Message Internet
Date: 20 Août 2003
Pour info : Ci-dessous bilan "Larzac" de 2 militants de No Pasaran
transmis par un camarade libertaire.
A +
D ….
Voilà un compte-rendu/analyse du Larzac par P. et moi, nous le
remanierons pour le mensuel (notamment le paragraphe de fin).
Toute remarque et proposition de rajout est bien sûre la bienvenue.
a+
B.
Retour du Larzac le 8-10 août 2003
La contestation sur un plateau
Plus de 250.000 personnes présentes au Larzac, quel succès
!
Même si certaines ont fait l'aller retour pour seulement applaudir
Manu Chao, on a senti que la marmite était bouillonnante chez
la grande majorité des personnes présentes. Les décisions
du gouvernement Raffarin de mettre la pédale douce à la
rentrée s'explique par le fait qu'il pourrait y avoir du grabuge
lors des prochains conflits sociaux. Mais au-delà du succès
du rassemblement de nombreuses critiques se font entendre quand à
la philosophie qui l'a animé : marchandisation du lieu, gigantisme
et organisation d'une politique spectacle.
Marchandisation des milieux militants
Il nous semble que ce point est important à traiter et à
réfléchir car les discours alternatifs et anti-OMC ou
sur "le monde qui n'est pas une marchandise" trouve là
leur limite dans l'organisation et la forme ainsi que dans une réflexion
concrète sur une alternative au profit et à l'argent roi.
On peut difficilement séparer les deux problématiques
- les revendications politiques et le fonctionnement d'un tel rassemblement,
qui doit aussi être la vitrine de la société que
nous souhaitons comme simple organisation des ressources essentielles
pour les multitudes. En dehors des prix prohibitifs pratiqués
par les marchands "bio" ou par les espaces gérés
par les organisateurs (les bars), il s'agit aussi de s'interroger sur
le rapport entre la sphère professionnelle et l'engagement militant.
Ce sont les producteurs - locaux ou d'ailleurs - qui vendaient leurs
produits tout en dégageant de confortables marges bénéficiaires.
Le prix général des boissons au comptoir oscillait entre
2 et 4 euros, la bouffe était également chère.
Nous avons calculé qu'un repas (vraiment) minimal en calories
revenait de 12 à 15 euros par jours en tablant sur les prix les
plus bas seulement. L'eau était extrêmement rare (+) :
il fallait attendre une heure en plein soleil pour accéder à
la citerne (eau gratuite) ou bien acheter une bouteille d'eau minérale
de 3 à 5 fois son prix en hypermarché.
La conf' paysanne se défend néanmoins de tout calcul financier
concernant la gestion de l'eau : c'est la Préfecture qui n'aurait
pas donné son accord pour le stationnement d'autres citernes.
L'autre problème majeur a été lié à
la question des bénévoles, qui se sont plein d'avoir été
traités comme des sous-employés par le staff' organisationnel.
Celle-ci se défend encore en parlant du faible nombre des volontaires
ainsi que du stress engendré par l'organisation d'un tel événement
et la crainte de se faire dépasser par le nombre, ce qui peut
se comprendre soit dit en passant. Mais ce sont néanmoins les
organisateurs qui ont recherché un tel gigantisme, en invitant
des "stars" musicales par exemple ou en verrouillant l'organisation
- soit tu obéis, soit tu ne fais rien. Et il reste chez bon nombre
de participants un goût souvent amer - qu'est-ce que ce "meilleur
des mondes" où l'on a moins de droits que le salarié
quidam et où l'on nous propose d'être spectateur des stars
de la politique ou du spectacle ?
Richesses et multiplicité
Si le lieu nous a donné parfois l'impression d'être une
gigantesque foire, dès qu'on abordait la verticalité des
situations, au coin de l'un des derniers feux du jour, sous les chapiteaux,
aux stands ou dans les cuisines autogérées/prix libre
on se rendait compte de la richesse des situations.
Il nous est guère possible de faire un compte-rendu exhaustif
de toutes ces rencontres mais voilà quelques aperçus :
- une partie des débats a tourné autour de l'OMC et de
la conférence de Cancun les 10-14 septembre. C'était bien
évidemment le prétexte du Larzac.
L'accord en préparation dans ces couloirs aseptisés -
l'AGCS (accord général des commerces et services) - prévoit
ni plus ni moins la disparition des services publics et de tout investissement
étatique destiné à réduire les inégalités.
Ce type de débat était notamment animé par ATTAC,
selon un mode professoral : un expert parle et ses tirades les plus
lyriques sont applaudies par une foule déchaînée
;
- les intermittent-e-s se sont également réunis pour faire
un point sur leur mobilisation (v. dossier dans ce numéro). Ils
ont également animé des spectacles "off" : pantomimes,
jonglages, théâtre, musique.
- retour sur les grèves et les luttes sociales du printemps.
