exilés mais beaucoup
plus à une politique systématique d’empêchement
de la circulation et de l’installation de personnes fuyant
la guerre, les persécutions ou la misère. Le mot camp
est utilisé pour rendre compte, dans des périodes
qui peuvent être antérieures aux expériences
totalitaires, de l’assignation de fait à résidence
(et donc de la privation de droits) de populations pour des motifs
politiques. Cette acception du mot camp explique pourquoi il n’est
jamais venu à l’idée de personne de prétendre
que le HCR, avec ses camps de réfugiés, insulterait
la mémoire des victimes de la Shoah... Pour décrire
les situations et projets actuels, la presse s’est d’ailleurs
emparée du concept, rapportant, pour s’en réjouir
ou s’en inquiéter, les projets de création de
camps (sans guillemets alors qu’elle les utilise pour pointer
l’hypocrisie des expressions officielles qui parlent de «
points de contact »ou de « centres de transit »).
Au point que le commissaire européen chargé des questions
d’immigration, Antonio Vitorino, a cru devoir faire un rappel
à l’ordre lexical, le terme « camps »,
trop explicite, étant jugé politiquement incorrect
[4].
2. Migreurop se sent d’autant plus légitime à
lancer le concept de camp dans le débat public que, depuis
de longues années, la recherche sur ce thème est un
domaine très fécond de l’historiographie contemporaine
[5]. Si les controverses ont parfois été très
rudes quant à la caractérisation des spécificités
du régime nazi et de ses camps d’extermination, il
n’est venu à l’idée de personne que le
mot camp devrait être réservé aux études
sur le phénomène concentrationnaire sous le nazisme.
De même c’est aujourd’hui un acquis non contesté
des recherches en histoire contemporaine que le recours à
l’utilisation de camps n’est pas l’apanage des
régimes totalitaires, ni même dictatoriaux, mais est
fréquent dans de démocraties se croyant cible d’un
danger extérieur [6].
C’est pourquoi, en utilisant le terme de camp, nous pensons
non seulement faire oeuvre de dénonciation militante mais
aussi de rigueur lexicale. Là n’est pourtant pas notre
principal objectif : quand Migreurop publie une Carte des camps
d’étrangers en Europe et aux frontières de l’UE,
c’est pour démontrer que les projets qu’il dénonce
avec les cosignataires de l’Appel européen contre les
camps aux frontières de l’Europe ne sont ni le futur,
ni le passé, mais le présent d’une Union européenne
qui place l’enfermement des étrangers au coeur de ses
projets en matière d’asile et d’immigration.
Notes
[1] Dans l’éditorial de sa livraison d’octobre
2004, la revue de l’association française Forum Réfugiés
regrette que « Les mots et les notions circulent sans précaution
et perdent leur sens (...) on mélange allègrement
les centres d’accueil et les "camps", en oubliant
de manière scandaleuse qu’on n’y pratique pas
"la porte d’entrée" de la même manière,
et en insultant tous les morts de l’extermination ».
De la part d’une association qui se dit fermement opposée
aux projets dénoncés par l’Appel européen
contre la création de camps aux frontières de l’Europe
et à la politique d’externalisation de la procédure
de demande d’asile, fondement des projets communautaires en
matière d’asile, un tel rappel à l’ordre
lexical et une telle instrumentalisation de la mémoire des
morts de la Shoah étonnent.
<http://www.forumrefugies.org/pages/journal.htm#edito>
[2] Rappel des chronologies de cette initiative et de l’initiative
anglaise de 2003, ainsi que des différentes réactions
: <http://pajol.eu.org/rubrique43.html>
[3] Appel (en plusieurs langues) <http://no-camps.org/>
[4] Sur le sujet voir notamment « L’Europe financera
des "centres" de réfugiés en Afrique du
Nord », Le Figaro, 2 octobre 2004.
[5] Pour une synthèse sur le sujet voir : WIEVIORKA Annette,
« L’expression "camp de concentration" au
XXe siècle », pp. 4-12, in Vingtième Siècle,
Revue d’histoire n°54, avril 1997.
[6] On peut évidemment penser aux Etats-Unis actuels (cf
sur Guantanamo, BUTLER Judith, Détention illimitée,
Vacarme,n° 29, automne 2004 <http://vacarme.eu.org/article458.html>)
ou de la Seconde guerre mondiale (enfermement des ressortissants
japonais) mais si l’on se réfère à la
seule France l’historiographie est riche, des camps de la
Première guerre mondiale à ceux de la guerre d’Algérie,
en passant par l’enfermement des réfugiés espagnols
à la fin des années 30 : PESCHANSKI Denis, La France
des camps. L’internement 1938-1946, Gallimard, 2002 ; FARCY
Jean-Claude, Les camps de concentration français de la Première
guerre mondiale (1914-1920), Anthropos, 1995 ; THENAULT Sylvie,
Interner en République : le cas de la France en guerre d’Algérie
<http://www.univ-brest.fr/amnis/pages_francais/ archive_article_annee.php?annee=2003>
Date: Sat, 20 Nov 2004 18:15:22 +0100
Subject: [zpajol] Re: derriere le mot camp
1° Pour ajouter un peu deau à ton moulin, deux questions:
a) quelqu'un pourrait-il vérifier que l'expression "camp
de concentration" a été utilisée pour
la première pour les lieux où les Anglais enfermaient
leurs ennemis pendaant la guerre dite des Boers (début des
années 1900)?
b) Quel est letitre et le réalisateur d'un film récent
d'un film sur les camps où on aenfermé les réfugiés
espagnols? On y voit des titres de journaux où ladite exprression
figure en toutes lettres.
2° Le serveur de l'Université de Brest m'a répondu
qu'il n'avait pas l'article de Sylvie Thénault.
Martin
ZPAJOL liste sur les mouvements de sans papiers
* archives : <http://news.gmane.org/gmane.politics.activism.zpajol>
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