Les identités collectives, comme l'identité kurde ou tibétaine,
sont la source d'une implication politique qui s'oppose à l'oppression
des peuples par les grandes puissances mondiales.
À une échelle différente, les identités individuelles sont elles aussi
la source d'une implication politique qui s'oppose à l'oppression des
individus par l'effet normalisateur des cultures et des groupes.
C'est par exemple l'émergence d'identités individuelles de jeunes femmes
et de jeunes hommes qui leur donne la force de refuser excision, scarifications
ou enrôlement dans une armée.
L'ÉMERGENCE DE L'INDIVIDU
Dans les régions du monde préservées de l'occidentalisation, l'identité
est restée collective jusqu'à nos jours, ainsi qu'elle l'avait toujours
été dans le monde entier et depuis la nuit des temps.
L'identité ne se personnifia que très lentement à partir de l'Europe
du Moyen Âge, à travers un phénomène qui se mondialise aujourd'hui et
que l'on appelle l'émergence de l'individu.
L'individualisation de l'identité qui s'amorce en Europe entre le onzième
et le treizième siècle (1) découle probablement de l'apparition de la
forme primitive du capitalisme.
Jusque là, l'individu ne disposait pas de la possibilité de situer en
lui-même la cause de ses actes : il ne pouvait prendre aucune initiative
qui ne soit dictée par le groupe.
Le groupe, c'était la communauté villageoise ou familiale de l'Antiquité
et du Moyen Âge, c'était la tribu patriarcale de l'Ancien Testament,
des jungles de l'Inde ancienne, de l'Afrique ou de l'Amazonie.
L'identité corporelle Dans ces communautés tribales, le sphère privée
n'existe pas, tout se fait en commun.
Une initiative n'est jamais individuelle mais émane de l'entente de
tout le groupe.
Le comportement est soumis à un impitoyable contrôle social.
L'indécence ne consiste pas à chier ou à faire l'amour sans trop se
cacher : cela n'a pas de sens de se cacher puisque tout se fait en commun.
Toute la famille dort dans le même lit, tout le monde chie en chour
le matin aux abords du village et on se baigne nu dans le port de Marseille.
Ni la vie sexuelle, ni les odeurs corporelles, ni les besoins naturels
ne sont dissimulés.
La souillure corporelle, vécue en commun, fait l'objet d'une culpabilité
collective qui transparaît derrière le mythe du pêché originel.
L'indécence ne consiste pas à ne pas se cacher : elle consiste à ne
pas faire comme tout le monde.
Les prêtres et le pouvoir familial soumettent la population à un implacable
contrôle du comportement, y compris sexuel.
c'est la famille qui choisit le conjoint, les sodomites et les homosexuels
périssent dans d'atroces tortures, les adultères sont fouettés, criblés
de flèches ou lapidés.
L'identité intellectuelle L'absence d'identité corporelle va de pair
avec l'absence d'autonomie intellectuelle.
Prendre une initiative est une intolérable déviance.
Les originaux, bannis ou déshérités, sont condamnés à une misérable
survie sans appui familial.
Chacun est en outre tenu pour collectivement responsable des actes de
la tribu patriarcale à laquelle il appartient.
Si une chèvre a été tuée ou un arbre abattu par un membre d'une famille
voisine, la faute en incombe à tout son groupe familial.
On peut reprocher à quelqu'un ce que sa grand-mère a fait 70 ans plus
tôt, c'est le principe de la vendetta.
Les opinions et les comportements sont eux aussi entièrement déterminés
par l'appartenance au groupe, lui même paroisse d'un immense groupe
religieux.
L'initiative est tellement impossible que ces opinions, croyances et
comportements resteront immuables pendant des siècles.
Le pré-capitalisme Pourquoi l'individu a-t-il émergé en Occident et
pas ailleurs ? Probablement du fait la place prise par l'économie -
pour des raisons encore mal connues (2) - dans l'organisation sociale
au moment de l'apparition de la bourgeoisie.