Les interventions étaient souvent très combatives et tournées
autour de la nécessité de faire converger les luttes et
de développer l'interco ;
- beaucoup de place laissée aux collectifs internationaux : ainsi
les Kurdes se réunissaient en congrès à cette occasion,
les stands étaient quasi-déserts de visiteurs même
si individuellement on a pu parler des problématiques liées
à la revendication d'un grand Kurdistan. Si les Kurdes rencontré-e-s
étaient contents de la chute de Saddam Hussein les soucis actuels
portent plutôt sur le degré de répression en Turquie.
La torture continue ainsi que les déportations. L'espace Kurde
a mieux fonctionné le dernier jour car une fête très
enjouée a attiré du monde ;
- Des collectifs en soutien à la Palestine organisaient une exposition
des violences commises par T'sahal. No comment ;
- Parmi les films présentés : Parole de Bibs présentaient
des ouvriers qui commentaient le livre de François Michelin,
en comparant ses assertions avec leur vie réelle ; le film a
visiblement beaucoup marqué les spectateurs et effet de foule
ou pas une certaine tension et émotion était palpable
à la fin (en tout cas on vous le conseille, pour une fois un
film dynamique et non pas misérabiliste sur la condition ouvrière)
;
- les rencontres étaient également sur les stands politiques
; à celui de No Pasaran nous avons pratiqué le prix libre
sur de nombreux supports de diffusions politiques mais au-delà
de ça, ce sont les contacts humains et les discussions qui ont
primé - comment s'organiser, ne faisons nous que du bricolage,
discussions sur la construction des genres, l'autogestion, la gratuité,
le travail.
- etc. Il y a autant de parcours que d'individus.
No Vox et le démontage du stand du PS
Le chapiteau No Vox a également regroupé des individus
et des collectifs de luttes de sans papiers, de chômeurs ou de
précaires. dont certains sont réunis dans le réseau
du même nom. No Vox a en effet pour dessein de fédérer
lors de moments forts les luttes des sans- (terres, domiciles, papiers,
ressources.) De nombreux débats ont eu lieu pendant ces trois
jours dont :
- de nombreuses informations sur le RMA - Revenu minimum d'activités
- qui va être débattu dès l'automne à l'Assemblée
nationale. Les moyens d'actions ont été également
débattus ;
- un débat extrêmement houleux sur la religion et les mouvements
sociaux : la jeune femme qui s'exprimait au nom du Mouvement des jeunes
musulmans a été en effet tancée par des personnes
qui ne supportaient ni le port de son foulard ni la religion en général.
Le débat n'a pas pu réellement aboutir, mais peut-on exclure,
et au nom de quoi, des personnes qui veulent participer en toute bonne
foi (sans jeu de mots) à des collectifs, sous prétexte
qu'elles croient en Dieu ? Le summum du ridicule a été
atteint avec un jeune universitaire, le menton en avant et droit dans
ses bottes, style Philippe Val, qui pérorait sur la supériorité
de la civilisation grecque. Bel exemple quant on sait que cette société
excluait les femmes de toute décision politique, et où
50% de la population était réduite en esclavage. L'intervention
du maire PCF de Montreuil concernant l'exclusion des croyants hors de
tous mouvements sociaux a été longuement applaudie par
une partie de l'assemblée (et huée par l'autre) ce qui
fait froid dans le dos lorsqu'on sait que ce même maire expulse
les sans-papiers et sans domicile, fait toutes les crapuleries possibles
pour casser les mouvements, et en plus s'en vante devant une assemblée
déchaînée. Ce qui nous conduit naturellement à
parler du démontage du stand du PS, qui a fait tant baver par
la suite. Il faudrait se justifier.mais non en fait. L'amnésie
et l'hypocrisie développées à ce point étant
insupportables, nous invitons les belles âmes à se renseigner
sur le monde qui les entoure ;
- Le PS est "notre ami" donc, et les personnes qui se sont
succédées lors de la dernière assemblée
de No Vox nous l'ont rappelé : répression, expulsions,
refus d'augmenter les minima sociaux, suicides en prisons. Une longue
série de rencontres avec les victimes des gestions de la gauche
qui nous a permit de fixer des rencontres dès automne.
Apparition limitée pour les libertaires
Qu'en est-il des libertaires. Les stands des organisations présentes
(AL, CGA, CNT, FA, No Pasaran, OCL) étaient situées dans
un coin et le moins qu'on le puisse dire c'est qu'on ne la guère
quitté. Si il y a bien eu le démontage du stand du PS
et l'apéro de la CNT. Mais les libertaires n'ont organisé
aucun débat, aucune rencontre avec des collectifs de luttes ou
encore entre nous. Après le silence du VAAAG sur la question
nous avons encore choisi la politique de la chaise vide en ce qui concerne
les débats et les propositions politiques, en apparaissant que
très peu, ou pas, pendant ceux qui étaient organisés
pendant le Larzac. Difficile d'en cerner les raisons : peut-être
un culte non avoué du minoritarisme, dès que du monde
est présent c'est forcément que c'est "pas bien".
En tout cas, on pourra toujours récuser l'étiquette de
"légèreté politique" qui nous est collée
sur le front, mais nous saurons pourquoi elle est là désormais.
Ce refus de la conflictualité d'idées pourrait en tout
cas, et même à court terme, nous être très
dommageable. En terme de crédibilité politique avant tout.