Dans aucune autre société, investir n'avait permis de changer de classe
sociale ni de conquérir son indépendance par rapport à sa famille.
C'est dans la propriété privée qu'est née l'intimité de la sphère privée.
Chacun devient désormais personnellement responsable de sa souillure
corporelle et de l'obscénité de son désir érotique, qu'il doit cacher
sans défaillance.
L'obscénité ne consiste plus à ne pas faire comme tout le monde, mais
à rendre publique son intimité dont on doit assumer seul la culpabilité.
Cette autonomie bouleversera le monde en accordant en contrepartie à
l'individu la possibilité de prendre des initiatives, de créer ses actes
en situant leur cause en lui au lieu de les subir.
Ce n'est pas un hasard si investir se dit aussi entreprendre, verbe
qui évoque l'action créatrice.
Cette phase pré-capitaliste fut dans une certaine mesure celle qui libère,
on l'appelle d'ailleurs libéralisme.
Dans sa seconde phase et par un étrange retour des choses, le capitalisme
industrialisé restaure des rapports féodaux dans les entreprises et
dépersonnalise à nouveau l'individu par une nouvelle confiscation de
l'espace intime (3) et un conformisme aliénant.
L'IMPLICATION POLITIQUE
Mais à la Renaissance, nous n'en sommes pas encore là.
C'est l'individu émergent et capitaliste qui accomplit l'acte politique
du renversement du pouvoir nobiliaire et qui instaure un début de démocratie
: la révolution de 1789 fut comme chacun sait une révolution bourgeoise.
Et la démocratie naissante reste toujours à conquérir : on pourrait
la définir comme le chemin qui conduit du totalitarisme à l'autogestion.
Plus l'individu s'implique, plus elle avance vers l'autogestion.
S'il se relâche, elle recule instantanément.
C'est ainsi que l'affirmation de plus en plus précise des individualités
exigea l'évolution du suffrage censitaire et réservé aux hommes de plus
de 21 ans vers un scrutin ouvert aux pauvres, aux femmes et aux jeunes.
Le chemin vers l'autogestion est évidemment encore long mais seule une
implication politique de plus en plus affirmée des individus pourrait
y conduire par l'exigence d'une concertation pour toutes les décisions
et d'une baisse du pouvoir délégué aux élus...jusqu'à leur disparition.
(4) C'est donc le capitalisme qui permit à l'identité individuelle d'émerger.
Cela ne signifie pourtant pas que l'identité individuelle ne puisse
se maintenir hors du capitalisme : aujourd'hui sur Terre par exemple,
les conditions ne sont plus favorables à l'apparition de la vie, mais
la vie existe toujours.
Et c'est même la vocation de la culture libertaire que de laisser les
identités individuelles s'affirmer sans capital.
Sinon, qu'est-ce qui distinguerait les libertaires des libéraux ? Le
refus de toute autorité des libertaires n'est-il pas tout simplement
l'exigence de pouvoir affirmer sa propre identité, même sans argent
(et même depuis la mort de l'anarchisme individualiste) ? Les libéraux,
eux, refusent en principe toute autorité mais ils exceptent l'autorité
économique et n'ont même d'autre ambition que d'accroître la leur.
Ce faisant, ils laissent le pouvoir économique se concentrer, de sorte
que plus aucune initiative, même économique, ne sera bientôt plus possible
tant les multinationales monopolisent le marché, ce qui restaurera un
nouveau type de féodalité, comme avant le capitalisme.
Les libertaires, par contre, plus cohérents, refusent toute autorité,
y compris économique et y compris la leur (du moins en principe !) Le
personnel et la politique L'implication politique est donc née de l'émergence
de l'individu : celui-ci ne pouvait pas s'impliquer tant qu'il n'existait
pas.
S'impliquer, c'est affirmer ses convictions, c'est s'exprimer, c'est
exister.
Certains types d'implications politiques expriment pourtant des identités
collectives, comme l'identité lesbienne, noire ou occitane.
La plupart du temps, c'est parce que la mondialisation broie les cultures
minoritaires et les place dans la même situation que les individus broyés
par leur propre culture.
Dans le cas de la lutte des femmes au contraire, l'identité féminine
n'est reconnue par aucune culture et c'est l'émergence simultanée de
milliers d'identités individuelles qui crée une nouvelle culture et
une nouvelle identité collective.
Depuis la mort de l'anarchisme individualiste, le monde entier reste
pourtant persuadé qu'aucun projet de société ne peut se nicher dans
la volonté individuelle.
Comme si aucun projet de société ne pouvait prendre naissance au sein
de l'être humain, de l'humanité.
C'est que pendant des millénaires, les comportement traditionnels ont
évolué comme les codes génétiques des êtres vivants : sans que personne
n'en soit la cause, ils semblaient évoluer selon un plan, comme guidés
par une main invisible qui veille sur le destin de l'humanité.
Ce que les comportements traditionnels ont de commun avec les codes
génétiques, c'est que leurs modifications sont aléatoires, reproductibles
et modelées par une pression sélective qui en garantit l'adaptation
aux conditions de vie.
D'infimes modifications comportementales dues aux erreurs de reproduction
et toujours modelées par la pression sélective donnent ainsi l'illusion
de suivre un dessein, comme si une cause extérieure et sage garantissait
l'humanité contre sa propre folie, à condition qu'elle se soumette à
l'ordre social.
Aimé Hamann (5) décrit d'ailleurs l'angoisse de l'être humain devant
l'idée de situer en lui-même, dans sa volonté, la cause de ses actes
et la source de ses projets.
Il montre comment les institutions n'ont souvent été échafaudées par
l'être humain que pour se donner l'illusion d'évacuer la cause de ses
actes à l'extérieur de lui-même.
Et même la philosophie utilitariste qui a pourtant tellement essayé
de se passer d'injonctions extérieures à l'humanité, croit encore à
l'injonction morale capable de s'opposer à la volonté individuelle.
Lorsqu'elle parle de devoir moral, elle oublie qu'elle est sensée s'appuyer
sur des prémisses qui emportent l'adhésion individuelle.
Si elle ne l'oubliait pas, elle ne parlerait pas de devoir mais de volonté.
Mais si le projet de société ne se situe pas dans l'individu, dans l'être
humain, où diable se situera-t-il ? Dans la vérité révélée de l'Écriture
Sainte ? Chez un despote éclairé ? Dans la main invisible de la tradition,
de la culture ? L'adaptation des traditions aux conditions de vie ne
protège nullement contre l'injustice.
D'autre part, les conditions de vie ont changé si vite ces dernières
années que la pression sélective n'a pas eu le temps de remodeler le
lent mouvement d'évolution aléatoire des comportements traditionnels,
qui sont devenus aujourd'hui complètement inadaptés.
Il n'est plus possible de s'en remettre à la main invisible, l'intelligence
et la volonté humaine sont devenues indispensables à l'élaboration de
nouveaux projets de sociétés, qui ne pourraient émerger que par un accroissement
de l'implication politique.
À côté de l'identité collective, la sphère individuelle, la sphère privée,
constitue donc les fondations de nombre d'implications politiques.
Le personnel, c'est politique.
Mais si la sphère privée est le lieu d'une nouvelle liberté, elle est
aussi celui d'une nouvelle oppression.
C'est ça le libéralisme.
Beaucoup de rapports de pouvoir politique, notamment le pouvoir masculin,
prennent naissance au sein de cette " liberté ", celle d'opprimer sa
compagne et ses enfants.
Le libéralisme intime pose les mêmes problèmes que le libéralisme économique.
La sphère privée abrite l'oppression comme la propriété privée est une
oppression en soi.