L'une des conséquences risque d'être le suivisme, encore
une fois, lors des prochains mouvements sociaux. Si nous ne lions pas
nos pratiques et nos idées avec du sens politique nous ne risquons
guère de convaincre qui que ce soit. Qu'avons-nous à dire
sur le travail, l'immigration, le revenu garanti ? Caca réformiste
pour ce dernier ? Et alors on propose quoi ? Cotiser 32 ans au lieu
de 37,5 voire 42 maintenant, la politique "du toujours moins"
sans remettre en cause la centralité du travail et la déconnexion
des ressources essentielles (par leur gratuité ou le revenu garanti)
de l'emploi. On veut réformer le réformisme sans révolutionner
la place elle-même que nous avons au sein de la "société",
enfermé-e-s que nous sommes dans le diptyque producteur-consommateur.
Si nous avons choisi de ne pas peser politiquement pendant le Larzac,
drapés dans la suffisance de notre étendard noir et rouge,
une initiative nous a permis néanmoins de sauver les meubles
- la cuisine prix libre et autogérée dans laquelle des
personnes des collectifs VAAAG (Nîmes, Montpellier), de la CNT
et de No Pasaran étaient impliquées. Nous avons pu ainsi
mettre en pratique nos idées d'autogestion et de démocratie
directe, en pratiquant un prix libre qui a permis aux personnes fauchées
de pouvoir avoir un repas équilibré et végétarien.
Toujours la quête du sens.
Si de nombreuses personnes ou collectifs venaient pour se retrouver
après les luttes récentes, et se caller pour les suivantes,
on peut également retenir, de ces journées passées
aux stands, aux débats, à parler ou à répondre
aux questions, la formidable quête de sens politique qui est en
train de se produire. Après l'abandon des syndicats de cogestion
lors des derniers mouvements et le black out de la gauche ex-plurielle
qui considère indépassable le dogme libéral beaucoup
de personnes se documentaient à tous les stands, voire dans quel
groupe, parti ou syndicat s'engager. Une des questions entendues, dans
la bouche de personnes agrippant des stands bariolées, c'est
"et vous, que proposez-vous ?" ou bien encore "je vais
voir, je n'ai pas encore fait mon choix". Quant on répondait
"et vous que voulez vous faire ?" les personnes rebroussaient
chemin, nous prenant pour les demeuré-e-s qu'on est peut-être.
D'autres nous demandaient des termes techniques très précis
("et ça va pas nous coûter cher la gratuité
?") Les vieilles représentations politiques ont la peau
dure et l'engagement idéal, clé en main, était
parfois âprement recherché. La vérité, le
bon chemin vers le grand soir ou sinon remboursez ! Mais les idoles
de demain seront les déchus du surlendemain, et croire que qu'un
groupe et qu'une personne détient LA CLE, LA VERITE c'est encore
se préparer à de cruelles désillusions. Témoin
toutes les personnes qui ont pleuré, vibré lors du discours
de clôture de José Bové. Que leur restera-t-il si
les espérances ainsi placées ne sont pas concrétisées.
De la poussière du Larzac dans les bottes usées.
Nous devons rendre lisible une autre manière de faire de la politique.
Au lieu de placer nos espérances dignes du sentiment religieux
dans des "hommes" providentiels (toujours des hommes d'ailleurs,
vous aurez remarqué-e-s) ou un grand soir improbable, il s'agit
de lutter et de s'impliquer ici et maintenant dans les situations réelles,
que l'on vit au quotidien, de prendre nous-même nos affaires en
main. De lier et de développer ces résistances. Ce n'est
pas le point de départ mais d'arrivée, le tout est de
placer ses luttes à un point qui fasse cesser toute aliénation.
Faire de la politique autrement c'est changer d'échelles de luttes
et de rendre lisible et de temporaliser ces résistances à
échelle humaine. Les changements de loi ne viennent qu'ensuite
: les textes permettant l'émancipation des femmes, ou encore
des noirs aux Etats-Unis, ont découlé de toutes ces résistances
situationnelles et non pas l'inverse.
Dans ce cas là les idées que l'on peut diffuser, si jamais
on le souhaitait, ne servirait que de supports à des actions
locales. Les mouvements citoyennistes nous proposent une horizontalité
biaisée : considérer que l'on peut discuter à jeu
égale avec l'OMC pour infléchir ses décisions.
Il faut lui opposer la verticalité de la praxis : agir en profondeur
dans une situation donnée afin d'atteindre les ressorts individuels
et collectifs qui pourront nous permettre tout simplement de révéler
puis de refuser et de dépasser les situations aliénantes.
Remarque de situation : néanmoins cette raréfaction
de l'eau a certainement eu une grande vertu pédagogique : nous
montrer sa préciosité et l'intérêt concret
de sa gestion collective hors des mains de rapaces avides de profits.
Pour un-e humain-e sur trois le principal soucis quotidien c'est d'avoir
accès à une eau potable, et le fait de ne pas avoir de
robinet à moins de 100 mètres de nous a certains permis
d'accroître cette prise de conscience.