LA PSYCHOLOGIE ET LA POLITIQUE
Comment abolir cette oppression sans contraindre également l'individualité,
sans confisquer la sphère privée, terreau de l'implication politique
? Une meilleure compréhension psychologique de nos comportements constitue
peut-être une solution.
En effet, selon certains psychothérapeutes qui se gardent d'ailleurs
bien d'en tirer la moindre conclusion politique, tout être non créatif
est névrosé.
Partant de ce principe, tout individu qui ne parvient pas à émerger,
à devenir lui-même, est névrosé.
Car devenir soi-même, c'est créer ses actes en situant leur cause en
soi.
C'est créer ses actes au lieu de les subir, c'est devenir sujet et plus
objet de l'acte collectif.
L'émergence de l'individu est un besoin psychologique.
La psychothérapie, cela devrait être la recherche de soi-même et donc
la libération de toute forme d'oppression.
Sur le plan politique, le recours à la psychothérapie semble cependant
dérisoire.
Il ne suffit évidemment pas de dire d'une femme victime de la domination
masculine : " elle n'a qu'à aller se faire soigner " pour résoudre le
problème.
Mais peut-être est-ce parce que la psychothérapie ne joue pas son rôle
que les militants politiques la prennent rarement au sérieux.
Le mythe fondateur de l'ordre moral occidental Qu'elle ne joue pas son
rôle ne l'empêche pas d'en jouer un majeur, ce qui confirme la portée
d'une éventuelle politisation des psychothérapies.
Sans que cela ne soit vraiment apparent, l'influence de la psychanalyse
dans la maintien d'un ordre moral patriarcal et culpabilisant est en
fait considérable.
Freud est aujourd'hui devenu l'un des penseurs les plus influents du
monde : comme le dit Richard Webster, (6) nous sommes tous freudiens
à présent.
La psychanalyse est aujourd'hui devenue le mythe fondateur de l'ordre
moral occidental.
Richard Webster montre que nombre d'ouvrages très documentés ont déjà
dénoncé les erreurs et falsifications de la psychanalyse.
Alors que ces ouvrages n'avancent que des arguments très spécialisés
qui semblent n'intéresser que les professionnels, leur parution déclenche
des torrents de protestations : c'est toute la société qui vole au secours
de la psychanalyse, comme si la culture occidentale était menacée dans
ses valeurs fondamentales.
Il serait vain de croire balayer toute une civilisation simplement en
lui apportant la preuve que le mythe fondateur de sa morale n'est qu'un
mythe... Le drame est que ce mythe est si bien implanté que même la
gauche, les féministes et les libertaires s'y empêtrent trop souvent.
Certains croient pouvoir le balayer d'un revers de main, d'autres tentent
de l'adapter sans comprendre la nécessité de rompre radicalement avec
lui pour une théorie alternative.
Wilhelm Reich, (7) Jacques Lesage de la Haye, (8) le mouvement français
Psychanalyse et Politique, (9) restent freudiens.
Friedrich Liebling, (10) Ronald D.
Laing (11) et les mouvements de psychothérapie féministe américain (12)
et canadien (13) développent des méthodes psychothérapeutiques réellement
alternatives au freudisme, mais qui ne rencontrent pas l'audience qu'ils
méritent, peut-être parce que, trop empiriques, ils négligent d'opposer
une théorie alternative au dogme freudien dans ses grands domaines réservés
que sont la structure de l'esprit et la formation des pulsions sexuelles.
L'ordre moral patriarcal et culpabilisant dont la psychanalyse constitue
le mythe fondateur enserre l'individu dans un étau de culpabilité et
de soumission qui le privent à jamais de son autonomie, de son identité.
Liebling, Reich et les psychothérapeutes féministes ont montré ce que
la psychologie pourrait pourtant avoir de libérateur si elle n'en redoutait
pas les conséquences politiques révolutionnaires.
Il est grand temps aujourd'hui de restituer à la psychologie cette dimension
politique dont Freud l'a privée pour un siècle.
Pourquoi cette dimension n'a-t-elle pas encore explosé ? Peut-être est-il
nécessaire pour le comprendre de mettre en relief le rôle de la science
médicale dans le maintien de l'ordre moral à partir du Siècle des Lumières.
À ce moment-là, l'autorité morale de l'Église entame une phase de déclin
qui la conduira lentement à son actuelle agonie.
Désormais cartésien, l'Occident ne se tourne plus vers la " vérité "
cléricale, mais vers la science pour s'enquérir des consignes morales
qui régiront sa vie sexuelle.
Prenant son rôle très au sérieux, la médecine agrémente alors ses manuels
de terrifiants inventaires des maladies engendrées par la masturbation,
et bientôt Charcot se passionne à la Salpêtrière pour l'hystérie, maladie
imaginée par la médecine et dont le diagnostic s'abattait sur les jeunes
femmes à la sexualité exacerbée.
C'est alors que Freud entre en scène.
Et c'est peu dire qu'il a incarné le rôle que l'Occident cartésien attendait
désormais de la médecine pour assumer l'ordre moral.
Il n'existe probablement rien dans la théorie psychanalytique qui ne
trouve son exacte correspondance dans la morale judéo-chrétienne, patriarcale
et culpabilisante.
Pour Freud, le phallus constitue l'étalon universel de la valeur positive.
(14) Cependant, le désir sexuel est intrinsèquement et universellement
pervers.
(15) La nature profonde de l'esprit, instinctive et perverse (le Ça),
s'oppose aux forces du bien, du progrès et de la civilisation (le Surmoi).
Le principe de plaisir s'oppose également au principe de réalité, incarné
par la loi du père.
Autrement dit, le plaisir n'est ni réaliste ni légal, le plaisir c'est
le mal, tandis que le bien c'est l'autorité paternelle.
La nécessite d'une théorie alternative Il n'existe pas de façon plus
radicale de nier l'être humain que de culpabiliser son désir le plus
intime et c'est exactement ce qu'à fait Freud.
Webster démystifie la psychanalyse mais constate son impuissance à la
déraciner de notre culture.
Il ne peut l'envisager car il n'est ni libertaire ni féministe : s'il
dénonce le mythe, il n'ose récuser l'ordre moral en lui-même.
La seule façon d'aller plus loin serait de dénoncer la psychanalyse
non pour ce qu'elle n'est pas, une science, mais pour ce qu'elle est,
une morale, avant de lui opposer une théorie alternative.
Il s'agit évidemment d'un projet ambitieux que je ne peux qu'à peine
évoquer dans un espace aussi restreint mais que j'exposerai prochainement
dans un ouvrage en cours de rédaction.
Alors, il sera possible d'abandonner à la fois le phallus comme étalon
universel de la valeur positive, la loi patriarcale comme unique réalité,
le Ça comme incarnation inconsciente du mal et le pêché originel de
la perversion du désir sexuel.
Il sera possible de comprendre que l'obscénité du désir sexuel, le désir
pour les parties souillées du corps, le sexe et les fesses, n'est pas
une attirance pour le mal, mais une tentative de réconciliation avec
son intimité, un effort de résolution du conflit engendré par la souillure
corporelle, afin de pouvoir s'aimer entièrement, y compris dans ce qu'on
a de plus intime - exigence fondamentale de l'esprit humain - à travers
le corps idéalisé de l'autre.
Il apparaîtra aussi que c'est en devenant sociale que la psychologie
devient politique.
La psychologie sociale contemporaine, trop pressée de vendre ses talents
aux artistes du marketing, a oublié Reich depuis longtemps.
Reich, malgré ses attitudes de phallocrate et de dominant, (16) a ouvert
des voies restée inexplorées depuis.
L'hypocrisie des relations sociales assigne à chacun un rôle de soumis,
de rebelle ou de dominant, une partition qu'il joue toute sa vie et
dans laquelle il n'est qu'un acteur, un menteur comme au cinéma et jamais
un créateur car il n'est jamais la cause de ses actes.
Même le rôle de dominant correspond rarement à la personnalité de ceux
à qui ce rôle est assigné par l'ordre social.
D'innombrables jeunes hommes voient leur développement intellectuel
momentanément stoppé tant la nécessité de prouver leur virilité les
accapare, preuve que ce rôle n'est pas vraiment le leur, sinon ils le
joueraient avec moins d'efforts.
Car ce rôle du dominant est aussi celui du salaud.
Tous les journaux répètent à satiété que les guerres sont inadmissibles
lorsqu'elles tuent des civils car les civils sont des innocents.
C'est donc que lorsqu'elles tuent des soldats, elles tuent des coupables.
Coupables de quoi ? D'être des hommes, preuve que la culpabilité masculine
est universellement admise.
Ce rôle de salaud est aussi celui des chefs, corrompus et menteurs.
Aussi longtemps que l'humain joue un rôle, les actes qu'il effectue
ne sont pas les siens.
Or créer ses actes est une nécessité du psychisme humain.
L'incapacité à utiliser son pouvoir créateur entraîne une frustration
névrosante qui incite à employer son pouvoir destructeur, le pouvoir
de domination.
Le besoin de domination est une névrose engendrée par l'incapacité à
créer.
Le jour où la psychologie reconnaîtra cela, elle deviendra politique.
NOTES :
1- Janet Coleman (dir.), L'individu dans la théorie politique et dans
la pratique, PUF, Paris, 1996.
2- Jacques Adda, La mondialisation de l'économie, vol.
1 : Genèse, La Découverte, Paris, 1997, pages 12 à 14.
Lire aussi Immanuel Wallerstein, Capitalisme et économie-monde (1450-1640),
Flammarion, Paris, 1980.
3- Denis Duclos, La vie privée traquée par les technologies, Le monde
diplomatique, n° 545, août 1999.
4- Albert Meister, dans La participation dans les associations, Éditions
Économie et Humanisme - Les Éditions Ouvrières, Paris, 1974, montre
d'ailleurs que l'évolution de la participation dans un groupe suit quasiment
toujours le même schéma.
5- Aimé Hamann, L'abandon corporel, Les Éditions de l'Homme - Alain
Stanké, Quebec, 1993.
6- Richard Webster, Le Freud inconnu, Exergue, 1998, page 5.
7- Wilhelm Reich, La révolution sexuelle, Plon, 1968 ; Wilhelm Reich,
La psychologie de masse du fascisme, Payot, Paris, 1972.
8- Dans la collection Psychanalyse et Anarchie de l'Atelier de création
libertaire, Lyon.
9- Françoise Picq, Libération des femmes, les années-mouvement, Seuil,
Paris, 1993 ; Juliet Mitchell, Psychanalyse et féminisme, Éditions des
femmes, Paris, 1975.
10- En français, on peut lire de Gerda Fellay, Une éducation libertaire,
dans La culture libertaire, (actes du colloque de Grenoble), Ateliers
de Création Libertaire, Lyon, 1997.
11- Ronald D.
Laing, Le moi divisé, Stock.
12- Susan Sturdivant, Les femmes et la psychothérapie, Pierre Mardaga,
Bruxelles, 1980.
13- Christine Corbeil, Ann Pâquet-Deehy, Carole Lazure, Gisèle Legault,
L'intervention Féministe, Saint-Martin, Montréal, 1983.
14- Gérard Pommier, L'ordre sexuel, Flammarion, 1995, page 255 et 263.
15- Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard,
1987, page 179.
16- Qui ressortent dans la biographie qu'a écrite de lui sa compagne
Ilse Ollendorff Reich, Wilhelm Reich, Pierre Belfond, Paris, 1970.
Le lien d'origine sur le site En Dehors :
http://membres.lycos.fr/endehors/page8.html et
http://membres.lycos.fr/endehors/page9.html
Le site En dehors : http://membres.lycos.fr/endehors/